Abstract

Cette synthèse a pour but d’aider les responsables publics, les organismes donneurs, les autorités répressives et le secteur privé à faire en sorte que la réponse mondiale à la crise ne soit pas entachée de corruption.

La crise du coronavirus (COVID-19) a engendré des défis sans précédent en termes de souffrance humaine, d'incertitude et de perturbations économiques majeures à l'échelle mondiale, susceptibles de créer des conditions propices à la corruption et au versement de pots-de-vin. C’est pourquoi la puissance publique et le secteur privé doivent, dans leurs réponses, prévoir des mécanismes à même de prévenir, de détecter et de réprimer la corruption. Certains risques de corruption sont la conséquence immédiate des actions engagées en vue d’atténuer la crise sanitaire et économique. D’autres risques se concrétiseront à moyen ou long terme, lorsque les répercussions et l’impact des mesures d’urgence prises face au COVID-19 produiront tous leurs effets. Dans ces circonstances, l’érosion progressive de la confiance des citoyens dans les institutions publiques et les entreprises deviendra encore plus visible. Aussi, il faudra impérativement identifier les risques de corruption et les neutraliser pour rétablir la confiance dans les institutions publiques et les entreprises, et convaincre les citoyens de la capacité de leurs gouvernants à élaborer une réponse efficace à la crise.

 Respect de l’état de droit, des normes et des obligations internationales en matière de lutte contre la corruption, y compris transnationale

 Il est impératif que les principes fondamentaux de l’état de droit et de l’intégrité publique ne soient pas négligés ou bafoués tant dans les réponses immédiates au COVID-19 que dans les mesures de relance à plus long terme.

Le respect de la Convention anticorruption de l’OCDE et des Recommandations connexes de 2009, de la Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité publique et d’autres instruments clés tels que la Recommandation du Conseil de 2016 à l’intention des acteurs de la coopération pour le développement sur la gestion du risque de corruption revêt une importance cruciale dans la crise actuelle. À l’heure où les pouvoirs publics réorientent leur action de la gestion de la crise sanitaire vers la relance de l’activité économique, les atteintes à l’intégrité et les risques de corruption pourraient continuer de s’accroître et saper les efforts de reprise. Les faits de corruption, y compris les actes de corruption transnationale, constituent des infractions pénales graves, et les enquêtes et poursuites ne devraient pas être influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause. Il est donc impératif que les principes fondamentaux de l’état de droit et de l’intégrité publique ne soient pas négligés ou bafoués tant dans les réponses immédiates au COVID-19 que dans les mesures de relance à plus long terme. Des ressources appropriées devraient être allouées aux autorités chargées des enquêtes pour leur permettre de mener une action efficace de détection, d’enquête et de poursuite des faits de corruption et pour encourager la coopération internationale.

Dans les pays ou régions du monde qui sont fragiles ou touchés par un conflit, la faible capacité institutionnelle à échafauder une réponse, combinée à la méfiance grandissante des citoyens, peut rapidement conduire à l’instabilité. Dans un tel contexte, une approche fondée sur les risques pour gérer la réponse au COVID-19 pourrait faire la différence entre souffrances humaines immenses ou reprise et survie, et entre stabilité ou instabilité et conflit potentiel.

 Neutralisation des risques immédiats liés aux achats d’urgence

 Tout en restant attentif à la nécessité de pouvoir répondre aux besoins urgents, il convient de continuer d’identifier, d’évaluer et d’atténuer activement et en permanence les risques de corruption, notamment en faisant mieux connaître les stratégies d’atténuation. Les mesures de prévention de la corruption prévues par les normes pertinentes de l’OCDE en matière de lutte contre la corruption, d’intégrité, de marchés publics et de concurrence devraient continuer de s’appliquer.

De nombreux pays et institutions achètent et importent du matériel et des fournitures médicales dans le cadre de procédures d'achat d'urgence, et les signalements de produits non conformes aux normes, de prix abusifs et de faits de corruption se multiplient. Les données rassemblées par l’OCDE montrent déjà qu’un grand nombre de cas détectés de corruption transnationale se sont produits dans le secteur de la santé. Les pots-de-vin faussent ces marchés et peuvent conduire à la fourniture de produits contrefaits ou de piètre qualité, coûter des milliards d’euros par an et mettre des vies en danger. Lorsque les pouvoirs publics prennent des décisions ou effectuent des achats dans des circonstances d’urgence, les règles de diligence raisonnable ne sont pas toujours suivies et la documentation peut être incomplète, ce qui complique les contrôles, inspections ou enquêtes. Le rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale montre que les marchés publics impliquent toujours un risque de corruption, puisque 57 % des affaires de corruption transnationale concernent des marchés publics. Ces risques sont encore plus élevés dans le cadre de procédures d’achat d’urgence, notamment dans les pays en développement où les défaillances du marché et les lacunes dans les processus de passation de marchés publics existent souvent avant même qu’une crise n’éclate.

Conscients des contraintes spécifiques que connaissent les pays en développement, les donneurs peuvent contribuer à élaborer des approches qui soient informées, transparentes, responsables et axées sur les citoyens, en appuyant l’adoption d’instruments en faveur de l’intégrité dans les mesures d’urgence face au COVID-19. Les contrôles aléatoires, le suivi de la chaîne d’approvisionnement, les vérifications allégées de la situation financière et de l’exécution, les enquêtes auprès des citoyens ou les initiatives et observatoires multipartites comptent parmi les nombreux outils qui pourraient être adaptés au contexte national spécifique, puis adoptés en complément des procédures administratives d’urgence afin d’assurer la reddition de comptes. À défaut de mesures appropriées en faveur de l’intégrité et de la transparence, ces procédures d’urgence sont très vulnérables aux abus. De fait, les enseignements de l’épidémie d’Ebola qui a affecté l’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016 montrent que les procédures de passation de marchés publics ont été largement ignorées1. Dans la crise actuelle, les médias signalent d’ores et déjà des violations présumées de la législation sur les marchés publics dans plusieurs pays.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics doivent donc prendre un certain nombre de mesures visant à garantir l’intégrité dans la passation de marchés publics, qui génèrent 13 % du PIB dans les pays de l’OCDE. Celles-ci incluent la mise au point d’orientations détaillées sur la stratégie de passation de marchés en temps de crise, le recours plus systématique aux instruments d’achat collaboratifs existants tels que les accords-cadres, et l’assujettissement de toutes les procédures d’achat d’urgence à des vérifications et des contrôles. Pour remédier aux problèmes d’intégrité de long terme, les pouvoirs publics peuvent envisager de réexaminer la législation en vigueur sur les achats d’urgence afin de s’assurer qu’elle est à même de répondre aux urgences sanitaires mondiales futures, ce qui évite de devoir élaborer une nouvelle législation ou de nouvelles directives dans des délais serrés. Les pouvoirs publics peuvent aussi mettre à profit ou développer les fonctionnalités des plateformes de dématérialisation des marchés publics existantes afin d’enregistrer des informations transactionnelles sur l’achat de produits d’urgence, et créer des outils numériques et aisément accessibles pour permettre au public de suivre l’ensemble des achats d’urgence.

 
Exemples nationaux en matière de marchés publics
  • La centrale d’achat de l’Irlande, l’Office of Government Procurement, a rédigé une note d’information sur les bonnes pratiques à suivre par les autorités adjudicatrices pendant la pandémie de COVID-19.

  • De même, le ministère des Affaires internes et des Communications du Japon a diffusé des « mesures à prendre en matière de marchés publics par les autorités locales en réponse au COVID-19 ».

 Reddition de comptes et contrôle des mesures de relance économique

 Les évaluations des risques de corruption doivent faire partie intégrante des phases de conception et de déploiement des programmes, dans les domaines de la relance économique, des subventions, de l’aide publique au développement et des crédits à l’exportation. Les cas effectifs de corruption doivent être traités dans une perspective globale, en suivant si possible une approche à l’échelle de toute l’administration.

Les mesures économiques et budgétaires sans précédent mises en œuvre pour faire face à la crise seront sans doute exploitées à mauvais escient, et des dispositions doivent être prises pour limiter les risques de corruption et de pots-de-vin. Ces mesures représentent un test de résistance pour les systèmes d’intégrité publique et de gestion des finances publiques, et notamment pour les systèmes de contrôle interne au sein des organisations publiques. Le rythme de mise en œuvre des programmes de relance économique impose d’adapter ou d’assouplir les mesures de contrôle de routine et les mécanismes de diligence raisonnable ex ante, ou de simplifier les règles obligatoires. Malgré les pressions qui s’exercent sur les responsables des fonctions de contrôle d’interne, d’audit interne et de surveillance au sein de l’État, il est essentiel de rappeler que ces acteurs jouent un rôle décisif pour s’assurer que l’intégrité publique ne soit pas compromise dans la gestion des programmes de relance économique et que ces programmes produisent les avantages escomptés. Les auditeurs internes peuvent venir en renfort pour remédier aux lacunes temporaires dans le dispositif de contrôle et signaler les risques aux dirigeants à mesure que les contrôles et les exigences sont assouplis, et peuvent fournir une assurance en temps réel quant à la validité des transactions consécutives aux mesures d’urgence, en s’appuyant sur des méthodes de couplage de données ou d’autres méthodes d’analyse. Les Cours des comptes peuvent suivre les modifications apportées aux systèmes de gestion des finances publiques et cerner les domaines à risque potentiels afin d’adapter si nécessaire leurs activités habituelles de rapport de fin d’année. Les fonctions d’audit interne, les Cours des comptes et autres organes de surveillance peuvent contribuer à promouvoir la transparence et la production de données ouvertes de qualité afin de donner au public les moyens de demander des comptes aux responsables gouvernementaux. Enfin, les auditeurs internes et externes sont bien placés pour aider les pouvoirs publics à gérer les risques à court terme en apportant un éclairage utile aux décideurs sur les risques pour l’intégrité associés aux mesures d’urgence, comme les sorties de fonds en faveur des entreprises et des particuliers.

Pour éviter d’attiser la corruption pendant la crise du COVID-19, les pouvoirs publics devraient être incités à appuyer les initiatives qui visent à suivre la prestation de services publics dans le secteur de la santé, à assurer la transparence des processus d’achat et de la gestion des caisses d’assurance maladie et à engager d’autres efforts ciblés en faveur de l’intégrité.

Dans la sphère fiscale, les contrôleurs des impôts devraient faire preuve de vigilance lors des examens ex post des demandes de prestations publiques d’urgence, et signaler tout soupçon de comportement délictueux, y compris de fraude et de corruption, aux autorités répressives (à cet égard, voir le Manuel OCDE de sensibilisation à la corruption à l’intention des contrôleurs des impôts).

Avec près de 2.1 milliards EUR d’aide publique bilatérale au développement (APD) actuellement engagés pour aider les pays en développement à faire face à la crise, la modélisation de l’intégrité et l’application d’une approche fondée sur les risques pour empêcher le gaspillage, les déperditions et la corruption peuvent contribuer à garantir une prestation de l’APD efficace et efficiente.

À l’heure où nos économies s’orientent de plus en plus vers des solutions numériques pour les échanges, les transactions commerciales, les achats, les conférences et les réunions, nous devons être conscients des risques liés aux technologies numériques. Par exemple, le volume croissant de biens à faible valeur pose des difficultés concernant le suivi et l’application des normes ainsi que la mise en œuvre de stratégies d’atténuation des risques par les agences de gestion des frontières. Des enjeux apparaissent également du fait des liens complexes qui unissent les solutions de commerce électronique et des domaines tels que la fiscalité, le recouvrement des recettes publiques, les systèmes de paiement, les flux de données ou la logistique. Pour concilier risques et opportunités, en particulier dans les transactions commerciales internationales, il est important d'accroître la transparence et la prévisibilité, de rationaliser les processus aux frontières et de rendre la coopération interinstitutionnelle plus efficace, afin de trouver le bon compromis entre soutien et contrôle.

 
Exemples nationaux en matière de reddition de comptes
  • En Nouvelle-Zélande, un comité de surveillance parlementaire bipartite a été mis sur pied, avec pour tâche de superviser la réponse des pouvoirs publics à la crise actuelle, y compris le programme de relance économique. Ce comité se réunit par visioconférence et publie ces réunions en ligne dans une optique de transparence.

  • Dans le cadre du programme de relance mis en place par les États-Unis, des fonds sont alloués au Government Accountability Office (GAO), la Cour des comptes, pour lui permettre d’aider le Congrès à exercer un contrôle sur les dépenses liées à la crise actuelle.

 Éthique des entreprises, contrôles internes et conformité

 Suivre une approche fondée sur les risques de la bonne gouvernance, de l’intégrité des entreprises et des contrôles internes. Le recours à des intermédiaires commerciaux devrait être envisagé avec prudence.

Les entreprises publiques et tous les acteurs du secteur privé, y compris les petites entreprises, devraient veiller au respect des principes de bonne gouvernance et à l’application des contrôles internes en suivant une approche fondée sur les risques. Les autorités compétentes peuvent être amenées à rappeler aux acteurs leurs obligations légales et les conséquences du non-respect de la législation. Le recours à des intermédiaires commerciaux devrait être envisagé avec prudence, surtout lorsque de nouveaux marchés de production, de nouvelles chaînes d’approvisionnement et de nouveaux marchés à l’exportation sont en jeu. S’ils ne sont pas déjà interdits, les paiements de facilitation devraient être découragés et, dans tous les cas, être dûment inscrits dans les comptes et registres financiers des entreprises.

La crise a aggravé les dangers représentés par le commerce illicite, y compris le commerce mondial de produits pharmaceutiques contrefaits et le trafic d’espèces sauvages. Par exemple, un rapport conjoint de l’OCDE et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle fait état d’une augmentation du commerce de produits pharmaceutiques contrefaits dans le contexte de la crise actuelle. Le trafic illégal d’espèces sauvages attire également l’attention, car les scientifiques estiment que la contrebande de pangolins en Asie du Sud-Est pourrait être l’une des causes de l’épidémie actuelle de COVID-19. Le Groupe de travail de l'OCDE sur la lutte contre le commerce illicite étudie la menace que fait peser le commerce illicite, y compris celui de produits pharmaceutiques contrefaits et le trafic d’espèces sauvages. Il a constaté qu’un niveau élevé de corruption était l’un des principaux facteurs qui influent sur le volume d’exportations de produits contrefaits, et a recensé les principales caractéristiques d’une action efficace de lutte contre le commerce illicite. L’une d’entre elles est la réalisation d’enquêtes conjointes par les forces de police et les autorités anticorruption à la faveur des arrestations pour trafic d’espèces sauvages, en vue d’identifier et de réprimer les réseaux criminels qui y sont associés. La crise actuelle favorise l’essor des groupes criminels organisés qui infiltrent les entreprises, en utilisant à leur profit les mesures d’urgence et la défiance du public à l’égard des gouvernants. Pour les pays en développement, relever ces défis est à la fois plus urgent et plus complexe : le crime organisé peut accroître l’instabilité et entraver le développement à plus long terme.

 Répression des faits de corruption et des pots-de-vin

 Les lanceurs d’alerte jouent un rôle essentiel et doivent être protégés. L’utilisation des mécanismes de signalement existants doit être encouragée et les infractions ainsi dénoncées doivent être prises au sérieux et donner lieu à une enquête.

Il est notoirement difficile de mener des enquêtes et d’engager des poursuites dans les affaires de corruption, y compris de corruption transnationale. Les retards sont fréquents et les effets des mesures de confinement actuelles pourraient aggraver la situation, en raison du ralentissement des processus administratifs. Dans les pays en développement, le manque de capacité de l’administration et/ou de volonté politique peut aussi freiner les enquêtes et les poursuites. Au regard du fait que des professionnels de santé ont reçu des menaces et ont été empêchés de divulguer la réalité du COVID-192, la protection des lanceurs d’alerte devrait être une priorité. Il faut non seulement faire en sorte que les autorités chargées des enquêtes disposent de ressources suffisantes pour mener à bien leur mission, mais lorsque des délais légaux de prescription s’appliquent, il convient aussi d’envisager de suspendre ou d’allonger ces délais par tout moyen approprié si nécessaire. Les administrations publiques et les autorités répressives devraient veiller à ce que des mesures soient prises pour que les preuves soient préservées, que les signalements d’infraction soient pris au sérieux et que les lanceurs d’alerte soient protégés.

Pour de plus amples informations

OCDE (2020), Public integrity for an effective COVID-19 response and recovery, Éditions OCDE, Paris, http://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/public-integrity-for-an-effective-covid-19-response-and-recovery-a5c35d8c/.

OCDE (2020), Stocktaking Report on Immediate Public Procurement and Infrastructure Responses to COVID-19, Éditions OCDE, Paris, https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=132_132982-9i47fud8xb&title=Stocktaking-Report-on-Immediate-Public-Procurement-and-Infrastructure-Responses-to-COVID-19.

Lallerstedt, K. (2019), « Illicit financial flows: Illicit trade in counterfeit, pirated and substandard goods in Ghana », OECD Development Co-operation Working Papers, n° 65, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/113ce3d6-en.

OCDE (2017), Compendium of Existing Practices of the 2016 Recommendation of the Council for Development Co-operation Actors on Managing the Risk of Corruption, www.oecd.org/dac/accountable- effective-institutions/Compendium_report.pdf.

OCDE (2016), Recommandation du Conseil à l’intention des acteurs de la coopération pour le développement sur la gestion du risque de corruption, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/corruption/anti-corruption/Recommandation-Cooperation-Developpement-Corruption-FR.pdf.

OCDE (2014), Rapport de l'OCDE sur la corruption transnationale : Une analyse de l'infraction de corruption d'agents publics étrangers, Éditions OCDE, Paris, http://www.oecd.org/fr/corruption/rapport-de-l-ocde-sur-la-corruption-transnationale-9789264226623-fr.htm.

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