Ce chapitre examine l’élément international de l’écosystème législatif du Maroc et se concentre ainsi sur la politique marocaine en matière de traités d’investissement internationaux, notamment les conventions bilatérales et régionales d’investissement. Le présent chapitre présente donc un aperçu général du cadre des traités d’investissement internationaux conclus par le Maroc, fait état de l’évolution de ces derniers et la mise en place d’une nouvelle génération de traités d’investissement, notamment à travers le nouveau modèle de traité bilatéral d’investissement du Maroc. Ce chapitre examine également le recours au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et État dans le contexte marocain, la reconsidération de la politique relative à certaines dispositions prévues par les traités d’investissement et d’autre considérations à prendre en compte dans la réforme de ces derniers.
Examen de l’OCDE des politiques de l’investissement : Maroc 2024
4. Approche marocaine en matière de conventions bilatérales et régionales d’investissement
Copier le lien de 4. Approche marocaine en matière de conventions bilatérales et régionales d’investissementAbstract
4.1. Introduction et orientations générales
Copier le lien de 4.1. Introduction et orientations généralesLe droit international de l’investissement, notamment les conventions bilatérales et régionales d’investissement, font partie intégrante du climat de l’investissement et complètent le cadre juridique national de l’investissement en apportant ainsi un niveau supplémentaire de sécurité aux investisseurs étrangers couverts (OCDE, 2015[1]). Ainsi, à l’instar de nombreux pays dans le monde et dans la région, le Maroc a conclu un grand nombre d’accords internationaux d’investissement (AII) ayant pour objectif d’octroyer aux investisseurs étrangers, en plus des garanties accordées par le droit national décrites dans le Chapitre 3 relatif au cadre juridique national régissant les investissements (voir Chapitre 3), des protections supplémentaires et autonomes, spécifiques à ces derniers. Ces traités, le plus souvent sous forme de traités bilatéraux d’investissement (TBI) ou d’accords régionaux sur l’investissement, sont une composante essentielle du cadre juridique régissant les investissements directs étrangers (IDE) et jouent un rôle important dans la promotion d’un environnement réglementaire propice aux investissements.
Afin de bénéficier des protections procédurales et substantielles édictées par un accord d’investissement, les investisseurs doivent naturellement satisfaire à une série de conditions définies ; à titre d’exemple, les notions d’investisseurs étrangers et d’investissement telles que stipulées par l’AII délimitent le champ d’application de ce dernier, notamment eu égard à la nationalité de l’investisseur ou encore à la forme de l’investissement.
S’agissant des protections substantielles, les AII protègent généralement les investisseurs étrangers contre l’expropriation et les traitements discriminatoires (traitement national (TN) et traitement de la nation la plus favorisée (NPF)) et garantissent aux investisseurs un traitement juste et équitable (TJE). Ces protections viennent s’ajouter aux garanties octroyées par les lois nationales de l’État hôte. S’agissant des protections procédurales, les accords offrent fréquemment aux investisseurs des mécanismes de résolution extrajudiciaires des litiges permettant de garantir les droits de l’investisseur contre toute violation éventuelle par l’État hôte de ses obligations au titre de l’AII.
Historiquement, l’une des principales raisons qui pousse les États à conclure des traités d’investissement est d’attirer les investissements étrangers ; cette logique est néanmoins aujourd’hui remise en cause par un courant croissant de littérature empirique sur les réels catalyseurs de flux des IDE mais aussi de la prolifération des AII (Pohl, 2018[2] ; UNCTAD, 2023[3]).
La politique marocaine en matière de traités d’investissement mérite une attention soutenue. La présente revue, notamment l’examen de cette politique, démontre que comme beaucoup de pays, le Maroc a conclu un nombre conséquent de traités d’investissements et possède un nombre important de traités dits de « première génération », édictant des protections vagues qui peuvent avoir des conséquences néfastes pour le Maroc. En effet, face à ces traités de première génération, les arbitres chargés de trancher les litiges en matière d’investissements disposent d’une grande latitude pour interpréter ces protections, résultant souvent en des interprétations divergentes ou incohérentes, dommageables pour l’État d’accueil.
Vraisemblablement attentif à ces considérations, les TBI conclus par le Maroc récemment reflètent les bonnes pratiques en la matière et, surtout, le modèle de TBI mis en place par le Maroc en 2019 incorpore pleinement ces considérations afin de limiter les risques qui peuvent en découler. Au demeurant, les TBI de premières générations restent en vigueur dans l’écosystème conventionnel marocain, affectant ainsi la portée des efforts fournis par le Maroc.
Le présent chapitre examine ainsi l’approche marocaine en matière de conventions bilatérales et régionales d’investissement, et les dispositions conventionnelles en vigueur, fait état de l’évolution de ces dernières et de la mise en place d’une nouvelle génération de traités d’investissement, notamment à travers le nouveau modèle de TBI du Maroc. Ce chapitre examine également le recours au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et État (RDIE) dans le contexte marocain, et analyse la réforme conventionnelle qui s’impose en raison des dispositions peu précises contenues dans les AII de première génération ainsi que d’autres considérations à prendre en compte dans la réforme de ces derniers.
Recommandations
Copier le lien de RecommandationsExaminer les possibilités de renégociation, de clarification et de sortie des traités d'investissement. Compte tenu des risques de « treaty shopping », le Maroc devrait examiner son réseau de traités dans son ensemble. En effet, malgré les efforts considérables du Maroc en matière de traités d’investissement ainsi que la mise en place d’un nouveau modèle de traité bilatéral d’investissement (TBI) en ligne avec les bonnes pratiques les plus récentes, les traités contenant des dispositions vagues et non qualifiées, conclus par le Maroc, peuvent donner lieu à des interprétations indésirables dans le cadre de RDIE.
Le Maroc pourrait envisager de mettre à jour ces traités, notamment afin d’aligner ces derniers avec la stratégie du gouvernement, les priorités actuelles du Maroc et les pratiques plus récentes en matière de politique de traités d'investissement.
Le Maroc devrait également s’efforcer de minimiser les incohérences entre les obligations internationales contractées avec les différents pays et explorer la possibilité d’harmoniser les politiques régionales en matière de traités d’investissement, par le biais des cadres régionaux existants.
Dans de nombreux cas, une telle révision peut être réalisée par le biais d'amendements ou d'interprétations conjointes convenues avec les partenaires du traité. La résiliation ou le remplacement d'anciens traités d'investissement par consentement ou action unilatérale peut représenter un dernier recours approprié afin de gérer l'exposition et de sauvegarder le droit du gouvernement à réglementer dans l'intérêt public.
S'engager dans les efforts internationaux visant à équilibrer la protection des investisseurs fondée sur les traités et les mécanismes de gouvernance associés. Le Maroc devrait s'engager activement dans les efforts actuellement déployés au niveau international pour équilibrer la protection des investisseurs et le droit de réglementer. Une spécification plus claire des dispositions clés des TBI de première génération contribuerait probablement à refléter l'intention du gouvernement et à garantir une marge de manœuvre plus large pour la réglementation gouvernementale.
Continuer à s’engager dans des forums multilatéraux en matière de réclamation pour perte par ricochet des actionnaires. Le Maroc devrait continuer à s’engager dans des forums multilatéraux tels que l’OCDE (notamment dans le programme de travail sur le Futur des traités d’investissement, le premier volet étant lié à l'alignement des traités d'investissement sur l'Accord de Paris de 2015 et le net zéro, et le second volet étant lié à l’étude de l'évolution des dispositions matérielles spécifiques des traités de l'ancienne génération vers les modèles actuels) et la CNUDCI (le Groupe de travail III sur la Réforme du règlement des différends entre investisseurs et États) notamment afin de contribuer aux discussions relatives à l’approche adoptée dans les RDIE en matière de réclamation pour perte par ricochet des actionnaires dans la mesure où seule une réforme menée par les gouvernements est susceptible de résoudre les divergences existantes en la matière.
Gérer de manière proactive les risques liés aux traités d'investissement existants. Le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF), qui est en charge de la conception, de l’élaboration et de la négociation des traités internationaux d’investissement, ainsi que de la défense du Maroc dans les différends liés à l’investissement international, l’Agence Marocaine de Développement des Investissements et des Exportations (AMDIE), le ministère de la Justice et le ministère des Affaires étrangères devraient continuer à développer des outils de prévention des différends et de gestion des dossiers dans le cadre de RDIE. Le MEF, en collaboration avec les départements concernés, pourrait également envisager des efforts de sensibilisation aux traités d'investissement du Maroc et à l'importance des obligations internationales du Maroc en vertu de ses traités d'investissement pour les fonctions quotidiennes des différentes agences gouvernementales et des fonctionnaires qui interagissent régulièrement avec les investisseurs étrangers.
Continuer à aborder les questions de conduite responsable des entreprises (CRE) dans les traités d’investissement. Bien que le Maroc ait intégré des obligations relatives à la CRE dans son nouveau modèle de TBI ainsi que les derniers TBI conclus par lui, les questions de CRE sont absentes des traités d’investissement de première génération. Le Maroc est donc encouragé à revoir les AII de première génération afin d’y inclure des considérations de CRE. De même, le Maroc est encouragé à veiller à ce que la protection accordée au titre de tous ses traités d’investissement soit limitée aux investissements réalisés dans le respect des législations marocaines, notamment la Loi Cadre n° 99-12 portant charte nationale de l’environnement et du développement, qui met en place des obligations relatives à la CRE ; une clause expresse à cet effet dans les AII permettrait donc de mieux filtrer les investissements.
Continuer à participer activement et à suivre de près les actions inter-gouvernementales et autres sur les réformes des traités d'investissement à l'OCDE et à la CNUDCI. L'examen des réformes et les discussions politiques sur les dispositions fréquemment invoquées dans les affaires de RDIE et la question de savoir si les traités d'investissement atteignent les objectifs visés revêtent une importance particulière dans la politique actuelle en matière de traités d'investissement. Les questions émergentes telles que le rôle possible des traités de commerce et d'investissement dans la promotion d'une conduite responsable des entreprises, ainsi que les discussions en cours sur les traités et le développement durable, méritent également une attention particulière.
4.2. Aperçu général du cadre des traités d’investissement
Copier le lien de 4.2. Aperçu général du cadre des traités d’investissementLes AII sont, historiquement, un instrument majeur pour la promotion et la protection des investissements dans la mesure où ils mettent en place les normes de traitement des investisseurs et de leurs investissements (OCDE, 2015[1]).
Signataire actif d’AII, le Maroc a, à ce jour, conclu 79 TBI, dont 53 sont toujours en vigueur, 2 accords entièrement dédiés aux investissements, plusieurs mémorandums d’entente sur la coopération, notamment un Mémorandum d’entente sur la coopération dans le domaine des finances et de l’investissement conclu avec l’État d’Israël en 2020 (voir tableau des TBI conclus par le Maroc en Annexe 4.A).
Ces chiffres risquent d’évoluer dans le futur proche. En effet, afin d’élargir son réseau de TBI et de renégocier ou mettre à jour ses TBI de première génération, le Maroc a procédé à des échanges de projets de TBI sur la base de son nouveau modèle de TBI de 2019. Ainsi, le Maroc a échangé des projets de TBI avec de potentiels partenaires dont notamment la Moldavie, Singapour, le Canada, la Biélorussie, l’Inde, Bangladesh, Cambodge, Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizstan et l’Iraq. Le Maroc a également échangé des projets de TBI avec l’Italie, la Belgique, la Russie, Oman et Bahreïn afin de mettre à jour ses traités de première génération. De même, des discussions sont en cours pour la renégociation des anciens TBI avec les Émirats arabes unis et le Qatar et la conclusion des TBI de nouvelle génération avec l'Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan et San Marino (voir Graphique 4.1 ci-dessous).
Le Maroc est également signataire de plusieurs accords de libre-échange, notamment avec l’Union Européenne ou encore avec la République de Türkiye. Il est à noter que l’accord de libre-échange conclu avec les États-Unis contient un chapitre entièrement dédié à l’investissement et aux protections substantielles des investissements. Les AII, et plus particulièrement les TBI, conclus par le Maroc sont principalement des traités dits de « première génération » dans la mesure où une grande partie de ces derniers a été conclue entre les années 1960 et 2000 et contient des dispositions de fond relativement vagues (OCDE, 2021[4]). À ce titre, les protections accordées aux investisseurs étrangers sont définies en de termes généraux, laissant ainsi place à des interprétations larges par les tribunaux arbitraux en matière de litiges d’investissements. Par ailleurs, ces protections sont principalement en faveur des investisseurs étrangers et ne sont pas nécessairement équilibrés eu égard aux droits et obligations de l’État.
Il convient de noter qu’un nombre non négligeable de TBI signés par le Maroc n’est jamais entré en vigueur.
Les traités d’investissement conclus par le Maroc couvrent un périmètre substantiel généralement large ainsi que des types d’économies différentes (petites, larges, en cours de développement, développées etc.). Ainsi, le Maroc a conclu des IIA avec tous les pays du groupe G7, à l’exception du Canada, et est signataire de TBI avec la grande majorité des États exportateurs de capitaux du groupe G20, notamment l’Argentine, le Brésil et le Japon. Le Maroc a également en place des TBI avec la majorité des pays de l’Union Européenne, à l’exception de la République de Chypre, la République de Malte, la Slovénie et la Lettonie.
Les relations d’investissement qui unissent le Maroc aux États-Unis se déploient par le truchement de plusieurs outils conventionnels : outre le TBI en place entre les deux pays, ces derniers ont conclu un accord de libre-échange, un accord relatif au développement des relations commerciales et d’investissement ainsi qu’un accord sous forme d’échange de notes sur la garantie des investissements.
Au niveau régional, deux accords régionaux sur l’investissement sont particulièrement importants : la Convention unifiée pour l’investissement des capitaux arabes dans les pays arabes, adoptée en novembre 1980 par les membres de la Ligue des États arabes (Convention arabe unifiée) et l’Accord sur la promotion, la protection et la garantie des investissements entre les États membres de l’Organisation de la Conférence islamique (Accord de l’OCI sur l’investissement), entré en vigueur en 1988. Une modification de la Convention arabe unifiée a été adoptée en 2013, mais cette dernière ne semble pas avoir été ratifiée par le Maroc. Ces accords régionaux d’investissement édictent des protections substantielles, notamment contre l’expropriation directe et indirecte, mais n’octroient pas aux investisseurs une garantie de traitement juste et équitable de leurs investissements. Néanmoins ces accords sont aujourd’hui considérés comme problématiques, dans la mesure où ces derniers contiennent des clauses de résolution des litiges controversées. À titre d’exemple, la clause de résolution des litiges prévue dans l’Accord de l’OCI sur l’investissement est considérée comme pathologique dans la mesure où l’offre d’arbitrage prévue par la convention est souvent contestée par les États membres, paralysant ainsi ce méchanisme.
Le Maroc a également signé l’Accord sur l’investissement de l’Union du Maghreb arabe en 1990, mais ce dernier n’est jamais entré en vigueur. Plus récemment, dans le prolongement du Traité instituant la Communauté économique africaine signé en 1991 à Abuja, le Maroc a signé et ratifié l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) visant à créer un marché unique pour les marchandises et les services à l’échelle du continent africain. En février 2023, le protocole sur l’investissement de l’Accord portant la création de la ZLECAf a été adopté par les chefs d’États africains pendant le 36ème sommet de l’Union Africaine. Ce protocole sur l’investissement définit de manière précise une série de termes clés, tels que le développement durable, l’État d’origine, l’État hôte, l’investisseur et l’investissement1. Le protocole vise à établir un meilleur équilibre entre les droits accordés aux investisseurs et leurs obligations à l’égard des États hôtes ; ainsi, les normes de protection et de traitement des investisseurs et des investissements font l’objet d’exceptions et d’exclusions2. Ledit protocole consacre un chapitre complet sur la promotion et la facilitation des investissements et réglemente les incitations aux investissements durables3.
À l’échelle internationale, le Maroc est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et participe notamment à l’initiative plurilatérale sur la Facilitation de l’Investissement pour le Développement (voir Chapitre 5). Par ailleurs, le Maroc est membre de l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA) qui a pour objectif de faciliter les apports d’investissements directs étrangers dans les pays en développement, en fournissant aux investisseurs des garanties spécifiques.
Le Maroc est en outre adhérant à la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958 (Convention de New York), à la Convention de Washington pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États du 18 mars 1965 (Convention CIRDI) et à la Convention arabe de Riyad relative à l’entraide judiciaire du 6 avril 1983. Le Maroc a également adopté la loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international de 1985 avec les amendements adoptés en 2006.
Enfin, il convient de noter que le Maroc a également adhéré à la Déclaration de l’OCDE sur l’investissement international et les entreprises multinationales (voir Chapitre 7 sur la CRE).
4.3. Couverture des traités d’investissement conclus par le Maroc
Copier le lien de 4.3. Couverture des traités d’investissement conclus par le MarocLe Maroc a conclu des traités d’investissement avec un ensemble varié d’économies, grandes et petites, avancées et en développement, sans qu’une typologie ne révèle nécessairement une politique ou une stratégie systématique. Il semblerait que le Maroc ait d’abord conclu des traités avec des pays « plus riches » (selon la mesure du PIB par habitant), et plus tard avec des pays en cours de développement. En effet, au-delà des traités d’investissement régionaux tels que l’Accord de l’OCI sur l’investissement, les premiers traités d’investissements signés par le Maroc dans les années 1970 et 1980 ont majoritairement été conclus avec des puissances économiques mondiales, notamment avec les États-Unis et les pays européens.
À partir des années 1990, le Maroc a multiplié le nombre de traités d’investissement en concluant une multitude de TBI avec tout type d’économie et de région. Cette évolution est concomitante au développement du cadre législatif et institutionnel national, et notamment avec l’adoption de la loi-cadre n° 18-95 formant Charte des investissements, entrée en vigueur en 1995.
Ainsi, le Maroc semble bénéficier d'une protection conventionnelle pour la quasi-totalité de son stock d'IDE entrant et un peu de plus de 70 % pour son stock d’IDE sortant tel qu’il ressort du Graphique 4.2 ci-dessous.
4.4. Vers une nouvelle génération de traités d’investissement
Copier le lien de 4.4. Vers une nouvelle génération de traités d’investissementDe nombreux TBI en vigueur au Maroc aujourd’hui présentent des caractéristiques souvent associées au traités dits « de première génération », conclus majoritairement dans les années 1990 et début des années 2000. Ces traités se caractérisent généralement par une définition large des termes clés et par des protections peu précises dont le champ d’application est souvent trop étendu.
Les principales dispositions inclues dans les traités d’investissement conclus par le Maroc sont les suivantes :
Une définition large du terme investissement, qui inclut l’investissement direct, l’investissement de portefeuille, la propriété intellectuelle ainsi que les concessions accordées par la loi ou le contrat ;
Une garantie contre l’expropriation illégale – un investissement ne peut faire l’objet d’une expropriation que lorsque cette dernière est non discriminatoire, fondée sur l’intérêt public et moyennant le paiement d’une indemnité prompte et adéquate – cette garantie couvre l’expropriation directe et, dans une moindre mesure, l’expropriation indirecte ;
Le traitement juste et équitable, défini généralement de manière peu précise ;
Le traitement national et celui de la nation la plus favorisée octroyés aux investisseurs et à leurs investissements ;
La liberté de transfert des investissements, des revenus qui en découlent et des indemnités ainsi que le rapatriement des capitaux investis (OCDE, 2010[5]).
Les dispositions ci-dessus sont développées de manière détaillée plus bas.
Les TBI conclus par le Maroc donnent généralement aux investisseurs étrangers accès à l’arbitrage international, notamment sous l’égide du CIRDI ou conformément aux règles de la CNUDCI.
Récemment, le Maroc a entrepris de réformer sa politique et sa pratique en matière de traités d’investissement. En effet, conscient des problématiques liées aux traités de première génération, le Maroc a mis en place en 2017 une feuille de route concernant la réforme du cadre conventionnel de l’investissement, qui, selon les autorités marocaines, s’articule autour de trois étapes : une première phase d’évaluation et de recensement des AII, suivi d’une deuxième phase qui consiste à mettre en place un accord modèle de référence au négociateur marocain pour les prochaines négociations. La prochaine et troisième étape, consiste en la renégociation et éventuellement la dénonciation de certains accords.
Ainsi, en juin 2019, le Maroc a mis en place un nouveau modèle de TBI, qui prend en compte les pratiques récentes en matière de protection et de promotion des investissements et des évolutions récentes en droit international des investissements (Encadré 4.1). Ce dernier constitue un point de départ et une référence pour le négociateur marocain lors de la négociation de nouveaux TBI, et sa teneur peut par conséquent être adapté selon les circonstances et le partenaire concerné.
Encadré 4.1. Le nouveau modèle de TBI du Maroc
Copier le lien de Encadré 4.1. Le nouveau modèle de TBI du MarocLe nouveau modèle de TBI du Maroc vise à instaurer un meilleur équilibre entre les droits et les obligations des investisseurs et de l’État hôte, et prend en compte différentes considérations :
La contribution de l’investissement étranger au développement durable ;
Le droit de l’État hôte de réglementer dans l’intérêt public ;
La nécessité de mettre à jour la définition des notions d’investissement, d’investisseur, de traitement juste et équitable, d’expropriation (notamment indirecte), de traitement national et de traitement de la nation la plus favorisée ;
La nécessité d’imposer aux investisseurs étrangers le respect de certaines obligations dans l’exercice de leurs activités sur le territoire de l’État hôte ; et
La nécessité de faciliter les investissements à travers notamment l’établissement d’un comité conjoint chargé de faciliter l’application de l’accord et d’un point focal national servant de point de contact pour les investisseurs étrangers.
Le degré de précision apporté dans le nouveau modèle de TBI marocain, notamment à certaines clauses clés des TBI, est particulièrement utile compte tenu de la multiplication exponentielle des affaires de RDIE au cours des vingt dernières années.
Reflétant les pratiques récentes en matière d’AII, le nouveau modèle de TBI du Maroc redéfinit ainsi la notion d’investissement : désormais, seuls les investissements réalisés de bonne foi et contribuant au développement durable de l’État hôte bénéficient des protections et garanties offertes par le TBI. Ces dispositions sont en ligne avec la politique récente du Maroc qui vise à encourager la coopération économique centrée sur les investissements durables dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale.
Le nouveau modèle marocain de TBI exige par ailleurs que l’investissement implique une certaine durée, un engagement de capital ou d’autres ressources assimilées, une attente de profit ainsi qu’une prise de risque.
La définition de la notion d’investisseur a également été affinée dans le nouveau modèle de TBI du Maroc. À titre d’exemple, la définition d’investisseur exclue désormais expressément de son champ d’application les ressortissants personnes physiques ayant la nationalité des deux parties (double nationaux), sauf si ces derniers ont leur domicile principal ainsi que leur centre d’intérêt dans le territoire de l’autre partie au moment de la réalisation de l’investissement.
Par ailleurs, afin de répondre à la définition d’investisseur étranger au sens du nouveau modèle de TBI, une personne morale doit remplir une série de conditions définies de manière stricte et précise. Ainsi, la condition usuelle d’exercice d’une activité économique substantielle sur le territoire de l’autre partie est minutieusement définie et implique un examen du montant de l’investissement, son effet sur la communauté locale, la durée pendant laquelle l’entreprise a été opérationnelle ainsi que le nombre d’emplois crées. Le critère de « détention » est également défini et implique d’une personne morale détenue ou contrôlée par des personnes physiques ou morales ayant la nationalité d’un État tiers ou la nationalité de l’État hôte ne peut être un investisseur étranger au sens du TBI.
Le nouveau modèle de TBI du Maroc met par ailleurs à la charge des parties des obligations nouvelles qui ne figuraient pas expressément dans les TBI de première génération : c’est notamment le cas pour l’obligation de lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (cette obligation est généralement implicite et découle des principes généraux de droit international). Cet ajout opportun formalise ainsi une obligation préexistante de conformité à l’ordre public et permet de lever toute ambiguïté quant à son existence. Le nouveau modèle de TBI contient également des dispositions spécifiques à la responsabilité sociale et environnementale des investisseurs, notamment la CRE et la responsabilité sociale des entreprises (RSE), et met ainsi à la charge de l’investisseur étranger une obligation de contribuer au développement durable de l’État hôte et de la collectivité locale au moyen de pratiques responsables ou encore une obligation de conformité en matière de droits humains et de travail, de conduite responsable des entreprises, de protection de la santé et de l’environnement. Ces obligations obligent ainsi les investisseurs étrangers à s’assurer que leurs objectifs économiques ne sont pas en contradiction avec les objectifs de développement social et économique du Maroc.
En outre, le nouveau modèle de TBI du Maroc met en place des innovations spécifiques au RDIE qui visent notamment à :
Mettre en place un cadre institutionnel de prévention des différends dans lequel le Comité conjoint et les points focaux institués au niveau de l’accord jouent un rôle important ;
Limiter les différends qui peuvent être soumis aux mécanismes de RDIE ;
Épuiser les voies de recours internes avant de recourir à l’arbitrage international ;
Renforcer le droit des États parties au TBI d’interpréter les normes et les dispositions du TBI, même après son entrée en vigueur ;
Prévoir un dispositif de traitement accéléré des plaintes infondées ou frivoles et de regroupement des plaintes et ce en vue de réduire les frais de la procédure d’arbitrage ;
Offrir la possibilité pour l’État d’accueil de présenter des demandes reconventionnelles au tribunal arbitral si l’investisseur ne respecte pas ses obligations telles que prévues par l’accord ;
Empêcher les recours abusifs des investisseurs étrangers à l’arbitrage international par l’instauration de sanctions en cas de plainte injustifiée ou frivole ;
Limiter le recours à l’arbitrage pour les investisseurs qui pratiquent le treaty shopping ;
Renforcer l’éthique des arbitres et améliorer le fonctionnement et la transparence des procédure arbitrales conformément au Règlement de la CNUDCI sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondés sur des traités ; et enfin
Au-delà d’être en ligne avec les pratiques modernes en matière de AII, le nouveau modèle de TBI du Maroc est conforme à la politique actuelle du Royaume qui consiste à créer les bases d’un environnement propice à l’innovation et à l’investissement productif dans une logique de développement durable.
Source : OCDE, analyse du nouveau modèle de TBI du Maroc.
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau modèle de TBI, les autorités marocaines font état de cinq nouveau TBI, conclus respectivement avec le Japon, le Djibouti, l’Union des Comores, le Sierra Leone et la République du Cabo-Verde4.
Le TBI Maroc-République du Cabo-Verde s’inspire largement du nouveau modèle de TBI du Maroc et reflète ainsi les pratiques des AII modernes. À titre d’exemple, les dispositions relatives aux standards de protection (et les exclusions subséquentes) sont largement similaires à celle du nouveau modèle de TBI du Maroc. Ce TBI contient également des obligations relatives à la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que des obligations relatives à la responsabilité sociale et environnementale. La gouvernance institutionnelle (mise en place d’un comité conjoint et d’un point focal national) ou encore les innovations spécifiques aux RDIE mis en place dans le nouveau modèle de TBI marocain sont également repris en grande partie dans le TBI conclu avec la République du Cabo-Verde.
Le TBI Japon-Maroc reprend quant à lui, dans une moindre mesure, certain nombre de clauses du nouveau modèle de TBI du Maroc l’article relatif aux standards généraux de protection des investissements édicté dans le TBI Japon-Maroc est largement similaire à celui contenu dans le modèle TBI du Maroc, dans la mesure où il définit le standard TJE de manière précise en énumérant des exemples d’actes constituant une violation dudit standard. Le TBI Japon-Maroc met également à la charge des parties une obligation de moyen pour lutter contre la corruption. Il convient néanmoins de noter que les innovations spécifiques au RDIE prévues par le nouveau modèle de TBI du Maroc ne sont pas reprises dans le TBI Japon-Maroc.
Néanmoins, et malgré les efforts considérables du Maroc pour moderniser ses traités d’investissement, les TBI plus anciens restent en vigueur et font partie intégrante du cadre juridique du pays en matière d’investissement. De ce fait, le Maroc reste exposé à une série de conséquences potentiellement préjudiciable, notamment en raison du champ d’application large des possibles plaintes portées devant des tribunaux d’arbitrage international dans le cadre de ces traités. Bien que certains pays aient revu leur approche en matière de négociation de nouveaux AII afin de répondre à ces préoccupations, notamment le Maroc, la question plus délicate des anciens TBI n’a pas été résolue. Certains gouvernements ont négocié des amendements aux traités ou des interprétations conjointes avec les partenaires de traités existant, mais ces efforts nécessitent beaucoup de temps et de ressources. Les initiatives multilatérales en cours pour la réforme des AII, tels que celles de la CNUDCI et du CIRDI, sont essentiellement de nature technique et de portée limitée.
4.5. Le recours au mécanismes RDIE édictés par les AII
Copier le lien de 4.5. Le recours au mécanismes RDIE édictés par les AIILes AII contiennent généralement des dispositions relatives aux RDIE et prévoient communément le recours à l’arbitrage international en cas de litige. La multiplication des AII au cours des dernières années s’est donc naturellement accompagnée d’une hausse concomitante du nombre des affaires de RDIE. Le Maroc semble néanmoins avoir une expérience limitée en matière de RDIE5. À la date de janvier 2024, le Maroc a été mis en cause dans dix procédures RDIE et aucun investisseur marocain n’a engagé de procédure de RDIE sur le fondement d’un traité impliquant le Maroc6.
4.5.1. Le Maroc en tant que Défendeur à des procédures de RDIE
Selon le site du CIRDI, le Maroc a fait l’objet de dix procédures RDIE entre les années 2000 et 2024. Quatre des dix procédures RDIE sont toujours en cours et quatre procédures RDIE ont été suspendues, ayant fait l’objet d’accords amiables entre les parties7. Ainsi, à ce jour, les deux seules sentences arbitrales rendues dans le cadre de procédures RDIE l’ont été en faveur du Maroc8.
Les investissements ayant fait l’objet de procédures RDIE contre le Maroc relèvent principalement du domaine de la construction, du tourisme et de l’industrie des hydrocarbures. Trois procédures RDIE ont été intentées sur le fondement du TBI Italie-Maroc et seulement une seule sur la base d’un contrat.
Les protections invoquées par les investisseurs étrangers envers le Maroc sont principalement le traitement juste et équitable et l’expropriation.
4.5.2. Les investisseurs Marocains en tant que Demandeurs à des procédures RDIE
Selon les informations publiques disponibles, aucun investisseur marocain n’a engagé de procédure RDIE contre un État hôte. Néanmoins, compte tenu de la confidentialité des procédures RDIE hors CIRDI, il est difficile de déterminer avec précision le nombre de procédures RDIE réellement initiées par des investisseurs de nationalité marocaine.
4.6. Reconsidération de la politique d’investissement du Maroc
Copier le lien de 4.6. Reconsidération de la politique d’investissement du MarocCette section examine certains aspects de la politique d’investissement du Maroc qui font aujourd’hui l’objet de plusieurs débats : la portée des protections substantielles fréquemment invoquées par les investisseurs, à savoir, le traitement juste et équitable, les normes de traitement de la nation la plus favorisée, et l’expropriation indirecte, ainsi que les mécanisme RDIE et d’autres aspects possibles de la réforme des traités d’investissement.
4.6.1. Les protections substantielles centrales aux AII
Le traitement juste et équitable
L’obligation d’accorder un traitement juste et équitable est une protection centrale à la plupart des AII ; depuis les années 2000, elle est l’une des protections les plus fréquemment invoquées par les investisseurs étrangers dans les procédures RDIE, et les affaires contre le Maroc ne font pas exception à cette tendance. Pour autant, le standard de traitement juste et équitable est rarement défini de manière précise : la plupart des dispositions relatives au TJE dans les traités d’investissement ne fournissent pas d’indications spécifiques sur la portée du traitement qui doit être considéré comme juste et équitable.
Ce flou juridique a donné lieu à des interprétations très divergentes de la norme TJE et a engendré un manque de sécurité juridique pour les États hôtes (OCDE, 2024[6] ; OCDE, 2022[7]). Ainsi, le TJE a été considéré par certains tribunaux arbitraux comme un standard autonome, tandis que d’autres ont jugé qu’il s’agit d’un traitement minimal qui englobe notamment le traitement de la nation la plus favorisée et le traitement national et/ou la notion de protection et sécurité intégrales (OCDE, 2022[7]).
En réponse à l’absence de consensus général sur la définition du standard de traitement juste et équitable, certains gouvernements ont adopté des approches plus restrictives vis-à-vis de ce standard, allant parfois jusqu’à l’exclure complétement du champ de leurs AII ou, du moins, de celui des RDIE.
Dans le contexte particulier du Maroc, bien que la grande majorité des TBI toujours en vigueur contienne des dispositions garantissant un traitement juste et équitable aux investissements étrangers, la plupart d’entre eux définissent la norme TJE de manière vague et imprécise.
L’absence de définition stricte de la norme TJE est commune aux TBI de première génération, notamment ceux conclus par le Maroc. Ces dispositions vagues créent une incertitude quant à la portée des obligations du Maroc en matière de TJE et l’expose à des interprétations extensives de la part des tribunaux arbitraux dans le contexte des affaires RDIE. La clarification de cette disposition telle qu’elle figure dans les TBI du Maroc pourrait se faire de plusieurs façons, tel qu’expliqué dans l’Encadré 4.2, et améliorer la sécurité juridique pour toutes les parties intéressées réduisant ainsi les risques d’exposition aux demandes de dommages et intérêts. Une clarification permettrait également de limiter l’impact des conventions internationales sur la prérogative de réglementer du Maroc.
Encadré 4.2. L’approche récente des TBI en matière de TJE
Copier le lien de Encadré 4.2. L’approche récente des TBI en matière de TJELa nouvelle génération de TBI reflète la tendance récente des États de préciser les contours de l’obligation d’accorder un TJE. L’incertitude juridique créée par les contours flous de la norme TJE a même conduit certains États à exclure ce standard de leurs TBI ou du champ d’application des RDIE. Les tendances principales en la matière sont présentées ci-dessous.
L’approche de TJE/norme minimale de traitement – limitation expresse du TJE à la norme minimale de traitement en vertu du droit international coutumier
Cette approche a été utilisée dans un nombre croissant de traités récents, en particulier dans les traités impliquant les États des Amériques et d'Asie (Gaukrodger, 2017[8]).
À titre d’exemple, outre l'utilisation de l’approche de la norme minimale de traitement, l'Accord de partenariat transpacifique global et progressif (2018) (PTPGP) exige du demandeur qu'il établisse la règle de TJE/norme minimale de traitement en démontrant une pratique étatique généralisée (Art. 9.6 (3)-(5), nbp 15 et 17, Annexe 9A). La preuve de ces deux éléments n’a rarement, voire jamais, été apportée par les demandeurs. Cette approche a depuis été reprise par d'autres États (voir, par exemple, l’Accord de partenariat économique globale Australie-Indonésie (2019), art. 14.7). Cette approche a récemment été exclue par ses promoteurs initiaux, les gouvernements de l’Accord de libre-échange Nord-Américain (ALENA), en faveur d'un ensemble de protections beaucoup plus limité dans l’Accord Canada-Etats-Unis-Mexique (ACEUM) (voir ci-dessous).
Au moins 26 TBI conclus par le Maroc lient expressément la notion de TJE à la norme minimale de traitement en vertu du droit international coutumier.
L’approche par liste définie – listes limitatives des composantes du standard TJE
Les traités de dernière génération négociés par l’Union européenne, la Chine, la République slovaque ou encore la France contiennent une liste positive des éléments constitutifs de l’obligation de TJE, permettant ainsi de définir de manière précise la portée de cette obligation. Cette approche peut varier considérablement en fonction de la nature de la liste et comprend souvent des éléments tel que le déni de justice, la violation substantielle des droits de la défense et le traitement manifestement arbitraire et/ou abusif des investisseurs. La frustration des attentes légitimes des parties est généralement exclue du champ d’application du TJE ; cependant, certains traités permettent de prendre cette notion en compte dans des circonstances bien définies. L’approche par liste définie peut donc aboutir à un élargissement du TJE comparé à l’approche TJE / norme minimale de traitement, notamment lorsque la pratique étatique et l’opinio juris sont pris en compte dans la définition du TJE / norme minimale de traitement.
Le Maroc a opté pour l’approche par liste définie dans son nouveau modèle de TBI de 2019.
L’exclusion de la norme TJE
L’interprétation large de la notion de TJE adoptée par les tribunaux arbitraux a conduit certains gouvernements à exclure catégoriquement ce standard du champ d’application des RDIE, voire de leurs AII. L’ACEUM, récemment conclu par les gouvernements de l’ALENA pour mettre à jour leurs obligations internationales, définit ainsi le TJE en fonction de la norme minimale de traitement mais l’exclut généralement de la portée des RDIE, à l’exception d’une catégorie étroites d’affaires concernant certains contrats publics. En conséquence, le RDIE prévu dans l’ACEUM ne s’applique qu’aux demandes résultant d’une expropriation directe ou d’une mesure discriminatoire postérieure à la réalisation de l’investissement. D’autres gouvernements ont catégoriquement exclu la norme TJE de leurs AII ; à titre d’exemple, le modèle de TBI du Brésil n’inclut aucune référence au TJE.
Conforme à la politique du Brésil, le TBI Brésil-Maroc conclut en 2019 ne contient aucune référence au standard du TJE.
Source : (OCDE, 2022[7]).
Seulement un nombre limité de TBI conclus par le Maroc contient une définition précise du standard TJE. Ceci est notamment le cas du TBI France-Maroc, signé en 1996, qui limite le champ d’application du TJE par le biais d’un protocole d’accord signé en 2000, ou encore des TBI conclus avec le Burkina Faso, le Mali et la Macédoine du Nord qui se réfèrent au standard TJE en conformité avec le droit international.
Néanmoins, le Maroc envisage actuellement de mettre à jour l’ensemble des TBI de première génération conclus avec ses principaux partenaires économiques, entre autres, les TBI conclus avec la Suède, l’Italie, la Belgique, l’Espagne, la France, l’Argentine, la Russie, les Émirats arabes unis. Une telle mesure serait l’occasion de réviser la définition du TJE ainsi que les normes de traitement et les clauses sur le règlement des différends afin de refléter les dernières pratiques en matière d’AII, notamment la promotion de l’investissement durable et la préservation du droit de réglementer dans l’intérêt public. Dans un intérêt d’efficacité de ce processus de révision, il pourrait être également envisagé d’adopter à court terme des protocoles additionnels avec les autres signataires de TBI de première génération.
Le nouveau modèle marocain de TBI de 2019 ainsi que les TBI de dernière génération conclus récemment par le Maroc sur la base de ce modèle, tels que les TBI conclus avec la République de Cabo-Verde ou avec le Japon, contiennent quant à eux une définition circonscrite de la norme TJE.
L’article 6 du nouveau modèle de TBI marocain stipule en effet qu’une violation de l’obligation d’accorder un traitement juste et équitable a lieu à chaque fois qu’une mesure constitue (i) un déni de justice dans les procédures pénales, civiles ou administratives, (ii) une violation fondamentale des droits de la défense, (iii) une discrimination ciblée fondée sur des motifs manifestement injustifiés, tels que le genre, la race ou les croyances, ou (iv) un traitement manifestement abusif, tel que le harcèlement, la contrainte et la pression.
Par ailleurs, ce même article édicte explicitement les actes qui ne peuvent constituer une violation de l’obligation d’octroyer un TJE, à savoir, le changement seul de la législation d’une partie, toute mesure considérée comme nécessaire pour protéger l’ordre public, la santé publique ou pour préserver l’environnement sous réserve qu’une telle mesure ne soit pas appliquée d’une manière discriminatoire, abusive ou injustifiée, l’atteinte aux attentes d’un investisseur, le fait qu’une incitation liée à l’investissement n’a pas été accordée, renouvelée ou maintenue, ou a été modifiée par une partie.
Par ailleurs, l’article 6 du nouveau modèle de TBI délimite de manière explicite le champ d’application du standard TJE et dispose en outre que les revenus de l’investissement en cas de réinvestissement jouissent de la même protection que l’investissement initial et que le TJE s’applique à la gestion, l’entretien, l’utilisation, la jouissance, la vente ou la liquidation de l’investissement effectué sur le territoire d’une partie.
La modernisation du modèle de TBI adopté par le Maroc constitue une réforme majeure et augmente donc la sécurité juridique en matière d’obligations internationales ; néanmoins, les TBI de première génération conclus par le Maroc continuent d’être en vigueur au sein de son cadre réglementaire et le Maroc devrait envisager de mettre à jour la définition du TJE dans l’ensemble de ces TBI, par le biais de renégociations avec ses partenaires de traités ou la conclusion de protocoles additionnels.
Le traitement de la nation la plus favorisée
Les TBI conclus par le Maroc édictent généralement une obligation d’octroyer aux investisseurs étrangers un traitement NPF impliquant que chacun des États contractants traite les investisseurs ressortissants de l’autre État contractant non moins favorablement que les investisseurs d’autres pays en vertu de traités similaires. A l’instar des dispositions relatives au TJE, les clauses NPF établissent une norme relative : elles exigent que le Maroc traite les investissements visés au moins aussi favorablement qu’il traite les investissements comparables d’investisseurs de pays tiers. Comme pour les dispositions relatives au TJE, les obligations NPF contenues dans les AII conclus par le Maroc sont souvent vagues et ne donnent que peu d’indications sur la manière dont elles doivent être appliquées ou interprétées.
Une approche plus spécifique des dispositions relatives aux NPF pourrait améliorer la prévisibilité des relations juridiques.
En effet, en raison de sa définition large et peu précise, la norme NPF peut avoir des conséquences imprévisibles et a par conséquent fait l’objet de plusieurs débats, notamment eu égard à trois axes principaux : (i) les clauses NPF et le « treaty shopping » ; (ii) l’application du principe ejusdem generis selon lequel une clause NPF ne peut s’appliquer qu’à des investissements comparables et ; (iii) l’utilisation des listes négatives, d’exclusions ou de conditions (OCDE, 2022[7]).
S’agissant de la question de « treaty shopping », les clauses NPF sont souvent invoquées par les investisseurs couverts par un TBI afin d’importer des dispositions de fond plus favorables d’un TBI tiers conclu par l’État hôte. Néanmoins, depuis l’affaire Maffezini c Espagne, les investisseurs ont recours aux clauses NPF afin d’importer les dispositions relatives aux RDIE ; cette tendance a donné lieu à de nombreuses critiques, notamment en raison de la latitude laissée aux investisseurs étrangers de rassembler des éléments provenant de divers traités conclus par l’État hôte, méconnaissant ainsi le caractère bilatéral des engagements pris par les États dans leur TBI. Bien qu’en matière commerciale, l’application du traitement NPF porte généralement sur le traitement interne des commerçants de différents pays, la plupart des demandes formulées sur le fondement du traitement NPF dans le cadre de RDIE tend à accéder à d’autres dispositions conventionnelles, plus favorables que celles édictées dans le TBI applicable (OCDE, 2022[7]).
Conscients du risque que pourrait constituer une utilisation excessive des dispositions NPF dans les RDIE, un nombre croissant de gouvernements clarifient désormais dans leurs traités récents les dispositions relatives à la NPF, en précisant qu’elles ne peuvent être utilisées à des fins de « treaty shopping ». Ainsi, certains gouvernements ont limité l’application des clauses NPF aux seuls cas où des mesures gouvernementales ont été adoptées ou maintenues dans le cadre du traité avec le pays tiers. L'article 8.7(4) de l'AECG entre le Canada, l'UE et les États membres de l'UE, par exemple, précise que "les obligations substantielles contenues dans d'autres traités internationaux d'investissement ne constituent pas en elles-mêmes un "traitement" et ne peuvent donc pas donner lieu à une violation [de la clause NPF], en l'absence de mesures adoptées ou maintenues par une partie en vertu de ces obligations". L’ACEUM interdit également le « treaty shopping » pour les questions de fond et de procédure (article 14.D.3(1)(a)(i)(A), note de bas de page 22).
Les dispositions relatives à la norme NPF dans le nouveau modèle de TBI du Maroc incluent cette clarification. En effet, l’article 8 dudit modèle, relatif au traitement NPF, exclut expressément de son champ « le traitement accordé aux investisseurs d’un État tiers et à leur investissement en vertu de dispositions relatives au règlement des différends en matière d’investissement prévue dans d’autres accords internationaux, y compris les accords contenant un chapitre sur l’investissement, conclus entre une Partie et un État tiers ». Par ailleurs, le nouveau modèle de TBI du Maroc précise que les obligations de fond contenues dans d’autres traités internationaux sur l’investissement « ne constituent pas en elles-mêmes un « traitement », et ne peuvent donc donner lieu à une violation [de la clause NPF], en l’absence de mesures adoptées ou maintenues par une Partie au titre de ces obligations ».
D’autres TBI conclus récemment par le Maroc, notamment sur la base du nouveau modèle de TBI, contiennent des limitations similaires. Ceux conclus avec le Brésil, la Guinée-Bissau, le Rwanda ou encore avec le Japon et la République de Cabo-Verde excluent ainsi les mécanismes RDIE contenus dans d’autres TBI du champ d’application de la norme NPF et/ou considèrent que les obligations de fond contenues dans d’autres traités ne constituent pas un traitement, et donc ne sont pas susceptibles de violation par le biais de la clause de la NPF.
S’agissant de la détermination des investissements comparables, cette notion fait également l’objet de réforme dans les traités de nouvelle génération (OCDE, 2024[9]). En effet, les traités de première génération ne définissent pas le caractère comparable des investissements, donnant lieu, là encore, à des interprétations, parfois divergentes, par les tribunaux arbitraux dans le cadre de RDIE. Ainsi, certains traités récents prévoient que la comparabilité des investissements suppose des « circonstances similaires » pour que la clause NPF soit applicable. Néanmoins, afin de donner pleinement effet à une telle précision, il convient d’aller plus loin et de définir le régime applicable pour établir l’existence de « circonstances similaires » (OCDE, 2024[9]). À ce titre, l’ACEUM dispose par exemple que l’examen des « circonstances similaires » implique de rechercher si le traitement en question établit une distinction entre les investisseurs ou les investissements sur la base d’objectifs légitimes d’intérêt public.
En conformité avec les pratiques récentes en la matière, le nouveau modèle de TBI marocain conditionne l'application du standard NPF à l’existence de « circonstances similaires » et définit le régime applicable pour conclure d’une telle détermination. En particulier, par référence à l’article 7 relatif au traitement national, l’article 8 du nouveau modèle de TBI énumère les facteurs qui doivent être pris en compte afin de conclure à l’existence de « circonstances similaires » : (i) l’objectif et la nature de la mesure concernée par l’investissement ; (ii) l’impact réel et potentiel de l’investissement sur la population, l’environnement et sur le développement local, régional ou national : (iii) l’emplacement de l’investissement et le secteur où est effectué l’investissement et les marchandises ou services consommés ou produits par ledit investissement ; (iv) l’origine publique ou privée de l’investissement.
S’agissant enfin de l’utilisation des listes négatives, d’exclusions ou de conditions, certains traités récents incluent des listes négatives d’exclusion du champ d’application des clauses NPF, consacrant ainsi des exceptions au traitement NPF, tels que les avantages accordés dans le cadre d’unions douanières, d’autres traités internationaux ou de régimes spécifiques de droit interne. La grande majorité des TBI conclus par le Maroc contiennent de telles limitations. Par ailleurs, dans son nouveau modèle de TBI, le Maroc exclut désormais du champ d’application de la clause NPF les dispositions relatives au RDIE et dispose que les protections substantielles contenues dans d'autres TBI ne constituent pas en elles-mêmes un "traitement" susceptible de violation par le biais de clause NPF.
L’expropriation indirecte
La grande majorité des traités d’investissement conclus par le Maroc stipulent des protections contre l’expropriation mais ne régulent pas le système de calcul de compensation. Nombre de ces TBI font référence à la dépossession directe de la propriété de l’investisseur par le gouvernement (expropriation directe) ainsi qu’à d’autres mesures gouvernementales qui, sans transfert formel de propriété ou saisie pure et simple, ont pour effet une dépossession directe de l’investissement (expropriation indirecte). À ce titre, les dispositions relatives à l’expropriation indirecte figurent aujourd’hui parmi les dispositions les plus invoquées par les investisseurs dans le cadre d’affaires RDIE, après les dispositions relatives au traitement juste et équitable (OCDE, 2021[10]).
Depuis 2003, certains gouvernements ont choisi de clarifier la portée de l’expropriation indirecte dans leur nouvelle génération de traités d’investissement. Ces précisions peuvent être réparties en quatre grandes catégories :
des définitions positives du concept d’expropriation indirecte ;
des indications sur la manière de déterminer s’il y a expropriation indirecte ;
des listes négatives de mesures qui ne constituent pas une expropriation indirecte ; et
des restrictions sur les types d’actifs couverts par cette protection (OCDE, 2021[10]).
Dans son nouveau modèle de TBI de 2019, le Maroc a confirmé sa volonté d’octroyer aux investisseurs et investissements étrangers une protection contre l’expropriation indirecte et, en ligne avec les pratiques récentes en matière de TBI, apporte des précisions supplémentaires sur les éléments constitutifs d’une expropriation indirecte. Le nouveau modèle de TBI définit l’expropriation indirecte comme étant celle qui « résulte d’une mesure ou d’une série de mesures prises par une Partie qui ont un effet équivalent à une expropriation directe et ce, en privant d’une manière substantielle ou définitive l’investisseur des droits fondamentaux de propriété associés à son investissement, y compris le droit d’user, de jouir et de disposer de son investissement sans transfert formel de propriété ni saisie définitive, au point de priver l’investisseur des bénéfices pouvant être légitimement attendus ou de priver son investissement de toute utilité ». L’article 10 dudit modèle précise par ailleurs les facteurs qui doivent faire l’objet d’une enquête afin de déterminer si une mesure ou une série de mesures constituent une expropriation indirecte.
Ainsi, les TBI conclus récemment par le Maroc, notamment avec le Japon, le Libéria ou encore la République de Cabo-Verde, contiennent des précisions supplémentaires concernant les éléments constitutifs d’une expropriation indirecte. De telles clarifications sont susceptibles d’harmoniser la portée de la garantie contre l’expropriation indirecte et de réduire la possibilité d’interprétations divergentes de cette notion dans le cadre d’affaires RDIE ; elles devraient également être prises en compte dans le débat sur l’équilibre des droits de l’investisseur et le droit de l’État de réglementer dans les traités d’investissement. L’impact de ces clarifications pourrait toutefois dépendre d’autres dispositions du même traité, telles que celles relatives au TJE qui ont souvent été invoquées comme subsidiaire aux réclamations d’expropriation indirecte. Selon les autorités marocaines, cette même approche sera désormais adoptée dans les TBI en cours de négociation ou qui seront conclus ou renégociés à l’avenir.
4.6.2. La nouvelle approche envers les RDIE
A l’instar de la plupart des AII, un mécanisme RDIE est inclus dans la majorité des AII conclus par le Maroc, permettant aux investisseurs étrangers couverts par un TBI d’attraire le Maroc à une procédure d’arbitrage international, à la suite de, ou au lieu de, recours nationaux. L’arbitrage entre investisseur et État implique qu’un tribunal arbitral, désigné par les parties selon les particularités de l’affaire, statue de manière définitive sur le litige.
Comme beaucoup de traités de première génération, la quasi-totalité des TBI marocains réglementent le RDIE de manière souple, octroyant un pouvoir décisionnaire large au tribunal arbitral, aux parties et à leurs représentants. Ainsi, à ce jour, de nombreux TBI marocains laissent aux demandeurs et à leurs conseils un pouvoir décisionnaire sur des questions clés de la procédure, notamment l’identité de l’autorité de nomination du tribunal arbitral par le biais du choix unilatéral de l’investisseur entre plusieurs institutions d’arbitrage. Par ailleurs, aucun TBI ne prévoit l’intervention d’une autorité gouvernante non-partie au litige à des fins d’interprétation dans les affaires RDIE ni ne traite de la transparence dans les RDIE. Enfin, aucun TBI ne traite des mesures correctives qui peuvent être accordées par un tribunal arbitral.
La pratique récente en matière de traités démontre une volonté grandissante de la part des États à circonscrire les limites des mécanismes RDIE voire à rejeter catégoriquement ces mécanismes en faveur d’autres approches (Encadré 4.3).
Encadré 4.3. L’évolution récente des politiques relatives aux RDIE
Copier le lien de Encadré 4.3. L’évolution récente des politiques relatives aux RDIEUn certain nombre d’interrogations alimente depuis quelque temps la méfiance vis-à-vis des RDIE : le recours croissant à l’arbitrage, le risque qui en découle pour la réputation du climat d’investissement de l’État, le poids financier que peut engendrer une procédure arbitrale ou encore le scepticisme eu égard à la légitimité, la cohérence et la transparence du système. Ces considérations ont poussé de nombreux États à repenser leurs politiques relatives aux RDIE au cours des dernières années, voire à remplacer l’arbitrage investisseur-État par des systèmes similaires aux tribunaux :
L’Union européenne a rejeté le principe de l’arbitrage entre investisseurs et États et, tout en soutenant la création d’une cour multilatérale d’investissement, a inclus dans tous ses traités d’investissement récents un règlement des différends de type judiciaire ;
Certains gouvernements remettent en question les protections accordées aux investisseurs par les AII et en ont soit réduit considérablement la portée, en limitant l’accès au RDIE (ex. ACEUM), soit ont supprimé entièrement les dispositions de fond relatives au RDIE.
Le Brésil a élaboré un nouveau modèle de traité d’investissement axé sur le règlement des litiges entre États sans recours au RDIE, par le biais de point focaux nationaux qui jouent le rôle de médiateur ;
Le Groupe de travail III de la CNUDCI a été mandaté en 2017 pour élaborer des solutions de réforme des RDIE. Dans ce contexte, 60 membres de la CNUDCI ainsi que de nombreux États non-membres disposant du statut d’observateur ont adopté le principe de la réforme plurielle pour répondre aux préoccupations suscitées par le RDIE.
Source : OCDE.
Compte tenu du nombre important de traités de première génération conclus par le Maroc, une révision de l’approche envers les mécanismes RDIE pourrait être envisagée dans ses traités, afin notamment de déterminer si le faible niveau de réglementation des mécanismes RDIE dans les AII reflètent de manière appropriée les objectifs politiques du Maroc. En effet, de nombreux AII conclus par le Maroc donnent aux parties demanderesses et leurs conseils un pouvoir décisionnel substantiel en matière de questions procédurales en plus de leur permettre de choisir le moment de leur action. Cela découle notamment du choix de l’autorité de nomination, qui joue un rôle clé dans une procédure arbitrale, notamment parce qu’elle est parfois amenée à choisir le président du tribunal (composé généralement de trois arbitres) (Gaukrodger, 2018[11]). Or, en donnant aux demandeurs et leurs avocats la possibilité de choisir entre différentes institutions d’arbitrage, le TBI permet à ces derniers d’influencer le choix de l’autorité de nomination et exacerbe la concurrence pour les affaires entres institutions d’arbitrage.
Le nouveau modèle de TBI marocain, dans ses dispositions relatives au RDIE, reflète certains des débats de la communauté internationale en matière de réforme des mécanismes RDIE. En effet, ce nouveau modèle met en place un mécanisme de RDIE innovant qui reprend un certain nombre de propositions formulées par le Groupe de travail III de la CNUDCI.
À titre d’exemple, le nouveau modèle de TBI instaure le principe d’un comité conjoint, composé de représentants des deux parties contractantes et chargé notamment de résoudre tout litige résultant de l’accord entre les parties, avant tout recours en justice, ou encore d’intervenir en cours d’instance afin de donner des avis et des interprétations au sujet des dispositions de l’accord.
Le nouveau modèle de TBI limite également l’accès au RDIE et en délimite la portée. Ainsi, la violation par un investisseur de ses obligations au titre du TBI prive ce dernier de tout recours au mécanisme RDIE (article 28.3 du nouveau modèle TBI). Cette disposition peut néanmoins être problématique, dans la mesure où toute violation alléguée de l’investisseur priverait ce dernier de recours au RDIE. Une telle considération devra être prise en compte lors de la conclusion de nouveaux TBI. Le recours aux mécanismes de RDIE est également exclu lorsqu’il existe une autorisation d’investissement ou un contrat d’investissement entre les parties ou encore lorsque l’investissement a été effectué à travers la corruption, le blanchiment d’argent ou une fausse déclaration (article 32 du nouveau modèle TBI). En outre, l’investisseur perd son droit d’action au-delà d’un délai de prescription de 3 ans à compter de la date de la prise de connaissance du manquement allégué et de la perte ou dommage subi (article 28.6 du nouveau modèle TBI).
Néanmoins le nouveau modèle de TBI ne traite pas de toutes les interrogations actuelles autour des AII et du RDIE : il ne règlemente pas le pouvoir décisionnel accordé aux demandeurs et leurs représentants dans la mesure où il continue de donner le choix entre plusieurs institutions d’arbitrage (article 33 du modèle TBI). Cette considération devra être traitée à l’avenir et prise en compte lors de la conclusion de nouveaux TBI, notamment sur la base du nouveau modèle de TBI marocain.
4.7. Autres considérations à prendre en compte dans la réforme des AII
Copier le lien de 4.7. Autres considérations à prendre en compte dans la réforme des AII4.7.1. Une délimitation plus claire des dispositions relatives à la protection de l’investissement permettrait de mieux refléter les intentions du gouvernement
De manière générale, les clarifications apportées aux dispositions clés des AII reflètent des positionnements politiques nouveaux du Maroc en matière de politique conventionnelle et d’investissements internationaux. Diverses considérations doivent être prises en compte dans la détermination de la politique d’investissement : les coûts et les avantages de ces choix, leur impact potentiel sur les investisseurs étrangers et nationaux, les intérêts réglementaires légitimes du Maroc ainsi que le risque lié à l’arbitrage et une condamnation conséquente dans le cadre du RDIE. Le gouvernement doit donc continuer d’évaluer ses AII et de s’assurer de leur conformité avec la politique conventionnelle et d’investissements internationaux du Maroc, le cas échéant, de mettre à jour ses traités d’investissement afin de les aligner sur ses priorités actuelles. En fonction du contexte et de la formulation du traité d’investissement, il peut être possible d’atteindre ces objectifs par le biais d’interprétations conjointes convenues avec les autres parties contractantes. Dans d’autres cas, il peut être nécessaire de modifier les AII, voire de remplacer le traité par consentement des deux parties.
L’expérience du gouvernement face à la pandémie de COVID-19 peut également influencer la façon dont il considère les dispositions des traités d’investissement, ainsi que l’équilibre approprié entre les protections octroyées à l’investisseur et le droit de réglementer. En effet en période de crise, comme lors de la pandémie, les gouvernements doivent pouvoir bénéficier d’une marge de manœuvre suffisante afin de pouvoir réagir efficacement à la crise et prendre des mesures vitales telles que l’accès rapide aux biens et services essentiels ; il est donc primordial pour les traités d’investissement de préserver la marge de manœuvre correspondante à ces mesures d’exception. L’expérience acquise pendant la crise du COVID-19 peut être prise en compte pas le gouvernement dans la poursuite des plans d’évaluation et, le cas échéant, de mise à jour de ses traités d’investissement.
4.7.2. Les traités d’investissement comme outil de libéralisation des politiques d’investissement
Bien que les dispositions relatives à la libéralisation soient courantes dans les accords commerciaux internationaux, elles le sont beaucoup moins dans les TBI. Ces dispositions sont devenues l’une des composantes les plus fréquentes des chapitres sur l’investissement dans des traités plus large sur le commerce et l’investissement. Les traités d’investissement peuvent être utilisés pour libéraliser la politique d’investissement, en facilitant la réalisation ou l’établissement de nouveaux investissements (Pohl, 2018[2]). Cet objectif peut être atteint en étendant les normes de traitement national et de traitement NPF aux investisseurs qui cherchent à réaliser des investissements ou en interdisant expressément les mesures qui bloquent ou entravent l’accès au marché. Dans l’ensemble, les dispositions visant à favoriser la libéralisation ne sont pas communes dans les TBI conclus par le Maroc. Seuls un nombre limité de traités conclus par le Maroc accordent aux investisseurs le traitement national et le traitement NPF de préétablissement. À titre d’exemple, les TBI conclus par le Maroc respectivement avec les États-Unis et le Nigéria prévoient que les parties au traité autorisent les investisseurs à « investir et à conclure des contrats » à des conditions non moins favorables que celles octroyées à leurs propres nationaux ou aux investisseurs des États tiers. Les dispositions de ce type s’accompagnent généralement de certaines exclusions (Encadré 4.4). Le Maroc pourrait envisager d’étudier l’opportunité de sa pratique consistant à limiter le traitement national aux investissements post-établissement.
Encadré 4.4. Exceptions au traitement national et traitement NPF fondées sur des listes négatives et positives
Copier le lien de Encadré 4.4. Exceptions au traitement national et traitement NPF fondées sur des listes négatives et positivesLorsque les États accordent le traitement national et/ou le traitement NPF, que ce soit avant ou après l’établissement de l’investissement, ils le font généralement sous réserve. Il existe deux approches afin de limiter ce traitement.
La première approche est fondée sur une liste négative qui prévoit que le traitement national et la norme NPF sont accordés, sous réserve de certaines exceptions et/ou de dispositions spécifiques. Il s’agit de l’approche par liste négative. La grande majorité des TBI conclus par le Maroc prévoient que le traitement NPF ne s’applique pas aux privilèges et aux avantages qu’une partie contractante accorde aux investisseurs d’un Etat tiers « en vertu de sa participation ou de son association à une zone de libre-échange, une union économique régionale ou un accord international similaire ou en vertu d’une convention tendant à éviter la double imposition en matière fiscale ou toute autre convention en matière d’impôts ». Cela est notamment le cas des TBI conclus avec le Mali, la Guinée-Bissau, la France ou encore la Russie.
La seconde approche est fondée sur une liste positive en vertu de laquelle les dispositions relatives au traitement national et au traitement NPF ne s’appliquent qu’à des secteurs spécifiques identifiés dans le TBI. Il s’agit de l’approche par liste positive. En général, l’approche par liste négative est considérée plus propice à la libéralisation des investissements, et en particulier eu égard au développement continu de nouveaux domaines d’activité économique qui ne sont pas couverts par les listes négatives.
Source : OCDE.
4.7.3. Approche des demandes de pertes par ricochet dans le cadre de RDIE
Les pertes réfléchies surviennent lorsque qu’une société subit une perte qui se traduit, à son tour, par une perte proportionnelle pour les actionnaires, généralement sous forme d’une perte de valeur des actions. Contrairement à l’approche des législations nationales de nombreux pays, les traités d’investissement ont généralement été interprétés de manière à permettre aux actionnaires couverts de formuler des réclamations dans le cadre de RDIE pour les pertes subies par les sociétés dans lesquelles ils détiennent des actions (Encadré 4.5).
Encadré 4.5. L’approche des RDIE en matière de pertes par ricochet
Copier le lien de Encadré 4.5. L’approche des RDIE en matière de pertes par ricochetUne perte par ricochet est subie par les actionnaires lorsque la société dans laquelle ils détiennent des actions subit une perte qui se traduit, à son tour, par une perte proportionnelle pour les actionnaires (e.g. perte de valeur des actions). Les créanciers d’une entreprise lésée peuvent également subir une perte par ricochet. Le préjudice par ricochet est généralement opposé au préjudice direct aux droits des actionnaires, tel que l’interférence avec les droits de vote de ces derniers.
Les systèmes de droit des sociétés interdisent de manière générale les demandes d’indemnisation pour préjudice moral. Lorsqu’une entreprise est lésée, le droit de réclamation appartient à l’entreprise elle-même et seule cette dernière peut récupérer les pertes. Les réclamations des actionnaires pour pertes dérivées sont généralement exclues. Cette règle générale d’application universelle présente des avantages tant sur le plan de la procédure que sur le fond. Sur le plan de la procédure, elle permet de réaliser une économie judiciaire en limitant les réclamations, en évitant des jugements incohérents, en facilitant le règlement à l’amiable et en empêchant le double recouvrement par la société et les actionnaires pour une seule et même perte. Cette approche est considérée comme équitable, en particulier pour les défendeurs qui ne sont pas soumis à des demandes multiples pour le même préjudice allégué.
Dans le contexte des RDIE, les tribunaux arbitraux ont parfois adoptés une approche différente, permettant ainsi aux actionnaires d’intenter une action contre les gouvernements pour perte par ricochet. Cette approche a donné lieu à de nombreux problèmes, tels que les réclamations multiples pour le même préjudice, entrainant, entre autres, des millions de dollars de frais de justice supplémentaires pour le même litige.
Les gouvernements examinent ces questions à l'OCDE depuis 2013 ( (OCDE, 2016[12]) ; (Gaukrodger, 2014[13]) ; (Gaukrodger, 2014[14]) ; résumé de la 19e table ronde sur la liberté d'information, octobre 2013, p. 12-19 ; résumé de la 18e table ronde sur la liberté d'information, mars 2013, p. 4-9). Les discussions en cours au sein du Groupe de travail III de la CNUDCI sur la réforme des RDIE examinent les réformes possibles pour traiter ces questions, qui ont été soulignées dans une note récente du Secrétariat de la CNUDCI (UNCITRAL, 2019[15]). À la demande du groupe de travail, ces discussions sont menées conjointement avec l'OCDE. Étant donné que l'approche actuelle concernant la perte par ricochet dans les RDIE offre aux demandeurs des avantages exceptionnels et augmente considérablement le nombre d'affaires RDIE réelles et potentielles, seule une réforme menée par les gouvernements est susceptible de résoudre ces problèmes.
Au vu de ce qui précède, le Maroc devrait continuer à s’engager dans des forums multilatéraux tels que l’OCDE (notamment dans le programme de travail sur le Futur des traités d’investissement, le premier volet étant lié à l'alignement des traités d'investissement sur l'Accord de Paris de 2015 et le net zéro, et le second volet étant lié à l’étude de l'évolution des dispositions matérielles spécifiques des traités de l'ancienne génération vers les modèles actuels) et la CNUDCI afin de contribuer aux discussions relatives à l’approche adoptée dans les RDIE en matière de réclamation pour perte par ricochet des actionnaires.
4.7.4. Les chevauchements entre les différents traités d’investissement
Comme d’autres pays de la région MENA, le Maroc est signataire d’un nombre considérable d’accords conventionnels qui se chevauchent, notamment entre ses TBI et ses accords multilatéraux comme l’Accord OCI sur l’investissement et la Convention arabe unifiée, qui dupliquent les protections conventionnelles avec des États individuels.
Le chevauchement des traités d’investissement qui s’appliquent aux investissements d’investisseurs d’un même pays peut soulever certaines préoccupations politiques. De manière générale, le Maroc devrait s’efforcer de minimiser les incohérences entre les obligations internationales contractées avec les différents pays et explorer la possibilité d’harmoniser les politiques régionales en matière de traités d’investissement, par le biais des cadres régionaux existants. En effet, les investisseurs de pays ayant conclu deux traités d’investissement ou plus avec le Maroc pourraient choisir de s’appuyer sur des dispositions plus favorables d’anciens AII, que ce soit dans leurs relations avec le gouvernement ou dans le contexte d’un RDIE. À titre d’exemple, de nombreuses dispositions de l’Accord de l’OCI sur l’investissement et de la Convention arabe unifiée reflètent une conception parfois obsolète des traités, qui, s’ils restent en place sous leur forme actuelle, pourraient compromettre les efforts actuellement entrepris par le Maroc pour réviser et réformer ses TBI : les investisseurs couverts pourraient vraisemblablement contourner les TBI récents du Maroc en choisissant de s’appuyer sur les dispositions plus favorables de TBI ou traités multilatéraux plus anciens qui sont toujours en vigueur.
Il convient de noter que toute différence significative entre les TBI conclus par Maroc et les accords régionaux auxquels ce dernier est parti est peu susceptible de contribuer à la création d’un espace d’investissement totalement intégré au niveau régional. Le Maroc pourrait donc s’engager avec ses partenaires conventionnels afin d’examiner si leurs obligations internationales respectives reflètent leurs priorités actuelles. Selon le contexte et la lettre de l’accord, il peut être possible d’atteindre ces objectifs par le biais d’interprétations conjointes avec les homologues à ce dernier. Une révision de l’AII peut parfois être nécessaire.
4.7.5. Une marge de manœuvre pour la réglementation gouvernementale
Un plus grand degré de liberté réglementaire légitime peut contribuer à un développement durable d’un État. Pour ce faire, les gouvernements peuvent utiliser une série de techniques afin d’influer sur l’équilibre entre le droit de réglementer et les protections accordées aux investisseurs dans le cadre de traités d’investissements (Gaukrodger, 2017[16]). La plus évidente consiste à inclure ou exclure des dispositions particulières et de rédiger de manière étroite ou large les traités notamment s’agissant des protections le plus souvent invoquées dans les actions contre les États. Une autre manière d’influer sur cet équilibre consiste à inclure des dispositions expresses relatives au droit de réglementer.
Les considérations ci-dessus semblent s’aligner sur la stratégie nationale de développement du Maroc (Maroc à horizon 2035), qui consiste notamment à encourager les investissements durables et inclusifs et à créer des emplois de qualité.
Le nouveau modèle de TBI marocain incarne ces considérations et reflète les priorités du gouvernement, dans ses dimensions économiques, sociales et environnementales, en laissant aux parties une marge de manœuvre pour la réglementation des normes en matière de santé publique, de travail, d’environnement et de sécurité. En effet, le nouveau modèle de TBI prévoit qu’aucune disposition de l’accord ne sera interprétée comme empêchant une partie de prendre toute mesure considérée comme nécessaire pour protéger l’ordre public, la santé publique ou pour préserver l’environnement, à condition que ces mesures ne soient pas appliquées d’une manière discriminatoire, abusive ou injustifiée. Par ailleurs, aucune partie ne devrait renoncer ou déroger à des mesures nationales liées à la santé publique, au travail, à l’environnement ou à la sécurité afin d’encourager l’établissement, l’acquisition, l’expansion ou le maintien sur son territoire d’un investissement tel que défini par le nouveau modèle de TBI marocain.
Dans cette même optique, les mesures législatives et réglementaires de bonne foi et non discriminatoires prises par une partie dans le but de protéger ou améliorer les objectifs d’intérêts publics tels que la santé publique, la sécurité, l’environnement et le travail ne peuvent constituer une expropriation indirecte susceptible de compensation.
Bien que le nouveau modèle de TBI reflète fidèlement les priorités du gouvernement, le Maroc devrait considérer la question des TBI de première génération et envisager de revoir le langage de certaines dispositions, notamment celles relatives au standard de TJE, afin de refléter les pratiques susmentionnées dans ces traités. Afin de se réserver une plus grande marge de manœuvre politique, le Maroc pourrait envisager de clarifier le langage du traité, de procéder à des déclarations interprétatives unilatérales ou conjointes, d’inclure des exceptions générales ou spécifiques ou encore de mettre en place des conditions préalables au consentement à l’arbitrage.
4.7.6. Prise en compte du développement durable et de la conduite durable des entreprises dans les traités d’investissement
L’OCDE étudie actuellement l’impact des traités de commerce et d’investissement sur les responsabilités des entreprises, notamment l’impact sur la marge de manœuvre des gouvernements, la manière dont leurs dispositions renforcent le droit national ou encore imposent directement le respect des normes CRE (Gaukrodger, 2020[17]).
La nouvelle génération de TBI aborde généralement la responsabilité des investisseurs. Ainsi, certains traités précisent qu’il est inapproprié d’encourager les investissements des investisseurs de l’autre partie contractante en assouplissant les mesures environnementales ou sanitaires. D’autres traités excluent les investissements obtenus par voie de corruption du champ d’application des protections prévues par le traité et reconnaissent que les investissements doivent contribuer au développement économique de l’État hôte ou encore exigent des entreprises qu’elles respectent les normes en matière de responsabilité sociale des entreprises.
Certains traités d’investissement marocains contiennent des dispositions relatives aux objectifs CRE et aux responsabilités des investisseurs ; ces dispositions varient en termes de portée et de précision. En effet, au moins trois TBI conclus par le Maroc contiennent des références expresses à ces objectifs9. Le Maroc pourrait également envisager d’aborder les questions de CRE dans ses traités d’investissement de première génération, notamment en amendant les TBI de première génération.
Le nouveau modèle de TBI marocain, contient toutes les dispositions susvisées : il consacre des dispositions relatives au maintien des normes en matière de santé publique, de travail, d’environnement et de sécurité et à la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ; il met par ailleurs à la charge des investisseurs une responsabilité sociale et environnementale et il exclut toute indemnité résultant de mesures prises dans un objectif d’ordre public, de santé publique ou pour préserver l’environnement.
Ces sujets sont également abordés dans la Loi Cadre n° 99-12 portant charte nationale de l’environnement et du développement durable. Le Maroc est encouragé à veiller à ce que la protection accordée au titre de tous ses traités d’investissement soit limitée aux investissements réalisés dans le respect des législations marocaines, notamment la Loi Cadre n° 99-12. Une telle exigence constitue un mécanisme de filtrage qui peut potentiellement inciter les investisseurs à être plus attentifs aux obligations qui leur incombent en vertu du droit national. L’insertion d’une clause explicite à cet effet dans les TBI du Maroc est fortement encouragée.
Les considérations ci-dessus sont d’avantage détaillés dans le chapitre 7 relatif à la conduite responsable des entreprises (voir Chapitre 7).
4.7.7. Considérations procédurales : Sortie et renégociations des traités d’investissement
Un nombre croissant de pays envisagent de remplacer, de mettre à jour ou de sortir des traités d’investissement plus anciens, qui ne reflètent plus les priorités actuelles des gouvernements. L’examen et la renégociation des traités d’investissement (ou encore des traités plus large contenant des chapitres relatifs à la promotion et la protection des investissement) nécessitent du temps et des ressources gouvernementales importantes ; de même l’option de mettre fin à un traité n’est pas nécessairement possible à tout moment, car les dispositions relatives à la validité temporelle du traité peuvent limiter les options de sortie Encadré 4.6).
Encadré 4.6. Conception des dispositions relatives à la validité temporelle des traités d’investissement
Copier le lien de Encadré 4.6. Conception des dispositions relatives à la validité temporelle des traités d’investissementContrairement à la plupart des conventions internationales qui peuvent être dénoncées dans un délai relativement court, les traités d’investissement contiennent généralement des clauses qui prolongent leur validité temporelle pour des périodes significatives. Trois types de dispositions peuvent coexister dans un même accord :
La plupart des traités d’investissement contiennent une clause qui fixe la période de validité initiale à dix ans ou plus, à compter de l’entrée en vigueur du traité.
Après cette période initiale de validité, de nombreux traités autorisent les États contractant à dénoncer le traité uniquement à l’issue d’intervalles spécifiques, souvent de dix ans ou plus.
Enfin, les obligations découlant des traités continuent presque universellement de s’appliquer pendant une période de temporisation après la dénonciation du traité, là encore pour des périodes de dix ans ou plus.
En définitif, de nombreux traités lient les parties contractantes pendant au moins deux décennies et, dans certains cas, jusqu’à 50 ans.
Les modèles de traités qui prolongent automatiquement la validité du traité pour des périodes déterminées sont inclus dans environ 30 % du stock mondial de traités, mais ce modèle est de moins en moins utilisé. En effet, cette conception tend à prolonger la période pendant laquelle les États contractants sont liés, sans apporter d’avantages supplémentaires en termes de prévisibilité pour les investisseurs ; au contraire, la validité résiduelle oscillante du traité devient difficile à prévoir sans étude détaillée.
De nombreux TBI en vigueur aujourd’hui dans le Maroc contiennent des dispositions de validité temporelle, qui auront pour effet de retarder la possibilité de sortie unilatérale du traité. Les TBI conclus par le Maroc ont une durée de validité initiale comprise entre 5 et 20 ans. Environ la moitié des TBI marocains prévoient une période de renouvellement automatique après la période de validité initiale et autorisent l’une ou l’autre des parties à dénoncer le traité dans les six ou douze mois suivant l’expiration de la période de renouvellement. Les traités qui se renouvellent pour une durée déterminée nécessitent une surveillance accrue, car ils limitent les possibilités d’actualisation ou de dénonciation unilatérale de l’accord. Si aucune des parties ne dénonce le TBI au cours de la période de préavis, ce dernier est automatiquement renouvelé pour la période convenue dans le TBI, engageant ainsi le Maroc dans ces traités pour 15 ou 20 ans supplémentaires dans certains cas sans possibilité de dénonciation. Même si le Maroc mettait fin à ces traités avec succès, la majorité des traités continueraient à s’appliquer pendant une période de survie d’au moins dix ans dans la majorité des cas, ce qui expose le Maroc à des réclamations d’investisseurs en vertu de dispositions RDIE après la date d’expiration du TBI.
À titre d’exemple, au 20 juin 2023, le gouvernement ne pourrait se retirer unilatéralement de tous ses traités d’investissement qu’à partir de l’année 2034 au plus tôt (en tenant compte des périodes de renouvellement automatique de certains traités)10 et les effets des périodes d’extinction post-dénonciation pourraient durer au-delà de l’année 2049, même si des mesures appropriées étaient prises dès aujourd’hui.
Pour les traités d’investissement en vigueur, la dénonciation unilatérale n’est pas la seule option pour remédier aux lacunes perçues dans ces derniers. En effet, les possibilités de sortie peuvent influencer la manière dont les modifications ou les sorties convenues peuvent être négociés avec les partenaires du traité, en particulier si la période de renouvellement est imminente. Le Maroc pourrait donc souhaiter examiner si la conception actuelle de ses dispositions relatives à la validité temporelle peut servir ses intérêts dans les discussions avec les partenaires de traités. L’interprétation conjointe d’un traité constitue une autre piste d’amélioration. Ces interprétations peuvent être conclues à tout moment et peuvent représenter un moyen plus simple, plus rapide et politiquement acceptable d’aborder certains aspects de la politique du traité si le texte dudit traité offre une marge de manœuvre suffisante pour parvenir à l’interprétation souhaitée conjointement. Le Maroc peut souhaiter étudier des exemples d’interprétations conjointes récentes signées par d’autres États ou élaborer un modèle d’interprétation conjointe pour ses TBI par le bais de consultations avec les parties intéressées. Il peut également être prudent d’envisager de réviser systématiquement les dispositions existantes sur la validité temporelle dans le cadre d’amendements ou de renégociations de TBI existants afin de supprimer les dispositions de lock-in et de réduire les périodes d’extinction post-dénonciation.
Le nouveau modèle de TBI marocain démontre que le gouvernement a reconsidéré sa position quant à la validité temporelle : aucune durée initiale de validité n’est prédéterminée, et il est stipulé que le TBI restera en vigueur « tant que l’une des Parties n’a pas avisé par écrit l’autre Partie de son intention d’y mettre fin, auquel cas il prend fin un an après la réception de l’avis de dénonciation par l’autre Partie ». Le nouveau modèle de TBI réduit par ailleurs la survie des effets des protections accordées à 5 ans à compter de la date de prise d’effet de la dénonciation.
Annexe 4.A. Liste des TBI conclus par le Maroc
Copier le lien de Annexe 4.A. Liste des TBI conclus par le Maroc
Numéro |
Pays |
Signature |
Entrée en vigueur |
---|---|---|---|
1 |
Allemagne |
06/08/2001 |
12/04/2008 |
2 |
Argentine |
13/06/1996 |
19/02/2000 |
3 |
Autriche |
02/11/1992 |
01/07/1995 |
4 |
Bahreïn |
07/04/2000 |
09/04/2001 |
5 |
Belgique / Luxembourg |
13/04/1999 |
29/05/2002 |
6 |
Bénin |
15/06/2004 |
|
7 |
Brésil |
13/06/2019 |
|
8 |
Bulgarie |
22/05/1996 |
19/02/2000 |
9 |
Bulgarie Protocole Additionnel |
28/09/2010 |
20/09/2012 |
10 |
Burkina Faso |
08/02/2007 |
05/03/2016 |
11 |
Cabo Verde |
09/05/2023 |
|
12 |
Cameroun |
24/01/2007 |
|
13 |
Afrique centrale |
26/09/2006 |
|
14 |
Tchad |
04/12/1997 |
|
15 |
Côte d’Ivoire |
19/03/2013 |
24/06/2019 |
16 |
Côte d’Ivoire Protocole Additionnel |
05/02/2014 |
24/06/2019 |
17 |
Corée du Sud |
27/01/1999 |
08/05/2001 |
18 |
Croatie |
29/09/2004 |
|
19 |
République Tchèque |
11/06/2001 |
30/01/2003 |
20 |
République Tchèque Protocole Additionnel |
19/03/2010 |
18/12/2012 |
21 |
Danemark |
23/05/2003 |
18/04/2013 |
22 |
République Dominicaine |
23/05/2002 |
04/01/2007 |
23 |
Égypte |
14/05/1997 |
01/07/1998 |
24 |
Émirats arabes unis |
09/02/1999 |
01/04/2002 |
25 |
Espagne |
11/12/1997 |
13/04/2005 |
26 |
États-Unis |
22/07/1985 |
30/05/1991 |
27 |
Guinée équatoriale |
05/07/2005 |
|
28 |
Estonie |
25/09/2009 |
04/11/2012 |
29 |
Éthiopie |
19/11/2016 |
01/09/2019 |
30 |
Finlande |
01/10/2001 |
06/04/2003 |
31 |
France |
13/01/1996 |
01/04/1999 |
32 |
Gabon |
21/06/2004 |
24/07/2009 |
33 |
Gambie |
20/02/2006 |
12/10/2011 |
34 |
Grande Bretagne |
30/10/1990 |
14/02/2002 |
35 |
Grèce |
16/02/1994 |
28/06/2000 |
36 |
Guinée (République de) |
02/05/2002 |
|
37 |
Guinée-Bissau |
28/05/2015 |
|
38 |
Hongrie |
12/12/1991 |
03/02/2000 |
39 |
Inde |
13/02/1999 |
|
40 |
Indonésie |
14/03/1997 |
21/03/2002 |
41 |
Iran |
21/01/2001 |
31/03/2003 |
42 |
Italie |
18/07/1990 |
26/04/200 |
43 |
Italie Protocole Additionnel |
||
44 |
Japon |
08/01/2020 |
|
45 |
Jordanie |
16/06/1998 |
07/02/2000 |
46 |
Koweït |
16/02/1999 |
07/05/2001 |
47 |
Liban |
03/07/1997 |
25/02/2000 |
48 |
Libye |
02/11/2000 |
20/10/2001 |
49 |
Macédoine du Nord |
11/05/2010 |
15/10/2012 |
50 |
Malaisie |
16/04/2002 |
23/04/2009 |
51 |
Mali |
21/02/2014 |
02/03/2016 |
52 |
Mauritanie |
13/06/2000 |
20/10/2003 |
53 |
Pays-Bas |
23/12/1971 |
27/07/1978 |
54 |
Nigéria |
03/12/2016 |
|
55 |
Pakistan |
16/04/2001 |
|
56 |
Pologne |
24/10/1994 |
03/07/1999 |
57 |
Portugal |
17/04/2007 |
08/06/2011 |
58 |
Qatar |
20/02/1999 |
21/05/2001 |
59 |
Roumanie |
28/01/1994 |
03/02/2000 |
60 |
Russie |
15/03/2016 |
|
61 |
Rwanda |
19/10/2016 |
19/11/2019 |
62 |
El Salvador |
21/04/1999 |
12/04/2002 |
63 |
Sao Tomé-et-Principe |
25/01/2016 |
|
64 |
Sénégal |
15/11/2006 |
05/03/2011 |
65 |
Serbie |
06/06/2013 |
|
66 |
Sierra Leone |
28/04/2023 |
|
67 |
République slovaque |
14/06/2007 |
|
68 |
Soudan |
23/02/1999 |
04/07/2002 |
69 |
Suède |
26/09/1990 |
16/06/2008 |
70 |
Suisse |
17/12/1985 |
12/04/1991 |
71 |
Sultanat d’Oman |
08/05/2001 |
25/02/2003 |
72 |
Syrie |
01/10/2001 |
29/03/2003 |
73 |
Tunisie |
28/01/1994 |
01/04/1999 |
74 |
République de Türkiye |
08/04/1997 |
30/05/2004 |
75 |
Ukraine |
24/12/2001 |
25/04/2009 |
76 |
Yémen |
24/02/1997 |
|
77 |
Zambie |
20/02/2017 |
08/02/2021 |
Note : Il est difficile d’être précis sur le statut exact des TBI conclus par le Maroc en raison de certaines incohérences dans les informations accessibles au public, notamment en ce qui concerne les dates de signature et d’entrée en vigueur.
Source : Ministère des affaires étrangères, Base de données de l’OCDE sur les traités d’investissement.
Références
[17] Gaukrodger, D. (2020), Business Responsibilities and Investment Treaties, http://www.oecd.org/daf/inv/investment-policy/Consultation-Paper-on-business-responsibilities-and-investment-treaties.pdf?_ga=2.258456330.1418669026.1705506100-627857389.1696261480.
[11] Gaukrodger, D. (2018), Appointing Authorities and the Selection of Arbitrators in Investor-State Dispute Settlement: An Overview, http://www.oecd.org/investment/investment-policy/ISDS-Appointing-Authorities-Arbitration-March-2018.pdf?_ga=2.28808124.1418669026.1705506100-627857389.1696261480.
[8] Gaukrodger, D. (2017), « Addressing the balance of interests in investment treaties : The limitation of fair and equitable treatment provisions to the minimum standard of treatment under customary international law », OECD Working Papers on International Investment, n° 2017/3, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/0a62034b-en.
[16] Gaukrodger, D. (2017), « The balance between investor protection and the right to regulate in investment treaties : A scoping paper », OECD Working Papers on International Investment, n° 2017/2, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/82786801-en.
[13] Gaukrodger, D. (2014), Investment Treaties and Shareholder Claims for Reflective Loss: Insights from Advanced Systems of Corporate Law, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/5jz0xvgngmr3-en.
[14] Gaukrodger, D. (2014), Investment Treaties and Shareholder Claims: Analysis of Treaty Practice, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/5jxvk6shpvs4-en.
[6] OCDE (2024), Future of Investment Treaties - About work on Future of Investment Treaties in the Track 2 Project.
[9] OCDE (2024), Interaction among investment treaties based on most-favoured-nation treatment, OCDE, Paris, https://one.oecd.org/document/DAF/INV/TR2/WD(2024)1/en/pdf.
[7] OCDE (2022), « L’interaction entre les clauses de la nation la plus favorisée et les modalités de règlement des différends dans les traités d’investissement », vol. 2022/01, https://doi.org/10.1787/3dcd5dea-fr.
[4] OCDE (2021), Perspectives des politiques d’investissement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/efcc255a-fr.
[10] OCDE (2021), The Future of Investment Treaties (Track 2) - The notion of ’indirect expropriation’ in investment treaties concluded by 88 jurisdictions: a large sample survey of treaty provisions, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/investment/investment-policy/oecd-future-investment-treaties-indirect-expropriation-meeting-background.pdf.
[12] OCDE (2016), « The impact of investment treaties on companies, shareholders and creditors », dans OECD Business and Finance Outlook 2016, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264257573-13-en.
[1] OCDE (2015), Cadre d’action pour l’investissement, édition 2015, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264235441-fr.
[5] OCDE (2010), Examens de l’OCDE des politiques de l’investissement : Maroc 2010, Examens de l’OCDE des politiques de l’investissement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264079632-fr.
[2] Pohl, J. (2018), Societal benefits and costs of International Investment Agreements: A critical review of aspects and available empirical evidence, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/18151957.
[15] UNCITRAL (2019), Possible reform of investor-State dispute settlement (ISDS): Shareholder claims and reflective loss Note by the Secretariat, https://uncitral.un.org/sites/uncitral.un.org/files/media-documents/uncitral/en/oecd_secretariat_dp.10.pdf.
[3] UNCTAD (2023), Trends in the investment treaty regime and a reform toolbox for energy transition, https://unctad.org/system/files/official-document/diaepcbinf2023d4_en.pdf.
Notes
Copier le lien de Notes← 1. Le Protocole sur l’investissement de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine est accessible en sa version anglaise au lien suivant https://www.bilaterals.org/IMG/pdf/en_-_draft_protocol_of_the_afcfta_on_investment.pdf.
← 2. Le Protocole sur l’investissement de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine est accessible en sa version anglaise au lien suivant https://www.bilaterals.org/IMG/pdf/en_-_draft_protocol_of_the_afcfta_on_investment.pdf.
← 3. Le Protocole sur l’investissement de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine est accessible en sa version anglaise au lien suivant https://www.bilaterals.org/IMG/pdf/en_-_draft_protocol_of_the_afcfta_on_investment.pdf.
← 4. Il convient de noter que seuls les TBI Maroc-Japon et Maroc- République du Cabo Verde semblent disponibles publiquement.
← 5. Informations récoltées de la base de données du CIRDI, accessible au lien suivant https://icsid.worldbank.org/cases/case-database.
← 6. Informations récoltées de la base de données du CIRDI, accessible au lien suivant https://icsid.worldbank.org/cases/case-database.
← 7. Informations récoltées de la base de données du CIRDI, accessible au lien suivant https://icsid.worldbank.org/cases/case-database.
← 8. Informations récoltées de la base de données du CIRDI, accessible au lien suivant https://icsid.worldbank.org/cases/case-database.
← 9. Voir par exemple, TBI Nigéria-Maroc, TBI Brésil-Maroc.
← 10. L’OCI et Unified Arab sont exclus de cette étude.