Messages clés
  • Depuis février 2022, les capacités de récolte et d’exportation de produits végétaux de l’Ukraine sont affaiblies par l’agression lancée contre elle par la Russie. L’Ukraine est le premier producteur mondial de graines de tournesol et un important exportateur de blé, de colza, d’orge, d’huile végétale et de maïs.

  • En Russie, aucune perturbation majeure de la production végétale n’est anticipée, mais des incertitudes pèsent sur les capacités d’exportation, même si les produits alimentaires et les engrais échappent jusqu’à présent aux sanctions internationales. La Russie est le premier exportateur mondial de blé et un important exportateur d’orge et de graines de tournesol. Elle fait aussi partie des principaux exportateurs d’énergie et d’engrais.

  • La diminution des capacités d’exportation de l’Ukraine et de la Russie et le renchérissement de l’énergie et des engrais poussent les prix alimentaires internationaux à la hausse et menacent ainsi la sécurité alimentaire mondiale. D’après les résultats présentés dans cette synthèse, si les capacités d’exportation de l’Ukraine devaient être réduites à néant et les exportations russes de blé, baisser de 50 %, les prix internationaux du blé pourraient augmenter de 34 % durant la campagne 2022/23.

  • À court terme, il conviendrait en priorité d’apporter un soutien logistique à l’Ukraine pour lui permettre d’exporter ses produits agricoles. En outre, l’ouverture des échanges internationaux de produits alimentaires et d’engrais devrait être préservée pour permettre les ajustements commerciaux nécessaires et empêcher que la guerre n’accentue l’insécurité alimentaire à l’échelle mondiale.

  • Des mesures visant à accroître l’offre ou à réduire la demande de produits agricoles devraient aussi être envisagées, mais elles seront plus efficaces à moyen terme

 L’importance de l’Ukraine et de la Russie sur les marchés mondiaux des produits agricoles et des intrants

L’Ukraine et la Russie figurent parmi les plus gros producteurs et exportateurs mondiaux de produits des grandes cultures, en particulier de céréales et d’oléagineux. En revanche, leur production animale est destinée principalement à leurs marchés intérieurs respectifs.

Ces cinq dernières années, la Russie et l’Ukraine ont représenté respectivement 10 % et 3 % en moyenne de la production mondiale de blé. La Russie se classe première et l’Ukraine cinquième parmi les exportateurs mondiaux de blé, avec respectivement 20 % et 10 % du total. Elles jouent, l’une comme l’autre, un rôle capital dans l’approvisionnement en blé des marchés internationaux, notamment dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, où le blé est le principal aliment de base (graphique 1).

En ce qui concerne la production de maïs, l’Ukraine et la Russie représentent ensemble moins de 5 % du total mondial et la première devance la seconde. Leur consommation intérieure étant limitée, elles exportent la majeure partie de leur production. L’Ukraine est ainsi le troisième exportateur mondial de maïs (graphique 1).

La Russie et l’Ukraine produisent et exportent aussi de grandes quantités d’autres céréales, en particulier d’orge. Elles entrent au total pour 20 % dans la production mondiale d’orge, dont elles sont respectivement les troisième et quatrième exportateurs mondiaux (graphique 1). Une grande partie de la production d’orge des deux pays est utilisée dans le secteur national de l’élevage pour nourrir les animaux.

La Russie et l’Ukraine comptent également parmi les principaux producteurs et exportateurs d’oléagineux, en particulier de graines de tournesol (graphique 1). En l’occurrence, l’Ukraine est le premier producteur mondial de graines de tournesol, devant la Russie. À eux deux, ces pays ont assuré plus de 50 % de la production mondiale en moyenne durant les campagnes allant de 2016/17 à 2020/21. La majorité de leur production est transformée en interne en huile et tourteaux. L’huile de tournesol est en partie exportée dans le monde, l’Ukraine et la Russie entrant pour respectivement 50 % et 25 % dans les exportations mondiales de ce produit (OIL WORLD, 2022[1]). La part de la Russie et de l’Ukraine dans la production mondiale de colza et de soja est inférieure à 5 %. Comme la demande intérieure est limitée, l’Ukraine se classe néanmoins à la troisième place mondiale pour les exportations de colza. En outre, elle est le premier exportateur de soja en dehors des Amériques et occupe une place particulière sur les marchés mondiaux, puisqu’elle est le principal pays exportateur de produits sans OGM.

La Russie joue également un rôle important sur les marchés mondiaux de l’énergie et des engrais. Elle est le premier exportateur mondial de gaz naturel (20 % du total en 2019), le deuxième exportateur mondial de pétrole (11 %) et le troisième exportateur mondial de charbon (15 %) (IEA, 2022[2]). Elle se classe par ailleurs à la première place mondiale pour les exportations d’engrais azotés, à la deuxième pour celles d’engrais potassiques et à la troisième pour celles d’engrais phosphorés (FAO, 2022[3]), et elle a été à l’origine de plus de 15 % des exportations mondiales d’engrais en 2020(UNCTAD, 2022[4]).

Étant donné l’importance de la Russie et de l’Ukraine sur les marchés mondiaux des produits agricoles et des intrants, l’agression perpétrée par la Russie contre l’Ukraine et les réponses politiques qu’elle a suscitées ont des répercussions sensibles et potentiellement durables sur les producteurs et les consommateurs. La diminution des volumes de céréales et d’oléagineux exportés depuis l’Ukraine fait augmenter les prix internationaux des produits destinés à l’alimentation humaine et animale. De plus, les prix mondiaux de l’énergie et des engrais, déjà élevés au départ, se sont encore accrus sous l’effet de l’agression russe et de l’incertitude qui en résulte concernant la disponibilité des sources d’énergie et des engrais russes à l’échelle mondiale. Le secteur agroalimentaire étant très énergivore, le renchérissement de l’énergie et des engrais se traduit par une hausse des coûts de production qui contribue à l’augmentation des prix des produits alimentaires (voir la section relative aux impacts sur la sécurité alimentaire).

 
Graphique 1. Parts de la Russie et de l’Ukraine dans la production et les exportations mondiales de certains produits d’origine végétale (moyennes 2016/17-2020/21)

Note : les « autres céréales » désignent toutes les céréales hormis le blé, le maïs et le riz (c’est-à-dire principalement l’orge, le sorgho, l’avoine et le seigle). Les « autres oléagineux » comprennent le colza, les graines de tournesol et l’arachide. L’« huile végétale » comprend l’huile de palme, de soja, de colza, de tournesol, de coton, d’arachide, de palmiste et de coprah.

Source : OCDE/FAO (2022), « Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO », Statistiques agricoles de l’OCDE (base de données), https://doi.org/10.1787/agr-data-fr.

 L’impact sur la production et les exportations de produits agricoles de l’Ukraine

L’agression perpétrée par la Russie contre l’Ukraine affecte surtout les capacités de production et d’exportation de l’Ukraine. Le risque que les récoltes n’aient pas lieu en raison de la guerre en cours suscite des préoccupations. En outre, la guerre a entraîné la fermeture d’une partie des ports et des établissements assurant la trituration des oléagineux, ce qui se répercute sur les exportations.

Les agriculteurs ukrainiens font preuve d’une grande résilience face aux perturbations causées par la guerre et continuent d’assurer la production tant animale que végétale lorsque les conditions de sécurité sur le terrain le permettent. En mai 2022, les perspectives de production des cultures d’hiver 2022/23 étaient favorables, mais restaient entourées d’incertitudes en ce qu’elles dépendaient notamment de la capacité des exploitants de procéder aux épandages d’engrais et à d’autres travaux d’entretien avant la récolte de juin 2022. Le semis des cultures de printemps de 2022 est en voie d’achèvement, mais la superficie consacrée aux principales cultures de printemps (graines de tournesol, maïs et orge de printemps) devrait être amputée de 20 % par rapport à l’an dernier. De manière générale, la récolte 2022 devrait être moindre (graphique 2) en raison des dommages directs causés aux cultures d’hiver par les combats, du fait que des cultures de printemps n’ont pas pu être semées à cause de la poursuite de la guerre et du coût élevé des intrants. D’après les premières projections, cette récolte sera inférieure de plus de 30 % à celle de 2021 (FAO, 2022[3] ; USDA, 2022[5]), mais la production devrait malgré tout être supérieure aux besoins intérieurs.

L’agression russe affecte sans doute aussi la capacité de l’Ukraine de lutter contre les ravageurs et les maladies animales, notamment contre la peste porcine africaine, ce qui accroît nettement le risque de prolifération des maladies sur le territoire national et dans les pays voisins.

Dans la mesure où plus de la moitié de la production végétale ukrainienne est exportée, la logistique de la filière d’exportation joue un rôle capital. Avant l’agression russe, plus de 90 % des exportations ukrainiennes de produits d’origine végétale étaient acheminés par voie maritime depuis les ports de la mer d’Azov et de la mer Noire. Ces ports sont aujourd’hui inaccessibles à cause des combats qui y font rage ou de l’occupation russe. Les autres canaux utilisés pour l’exportation – voies routières, ferroviaires et fluviales – ne sont pas dimensionnés pour absorber les mêmes volumes que les ports maritimes. Par conséquent, les professionnels estiment que seuls 20 % environ des quantités habituelles sont aujourd’hui exportés. Des initiatives sont en cours aux niveaux national et international pour accroître les capacités de ces autres canaux d’exportation et en trouver d’autres. Il n’en reste pas moins que des volumes plus importants qu’habituellement sont toujours immobilisés, et que la récolte de juin-septembre 2022 va rapidement entraîner une accumulation de grandes quantités de produits qui devront également être stockées pour éviter des pertes de grande ampleur. Les dommages causés à certaines installations de stockage et de transformation sont d’autres facteurs qui retardent et limitent les exportations agricoles depuis l’Ukraine (graphique 2).

Les pertes indirectes subies par l’agriculture ukrainienne en raison de la diminution de la production, de l’augmentation des coûts de production, de la perturbation des chaînes logistiques et de la baisse des prix de produits exportés ont été estimées à 23.3 milliards USD en juin 2022 (Kyiv School of Economics, 2022[6]).

 
Graphique 2. Production et exportations ukrainiennes des principales céréales

Source : CIC (2022).

 L’impact sur les échanges agricoles de la Russie

En Russie, aucune perturbation majeure de la production agricole n’est anticipée. Des incertitudes entourent les capacités d’exportation du pays, même si les sanctions internationales actuelles ne ciblent pas les produits alimentaires ni les engrais (FAO, 2022[7]).

Les échanges agricoles ont déjà été affectés par l’agression que la Russie a perpétrée contre l’Ukraine en 2014, et qui s’est notamment soldée par l’annexion de la Crimée. Les conséquences économiques des mesures politiques prises en réaction à cette agression ont façonné depuis lors les marchés agricoles mondiaux. Jusqu’alors abondantes, les importations russes de viande, de produits laitiers ainsi que de fruits et légumes en provenance de l’Union européenne, d’Amérique du Nord et de plusieurs autres pays ont alors quasiment cessé après qu’un embargo eut été prononcé pour marquer l’opposition à l’agression de 2014 (graphique 3).

 
Graphique 3. Exportations de fruits et de fromage depuis l’Allemagne, la Lituanie et la Pologne à destination de la Russie, 2010-21

Source : Base de données COMTRADE des Nations Unies.

L’invasion de l’Ukraine met davantage encore à mal les échanges agricoles russes. Avant même le déclenchement de la guerre, la Russie avait imposé des restrictions à l’exportation de blé en réaction aux mauvaises récoltes enregistrées en 2021 pour cause de conditions météorologiques défavorables. La guerre a ensuite entraîné un accès réduit aux ports, en particulier en mer d’Azov, et un durcissement des restrictions à l’exportation de produits agricoles importants, notamment les céréales et le sucre, et de certains engrais azotés. Cela n’a cependant pas empêché la Russie de maintenir une partie de ses exportations.

Les sanctions imposées au pays n’ont jusqu’ici pas ciblé les échanges de produits agricoles et d’engrais, mais de nombreuses entreprises multinationales – y compris du secteur agroindustriel – ont réduit leurs activités sur le territoire russe. Les sanctions financières, la classification des risques par les compagnies d’assurance et d’autres incertitudes économiques ont conduit à une baisse du prix du blé russe par rapport à celui provenant d’autres pays. Cet écart de prix a culminé à la mi-mai 2022 pour atteindre 30 % par rapport au blé exporté par les États-Unis et 12 % par rapport à celui exporté par l’UE, mais il a depuis lors retrouvé son niveau normal (graphique 4). Par ailleurs, la perte de marchés d’exportation pour les produits agricoles russes pourrait peser sur les revenus des producteurs et avoir par conséquent un effet défavorable sur les plantations futures.

Les sanctions économiques imposées à la Russie pourraient aussi perturber les importations d’intrants agricoles dont elle est fortement tributaire, en particulier de pesticides, de semences, de médicaments vétérinaires et de technologies agricoles (machines, logiciels...). Un accès réduit à ces intrants pourrait nuire à la capacité de production future de l’agriculture russe.

 
Graphique 4. Écart entre les prix à l’exportation du blé russe et les prix de référence internationaux

Note : le prix FAB signifie le prix franco à bord.

Source : Base de données COMTRADE des Nations Unies.

 Les impacts sur la sécurité alimentaire

Le déplacement d’un grand nombre d’Ukrainiens suscite de fortes inquiétudes au sujet de la sécurité alimentaire à l’intérieur du pays. En mai 2022, on dénombrait 8 millions de déplacés internes en Ukraine et 6.3 millions de personnes ayant fui le pays à la suite de son invasion par la Russie, tandis que 1.9 million d’Ukrainiens étaient revenus dans le pays (UNHCR, 2022[8]). S’agissant en particulier des déplacés internes, les circuits logistiques intérieurs doivent être maintenus en service afin de fournir de la nourriture ainsi que d’autres biens et services essentiels, notamment dans les régions où un grand nombre d’Ukrainiens sont venus se réfugier pour fuir les combats. De nombreuses initiatives ont été lancées pour assurer la sécurité alimentaire, que ce soit par l’approvisionnement direct en nourriture ou par le maintien des circuits de distribution en état de fonctionnement.

L’agression perpétrée par la Russie contre l’Ukraine menace aussi la sécurité alimentaire mondiale (UN Global Crises Response Group on Food, Energy and Finance, 2022[9]). De nombreux pays importateurs de produits alimentaires, dont beaucoup entrent dans la catégorie des pays à faible revenu et à déficit alimentaire, sont tributaires des approvisionnements alimentaires russes et ukrainiens pour satisfaire la demande intérieure (FAO, 2022[3] ; UNCTAD, 2022[4]). C’est ainsi que plusieurs pays font venir plus de la moitié et parfois jusqu’à 100 % du blé importé de Russie et d’Ukraine (graphique 5). Certains d’entre eux sont de surcroît en proie à des conflits internes et connaissent une situation précaire sur le plan de la sécurité alimentaire. Pour ces pays, il est impératif de trouver d’autres sources d’approvisionnement pour répondre à leurs besoins.

 
Graphique 5. Dépendance à l’égard des importations de blé en provenance de Russie et d’Ukraine (moyenne 2018-20)

Note : seuls figurent dans le graphique les pays qui importent plus de 40 % de leur consommation totale de blé et dont plus de 50 % des importations de blé proviennent d’Ukraine et de Russie.

Source : Base de données COMTRADE des Nations Unies.

Selon les mesures de l’équilibre des marchés établies en juin 2022, l’offre mondiale de blé et d’autres produits agricoles surveillés est suffisante, mais les marchés demeurent tendus (AMIS, 2022[10]). De plus, les ajustements des flux commerciaux et la hausse des coûts énergétiques font augmenter les prix des produits agricoles sur les marchés internationaux.

En mars 2022, l’indice FAO des prix des produits alimentaires a atteint avec 159.7 points son plus haut niveau depuis 1990. Bien qu’il ait ensuite légèrement reculé en avril et en mai, cet indice était encore 30 % plus élevé qu’en 2021 à la même période. La hausse des prix a été particulièrement sensible dans le cas de l’huile végétale et des céréales. Si l’indice des prix de l’huile végétale a amorcé une baisse en mars 2022, celui des céréales reste orienté à la hausse (FAO, 2022[11]). Les populations fragiles des pays à faible revenu et à déficit alimentaire, qui consacrent une grande partie de leur revenu à l’alimentation, sont particulièrement vulnérables à ces flambées des prix.

 
Graphique 6. Évolution des indices des prix alimentaires de la FAO

Source : FAO (2022).

Étant donné les incertitudes actuelles, les conséquences qu’aura l’agression russe sur les marchés agricoles à l’avenir sont difficiles à anticiper. Elles dépendront principalement de l’évolution des approvisionnements ukrainiens et des restrictions imposées par la Russie à ses exportations. À l’aide du modèle Aglink-Cosimo1, nous avons simulé plusieurs scénarios envisageant différentes répercussions sur les niveaux de récolte et d’exportation de toutes les productions végétales de l’Ukraine, ainsi que sur les niveaux d’exportation de blé russe pendant la prochaine campagne (2022/23). Le graphique 7 présente l’impact de ces scénarios sur le prix mondial du blé. Dans l’hypothèse où les possibilités d’exportation de l’Ukraine sont réduites à néant, c’est-à-dire où elle peut mener à bien les récoltes sur pas plus de 25 % de ses terres, la hausse du prix mondial du blé devrait atteindre 19 %. Dans le scénario extrême, dans lequel en plus les exportations russes sont inférieures de 50 % à leur niveau habituel, les prix du blé augmentent de 34 % par rapport à une situation sans agression russe. Dans ce scénario, les exportations de blé cumulées de la Russie et de l’Ukraine sont amputées de 36 millions de tonnes, mais d’autres pays sont poussés par la hausse des cours internationaux à accroître les leurs de 16 millions de tonnes, et ce en partie en augmentant leur production et en partie en puisant dans leurs stocks.

De nouvelles augmentations des prix du blé et d’autres produits agricoles seraient préjudiciables à la sécurité alimentaire mondiale et pourraient amplifier la hausse du nombre de personnes sous-alimentées (FAO, 2022[3]) qui s’est amorcée récemment à la suite de la pandémie de COVID-19 (FAO et al., 2021[12]).

 
Graphique 7. Variation relative du prix mondial du blé : scénarios simulés à l’aide du modèle Aglink-Cosimo

Restriction des exportations de blé par la Russie

0 %-10 %-25 %-50 %
Baisse des exportations de l’Ukraine0 %02 %5 %11 %
-25 %4 %6 %10 %16 %
-50 %9 %11 %15 %21 %
-100 %19 %22 %26 %34 %

Note : la cellule située en haut à gauche correspond à la situation hypothétique dans laquelle les exportations des deux pays sont aux mêmes niveaux que les années passées. Les pourcentages figurant dans la colonne de gauche correspondent à la réduction de la production et des exportations de céréales de l’Ukraine. Les pourcentages figurant dans la rangée du haut correspondent à la restriction des exportations de blé de la Russie.

Source : OCDE (2022), scénarios calculés avec Aglink-Cosimo.

 Recommandations d’action

Une fin rapide de la guerre serait la meilleure issue pour les nombreux ménages qui ont besoin de produits alimentaires sains et abordables et pâtiront le plus de l’envolée des prix.

 Échanges internationaux

  • Faciliter les exportations de l’Ukraine. À court terme, il conviendrait de s’attacher en priorité à rendre possibles les exportations (agricoles) ukrainiennes. Les infrastructures intérieures ont en outre besoin d’être entretenues et réparées après avoir été endommagées par la guerre, ce qui représente un défi de longue haleine qui persistera après la fin de la guerre.

    • Rendre possible l’utilisation des ports de la mer Noire. Les ports ukrainiens de la mer Noire (Odessa, Mykolaïv, Marioupol, Kherson...) sont les principales voies d’acheminement des exportations de céréales et d’oléagineux. Or, ils sont actuellement touchés par les activités militaires ou minés. D’après les estimations des professionnels, la capacité d’exportation mensuelle de l’Ukraine sans ses ports maritimes est de 1.5 million de tonnes, contre 6 millions de tonnes ces dernières années. Des négociations sont en cours en vue de l’ouverture d’un couloir protégé en mer Noire pour acheminer les céréales ukrainiennes. Le 22 juillet 2022, l’Ukraine et la Russie ont signé chacune avec la Türkiye un accord établi sous l’égide de l’ONU pour permettre l’exportation de céréales depuis les ports ukrainiens de la mer Noire, dont celle des 22 millions de tonnes de céréales de l’année dernière qui, d’après les estimations, sont immobilisés dans les silos ukrainiens. On ignore toutefois quelles quantités seront expédiées chaque mois, étant donné les difficultés de mise en œuvre liées notamment à la poursuite des activités militaires russes, aux dégâts subis par les installations portuaires et aux frais d’assurance élevés.

    • Faciliter l’acheminement des exportations par d’autres voies : a) en simplifiant les procédures administratives aux frontières terrestres de l’Ukraine, b) en améliorant les interconnexions routières et ferroviaires, c) en augmentant la capacité des ports fluviaux sur le Danube, et d) en ouvrant les ports d’autres pays (Constanta en Roumanie ou Gdansk en Pologne, par exemple) aux produits ukrainiens acheminés par la route ou le rail.

  • Préserver l’ouverture des échanges de produits alimentaires et d’intrants agricoles. Les mesures appliquées pour répondre aux répercussions sur les marchés de l’agression russe à grande échelle contre l’Ukraine se concentrent sur différents domaines, et ce sont celles de nature commerciale qui prédominent dans l’immédiat. Ces dernières visent pour la plupart à isoler les marchés intérieurs des fortes augmentations des prix internationaux des produits et intrants agricoles (OECD, 2022[13]). Si les interdictions d’exporter et autres restrictions commerciales peuvent tempérer la hausse des prix intérieurs, elles ont aussi pour effet d’accélérer la flambée des prix sur les marchés internationaux et de saper la confiance des pays dans la fiabilité du système commercial international en tant que source d’approvisionnement. C’est pourquoi il conviendrait d’éviter les restrictions à l’exportation et de supprimer dès que possible celles qui sont déjà en vigueur. L’abaissement des obstacles à l’importation et la simplification des procédures commerciales peuvent à l’inverse faciliter les échanges et le fonctionnement des marchés internationaux, et devraient autant que possible être pérennisés.

  • Renforcer la transparence du marché. La transparence du marché et le dialogue sur les politiques à suivre devraient être renforcés, car ils jouent un rôle clé lorsque les marchés agricoles sont dans l’incertitude et doivent s’ajuster à des chocs subis par l’offre et la demande. Les initiatives du G20 comme le Système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) apportent une contribution essentielle à une plus grande transparence du marché.

 Offre

  • Préparer un plan de redressement pour l’Ukraine. Les dommages directs causés au secteur agricole ukrainien, notamment aux terres, aux infrastructures et aux machines, ont été estimés à 4.3 milliards USD en juin 2022 (Kyiv School of Economics, 2022[6]). Si les actifs perdus ne sont pas remplacés, l’Ukraine ne pourra pas retrouver la place qui était la sienne sur les marchés agricoles mondiaux. Des discussions sont d’ores et déjà en cours dans différents cadres, dont l’OCDE, pour aider l’Ukraine à se relever après les dommages causés par la guerre. L’OCDE apporte son appui au gouvernement ukrainien pour l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de redressement du secteur agroindustriel. Parallèlement, elle prépare un plan d’action pour soutenir l’Ukraine.

  • Accroître la production de céréales et d’oléagineux dans d’autres pays. On peut augmenter la production végétale a) en mettent plus de terres arables en production, et b) en faisant progresser la production sur les terres arables déjà exploitées, moyennant la hausse des rendements ou l’intensification de la culture. L’extension de la surface arable oblige à rogner sur d’autres superficies – pâturages, forêts, végétation naturelle, etc. – et se heurte donc souvent à des contraintes environnementales. En outre, la mise en culture de nouvelles terres arables nécessite une préparation qui prend au moins une saison de végétation. Quant à l’intensification de la culture, elle n’est possible que dans certaines parties du monde, dans la mesure où la période végétative doit être suffisamment longue pour permettre de produire plusieurs cultures en une année. En règle générale, la production totale est alors plus abondante qu’en cas de culture unique, mais la productivité de chaque culture est moindre. L’augmentation des rendements peut être obtenue par un recours accru aux intrants, mais vu la cherté de ceux-ci à l’heure actuelle, cette solution a ses limites. L’option la plus prometteuse consiste donc à accroître la productivité dans le respect de la durabilité, en faisant appel à de meilleures pratiques de gestion et à la génétique. Même si l’adoption des technologies et pratiques correspondantes est désormais plus rapide, elle exige un certain temps, surtout à l’échelle mondiale.

  • Éviter d’assouplir les contraintes environnementales. Des voix se font aujourd’hui entendre pour réclamer que l’on assouplisse les contraintes environnementales afin de pouvoir répondre aux préoccupations immédiates concernant l’insuffisance des approvisionnements alimentaires mondiaux et ses conséquences potentielles pour la sécurité alimentaire. Les pays qui envisagent de telles mesures à titre exceptionnel doivent étudier d’autres mesures possibles pour répondre aux inquiétudes au sujet de la sécurité alimentaire : déblocage de stocks, aides directes aux consommateurs confrontés à la hausse des prix alimentaires et soutien spécifique aux pays qui peinent à payer leurs importations de denrées alimentaires. Ils doivent également prendre en compte le fait qu’il ne sera pas forcément facile de revenir sur ces mesures par la suite et qu’elles n’apportent le cas échéant qu’une aide limitée, voire marginale, face aux tensions actuelles, tout en induisant des coûts environnementaux considérables à plus long terme, en particulier du point de vue de la biodiversité. Le bilan peut être particulièrement défavorable si les terres agricoles concernées sont peu productives, mais possèdent une grande valeur écologique (OECD, 2022[13]).

  • Lutter contre les maladies animales. Il convient de contenir la propagation de la peste porcine africaine et d’autres maladies animales par l’amélioration de la biosécurité et des pratiques d’élevage, en prenant des mesures pour faciliter la détection précoce (dispositifs de surveillance, échantillonnage ciblé...), la notification à bref délai et l’endiguement rapide des maladies.

 Demande

  • Réduire la demande de produits agricoles pour des usages autres que l’alimentation humaine. Les céréales, les oléagineux et d’autres produits agricoles servent aussi à des usages autres que l’alimentation humaine, notamment pour nourrir les animaux et produire des carburants. Une réduction de ces autres consommations pourrait permettre de consacrer une plus grande proportion des céréales et oléagineux à la consommation humaine.

    • En ce qui concerne l’utilisation pour nourrir les animaux, il est possible de l’abaisser globalement a) en améliorant le taux de conversion alimentaire (c’est-à-dire la quantité d’aliments nécessaire pour produire une quantité donnée de produits animaux) ; b) en opérant des substitutions entre différents aliments pour animaux ou, dans le cas des ruminants, en recourant davantage au pacage et moins aux aliments composés, et c) en réduisant le volume de la production animale. Ces trois démarches sont toutes sensibles aux variations de prix, mais on ne peut pas pour autant tabler sur un ajustement rapide de la demande d’aliments pour animaux.

    • En revanche, la consommation de produits agricoles pour produire des biocarburants peut s’ajuster rapidement, dans la mesure où la demande de biocarburants est déterminée principalement par des politiques publiques comme celles définissant des obligations d’incorporation. Cela étant, la restriction de la consommation de biocarburants se heurte à plusieurs limites. Tout d’abord, comme les biocarburants remplacent des carburants fossiles, une utilisation moindre des premiers est compensée presque entièrement par un recours accru aux seconds. Or, l’agression russe fait craindre des pénuries de combustibles fossiles. Ensuite, la plupart des produits agricoles employés pour fabriquer des biocarburants n’ont pas le même niveau de qualité que ceux destinés à la consommation humaine. S’ils ne sont pas utilisés pour produire des biocarburants, ils serviront donc très vraisemblablement à nourrir les animaux, ce qui pourra permettre de réaffecter d’autres produits, comme le blé de qualité moindre, à la consommation humaine. Enfin, la production et la distribution de biocarburants nécessitent de lourds investissements, qui reposent sur l’engagement des pouvoirs publics en faveur de ces carburants. Tout infléchissement ponctuel de l’action publique risque de se répercuter défavorablement sur l’investissement à long terme dans les infrastructures des biocarburants.

    • Réduire les pertes et le gaspillage alimentaires. Avec les produits alimentaires qui sont perdus ou gaspillés chaque année, on pourrait nourrir quelque 1.26 milliard de personnes d’après les estimations (FAO, 2022[3])2. La réduction de ces pertes et gaspillage constitue une solution attrayante en ce qu’elle permet de faire baisser la demande globale de produits agricoles et d’alléger les pressions exercées sur l’environnement. Toutefois, les initiatives prises à cet effet paraissent être efficaces à long terme seulement. Les prix élevés des produits agricoles qui prévalent actuellement créent une forte incitation à réduire les pertes et le gaspillage alimentaires.

  • Favoriser l’évolution des régimes alimentaires. Une baisse de la consommation de produits d’origine animale dans les pays où elle est forte rapportée au nombre d’habitants pourrait contribuer à faire baisser la demande d’aliments pour animaux. La modification des régimes alimentaires constitue toutefois un processus au long cours, et les statistiques de la consommation alimentaire montrent d’ailleurs que les parts respectives des principaux produits alimentaires ne changent pas beaucoup d’une année sur l’autre. Les politiques publiques peuvent certes favoriser cette modification, mais pas au rythme voulu pour répondre aux pénuries actuelles.

Pour en savoir plus

[10] AMIS (2022), AMIS Market Monitor No.99 June 2022, https://docs.google.com/viewer?url=http%3A%2F%2Fwww.amis-outlook.org%2Ffileadmin%2Fuser_upload%2Famis%2Fdocs%2FMarket_monitor%2FAMIS_Market_Monitor_current.pdf&embedded=true.

[11] FAO (2022), FAO Food Price Index, https://www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex/en/.

[14] FAO (2022), Technical Platform on the Measurement and Reduction of Food Loss and Waste, https://www.fao.org/platform-food-loss-waste/background/en/.

[3] FAO (2022), The importance of Ukraine and the Russian Federation for global agricultural: 10 June 2022 Update, http://file://main.oecd.org/Homedir2/Frezal_C/Agricultural%20Outlook%202022/FAO%20brief%20June.pdf.

[7] FAO (2022), The importance of Ukraine and the Russian Federation for global agricultural: 10 June 2022 Update, http://file://main.oecd.org/Homedir2/Frezal_C/Agricultural%20Outlook%202022/FAO%20brief%20June.pdf.

[12] FAO et al. (2021), 2021 State of Food Security and Nutrition in the World, https://docs.wfp.org/api/documents/WFP-0000130141/download/?_ga=2.154581233.899495763.1652097841-333767505.1650548299.

[2] IEA (2022), Imports/Exports, https://www.iea.org/data-and-statistics.

[6] Kyiv School of Economics (2022), Agricultural War Damages Review. Ukraine, https://kse.ua/agricultural-war-damages-review/.

[13] OECD (2022), Agricultural Policy Monitoring and Evaluation 2022 : Reforming Agricultural Policies for Climate Change Mitigation, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/7f4542bf-en.

[15] OECD/FAO (2022), OECD-FAO Agricultural Outlook 2022-2031, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/f1b0b29c-en.

[1] OIL WORLD (2022), , https://www.oilworld.biz/.

[9] UN Global Crises Response Group on Food, Energy and Finance (2022), Global impact of the war in Ukraine: Billions of people face the greatest cost-of-living crisis in a generation, https://news.un.org/pages/wp-content/uploads/2022/06/GCRG_2nd-Brief_Jun8_2022_FINAL.pdf.

[4] UNCTAD (2022), Global impact of war in Ukraine on food, energy and finance systems, https://news.un.org/pages/wp-content/uploads/2022/04/UN-GCRG-Brief-1.pdf.

[8] UNHCR (2022), Ukraine Refugee Situation, https://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine.

[5] USDA (2022), World Agricultural Supply and Demand Estimates, https://www.usda.gov/oce/commodity/wasde/wasde0522.pdf.

Personnes à contacter

Hubertus GAY (✉ hubertus.gay@oecd.org)

Clara FREZAL (✉ clara.frezal@oecd.org)

Marcel ADENÄUER (✉ marcel.adenauer@oecd.org)

Notes

1.

Aglink-Cosimo est un modèle d’équilibre partiel de l’agriculture mondiale dans son ensemble. C’est lui qui a servi à établir les projections de référence des Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2022-31 (OECD/FAO, 2022[15]). On trouvera des explications détaillées le concernant à l’adresse https://www.agri-outlook.org/fr/a-propos/.

2.

La FAO estime que 14 % environ des aliments produits dans le monde sont perdus avant d’atteindre le stade de la vente au détail. Le gaspillage concerne aussi une part importante, estimée à 17 % en 2019, des denrées alimentaires disponibles pour les consommateurs (FAO, 2022[14]).

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