Résumé de la note de synthèse
  • L’agression à grande échelle menée par la Russie contre l’Ukraine perturbe gravement la connectivité à l’internet. Or il s’agit là d’une condition préalable à la résilience et à la poursuite du développement de l’économie numérique, tandis que les technologies numériques ont joué un rôle essentiel dans le maintien de l’accès des citoyens – y compris des déplacés – aux services numériques.

  • Face à l’offensive russe, la réponse du gouvernement ukrainien dans le domaine du numérique s’articule autour de trois piliers principaux : « L’infrastructure numérique, le rétablissement de l’internet et le développement » ; « Les services et les registres publics » ; et « L’économie numérique ». Les actions planifiées s’inscrivent dans le court terme (d’aujourd’hui à fin 2022), le moyen terme (2023-25) et le long terme (2026-32).

  • L’accès à l’internet et la qualité de la transmission des données se sont détériorés depuis le début du conflit, l’infrastructure numérique du pays ayant subi à la fois des cyberattaques et des attaques matérielles. Une fois que la guerre aura pris fin, l’Ukraine pourrait profiter de la reconstruction de son infrastructure pour moderniser son réseau de communication (en installant un réseau de fibre sous les routes à reconstruire, par exemple).

  • L’offre numérique de services publics, avec de nouvelles prestations à la pointe du progrès lancées juste avant le début de la guerre, a résisté aux premières perturbations. Le programme intitulé « Le pays dans un smartphone », et la plateforme et les applications Diia ont permis d’assurer la continuité des services publics, mais certains problèmes subsistent (la connectivité extraterritoriale en est un exemple).

  • Grâce aux travailleurs hautement qualifiés et aux investissements des multinationales, l’économie numérique et le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont connu un essor rapide en Ukraine au cours des années qui ont précédé la guerre. Le télétravail et les serveurs infonuagiques basés sur le territoire et à l’étranger permettent à de nombreuses entreprises de poursuivre leurs activités, mais les mouvements migratoires et la mobilisation militaire ajoutent au manque chronique de spécialistes informatiques dans le pays.

  • Fin 2021, le Président ukrainien a promulgué une loi amendant le Code des impôts en vue de stimuler le développement de l’économie numérique en Ukraine (la loi fiscale « Diia City ») ; elle prévoit des mesures fiscales propres au secteur des TIC (dont un régime spécial d’imposition des bénéfices des sociétés et des réductions de prélèvements sur les salaires et de cotisations sociales pour faciliter le retour au pays du personnel de R-D hautement qualifié).

  • Les instruments d’action de l’OCDE, à l’instar du Cadre d’action sur la transformation numérique, peuvent aider l’Ukraine à mener à bien ses projets ambitieux de renforcement et de reconstruction de son espace numérique.

 Contexte général et principales problématiques

L’agression à grande échelle menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine perturbe gravement l’accès à l’internet. Or il s’agit là d’une condition préalable à la résilience et à la poursuite du développement de l’économie numérique. Les estimations1 montrent que depuis le début de la guerre, la qualité de la transmission des données a diminué en moyenne de 13 % sur les réseaux internet fixes et de 26 % sur les réseaux mobiles (mai 2022). En outre, 12.2 % des habitations n’ont pas accès au réseau de communication mobile et 3.1 % ne disposent que d’un accès partiel. Les stations des opérateurs mobiles sur le territoire national ont été endommagées ; on estime que près de 11 % d’entre elles sont inactives – et ce chiffre augmente rapidement. L’accès à un réseau très haut débit stable et fiable est une condition essentielle au rétablissement et au développement de l’économie numérique ukrainienne. Avant même la guerre, en 2020, seuls 26 % de la population avaient accès au réseau mobile 4G2.

L’Ukraine a accompli des progrès notables en termes de réduction de la fracture numérique, tous les oblasts enregistrant une augmentation de l’accès à l’internet (de 289 % en moyenne au cours de la dernière décennie, soit entre 2010 et 2019). Les avancées ont toutefois été inégales selon les territoires. La ville de Kiev affiche le taux le plus élevé d’accès à l’internet du pays (84 % des ménages3) ; suivent les oblasts de Dnipropetrovsk et de Zakarpattia (79 % et 76 % respectivement). À l’autre extrémité du spectre, l’oblast de Rivne affiche le taux de connectivité à l’internet le plus faible, seuls 49 % des citoyens ayant accès aux services haut débit. Ces données montrent que des progrès restent à faire pour améliorer le déploiement des réseaux internet sur le territoire ukrainien. En outre, la Fédération de Russie tente de fragmenter l’espace numérique ukrainien, par exemple en faisant basculer vers les réseaux russes les personnes qui vivent dans des zones occupées (en distribuant des cartes SIM russes). L’objectif est double : couper l’accès de ces populations aux informations factuelles sur la guerre et ouvrir un nouveau canal de propagande russe. Les efforts déployés par l’Ukraine dans ces zones, notamment l’utilisation d’antennes Starlink qui lui sont données, sont une première étape intéressante vers le maintien de l’accès à l’internet et la libre circulation de l’information.

Un système solide de prestation de services administratifs intégrant des outils électroniques perfectionnés était en place en Ukraine, mais la guerre pose d’importantes difficultés. Outre les travaux sur Diia, le réseau de Centres de services administratifs (CSA) réparti sur le territoire national est resté dans l’ensemble fonctionnel et opérationnel. Dans les deux cas, les activités reposent sur un catalogue de services relativement riche qui a permis de maintenir le niveau de l’offre de services (existants, modifiés, voire nouveaux). En revanche, d’importantes problématiques demeurent, dont les nombreuses tentatives de destruction des données administratives par des pirates informatiques russes ; la baisse de la capacité des prestataires de services qui manquent d’employés (du fait de la mobilisation ou des mouvements migratoires) ; et les difficultés à accéder aux services numériques pour les personnes déplacées à l’étranger.

L’économie numérique ukrainienne connaissait un essor rapide avant la guerre, et le ministère de la Transformation numérique et la communauté informatique ukrainienne ont intensifié leurs efforts depuis le début de la guerre. En 2021, les exportations informatiques de l’Ukraine ont progressé de 36 % en glissement annuel pour atteindre 6.8 milliards USD, soit 10 % des exportations totales du pays. Dans le même temps, le nombre d’Ukrainiens employés dans le secteur des technologies de l’information est passé de 200 000 à 250 000, toutes entreprises confondues (startups, PME et grandes entreprises). Au premier trimestre de 2022, les recettes d’exportation du secteur des TIC s’élevaient à 2 milliards USD (+28 % par rapport à l’année précédente). La guerre a fortement perturbé le secteur, mais l’attention accrue de la part de la communauté internationale peut faire naître d’importantes possibilités de développement futur.

 Quelles conséquences ?

La guerre a poussé le gouvernement à se porter candidat à l’adhésion à l’Union européenne et, par ricochet, à l’accès au marché unique numérique de l’UE, ce qui suppose un alignement sur les réglementations et normes internationales. Le 28 février 2022, le Conseil européen a reçu la candidature de l’Ukraine à l’adhésion à l’UE et, le 17 juin, la Commission européenne a rendu son « opinion »4, recommandant que le Conseil accepte la candidature du pays. Dans cette « opinion », il est fait spécifiquement mention des «  résultats particulièrement bons » de l’Ukraine dans le domaine de la société de l’information et des médias (au sein du groupe thématique « Compétitivité et croissance inclusive »), dans lequel « l’Ukraine a procédé à une réforme sectorielle approfondie et s’est alignée sur l’acquis de l’UE relatif au marché unique numérique », avec notamment l’adoption des lois relatives aux communications électroniques et à l’autorité de régulation des télécommunications, et leur application depuis début 2022.

Le chemin vers l’intégration au marché unique numérique suppose un alignement progressif sur les réglementations et les normes internationales relatives aux pratiques numériques, ce qui pourrait conférer au pays des avantages notables en termes de réduction des obstacles transfrontières aux échanges numériques et d’accélération du développement de l’économie numérique ukrainienne. Par exemple, en juin 2022, l’autorité nationale de régulation des communications électroniques (NCEC) a été autorisée à participer à l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) et à son agence de soutien, l’Office de l’ORECE5. De même, l’Ukraine est le premier pays à utiliser l’Article 14 du Règlement eIDAS (reconnaissance mutuelle et pays tiers). Le pays a soumis une demande de reconnaissance mutuelle des services électroniques de confiance entre l’Ukraine et l’UE en 2019. En conséquence, la Commission européenne a élaboré un accord de reconnaissance mutuelle en 2021. Le processus afférent à l’accord avait déjà été lancé avant la guerre.

L’accès à des services publics fiables reste fondamental pendant le conflit et, malgré les difficultés causées par la guerre, les pouvoirs publics ukrainiens ont poursuivi sans relâche leurs efforts pour fournir et étendre les services publics et amorcer leur transition vers le numérique. La destruction des infrastructures physiques et le déplacement des citoyens rendent difficile l’accès aux services en face à face via le réseau existant de Centres de services administratifs (Центри надання адміністративних послуг, CNAP). Dans ces conditions, l’initiative numérique phare du gouvernement, Diia, avec son application et sa plateforme en ligne lancées en février 2020, ont été essentielles pour répondre aux besoins des citoyens et des entreprises aux prises avec les conséquences du conflit. Le pays doit en outre s’atteler à combler la fracture numérique entre les sexes – en 2020, 58 % des hommes et 49 % des femmes utilisaient les services numériques publics. La prise en compte de la problématique femmes-hommes dans l’action gouvernementale peut aider à identifier les causes et concevoir des solutions à ce type de problème.

Il est impératif de disposer de solutions d’identité numérique portables et interopérables à l’échelle internationale afin que les individus puissent prouver leur identité malgré la perte de documents essentiels ou les déplacements par-delà les frontières. Les besoins en termes de solutions d’identité numérique sont devenus plus criants du fait du conflit qui fait rage en Ukraine. Il peut arriver que les déplacés internes n’aient plus accès à leurs documents papier et ceux qui ont trouvé refuge à l’étranger doivent de toute urgence faire reconnaître leur identité ukrainienne dans leur pays hôte. Ils peuvent obtenir un identifiant numérique simplifié via l’application Diia, qui est reconnue par les autorités locales et les garde-frontières des pays voisins. De même, les travailleurs qui vivent dans les zones de conflit peuvent vérifier leurs droits aux aides financières et en faire la demande directement via l’application Diia. Le système de prestation de services a en outre évolué au fil du temps, passant de l’absence quasi totale de services les jours qui ont suivi l’invasion, à la prestation de tous les services importants (à l’exception de 28 sur 2230) trois mois plus tard, une fois le système adapté aux nouveaux risques.

 Quelles perspectives ?

Pour affronter la crise, le Conseil national chargé de la reprise s’attache à mettre au point un plan d’action en faveur de la transformation numérique, en mettant l’accent sur l’infrastructure, les services publics et l’économie numérique. Pour ce qui est des mesures immédiates, tant que la guerre se poursuit, l’Ukraine doit s’efforcer de faire en sorte que les entreprises et les citoyens puissent accéder à l’internet et de moderniser son infrastructure de communications et de services publics. La Recommandation de l’OCDE sur la connectivité à haut débit, adoptée en 2004 et révisée en 2021, fournit un cadre de référence aux décideurs et instances de réglementation, de manière à libérer le plein potentiel de la connectivité pour les individus, les entreprises et les pouvoirs publics. Les préconisations clés suivantes peuvent aider l’Ukraine à très court terme :

  • Lors de la reconstruction des routes, l’Ukraine devrait envisager de poser des câbles à fibre optique et de raccorder davantage de personnes, même si les opérateurs risquent de ne pas être en mesure de fournir de services pendant plusieurs années, notamment dans les zones rurales. À cette fin, l’autorité de régulation (NCCR) pourrait également inciter les fournisseurs d’accès haut débit à déployer plus avant la fibre dans les réseaux et à abandonner progressivement les technologies xDSL (lignes d’abonné numérique), le cas échéant.

  • Dans la mesure où la charge administrative reste importante en période d’état d’urgence, l’Ukraine devrait s’attacher à la réduire afin que les opérateurs puissent déployer les réseaux plus rapidement. Il pourrait par ailleurs être possible de libérer temporairement du spectre supplémentaire ou d’approuver des transferts commerciaux provisoires de spectre entre des fournisseurs de manière à exploiter le spectre inutilisé.

Pour faire en sorte qu’un maximum d’entreprises et d’institutions publiques puissent poursuivre leurs activités pendant la guerre, il importe de favoriser l’adoption des logiciels et des pratiques de télétravail. Ce qui peut, ce faisant, stimuler la productivité des entreprises et favoriser l’émergence de nouveaux modèles économiques numériques. Toutefois, la concrétisation de cet objectif suppose de procéder à des investissements complémentaires dans les compétences des travailleurs et les pratiques managériales6. Le gouvernement peut y contribuer, par le biais par exemple du subventionnement de formations, de programmes d’apprentissage destinés aux jeunes travailleurs, ou de la coopération avec les associations professionnelles ou les chambres de commerce.

L’Ukraine devrait continuer de renforcer son approche axée sur l’omnicanal et la résilience de l’écosystème d’administration-plateforme, afin de veiller à ce que les citoyens, y compris ceux qui ont fui à l’étranger, puissent accéder aux services publics. Les stratégies de type omnicanal sont essentielles pour faire en sorte que les services soient accessibles à tout moment, via l’un ou l’autre des canaux, mais doivent aller de pair avec des efforts de soutien en face à face pour ceux qui seraient exclus car dépourvus d’un accès au numérique7. Pour ce faire, il importe de mettre en place des modèles d’administration-plateforme garantissant l’accès aux ressources et aux outils sous-jacents qui jouent un rôle crucial en temps de crise (dont le système d’information de l’État et les centres de données dans lesquels les données des citoyens sont stockées)8.

Si l’Ukraine est parvenue admirablement à maintenir une grande partie de ces éléments fondamentaux, le conflit a mis au jour la nécessité de protéger physiquement l’infrastructure numérique publique, de renforcer l’intégration entre les organisations publiques et d’améliorer la gouvernance des données9.  Malgré les conditions difficiles, ces efforts supposent de s’appuyer sur des partenariats avec des spécialistes des technologies d’administration publique, de doter les effectifs du secteur public des compétences nécessaires au fonctionnement de l’administration numérique et d’inciter les responsables du secteur public à trouver des solutions pour encourager l’innovation et favoriser les modes de travail flexibles10.

À moyen terme (2023-25), divers mécanismes budgétaires, réglementaires et financiers pourraient être mis en place pour favoriser le développement de l’économie numérique de l’après-guerre. Pour les entreprises, en particulier les PME, les financements et les talents seraient les deux ressources les plus stratégiques pour favoriser la transition numérique. Côté financement, le gouvernement ukrainien a déjà mis en place un régime fiscal spécial pour le secteur des technologies de l’information – connu sous le nom de régime « Diia City », il est entré en vigueur le 1er janvier 202211. Dans la mesure où il s’agit d’un régime fiscal préférentiel récent, sa conformité aux normes internationales reste à évaluer, en particulier pour ce qui est des critères définis en 1998 par le Forum sur les pratiques fiscales dommageables (FHTP) pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable, et révisés en 2015 avec le projet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), auquel l’Ukraine participe en qualité d’Associé. Si ce régime fiscal est conforme aux normes internationales convenues, il constituera une mesure fiscale particulièrement concurrentielle et attractive pour les acteurs du numérique et les entreprises informatiques innovantes, ainsi que leurs salariés.

Les mesures introduites ou prévues par l’Ukraine entrant dans le champ des travaux menés par le FHTP devraient être examinées au regard des critères définis par le Forum et les respecter. Toute nouvelle mesure qui s’avérerait nécessaire pour stimuler l’investissement et le développement du secteur devrait être analysée ; il conviendrait en outre d’examiner en quoi les incitations et les régimes fiscaux existants favorisent le développement de l’économie numérique et d’envisager si des mesures supplémentaires seraient nécessaires ou bénéfiques. On pourrait par exemple se demander si ce régime fiscal spécial devrait être remplacé ou complété par un autre type de mesure, tel que des crédits d’impôt au titre des dépenses de R-D, qui se sont avérés efficaces dans d’autres pays12. De telles mesures devraient être planifiées de manière précise et leurs incidences sur les finances publiques gérées avec soin, notamment en fixant des limites budgétaires et en tenant compte des autres caractéristiques du cadre fiscal existant applicable au secteur. On pourrait dans le même temps alléger les contraintes administratives pour les startups innovantes, de manière à réduire leurs coûts de conformité et d’administration, cette mesure ayant l’avantage de représenter un coût budgétaire limité13. L’existence d’un Fonds de garantie du crédit actif dans le pays pourrait stimuler le développement de l’économie numérique, en facilitant par exemple l’accès au crédit pour les startups innovantes, en aidant au financement des dépenses en capital consacrées à la R-D, ou en soutenant les PME « traditionnelles » (en dehors du secteur des TIC) souhaitant investir dans les outils numériques. Dans le cadre de ses efforts de reconstruction, le gouvernement pourrait renforcer la généralisation des politiques en faveur des PME, en veillant à ce qu’elles soient prises en compte lors des phases de conception, de mise en œuvre et de suivi des nouvelles politiques. Une transition effective vers une économie ukrainienne davantage tournée vers le numérique dépendra par ailleurs de la progression de l’adoption des outils numériques par les PME14.

Pour ce qui est des talents, le régime fiscal « Diia City », qui a été mis en place récemment et prévoit une réduction notable des prélèvements sur les salaires et des cotisations sociales, devrait faciliter le retour au pays du personnel de R-D hautement qualifié. On pourrait s’interroger sur la nécessité éventuelle d’y adjoindre des mesures supplémentaires pour renforcer les incitations au « retour des cerveaux ». Le gouvernement peut également réfléchir à la mise en œuvre de visas préférentiels pour la main-d’œuvre très qualifiée travaillant dans des secteurs stratégiques. Des subventions spécifiques en faveur de programmes de formation de qualité pourraient en outre favoriser l’adoption par les entreprises, en particulier les PME, de technologies émergentes telles que l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, ou les technologies des chaînes de blocs et des registres distribués15. Dans ce dernier cas, on pourrait également envisager de bâtir une infrastructure publique ou d’intégrer l’Infrastructure européenne de services de chaîne de blocs (EBSI).

L’Ukraine s’est attachée à affronter les défis fiscaux soulevés par la transformation numérique de l’économie à travers le Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS (Cadre inclusif). En octobre 2021, 137 des membres du Cadre inclusif se sont accordés sur une solution à deux piliers16. L’Ukraine peut tirer parti du Pilier Un, qui vise à assurer une répartition plus équitable des bénéfices et des droits d’imposition entre les pays pour ce qui concerne les plus grandes entreprises multinationales (EMN), dont bon nombre sont des plateformes numériques, en réattribuant chaque année les droits d’imposition portant sur plus de 125 milliards USD de bénéfices aux juridictions du marché.

Le Pilier Un fournira également une méthode pour rationaliser l’application des règles de fixation des prix de transfert en tenant compte des besoins des pays à faible capacité. Le Pilier Deux limite la concurrence fiscale par le biais de l’instauration d’un taux minimum mondial d’impôt sur les sociétés de 15 %, qui garantira que les EMN s’acquittent de l’impôt minimum indépendamment de toute stratégie d’optimisation fiscale qu’elles mettraient en place pour échapper à l’impôt ou des incitations fiscales en vigueur dans les juridictions où elles exercent leurs activités (règles GloBE). En outre, une « règle d’assujettissement à l’impôt » permettra aux pays en développement de protéger leur base d’imposition de certains paiements déductibles. Le Cadre inclusif s’attache désormais à mettre au point des règles et instruments pour que la solution à deux piliers entre en vigueur rapidement. Les règles types et les commentaires destinés à donner effet aux règles GloBE ont d’ores et déjà été arrêtés et les pays du monde entier s’attèlent à leur mise en œuvre.

L’Ukraine a rejoint l’accord politique en octobre et devrait continuer de travailler au sein du Cadre inclusif dans l’optique d’une mise en œuvre à bref délai de la solution à deux piliers, à la fois pour favoriser la stabilisation de l’architecture fiscale internationale et parce que le pays peut en tirer profit. En tant que grande juridiction du marché, l’Ukraine devrait en particulier bénéficier largement de la réattribution des droits d’imposition au titre du Pilier Un. Alors que la mise en œuvre des règles GloBE est en cours partout dans le monde, l’analyse de leurs incidences au regard des incitations en place en Ukraine ou de toute nouvelle mesure fiscale instaurée pour attirer les investissements devrait être une priorité, puisque tout manque à gagner pourrait être taxé par d’autres pays.

Une fois la guerre finie, les technologies numériques et les données pourront jouer un rôle majeur dans la reprise de l’Ukraine. Pour aider les pays à tirer le meilleur parti des opportunités et affronter les défis qui se font jour, le Cadre d’action intégré de l’OCDE sur la transformation numérique recense sept dimensions dans lesquelles les pouvoirs publics – avec les citoyens, les entreprises et les parties prenantes – peuvent agir pour façonner la transformation numérique au service de vies meilleures (Graphique 1). L’une des solutions pour bâtir un avenir numérique porteur et inclusif est d’élaborer une stratégie numérique nationale qui tienne compte de l’ensemble des dimensions du Cadre17. L’OCDE est disposée à aider l’Ukraine à mettre au point une telle stratégie.

 
Graphique 1. Cadre d’action intégré sur la transformation numérique
Sept dimensions de l’action publique pour façonner la transformation numérique au service de vies meilleures

Source : OCDE (2020), « Going Digital integrated policy framework », Documents de travail de l’OCDE sur l’économie numérique, n° 292, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/dc930adc-en.

À plus long terme (2026-32), l’Ukraine pourrait s’attacher à bâtir une infrastructure de données robuste pour la mesure de l’économie numérique afin de favoriser la mise en place de politiques fondées sur des données probantes. L’Ukraine pourrait envisager d’intégrer le Système statistique européen (SSE), qui vise à fournir des indicateurs comparables à l’appui de l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes. La participation de l’Ukraine au SSE faciliterait l’intégration de ses données dans plusieurs bases de l’OCDE, dont la Boîte à outils sur la transformation numérique18, qui aide les pays à évaluer leur situation en termes de développement numérique et à élaborer des politiques en conséquence, le Portail de l’OCDE sur le haut débit19, ou l’Observatoire OCDE des politiques relatives à l’IA20 ou la base de données AI-Diffuse, qui rassemble des données internationales comparables au niveau des entreprises sur l’adoption de l’IA et d’autres technologies numériques et leurs incidences sur la croissance de la productivité. L’enrichissement de la production existante de statistiques macroéconomiques pour inclure le cadre de tableaux des ressources et des emplois en matière de numérique, mis au point récemment, éclairerait sur les bienfaits de l’adoption du numérique dans l’économie ukrainienne21. Ce cadre est explicitement cité dans la Feuille de route du G20 vers un cadre commun de mesure de l’économie numérique (Roadmap towards a Common Framework for Measuring the Digital Economy)22 comme un moyen d’obtenir un meilleur aperçu de la transformation numérique à l’œuvre dans les différentes économies.

 
Quels éléments clés les pouvoirs publics doivent-ils prendre en considération ?
  • Le plus urgent (d’ici à fin 2022) est de faire en sorte que les citoyens, les entreprises et les organismes publics puissent accéder à l’internet. Les destructions causées par la guerre devraient être l’occasion de reconstruire et de moderniser l’infrastructure numérique et de communications, et d’en étendre l’adoption et l’accès – par exemple en posant des câbles à fibre optique sous les routes à reconstruire et en favorisant l’exploitation du spectre inutilisé, ce qui contribuerait en outre à réduire les écarts actuels entre les oblasts. Autres mesures immédiates, on pourrait s’attacher à favoriser le recours au télétravail et à faciliter l’accès aux services publics par voie numérique, y compris pour les citoyens déplacés.

  • À moyen terme (2023-25), plusieurs mesures peuvent être prises pour favoriser l’accès des entreprises de l’économie numérique au financement (par le biais par exemple d’un Fonds de garantie du crédit pour soutenir les investissements numériques) et aux talents (via la mise en œuvre de visas préférentiels pour les travailleurs très qualifiés, ou le subventionnement de programmes de formation de qualité pour favoriser l’adoption de technologies émergentes telles que l’IA et l’apprentissage automatique, ou les technologies des chaînes de blocs et des registres distribués), y compris dans les PME ne relevant pas du secteur des technologies de l’information. D’autres mesures horizontales, telles que la réduction des contraintes administratives pour les startups, pourraient également s’avérer efficaces.

  • Sur le long terme (2026-32), l’Ukraine pourrait s’attacher à bâtir une infrastructure de données robuste pour la mesure de l’économie numérique. On pourrait envisager d’intégrer les données relatives à l’Ukraine dans les bases de données européennes et/ou de l’OCDE, et d’étoffer la production existante de statistiques macroéconomiques du pays pour inclure le cadre de tableaux des ressources et des emplois en matière de numérique, mis au point récemment.

Pour en savoir plus

OCDE (2022), Recommandation du Conseil relative à la politique à l’égard des PME et de l’entrepreneuriat, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/industry/smes/oecdrecommendationonsmeandentrepreneurshippolicy/

OCDE (2021), Recommandation du Conseil sur la connectivité à haut débit, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0322.

OCDE (2020), Roadmap toward a common framework for measuring the digital economy, OCDE/G20, https://www.oecd.org/sti/roadmap-toward-a-common-framework-for-measuring-the-digital-economy.pdf

OCDE (2019), Recommandation du Conseil concernant les bonnes pratiques statistiques, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0417

OCDE (2019), Recommandation du Conseil sur la sécurité numérique des activités critiques, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0456

OCDE (2015), Recommandation du Conseil sur la gestion du risque de sécurité numérique pour la prospérité économique et sociale, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/numerique/ieconomie/DSRM_French_final_Web.pdf

Notes

1.

Informations émanant du sous-groupe de travail sur l’infrastructure numérique, le rétablissement de l’internet et le développement.

2.

Tableau de bord de l’UIT sur le développement du numérique, https://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Dashboards/Pages/Digital-Development.aspx.

3.

Données par oblast à l’échelle TL2 fournies directement à l’équipe de l’OCDE par le Cabinet des Ministres de l’Ukraine.

4.

Commission européenne (2022), Opinion on Ukraine’s application for membership of the European Union, https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/opinion-ukraines-application-membership-european-union_fr.

6.

Pour des données récentes sur le rôle des compétences et des capacités managériales dans la transformation numérique, voir par exemple Calvino, F., et al. (2022), « Closing the Italian digital gap: The role of skills, intangibles and policies », OECD Science, Technology and Industry Policy Papers, n° 126, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/e33c281e-en.

7.

OCDE (2020), Digital Government in Chile – Improving Public Service Design and Delivery ; Welby et Tan (2022), Designing and delivering public services in the digital age, Note destinée à la Boîte à outils de l’OCDE sur la transformation numérique.

8.

OCDE (2020), The OECD Digital Government Policy Framework: Six dimensions of a Digital Government.

9.

 OCDE (2019), Axer le secteur public sur les données : marche à suivre.

10.

OCDE (2021), The OECD Framework for digital talent and skills in the public sector ; Gerson, D. (2020), Leadership pour une haute fonction publique performante.

11.

Le 18 décembre 2021, le Président ukrainien a promulgué une loi amendant le Code des impôts en vue de stimuler le développement de l’économie numérique en Ukraine (la loi fiscale « Diia City »).

12.

OCDE (2020), « The effects of R&D tax incentives and their role in the innovation policy mix: Findings from the OECD microBeRD project, 2016-19 », OECD Science, Technology and Industry Policy Papers, n° 92, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/65234003-en ; voir également Appelt, S. et al. (2016), « R&D Tax Incentives: Evidence on design, incidence and impacts », OECD Science, Technology and Industry Policy Papers, n° 32, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/5jlr8fldqk7j-en.

13.

Comme on le voit ici : Amici, Giacomelli, Manaresi, Tonello (2015), Red tape reduction and firm entry, Banque d’Italie (publications occasionnelles), https://www.bancaditalia.it/pubblicazioni/qef/2015-0285/index.html?com.dotmarketing.htmlpage.language=1.

14.

OCDE (2021), « The Digital Transformation of SMEs », OECD Studies on SMEs and Entrepreneurship, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/bdb9256a-en.

15.

Bianchini, M. et I. Kwon (2020), « Blockchain for SMEs and entrepreneurs in Italy », OECD SME and Entrepreneurship Papers, n° 20, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/f241e9cc-en.

17.

L’OCDE a mis au point une méthodologie innovante afin d’utiliser le Cadre d’action intégré de l’OCDE sur la transformation numérique pour évaluer le caractère plus ou moins exhaustif des stratégies numériques nationales ; voir : https://goingdigital.oecd.org/datakitchen/#/explorer/1/toolkit/indicator/explore/en?mainCubeId=GD_BREAKDOWNS_21&pairCubeId=&sizeCubeId=&mainIndId=NDSC&pairIndId=&sizeIndId=&mainBreakdowns=CL_GD_BREAKDOW NS_21_DIMENSION%3AACC.CL_GD_BREAKDOWNS_21_POLICY%3AALL&pairBreakdowns=&sizeBreakdowns=&lollipop=&lollipopOpts=&countries=&countryFilter=false&time=1609455600000.1609455600000&chart=heatmap&fontSize=14&palette=normal&lastDates=true&timeScale=P1Y ; et Gierten, D. et M. Lesher (2022), « Assessing national digital strategies and their governance », Documents de travail de l’OCDE sur l’économie numérique, n° 324, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/baffceca-en.

21.

Le document suivant propose une présentation conceptuelle du cadre : Mitchell, J. (2021), Digital supply-use tables: A step toward making digital transformation more visible in economic statistics, Note destinée à la Boîte à outils sur la transformation numérique, n° 8, https://goingdigital.oecd.org/data/notes/No8_ToolkitNote_DigitalSUTs.pdf.

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