La guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine a déclenché des réactions sans précédent à travers le monde, avec de multiples répercussions immédiates ou à plus long terme sur les politiques d’investissement international.
  • La guerre a provoqué une série de réactions de la part des gouvernements et a entraîné l’adoption de dispositions spécifiques concernant l’investissement international, notamment de sanctions économiques ciblant le gouvernement et des personnalités russes ainsi que d'autres entités en Russie.

  • Les entreprises ont pris des mesures visant à se désengager de leurs activités en Russie, ce à quoi le gouvernement russe a répondu en restreignant l’investissement et les entrées et sorties de capitaux.

  • Les conséquences sur l’investissement direct étranger (IDE) et les autres flux de capitaux en Ukraine et en Russie, à l'entrée ou à la sortie, ont été immédiates et profondes. Conjuguées aux désinvestissements, ces conséquences vont accélérer la tendance au recul des investissements en Russie à l'œuvre depuis une décennie.

  • Parmi les conséquences à plus long terme, on peut citer : l'impact sur la sécurité énergétique et la transition vers des énergies propres ; la question des protections offertes aux investisseurs par les accords sur l’investissement et les contentieux potentiels en vertu de ces accords ; et le rôle de l’investissement étranger dans la reconstruction de l’Ukraine.

 Quels sont les principaux enjeux ?

En réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des États et des entreprises ont pris des mesures concernant spécifiquement l'investissement et ont instauré des sanctions économiques visant le gouvernement russe, les investissements réalisés par des personnes physiques et morales associées au gouvernement russe ainsi que des personnes physiques et morales proches du pouvoir russe. Exceptionnelles par leur nature, leur portée, leur sévérité et la rapidité avec laquelle elles ont été appliquées, ces mesures comprennent :

  • l'interdiction faite à l'État et aux entreprises russes d'accéder aux marchés financiers, l’interdiction de la cotation en bourse d’actions d’entreprises publiques russes et de la vente de titres à des clients russes, l’exclusion d’un certain nombre de banques russes du système de messagerie SWIFT

  • le gel des avoirs étrangers d’un certain nombre de personnes physiques et morales russes sanctionnées

  • l’interdiction de fournir des services de notation financière aux entreprises russes, l'interdiction d’effectuer des transactions avec la Banque de Russie, l'administration russe et certaines entreprises publiques et banques russes – notamment les opérations sur obligations souveraines du pays – et le gel des avoirs détenus par la Banque de Russie à l’étranger.

Pour diverses raisons ayant trait notamment aux risques de contentieux et d'atteinte à la réputation, à des considérations liées aux droits de l’homme, à la volatilité des marchés et à des problèmes d’ordre pratique, un grand nombre d’entreprises dans un large éventail de secteurs ont pris des mesures pour se désengager de leurs activités en Russie. Parmi les secteurs concernés, on peut citer les biens de consommation, l'énergie, l'agroalimentaire, les médias, la technologie, le commerce de détail, le tourisme ou encore la finance. Des désengagements ont été annoncés dans les jours qui ont suivi l'adoption du premier paquet de sanctions, allant du report d'investissements nouveaux (ajournement d'activités futures prévues avec poursuite des opérations de substance) au retrait total (arrêt complet des activités et sortie du pays), en passant par une réduction de voilure (diminution de certaines activités commerciales mais maintien d’autres) ou une suspension partielle ou totale des activités (limitation temporaire des opérations en gardant différentes options ouvertes en vue d'une hypothétique reprise). Ces décisions commerciales semblent avoir renforcé l'impact de l'action des États.

La Russie a riposté par des mesures destinées à ralentir la dévaluation de sa monnaie, les sorties de capitaux et la chute du prix des actifs. Notamment, elle a mis en place un contrôle des changes strict, et mobilisé des moyens coercitifs comme la nationalisation vis-à-vis des entreprises et des organisations ayant pris des décisions contraires aux intérêts russes. Le gouvernement a cherché à empêcher les résidents russes de transférer des capitaux à l’étranger et de perdre des devises, tout en adoptant des mesures visant à prévenir le désengagement des investisseurs étrangers (par exemple, la Banque de Russie a ordonné aux marchés de rejeter les demandes de vente de titres russes par des clients étrangers afin d’empêcher les cessions d'actifs financiers et une fuite des capitaux). Le remboursement du service des dettes contractées auprès d'entités étrangères a également été rendu plus difficile.

 Quelles sont les conséquences du conflit ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les réactions internationales qui l'ont suivie ont provoqué un nouveau choc négatif et accru les perturbations qui secouent l'économie mondiale, avec des conséquences immédiates sur l’investissement direct étranger (IDE) et les autres mouvements de capitaux. D'après les statistiques d’IDE de l’OCDE, l’impact sur les flux d’IDE mondiaux sera toutefois limité car la Russie ne joue qu'un rôle mineur en termes d'entrées et de sorties d'IDE. Même avant février 2022, ses stocks d’IDE entrants et sortants ne représentaient que 1 à 1.5 % des stocks mondiaux, même si l'impact sur les entrées d’IDE dans le pays va sans doute être immédiat. Des investisseurs issus de quelques pays de l’OCDE représentent encore une part importante de l’investissement entrant en Russie. D'après la Banque de Russie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni arrivent en deuxième et troisième position des sources les plus importantes d’IDE avec respectivement 9 % et 7 %, ce qui reflète également le rôle de place financière de ces pays. D'un point de vue sectoriel, le commerce, les industries extractives et les activités manufacturières sont les principaux bénéficiaires de l'IDE en Russie. En 2020, les services hors activités financières et d'assurances y représentaient 37 % du stock total des entrées d’IDE, suivis des activités extractives (24 %), des activités manufacturières (21 %) et des activités financières et d'assurances (14 %). Dans les services, le commerce de gros et de détail est le plus important secteur destinataire d’IDE en Russie (16 % du stock total des entrées d’IDE), suivi des activités professionnelles, scientifiques et techniques (9 %) et des activités immobilières (6 %).

L’impact sur les investissements de portefeuille dans le monde et dans les marchés émergents reste encore incertain, même si à court terme, l'aggravation de l’incertitude et la hausse de l’inflation à l'échelle mondiale vont peser encore davantage sur le niveau déjà modeste des flux de capitaux à destination des marchés émergents. Dans l’ensemble, les conséquences sur les marchés d'actions et sur les titres d'État au niveau mondial sont restées limitées. Les marchés d'actions d’Europe orientale, notamment la Hongrie, la Pologne et la Serbie, ont été frappés très durement, et les marchés asiatiques émergents et ceux d’Europe occidentale ont été également affectés, mais dans une moindre mesure, signe des préoccupations des investisseurs s'agissant du cours élevé des matières premières et de l’assombrissement des perspectives économiques. Les primes des contrats d’échange sur risque de défaut (CDS) sur les titres souverains (mesure de la perception des risques de défaillance par le marché) ont également augmenté de manière significative en Bulgarie, en Hongrie, en Pologne, en Roumanie et en Serbie. Plusieurs banques autrichiennes, françaises et italiennes ont les plus fortes expositions en valeur absolue à la Russie, via leurs filiales dans ce pays. Leur rentabilité est susceptible de diminuer suite aux perturbations de leurs activités commerciales sur place. L’exposition globale des banques européennes et américaines à la Russie est quant à elle limitée puisqu’elle s'élève respectivement à 0.8 % et 0.4 % environ de leurs créances totales. À plus long terme, l’exclusion de la Russie de tous les principaux indices des marchés émergents entraînera un rééquilibrage des investissements de portefeuille. Les conséquences seront néanmoins limitées par le faible poids de la Russie dans ces indices ces derniers temps.

 Quelles sont les répercussions ?

Il est encore trop tôt pour prédire les conséquences à long terme de toutes ces mesures. Toutefois, leur impact sur l’environnement de l'investissement international est déjà perceptible. Cette évolution de l'action publique et des flux d'investissement, déjà en partie à l'œuvre depuis 2014, s’est brusquement accélérée au cours des dernières semaines, en particulier l’isolement financier et économique croissant de l'économie russe. La guerre va avoir pour conséquence de renchérir les coûts des activités commerciales transfrontalières, du moins à court terme, et pourrait amener de nombreuses entreprises, à rebours du passé récent, à ne réinvestir qu’une part plus modeste de leurs résultats, ou bien à suspendre les nouveaux investissements, qu’il s'agisse de fusions-acquisitions ou d’investissements de création.

Les responsables publics doivent également se pencher sur les répercussions potentielles du conflit sur les accords. Les réclamations potentielles fondées sur des accords d’investissement, émanant d’entreprises ou de personnes physiques touchées par les mesures adoptées dans le contexte de la guerre, pourraient mettre au jour des lacunes dans la conception et l’interprétation de nombreux accords d’investissement, en particulier les plus anciens, ce qui montre l’importance de réformes concertées.

Le renforcement de la sécurité énergétique est une entreprise de moyen terme, mais des progrès notables pourraient être réalisés dès 2022. La guerre a provoqué une recomposition rapide et profonde de la politique énergétique européenne, et la sécurité du continent dans ce domaine est désormais érigée en préoccupation première. L'accélération de la transition vers des énergies propres va nécessiter des investissements substantiels, tant publics que privés. Grâce à leurs capacités financières et techniques ainsi qu’à leur implantation mondiale, les entreprises multinationales peuvent jouer un rôle clé dans l’élaboration et la diffusion des technologies d'énergies propres par-delà les frontières. L'IDE représente 30 % des nouveaux investissements dans les énergies renouvelables à l’échelle mondiale. Par ailleurs, dans le secteur énergétique, l'IDE se détourne rapidement des énergies fossiles au profit des renouvelables qui ont représenté en 2021 plus de 90 % de l'IDE lié à l’énergie dans les économies de l’OCDE, et plus de 70 % dans les économies hors OCDE. La mesure dans laquelle l'IDE contribue au financement des énergies propres dépendra d’un certain nombre de conditions cadres, notamment de l’environnement de marché et de la réglementation, ainsi que de l'adoption de politiques spécifiquement conçues pour encourager les investissements bas carbone.

 
Quelles sont les principales considérations à prendre en compte par les responsables publics ?
  • Si les conséquences à long terme de l'invasion de l’Ukraine par la Russie sont encore en train de se jouer, son impact sur l’environnement de l'investissement international prend déjà forme.

  • La manière dont les gouvernements élaborent et conceptualisent les normes de protection et d'accès à l'arbitrage des différends entre investisseurs et États dans leur pratique respective vis-à-vis des accords pourrait changer. À l’heure actuelle, il existe pour ce que l'on sait 46 accords d’investissement bilatéraux avec la Russie, dont 22 conclus avec des Membres de l’OCDE. Les mesures prises par les États et le secteur privé ont déjà affecté les procédures en cours prévues par les traités, puisque des procédures d'arbitrage des différends entre investisseurs et États ont été engagées par des requérants affiliés à la Russie, notamment contre l’Union européenne et l’Ukraine.

  • Des fonds publics émanant de pays membres de l’OCDE et d'organisations internationales, ainsi que des investissements privés, seront indispensables pour mobiliser les efforts en vue d’aider l’Ukraine durant le conflit. Les premiers chiffres officiels ukrainiens sur le coût économique de la guerre (datés du 28 mars 2022) évaluent le coût de l’invasion russe à plus de 500 milliards USD.

  • Le recours à des carburants non durables à court terme pourrait retarder la transition énergétique. Les économies en développement et émergentes qui importent des quantités considérables de combustible fossile de Russie s’exposent à des risques de poussée de l’inflation et de récession, et sont également susceptibles d'avoir recours au charbon pour atténuer le choc. Des investissements publics et privés sont indispensables pour faire avancer la transition vers les énergies propres.

 Pour en savoir plus

Cette note est une version abrégée de la publication OCDE (2022) International investment implications of Russia’s war against Ukraine (Les conséquences de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine en matière d’investissement international), Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/a24af3d7-en

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