En 2016, le rapport du Secrétaire général des Nations Unies pour le Sommet humanitaire mondial intitulé "Une seule humanité, une responsabilité partagée" appelait à un nouveau paradigme pour concevoir, programmer et fournir l'aide humanitaire. L'ampleur, la complexité et la durée de nombreuses crises posent des difficultés à la communauté internationale pour élaborer et financer des interventions adaptées à des situations aussi complexes.
Trois ans après le Sommet humanitaire mondial de 2016, le projet commun de l'OCDE et de Ground Truth Solutions, " Que nous apprennent les personnes touchées par les crises ?", démontre la nécessité de poursuivre sur la voie des réformes définies lors du Sommet. Depuis 2016, le projet a donné lieu à deux séries d'enquêtes menées dans sept pays en crise, interrogeant plus de 12 000 personnes touchées et travailleurs humanitaires sur leur perception de l'aide. Les résultats de l'enquête renforcent l'appel à poursuivre les réformes sur la manière dont les donateurs soutiennent les populations et les pays en situation de crise :
L'aide humanitaire améliore les conditions de vie mais ne couvre pas tous les besoins essentiels. Les enquêtes montrent clairement que l'aide humanitaire ne représente qu'une partie de ce dont les gens ont besoin pour répondre à leurs besoins les plus importants. La mesure dans laquelle l'aide humanitaire répond aux besoins des populations dépend du contexte, mais les personnes touchées doivent généralement trouver d'autres sources de revenus. L'enquête montre que la qualité de la réponse et la gestion de la crise par les autorités locales sont des éléments critiques pour la satisfaction des bénéficiaires de l’aide. Cela implique que la satisfaction de ces besoins ne dépend pas exclusivement des budgets humanitaires des donateurs. Dans les contextes de crise, une analyse approfondie de la vulnérabilité est nécessaire pour comprendre l’économie des ménages afin que l'aide humanitaire puisse être combinée avec des actions ou programmes qui améliorent la génération de revenus et préservent les actifs.
L'aide humanitaire laisse derrière elle certains des plus vulnérables. Les enquêtes indiquent que l'aide n'est pas toujours perçue comme allant à ceux qui en ont le plus besoin et révèlent un contraste frappant entre la perception d'équité des personnes touchées et celle des travailleurs humanitaires. Dans l'ensemble des enquêtes, les personnes malades ou atteintes de maladies chroniques, les personnes âgées, les personnes sans lien social ou politique, les sans-papiers et les personnes éloignées ont le plus fort sentiment d'avoir été abandonnées. Dans le même temps, le personnel humanitaire interrogé est convaincu que l'aide va à ceux qui en ont le plus besoin. Cela donne à penser que le système cible les personnes qui en ont le plus besoin tant qu'elles entrent dans le cadre du mandat et des objectifs de programme des agences ou des ONG. Le modèle humanitaire actuel, fragmenté et axé sur l'offre d’aide, risque de négliger certaines personnes qui ne rentrent pas dans des secteurs humanitaires traditionnels, notamment parmi les populations d'accueil. Une analyse de vulnérabilité est essentielle pour s'assurer que la réponse humanitaire ne laisse personne derrière elle.
Soutenir l'autosuffisance nécessite un ensemble d'instruments d'aide. Si l'aide humanitaire ne suffit pas à répondre aux besoins les plus importants des populations touchées, elle est encore moins efficace pour atteindre l'autosuffisance économique. De manière persistante, les personnes interrogées mentionnent le manque d'opportunités économiques et de moyens de subsistance comme l'un de leurs principaux griefs. Dans les crises prolongées qui constituent la majeure partie des contextes humanitaires, les personnes affectées veulent être autonome et non des récipiendaires durables d’aide humanitaire. Parce que l'aide humanitaire n'est pas conçue pour mettre fin aux besoins et parce qu'elle est imprévisible par nature, d'autres instruments doivent être mobilisés pour aider à créer un environnement favorable dans lequel les personnes touchées et les communautés d'accueil peuvent trouver des moyens de subsistance.
Des progrès limités ont été réalisés en ce qui concerne les engagements du ‘Grand Bargain’. Les enquêtes révèlent de réelles améliorations dans la manière dont l'aide est fournie. L'appui à l'éducation dans les situations de crise s'accroît, ce qui montre que les donateurs peuvent surmonter les cloisonnements entre l'aide humanitaire et le développement. Certains des engagements pris dans le cadre du ‘Grand Bargain’, tels que les cadres pluriannuels de financement et les évaluations conjointes des besoins, commencent à initier des développements positifs qui doivent désormais être systématisés. Les transferts monétaires se généralisent, bien qu'ils restent sectoriels. De sérieux défis demeurent, néanmoins. La localisation de l’aide avance trop lentement, principalement parce que l'architecture administrative des donateurs ne l'encourage pas. La façon dont l’opinion des personnes affectées est prise en compte reste limitée et les gens ne savent pas très bien pourquoi ils sont admissibles ou non à l'aide, ce qu'ils reçoivent et pour combien de temps. Le système humanitaire reste construit sur l'offre d’aide, sur la base des mandats et des programmes des organisations internationales, plutôt que sur les personnes touchées au centre de la réponse humanitaire.