Cette synthèse examine les réponses que la politique de la concurrence peut apporter aux défis immédiats soulevés par la crise du COVID-19, tout en envisageant le monde après la pandémie et en réfléchissant à la contribution des marchés à la reprise économique à moyen et long terme. Elle décrit les principes de concurrence dont les pouvoirs publics peuvent s’inspirer pour concevoir les mesures de soutien à l’économie, y compris les stratégies de sortie. Enfin, elle décrit les actions que les autorités de la concurrence peuvent mener pour traiter les difficultés pratiques, théoriques et liées aux preuves posées par la crise actuelle.
Les réponses de la politique de la concurrence de l’OCDE face au COVID-19
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Abstract
La pandémie de coronavirus a provoqué une crise sanitaire et économique majeure, associée à des bouleversements temporaires considérables de l’offre et de la demande. L’importance de l’impact du COVID-19 dépendra de la durée et de la gravité de l’épidémie, ainsi que de la date de reprise de l’activité économique et de la vigueur de son rebond, toutes deux étroitement tributaires des interventions des pouvoirs publics.
De fait, les conséquences économiques de la pandémie de COVID-19 nécessitent des mesures rapides et ambitieuses de la part des pouvoirs publics pour maintenir le fonctionnement des marchés et de l'économie. Ces interventions sont nécessaires et légitimes pour surmonter la crise ; elles impliquent des mesures à court terme de nature à soutenir l’activité, puis à plus long terme pour stimuler la reprise afin de garantir une économie plus résiliente, inclusive et verte. Il faudra peut-être réexaminer certains cadres analytiques traditionnels de la politique de la concurrence et envisager de mieux prendre en compte l’efficience dynamique. Les responsables publics pourraient devoir repenser l’équilibre entre efficience et résilience afin que les économies soient mieux préparées à faire face à différents types de crises, à relever les défis propres à la chaîne d'approvisionnement et à promouvoir la cohésion sociale et les résultats environnementaux. Pour atteindre ces objectifs légitimes, les responsables doivent évaluer les différentes solutions possibles, entreprendre des analyses coûts/avantages et retenir les options qui minimisent les restrictions et distorsions de la concurrence.
Une vaste réflexion sur une politique industrielle intelligente capable de réattribuer les ressources à certains secteurs clés (la santé par exemple) sans fausser la concurrence entre entreprises peut aussi contribuer à créer les conditions propices à une économie résiliente et durable à longue échéance. Rétablir une concurrence efficace à moyen ou long terme sera une condition essentielle pour garantir une reprise rapide et globale.
Pour que les marchés fonctionnent bien sur le long terme, les autorités de la concurrence peuvent agir dès maintenant et conseiller les gouvernements sur la conception et la mise en œuvre de ces politiques pour faire en sorte que, dans la mesure du possible, les réponses apportées respectent les principes de la concurrence. Ce faisant, elles limiteront les distorsions inutiles pour atteindre les objectifs légitimes de remédier aux défaillances du marché engendrées par la crise, et d’empêcher la mise en œuvre de politiques qui ralentiront la reprise économique.
Cette note s'appuie sur les travaux du Comité de la concurrence de l’OCDE qui définissent et encouragent les bonnes pratiques dans le domaine du droit et de la politique de la concurrence. La section A porte sur les interventions de l’État et le rôle de la politique de la concurrence, tandis que la section B s’intéresse aux mesures d'application du droit de la concurrence à court et moyen terme.
A. Interventions de l’État et rôle de la politique de la concurrence
L’importance de l’impact du COVID-19 dépendra de la durée et de la gravité de l’épidémie, ainsi que de la date de reprise de l’activité économique et de la vigueur de son rebond, toutes deux étroitement tributaires des interventions des pouvoirs publics. De fait, en période de bouleversements exceptionnels et temporaires de la demande et de l’offre, les pouvoirs publics peuvent aider les consommateurs, les travailleurs et les entreprises à traverser la tempête, et mettre en place les conditions nécessaires à la reprise de l'activité une fois la crise surmontée. Comme lors de crises précédentes, les pouvoirs publics peuvent devoir intervenir de manière immédiate et vigoureuse sur plusieurs marchés, depuis ceux les plus directement touchés par la crise (transport aérien, tourisme et santé) jusqu’à ceux susceptibles d’être affectés à un stade ultérieur.
Importance de règles claires et transparentes assurant la neutralité concurrentielle
Les pays peuvent devoir s'assurer que les entreprises disposent de liquidités suffisantes et empêcher les bouleversements de la demande et de l’offre résultant de la sortie d’entreprises efficientes, et ainsi préserver la continuité de l'activité économique pendant et après l’épidémie de COVID-19. Pour ce faire, ils peuvent recourir aux dotations, subventions, garanties bancaires et autres formes de soutien public. Néanmoins, s’il est mal conçu, le soutien public risque d’engendrer des distorsions de concurrence et de fausser les règles du jeu entre les entreprises bénéficiaires d’une aide et celles qui n’en reçoivent pas.
Lorsque certaines entreprises sont désavantagées de manière injustifiée, les biens et services ne sont plus produits par ceux qui peuvent le faire le plus efficacement. Cela entraîne une hausse des prix du fait d’une utilisation sous-optimale de ressources parfois rares, du recours à des méthodes de production inefficientes et de la non-adoption de technologies nouvelles et meilleures. Aussi, les principes de neutralité concurrentielle renforcent l’efficience à l’échelle de toute l’économie.
Une aide de caractère général reposant sur des critères objectifs, des règles claires et qui soit applicable à l’ensemble des entreprises d’un même secteur (report d’impôt ou subvention du chômage partiel dans tous les secteurs, par exemple) ne devrait pas poser de problème du point de vue de la neutralité concurrentielle. En revanche, le soutien à des entreprises spécifiques peut s'avérer plus problématique sous l’angle de la concurrence et nécessiter de définir des règles plus précises garantissant le respect de l'équité des règles du jeu entre les entreprises bénéficiaires d’un soutien public et les autres.
La politique de la concurrence peut éclairer la mise au point de stratégies de sortie qui permettront de rétablir les mécanismes de marché après la crise, tout en évitant les atteintes au marché susceptibles de résulter d’une sortie désordonnée. Les mesures de soutien devraient être limitées dans le temps de manière à la fois raisonnable, transparente et prévisible, et les pouvoirs publics devraient y mettre fin dès que les conditions le permettent. Le moment choisi pour mettre fin aux mesures de soutien est essentiel. D’un côté, un retrait trop précoce peut entraîner la faillite des entreprises aidées et affaiblir davantage encore la concurrence. D’un autre côté, un retrait trop tardif pourrait rendre certaines entreprises dépendantes des aides publiques et ainsi réduire leurs incitations à être compétitives et à innover.
Les stratégies de sortie peuvent être accompagnées d’incitations à renoncer aux aides publiques dès que les circonstances sur le marché le permettent (niveau élevé de rémunération de la recapitalisation ou règles strictes en matière de versement de dividendes) et à rétablir une situation normale sur les marchés de manière à promouvoir la concurrence. Les gouvernements devraient solliciter les conseils des autorités de la concurrence lorsqu’ils conçoivent leurs stratégies de sortie. Parfois complexe, cette tâche nécessite un examen attentif, notamment pour concilier flexibilité et sécurité juridique.
Exemple d’orientations garantissant la neutralité concurrentielle des interventions étatiques
L’Encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 mis en place par la Commission européenne le 19 mars 2020 constitue un exemple récent d’orientations sur les critères à appliquer pour garantir la neutralité concurrentielle dans le contexte de la crise actuelle. Ce cadre permet aux États membres d’exploiter les règles en matière d’aides d'État pour soutenir l'économie dans le contexte de la flambée de COVID-19, garantir la disponibilité de liquidités suffisantes pour les entreprises de tous types et préserver la continuité de l'activité économique pendant et après la crise. Ce cadre temporaire prévoit cinq types d'aides, y compris des régimes accordant jusqu'à 800 000 euros à une entreprise pour lui permettre de faire face à ses besoins de liquidités urgents, des garanties sur les prêts contractés par des entreprises auprès des banques et des prêts publics bonifiés octroyés aux entreprises. Il rattache les prêts ou les garanties bonifiés en faveur des entreprises à l'échelle de leur activité économique, par référence à leur masse salariale ou à leur chiffre d'affaires, par exemple.
La politique industrielle ne devrait pas déboucher sur des mesures protectionnistes
À l’heure où les gouvernements délaissent les mesures d’urgence à court terme pour se concentrer sur les dispositions de plus longue échéance propres à soutenir la reprise économique, ils devront veiller à ce que la concurrence s’exerce sur les marchés. Plus généralement, s'agissant de politique industrielle, l’accent a été mis ces dernières années sur une sélection d’outils privilégiant des stratégies telles que la constitution de groupes d’entreprises, et les politiques d'innovation territorialisées et axées sur des missions. Ces politiques qui ciblent des défaillances spécifiques du marché doivent continuer d’être privilégiées par rapport à des politiques sélectives plus traditionnelles, comme un assouplissement des critères de contrôle des fusions, par exemple. Protéger les entreprises de la concurrence risque de réduire leur efficience et d'amoindrir leur contribution à la reprise économique. Les marchés devraient rester ouverts et respecter les principes de neutralité concurrentielle.
Recommandations
Les pouvoirs publics devraient :
Solliciter et accueillir favorablement les conseils des autorités de la concurrence lorsqu'ils prévoient d'intervenir sur un marché, et s'assurer que la mesure qu'ils vont prendre est nécessaire et proportionnée et qu’elle vise à corriger une défaillance observée sur un marché particulier en raison de la crise. Ils devraient veiller à ce que les mesures de soutien éventuellement adoptées soient transparentes et temporaires, et que les effets positifs des aides d’État ne soient pas contrebalancés par les effets négatifs induits par la distorsion de la concurrence.
Concevoir soigneusement les mesures ciblant des entreprises spécifiques au cours de cette période critique, en les adaptant au problème identifié et en leur conférant un caractère temporaire, assorti d’un suivi. Éviter une aide sélective en faveur d’entreprises qui étaient en faillite ou qui connaissaient d’importantes difficultés structurelles avant la crise.
Mettre fin aux investissements dès que les conditions le permettent et selon des modalités qui favorisent la concurrence, et demander conseil aux autorités de la concurrence pour la conception de ces stratégies de sortie dès la phase de planification des mesures à prendre.
Prévoir une indemnisation appropriée et transparente des entreprises dans les cas où la crise révèle la nécessité de leur imposer de nouvelles obligations de service public.
Les autorités de la concurrence devraient :
Aider les pouvoirs publics à mettre en œuvre les mesures de soutien public en leur procurant les ressources et les conseils nécessaires ou le cas échéant jouir des pouvoirs d’établir des priorités.
Adresser des avis/orientations aux pouvoirs publics sur le moyen de garantir des règles du jeu équitables et d'éviter les distorsions du marché en définissant des règles claires, générales et objectives applicables à toutes les entreprises d’un pays, d’un secteur ou d'une région.
Intensifier les actions de plaidoyer auprès des pouvoirs publics en expliquant les principes de concurrence qui doivent être respectés pour que les marchés restent concurrentiels après la crise, ce qui est décisif pour favoriser la reprise économique. Ils doivent promouvoir des politiques industrielles qui prévoient des alternatives proconcurrentielles à toute intervention étatique programmée qui risque de porter durablement préjudice aux marchés.
Coopérer avec d'autres juridictions afin de parvenir à une certaine harmonisation de l’approche internationale suivie pour garantir des règles du jeu équitables entre pays et continuer de faire campagne contre les mesures protectionnistes.
B. Application - conséquences à court terme de la pandémie sur le comportement des entreprises
Les actions d'application du droit de la concurrence pendant et après la crise seront décisives pour faire en sorte que les marchés fonctionnent bien à court terme, même si les circonstances actuelles soulèvent un certain nombre d’importants défis pratiques, théoriques et relatifs aux preuves, y compris les moyens de lutter contre les prix abusifs, les accords de coopération et les ententes de crise, l’examen des concentrations de sauvetage et la priorité donnée aux enquêtes et aux procédures visant à garantir une application efficace du droit de la concurrence.
Les chocs du côté de l’offre et de la demande provoqués par la crise du COVID-19 pourraient avoir de graves répercussions sur le comportement des entreprises sur les marchés de biens et services essentiels. Ainsi, le COVID-19 a entraîné une forte hausse de la demande de certains produits, générant des difficultés de fabrication ou de distribution de produits essentiels, conséquence directe des mesures de confinement appliquées à de nombreux travailleurs, ce qui s’est traduit par une situation de pénurie. Si certains changements dans le comportement commercial des entreprises peuvent s’expliquer par l’ajustement des stratégies commerciales aux nouvelles circonstances sur le marché, d'autres doivent faire l’objet d’un suivi étroit par les autorités de la concurrence. La pratique de prix abusifs et les accords de coopération entre concurrents constituent deux comportements de ce type potentiellement problématiques.
Suspicion de manipulation des prix
Une crise peut s'accompagner d’une forte inflation des prix de certains produits. Bien que ces hausses de prix puissent être la conséquence légitime d’un changement de la situation du marché sous l’effet de la crise, tel qu’une pénurie de produits très demandés ou des perturbations des chaînes d’approvisionnement internationales, le risque existe que certaines entreprises se livrent à une stratégie d’exploitation des consommateurs dans une économie en difficulté. L’exploitation des consommateurs par des politiques tarifaires (prix excessifs, par exemple) s'apparente souvent à la pratique de prix exorbitants lorsqu’elle fait intervenir une augmentation brutale et significative des prix après un choc d’une certaine nature affectant la demande ou l’offre (consécutif à un tremblement de terre ou à une pandémie, par exemple).
En pareille situation, les entreprises peuvent accroître leurs prix par rapport à leurs coûts, ou réduire leur production afin d'optimiser leurs gains par rapport à des stocks antérieurs acquis à moindres prix. Dans certains pays, les prix excessifs peuvent être assimilés à un abus de position dominante. Ce sont des dossiers complexes qui supposent au préalable d'établir l’existence d'une position dominante. Les autorités responsables de la protection des consommateurs peuvent également s'attaquer à ces hausses de prix considérées comme des atteintes aux droits des consommateurs. Dans un cas comme dans l’autre, les autorités de la concurrence doivent pouvoir faire la distinction entre un comportement abusif ou inéquitable et un comportement qui traduit une réponse légitime à une pénurie temporaire consécutive à la situation exceptionnelle en question. Une autre option pour traiter le problème consiste pour les pouvoirs publics à contrôler les prix. Une telle politique peut certes éviter à court terme aux consommateurs de supporter des prix exorbitants, mais elle risque de fausser les signaux de prix qui sinon encourageraient une augmentation de la production et une entrée rapide de nouveaux acteurs sur le marché permettant de remédier aux pénuries.
Exemples d’enquêtes pour exploitation des consommateurs par des politiques tarifaires
CMA du Royaume-Uni
« L’Autorité de la concurrence et des marchés (CMA) veut s'assurer que les entreprises ne profitent pas de la situation actuelle pour abuser les consommateurs. Elle examinera tous les éléments tendant à prouver que des entreprises enfreignent le droit de la concurrence ou la législation sur la protection des consommateurs, par exemple en facturant des prix excessifs ou en diffusant des allégations trompeuses sur l’efficacité d’équipements de protection (…) » (COVID-19: sales and pricing practices during Coronavirus outbreak, 5 mars 2020).
AGCM italienne
« L’Autorité de protection de la concurrence et du marché (AGCM) a envoyé aujourd’hui une demande d’informations aux principales plateformes de ventes en ligne et autres sites de vente sur les conditions de commercialisation des désinfectants pour les mains et des masques jetables de protection respiratoire » (ICA: Coronavirus, the Authority intervenes in the sale of sanitizing products and masks, 27 février 2020).
Accords de coopération entre concurrents
Il est probable que la collaboration entre concurrents augmente en temps de crise, car les entreprises sont incitées à lancer en commun des projets de R-D (recherche médicale, par exemple) ou des activités de production/distribution de biens essentiels (denrées alimentaires ou produits de première nécessité, par exemple). Ces accords peuvent être nécessaires pendant une crise afin d'accroître la fabrication d’un produit donné ou de coordonner la fourniture d'un service essentiel. Ils peuvent même être encouragés par les pouvoirs publics. De fait, la coopération entre concurrents peut rehausser le bien-être des consommateurs en augmentant l’offre de produits, et le droit de la concurrence de la plupart des pays autorise cette coopération lorsqu’elle génère des gains d’efficience et des avantages pour le consommateur. Néanmoins, les autorités de la concurrence doivent s'assurer que cette coopération n’aboutit pas à des restrictions caractérisées de concurrence, telles que la fixation de prix (voir la section « ententes de crise » ci-dessous). En outre, les autorités de la concurrence doivent veiller à ce qu’un accord de coopération à court terme ne se prolonge pas plus longtemps que nécessaire pour surmonter la crise.
De même, les autorités de la concurrence peuvent souhaiter aviser les pouvoirs publics de la nécessité de réguler les droits de négociation collective, et analyser si les accords entre travailleurs déclarés ou non déclarés confrontés à un pouvoir de monopsone (comme dans le cas des plateformes numériques) sont effectivement anticoncurrentiels.
Exemples d'accords de coopération entre concurrents
Réseau européen de la concurrence (REC)
« Le REC est conscient du fait que cette situation extraordinaire peut pousser les entreprises à coopérer afin d'assurer l’offre et la distribution équitable de produits rares à l’ensemble des consommateurs‑. En pareilles circonstances, le REC ne s’opposera pas activement aux mesures nécessaires et temporaires mises en place en vue d'éviter une pénurie de l’offre. (…). De telles mesures ne devraient pas poser problème (…) » Déclaration conjointe du Réseau européen de la concurrence (REC) sur l’application du droit de la concurrence pendant la crise du coronavirus, 23 mars 2020).
Commission fédérale du commerce et ministère de la Justice des États-Unis
« Les Agences sont résolues à donner aux individus et aux entreprises de tous les secteurs de l'économie qui se mobilisent face à cette urgence nationale des conseils rapides pour s'assurer que leurs actions respectent les lois fédérales sur la concurrence. (…). Les entreprises concernées doivent se reporter aux déclarations antérieures des Agences qui analysent la coopération et la collaboration entre concurrents. (…) » (Déclaration conjointe FTC-DOJ sur la concurrence et la lutte contre le COVID-19, 24 mars 2020). Pour information, la Commission européenne s’est elle aussi engagée à fournir des instructions rapides et informelles : Droit de la concurrence et coronavirus, mars 2020).
Autorité norvégienne de la concurrence
« Après l’épidémie de coronavirus, le gouvernement norvégien accorde au secteur du transport, à compter de ce jour, une dispense temporaire de trois mois de l’interdiction des ententes et pratiques anticoncurrentielles visée par la Loi norvégienne de la concurrence. (…). Toute entreprise qui souhaite se prévaloir de cette dispense doit en informer l’Autorité » (Le secteur du transport bénéficie d’une dispense temporaire du droit de la concurrence, 19 mars 2020).
Commission australienne de la concurrence et des consommateurs
L’ACCC a accordé une autorisation provisoire sous conditions à Medicines Australia (MA), à la Generic and Biosimilar Medicines Association (GBMA) et à leurs membres de coopérer afin d'assurer la continuité de l’offre de médicaments essentiels pendant la pandémie de COVID-19 (...) en vue d’identifier et d'atténuer les pénuries ou problèmes dans la chaîne d'approvisionnement susceptibles d'affecter la disponibilité de médicaments en Australie. Cette coopération peut impliquer de coordonner les commandes et les demandes de livraison de médicaments et d'établir un ordre de priorité, de travailler ensemble à la préparation d’appels d’offres et de partager des informations sur les stocks de médicaments, les circuits d'approvisionnement et les possibilités d'accroître la production de médicaments en Australie (Les fabricants de médicaments coordonnent leur réponse au COVID-19, 3 avril 2020).
L’ACCC a également accordé une autorisation provisoire aux membres de l’Australian Securitisation Forum (ASF) de coopérer pour aider les petits prêteurs à maintenir leurs liquidités et à octroyer des prêts aux consommateurs et aux petites entreprises pour faire face aux perturbations provoquées par la pandémie de COVID-19. Cette décision fait suite à l’annonce par le gouvernement fédéral de la mise en place d’un Fonds de soutien aux instruments financiers structurés (SFSF) doté de 15 milliards $ pour permettre aux petites institutions de dépôt autorisées (ADI) et aux autres bailleurs de fonds d’accéder aux financements à des conditions favorables. Le SFSF sera administré par l’Office australien de gestion financière (AOFM). L'autorisation provisoire permettra aux membres de l’ASF de coordonner leurs contributions à la gestion de ce dispositif. (Coopération en matière de financement pour aider les petits prêteurs pendant la pandémie de COVID-19, 8 avril 2020).
Les autorités de la concurrence devraient examiner attentivement les ententes de crise
Face à une crise, certaines entreprises peuvent être tentées de réorganiser la structure d’un secteur en concluant des « ententes de crise », qui désignent des accords passés entre la totalité ou la majeure partie des concurrents dans le but de restreindre la production et/ou de réduire les capacités afin d'accroître leur rentabilité et d’empêcher les nouvelles entrées sur le marché en temps de crise. Ces pratiques peuvent augmenter la probabilité d’ententes pendant et après une crise. Par le passé, des accords analogues ont été autorisés, voire même encouragés par les pouvoirs publics eux-mêmes. Cela pose la question de savoir si les autorités de la concurrence devraient être plus clémentes face à des pratiques anticoncurrentielles potentielles en pareilles circonstances. L’expérience montre que les accords qui conduisent à la fixation de prix, à la restriction de la production ou à la réduction des capacités sont extrêmement préjudiciables et devraient être activement réprimés.
Recommandations
Les autorités de la concurrence devraient :
Se montrer très vigilantes en cas d'augmentation brutale et rapide des prix. À court terme, elles peuvent être amenées à agir pour identifier où et quand les prix ont augmenté dans la chaîne d'approvisionnement, et à prendre des mesures provisoires ou envoyer des courriers d’avertissement afin de mettre rapidement fin à la conduite en cause.
Coordonner leurs actions avec les autorités de protection des consommateurs, ou exercer leurs pouvoirs (éventuels) de protection des consommateurs pour mettre ces derniers à l'abri des pratiques de tarification non équitables.
Utiliser leur pouvoir de plaidoyer pour alerter sur les risques induits par les mesures de contrôle des prix appliquées par les pouvoirs publics, y compris celui de fausser les signaux de prix qui peuvent encourager la production et freiner l’entrée de nouveaux acteurs susceptibles de remédier aux pénuries.
Faire connaître aux entreprises de façon claire et en temps voulu le traitement qu’elles réserveront aux gains d’efficience dans les accords entre concurrents (circuits de communication ouverts et accélérés permettant de renseigner sur des accords spécifiques), notamment ceux portant sur des secteurs prioritaires en temps de crise, comme les produits médicaux et la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Ces accords doivent assurer une coopération légitime entre concurrents, limitée dans le temps et à ce qui est nécessaire. Ils doivent se garder de toute restriction caractérisée de concurrence, telle que la fixation de prix.
Analyser attentivement les motifs invoqués à l’appui des ententes de crise. Toute entente exemptée doit être autorisée pendant une période limitée, sous réserve d’un examen en fonction de critères prédéfinis.
C. Application - conséquences à moyen terme de la pandémie sur les structures du marché
La crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19 aura probablement pour conséquence d'accroître le niveau de concentration des marchés, dans la mesure où certaines entreprises connaîtront des difficultés financières et quitteront le marché. Hormis la sortie du marché, la concentration sera la stratégie privilégiée des entreprises qui, au moyen d'activités de fusion et d’acquisition, tenteront d'améliorer leur situation en fusionnant avec des concurrents en meilleure santé. Aussi, les autorités de la concurrence seront appelées à examiner un certain nombre de fusions urgentes et critiques, y compris les « concentrations de sauvetage », qui désignent l'acquisition d’entreprises qui risquent de faire faillite. Dans ce contexte, le contrôle des fusions peut jouer un rôle clé pour empêcher les transactions qui porteraient durablement atteinte aux structures du marché.
Les autorités de la concurrence devraient analyser attentivement l’argument de l'entreprise défaillante
Les difficultés économiques et financières contraindront certaines entreprises à quitter le marché après la crise. Par conséquent, les autorités de la concurrence devront probablement passer en revue un certain nombre de fusions urgentes et critiques et faire en sorte que les autorisations de fusions anticoncurrentielles fondées sur des considérations tenant à l’intérêt public restent limitées.
L’examen des fusions peut être particulièrement complexe dans le cas des concentrations dites « de sauvetage », dans lesquelles les parties à la fusion prétendent que l’entreprise ciblée serait évincée du marché en l'absence de fusion (« argument de l’entreprise défaillante ») et sollicitent l’autorisation de transactions qui autrement auraient restreint la concurrence. Si les actifs de l’entreprise auraient quitté le marché de toute manière, la fusion peut être plus favorable à la concurrence que la faillite de cette entreprise, en dépit du pouvoir de marché accru détenu par la nouvelle entité ainsi créée. Aussi, les autorités de la concurrence devront continuer d’analyser avec soin ces fusions pour s'assurer que les parties démontrent bien que l'argument de l’entreprise défaillante trouve à s'appliquer. À défaut, les autorités de la concurrence courent le risque d’approuver des fusions anticoncurrentielles qui auront un impact négatif durable sur la structure du marché.
Les autorités de la concurrence devraient continuer d’examiner attentivement les considérations tenant à l’intérêt public
Les autorités de la concurrence subiront des pressions en vue d’autoriser certaines fusions répondant à des objectifs de politique publique, dont la protection de champions nationaux ou la garantie de fabrication de certains produits sur leur territoire. En outre, la crise pourrait remettre en cause certains éléments du cadre traditionnel d'analyse de la politique de la concurrence, en mettant davantage l'accent sur l’évaluation des gains d’efficience dynamiques et en conduisant à réfléchir à la nécessité de prendre aussi en compte la chaîne d'approvisionnement, la cohésion sociale et l’environnement.
Exemple d’argument de l’entreprise défaillante dans l’Union européenne
Dans ses Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales, la Commission européenne souligne qu’une fusion qui pose par ailleurs des problèmes de concurrence pourrait être autorisée si l’une des parties à l'opération est une entreprise défaillante. Pour que cela se produise, les preuves à réunir sont nombreuses. Trois conditions cumulatives doivent être remplies : i) l'entreprise défaillante serait, dans un proche avenir, contrainte de quitter le marché en raison de ses difficultés financières si elle n'était pas reprise par une autre entreprise ; (ii) il n'existe pas d'autre alternative de rachat moins dommageable pour la concurrence que la concentration notifiée ; (iii) si la concentration n'était pas réalisée, les actifs de l'entreprise défaillante disparaîtraient inévitablement du marché.
Recommandations
Les autorités de la concurrence devraient :
Examiner attentivement les demandes de concentrations de sauvetage et admettre l’argument de l’entreprise défaillante uniquement après avoir étudié les preuves, afin d'éviter de procurer des avantages à court terme au prix de coûts plus élevés à long terme.
Les autorités de la concurrence et les pouvoirs publics devraient :
Autoriser les fusions anticoncurrentielles fondées sur d'autres considérations relatives à la politique publique uniquement dans des circonstances exceptionnelles et de façon transparente.
Travaux connexes de l’OCDE
Neutralité concurrentielle (2015)
Politique de la concurrence, politique industrielle et champions nationaux (2009)
Concurrence, aides d’État et subventions (2010)
Stratégies de sortie (2010)
Politique industrielle et promotion des industries nationales (2018)
Recommandation de l’OCDE concernant les ententes injustifiables (2019)
Manuel pour l'évaluation d'impact sur la concurrence de l'OCDE (2019)
Ententes de crise (2011)
Prix excessifs (2011)
Prix excessifs sur les marchés pharmaceutiques (2018)
Échanges d’informations entre concurrents en droit de la concurrence (2010)
Interaction entre la politique de la concurrence et la politique à l'égard des consommateurs (2008)
Considérations d’intérêt public dans le contrôle des fusions (2016)