Ces dernières années, la Tunisie connait des transformations économiques, sociales et politiques. Compte tenu de l’émigration importante de la population tunisienne et de la reconnaissance des apports de la diaspora, les autorités tunisiennes cherchent à mieux connaître ce vivier de talents installé à l’étranger, enclin à s’impliquer dans le développement économique et social de leur pays d’origine. Cette revue fournit la première cartographie de la diaspora tunisienne dans les pays de l’OCDE. En dressant un portrait des émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE, cette revue vise à renforcer les connaissances sur cette communauté, et ainsi contribuer à consolider la pertinence des politiques déployées par l’État tunisien envers ses émigrés.
Talents à l'étranger
Résumé
Synthèse
La première cartographie de la diaspora tunisienne : une image de la diaspora à la sortie de la révolution tunisienne
Cette revue fournit la première cartographie de la diaspora tunisienne dans les pays de l’OCDE, où 97 % des émigrés tunisiens résident. Elle dresse ainsi une image détaillée et actuelle de la diaspora et de sa dynamique, au sortir de la révolution tunisienne. Différentes vagues d’émigration en provenance de Tunisie peuvent être distinguées, des années 1960 à aujourd’hui. A une première vague d’émigrés tunisiens arrivant en France pour répondre aux besoins de main d’œuvre peu qualifiée, a succédé une installation des familles de ces émigrés. L’émigration tunisienne est aujourd’hui caractérisée par une part relativement importante d’émigrés qualifiés et ayant un niveau d’éducation élevé, les perspectives sur le marché du travail tunisien étant assez limitées pour les Tunisiens diplômés du supérieur, et les possibilités d’émigration étant élargies à de nouveaux pays. Si l’histoire de la diaspora tunisienne est fortement liée à l’émigration vers la France, où résident six émigrés tunisiens sur dix vivant dans les pays de l’OCDE, la diversification des pays de destination entraine une variété croissante de situations.
Les émigrés tunisiens sont de plus en plus impliqués dans le développement économique et social de la Tunisie. Ils ont d’ailleurs exprimé un fort désir d’implication dans le sillage de la révolution. La communauté tunisienne à l’étranger est ainsi dorénavant considérée comme partie intégrante de la société tunisienne, et l’appareil institutionnel à son égard a été renforcé. Bien que les politiques visant à soutenir l’émigration aient émergé dans les années 1960 afin de soutenir la migration de travailleurs peu qualifiés, la politique à l’égard des émigrés tunisiens a aujourd’hui une teneur bien plus globale et dépasse les questions de circulation de travailleurs ou d’envoi de fonds. En dressant un portrait des talents tunisiens dans les pays de l’OCDE, cette revue vise à renforcer la connaissance sur cette communauté, et ainsi contribuer à consolider la pertinence des politiques déployées pour les émigrés tunisiens.
La diaspora représente un potentiel important pour la Tunisie et nécessite un traitement adapté à ses besoins et à ses aspirations
La diaspora tunisienne se caractérise aujourd’hui par une certaine hétérogénéité, qui résulte des vagues migratoires successives. Elle se compose de groupes assez diversifiés selon l’ancienneté de leur départ et l’intensité de leurs liens avec la Tunisie, les motifs de leur émigration, leur niveau d’éducation, leur intégration économique et sociale dans les pays de destination, leurs aspirations et perspectives de mobilité et de retour. Malgré une stabilisation récente des flux d’émigration de la Tunisie vers les pays de l’OCDE, ces flux pourraient s’amplifier si les intentions d’émigration exprimées aujourd’hui par les Tunisiens se réalisent et si les conditions d’insertion sur le marché du travail des jeunes ne connaissent pas d’amélioration.
Le développement et le succès de politiques publiques en direction de la diaspora dépendent de la prise en compte de la diversité des profils au sein de celle-ci et de la capacité à mettre en place des mesures adaptées aux besoins et aspirations de ses membres. Les résultats de cette étude peuvent servir de base empirique pour de telles politiques publiques.
La diaspora tunisienne dans les pays de l’OCDE est en expansion et représente une part importante de la population née en Tunisie
En 2015/16, environ 630 000 personnes âgées de 15 ans et plus nées en Tunisie résidaient dans les pays de l’OCDE, un effectif relativement modeste en termes absolus, plaçant la diaspora tunisienne au 52e rang mondial et au troisième rang en Afrique du Nord. Toutefois, en termes relatifs, cette diaspora représentait en 2015/16 près de 7 % des personnes nées en Tunisie, un taux d’émigration qui la place au 26e rang mondial (parmi les pays ayant au moins 500 000 émigrés) et au deuxième rang en Afrique du Nord, derrière le Maroc.
Entre 2000/01 et 2015/16, le nombre d’émigrés tunisiens a augmenté de 145 000 personnes, soit une augmentation de 30 %, assez modérée par rapport aux évolutions observées pour les autres pays de la région.
La diaspora « étendue » inclut également les descendants d’émigrés tunisiens qui sont nés à l’étranger. Leur présence est surtout significative dans certains pays européens, où l’immigration tunisienne est ancienne. En 2014, ce groupe comptait ainsi 500 000 personnes âgées de 15 ans et plus, dans une sélection de 26 pays européens pour lesquels cette information était disponible.
Plus de 90 % des émigrés tunisiens résident en Europe, notamment en France
La répartition géographique de la diaspora tunisienne reflète les conditions historiques de sa formation. La quasi-totalité des émigrés tunisiens (98 %) résidant dans la zone OCDE en 2015/16 étaient concentrés dans seulement dix pays, plus de 90 % d’entre eux résidant dans des pays européens. La France, premier pays de destination, accueille 385 000 émigrés tunisiens (61 % du total) – dont près de 150 000 dans la seule région Ile-de-France. Les deux pays suivants sont l’Italie (104 000) et l’Allemagne (32 000). La plupart des autres personnes résident en Israël, au Canada ou en Belgique. Entre 2000/01 et 2015/16, la population des personnes nées en Tunisie a plus que doublé au Canada, en Belgique et au Royaume-Uni, mais une grande partie de la croissance absolue de la diaspora tunisienne pendant cette période a eu lieu en France et en Italie.
Près de 55 % des émigrés tunisiens vivant dans les pays de l’OCDE possèdent la nationalité de leur pays d’accueil, une proportion comparable à celle observée par exemple au sein de la diaspora égyptienne et sensiblement inférieure à celle de la diaspora algérienne (66 %), mais plus élevée que celle de la diaspora marocaine (44 %). Cela dénote d’un ancrage important dans les sociétés d’accueil.
Au sein de la diaspora tunisienne, les émigrés évoquent surtout des motifs familiaux et professionnels pour leur installation en Europe
Plus de la moitié (56 %) des émigrés tunisiens vivant dans l’Union européenne (UE) évoquent des raisons familiales comme motif de migration. Le travail est le deuxième motif le plus fréquent et concerne un quart des émigrés tunisiens de l’UE. Parmi les principales destinations, la France est le pays où la proportion de motifs familiaux est la plus importante (près de 70 %), tandis que la part du motif professionnel est assez faible (15 %). A l’inverse, près de la moitié des émigrés tunisiens en Italie indiquent des raisons professionnelles et environ un tiers des raisons familiales.
De plus en plus d’étudiants tunisiens poursuivent des études dans les pays de l’OCDE
En 2016, près de 17 000 étudiants tunisiens étaient en mobilité internationale dans les pays de l’OCDE, ce qui représentait un peu plus de 5 % de l’ensemble des étudiants tunisiens, une proportion sensiblement supérieure à celle observée pour les autres pays d’Afrique du Nord. Les principales destinations des étudiants tunisiens dans la zone OCDE étaient la France (56 %), l’Allemagne (20 %), le Canada (6 %) et l’Italie (6 %). Le nombre d’étudiants tunisiens en mobilité internationale a augmenté de 20 % entre 2013 et 2016, une hausse plus élevée que celle observée dans les pays voisins. Cette hausse reflète notamment l’investissement effectué par la Tunisie pour encourager la mobilité des étudiants et le rôle des programmes d’échanges existants.
Des intentions d’émigration élevées en Tunisie, notamment parmi les jeunes
Entre 2007 et 2013, près d’un tiers (27 %) des Tunisiens vivant en Tunisie exprimaient un souhait de s’installer à l’étranger de manière permanente s’ils en avaient la possibilité. Ce pourcentage est l’un des plus élevés enregistrés en Afrique du Nord ; seul le Maroc affichait un pourcentage légèrement supérieur. Les intentions d’émigration sont particulièrement élevées parmi les jeunes : près de la moitié des 15‑24 ans en Tunisie déclaraient avoir l’intention d’émigrer, le pourcentage le plus élevé en Afrique du Nord. Ces pourcentages très élevés sont vraisemblablement liés aux faibles perspectives d’emploi des jeunes, en particulier les diplômés du supérieur.
Des flux d’émigration tunisienne significatifs, qui ont été intensifiés ponctuellement par la révolution
En termes d’effectifs absolus, les flux migratoires légaux en provenance de Tunisie vers les pays de l’OCDE ne figurent pas parmi les plus importants de la région. Cependant, rapportés à la population du pays, ils sont pour les années récentes comparables aux flux en provenance du Maroc (2.2 émigrés par an pour mille habitants pour la Tunisie en 2014‑16, contre 2.4 pour mille pour le Maroc) et nettement supérieurs à ceux en provenance d’Algérie (1 pour mille) ou d’Égypte (0.4 pour mille).
Entre 2000 et 2013, les flux migratoires légaux de la Tunisie vers les pays de l’OCDE ont augmenté de façon significative : alors qu’ils s’élevaient à 14 000 personnes par an en 2000, près de 27 000 personnes ont émigré de Tunisie vers les pays de l’OCDE en 2013. Au cours des dernières années, ces flux se sont stabilisés autour de 25 000 personnes par an. L’effet de la révolution tunisienne est visible dans les flux d’émigration vers les pays de l’OCDE, notamment en Italie, où une pic d’entrées de Tunisiens a eu lieu en 2011. Les permis de séjour délivrés pour des raisons autres que professionnelles ou familiales ont par ailleurs fortement augmenté, laissant suggérer une augmentation des flux tunisiens pour motifs humanitaires vers ce pays.
Une croissance continue de l’émigration vers la France et un déclin des flux vers l’Italie
Les flux de Tunisiens vers la France ont augmenté de 50 % depuis 2008, atteignant près de 12 000 en 2017. Dans le même temps – à l’exception des flux exceptionnels des années 2010‑11 – les flux vers l’Italie ont diminué de 40 %. Alors que ceux-ci représentaient près de 40 % des flux de Tunisiens vers les pays européens de l’OCDE en 2008‑09, cette part était inférieure à 20 % en 2016‑17. En revanche, au cours de cette même période, la part des flux vers la France est passé d’un peu moins de 50 % à près de 60 %. L’attractivité persistante de la France pour les émigrés tunisiens peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment le partage de la langue française, l’importance de la diaspora tunisienne déjà présente en France, ainsi que les perspectives d’emploi qualifié plus favorables que dans les autres destinations proches, comme l’Italie et l’Espagne.
Les flux comprennent un nombre considérable de migrants familiaux
Dans les pays européens, en 2014‑16, les migrants tunisiens ayant obtenu un premier titre de séjour pour un motif familial représentaient environ trois quarts des flux annuels (hors étudiants). Les titres obtenus pour l’exercice d’une activité professionnelle ne représentaient qu’environ 15 % du total. Au cours des dix dernières années, cette catégorie a toutefois augmenté de façon significative dans les titres délivrés par la France et par l’Allemagne, tandis qu’elle a diminué en Italie.
Par rapport aux flux en provenance des autres pays d’Afrique du Nord et à destination des pays européens de l’OCDE, la Tunisie a un profil proche de celui du Maroc. Les ressortissants algériens ont en revanche plus souvent des titres pour motif familial et moins fréquemment des titres pour motif professionnel. A l’inverse, plus d’un tiers des flux en provenance d’Égypte sont liés à une activité professionnelle et moins de la moitié à des motifs familiaux.
Une diaspora peu féminisée et en cours de vieillissement
Depuis le début des années 2000, la proportion de femmes au sein de la diaspora tunisienne dans les pays de l’OCDE a légèrement diminué pour atteindre 43 % en 2015/16. Cette proportion est nettement plus faible que celle observée parmi les autres grandes diasporas installées dans les pays de l’OCDE, la part des femmes parmi l’ensemble des immigrés étant de 52 %. Parmi les principaux pays de destination, les femmes sont particulièrement peu représentées en Italie (37 %) et en Allemagne (33 %).
Parmi les émigrés tunisiens d’âge adulte, trois quarts sont d’âge actif (15 à 64 ans), dont près de la moitié dans la tranche d’âge 25‑44 ans. Malgré la prédominance des plus jeunes, la diaspora tunisienne dans les pays de l’OCDE est en cours de vieillissement : la part des personnes d’âge actif a baissé de façon significative entre 2000/01 et 2015/16, tandis que celle des émigrés tunisiens âgés de 65 ans et plus a augmenté, passant de 19 % à plus de 24 %.
Ces évolutions démographiques peuvent contribuer à modifier les interactions de la diaspora avec la Tunisie, notamment le nombre et le profil des migrants de retour, ainsi que les tendances et la finalité des transferts financiers effectués par les émigrés. De plus, le vieillissement de la population émigrée appelle à porter une attention particulière aux modalités de portabilité des droits à la retraite acquis à l’étranger.
Près de la moitié des émigrés tunisiens ont un faible niveau d’éducation
Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, près de la moitié (47 %) des émigrés tunisiens ont un niveau d’éducation inférieur ou égal au premier cycle de l’enseignement secondaire. Cette proportion est similaire à celle observée parmi les émigrés venant des autres pays d’Afrique du Nord.
La distribution de l’éducation parmi les émigrés tunisiens varie entre les différents pays de résidence, suivant les vagues d’émigration concernées. En Italie, par exemple, plus de 70 % des émigrés tunisiens sont peu éduqués, ce qui reflète à la fois la demande de main d’œuvre peu qualifiée en Italie et la proximité géographique entre les deux pays. Dans certains pays européens, où la diaspora tunisienne est implantée depuis de nombreuses années et où les migrations familiales ont succédé à une immigration de travail relativement peu qualifiée, la proportion d’émigrés tunisiens peu éduqués est également assez élevée : c’est notamment le cas en Belgique (56 %) et en France (45 %). A l’inverse, les émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation faible sont peu nombreux au Canada (7 %) et aux États-Unis (15 %).
Un cinquième des émigrés tunisiens diplômés du supérieur résident au Canada ou aux États-Unis
Dans les pays de l’OCDE, un quart des émigrés tunisiens sont diplômés de l’enseignement supérieur. Cette population ne réside pas uniformément dans tous les pays, elle est notamment surreprésentée en Amérique du Nord. Au Canada, plus de huit émigrés tunisiens sur dix sont diplômés du supérieur et ils plus de six sur dix aux États-Unis. Ces deux pays concentrent ainsi près de 20 % des émigrés tunisiens diplômés du supérieur résidant dans les pays de l’OCDE, alors qu’ils accueillent moins de 6 % du total des émigrés tunisiens. Destinations plus récentes pour les émigrés tunisiens, les États-Unis et le Canada offrent des salaires plus élevés que la plupart des pays européens dans les professions qualifiées, mais les émigrés n’y bénéficient pas des mêmes effets de réseau facilitant leur installation. Seuls les émigrés les plus éduqués sont donc à même de remplir les conditions d’entrée souvent exigeantes et de tirer parti des opportunités qu’ils peuvent y trouver.
Une tendance à la hausse du niveau d’éducation…
Entre 2000/01 et 2015/16, la proportion des émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE ayant un diplôme de l’enseignement supérieur est passée de 16 % à 24 %, tandis que la part de ceux ayant un niveau d’éducation faible est passée de 56 % à 47 %. Cette hausse du niveau d’éducation des émigrés tunisiens reflète non seulement la hausse du niveau d’éducation de la population tunisienne, mais aussi la plus grande mobilité de cette population, notamment en raison des perspectives restreintes sur le marché du travail en Tunisie. Ces évolutions sont toutefois différenciées selon les pays de destination, reflétant les dynamiques spécifiques des marchés du travail nationaux : alors que la part des diplômés du supérieur parmi les émigrés tunisiens a augmenté de 18 points de pourcentage au Canada et de 17 points pourcentage en Israël, elle n’a progressé que de sept points de pourcentage en France et de deux points en Italie.
…particulièrement parmi les émigrées tunisiennes
Le nombre de femmes émigrées tunisiennes diplômées du supérieur a plus que doublé entre 2000/01 et 2015/16, alors que le nombre de leurs homologues masculins a augmenté de 80 %. Cette tendance est encore plus marquée parmi les émigrées arrivées récemment. La forte mobilité des femmes tunisiennes diplômées du supérieur témoigne de leur autonomisation. Cette tendance reflète aussi l’évolution relative des effectifs d’hommes et de femmes hautement éduqués en Tunisie. Néanmoins, même si la part des hommes parmi les émigrés tunisiens ayant un niveau d’éducation élevé diminue, ils restent majoritaires puisqu’ils représentent encore 57 % de cette catégorie.
Le niveau d’éducation des descendants d’émigrés tunisiens est supérieur à celui de l’ensemble des enfants de natifs
Les personnes nées en Europe dont au moins un parent est né en Tunisie sont largement plus diplômées que les émigrés tunisiens eux-mêmes et également plus diplômées que les personnes n’ayant pas de parent immigré. En Europe, un tiers des descendants d’émigrés sont diplômés du supérieur, alors qu’un quart de l’ensemble des personnes nées dans le pays ont ce niveau d’éducation. En France, les descendants d’émigrés tunisiens âgés de 25 à 44 ans sont surreprésentés aux extrémités de la distribution de l’éducation : 45 % d’entre eux sont diplômés du supérieur tandis que cette part est de 41 % pour les descendants de natifs du même groupe d’âge. Les descendants d’émigrés tunisiens sont aussi 13 % à n’avoir aucun diplôme, soit cinq points de plus que les descendants de natifs. Le potentiel en termes de ressources humaines et économiques que représente cette diaspora « étendue » est donc particulièrement important pour la Tunisie, qui devrait mettre en place des politiques spécifiques visant ce groupe cible.
Un taux d’emploi des émigrés tunisiens relativement bas, en particulier dans leurs deux principaux pays de destination
Les émigrés tunisiens ont une insertion insatisfaisante dans l’emploi dans les pays de l’OCDE : alors que le taux d’emploi moyen des natifs de ces pays était de 66 % en 2015/16, celui des émigrés tunisiens s’élevait seulement à 53 %. Les émigrés tunisiens souffrent également de la comparaison avec les immigrés dans leur ensemble qui avaient un taux d’emploi de 69 % dans les pays de l’OCDE en 2015/16. Les disparités entre pays de destination sont toutefois importantes. En 2015/16, à peine plus de la moitié des émigrés tunisiens d’âge actif en France et en Italie avaient un emploi, alors que cette proportion était proche de 70 % au Canada et aux États-Unis. Ces disparités en termes d’intégration sur le marché du travail renvoient aux différences de composition des flux d’émigration tunisienne vers les différents pays, la France et l’Italie ayant accueilli un grand nombre de travailleurs tunisiens faiblement qualifiés tandis que l’émigration tunisienne qualifiée plus récente est notamment en hausse vers le Canada.
Les émigrés tunisiens peu qualifiés sont moins bien insérés sur le marché du travail
En 2015/16, seulement 44 % des émigrés tunisiens d’âge actif ayant niveau d’éducation faible étaient en emploi dans les pays de l’OCDE, alors que le taux d’emploi des émigrés tunisiens diplômés du supérieur était de 66 %. Les émigrés tunisiens peu éduqués ont également un taux d’emploi inférieur à celui des natifs ayant un niveau d’éducation identique. Le taux d’emploi des émigrés tunisiens peu éduqués est particulièrement faible dans certains pays, comme la Belgique (34 %) ou la France (40 %), alors qu’il est nettement plus élevé aux États-Unis (66 %). Parmi les émigrés tunisiens diplômés du supérieur, les différences de taux d’emploi selon le pays de résidence sont bien moindres. Ces différences entre pays en termes d’intégration professionnelle des personnes peu éduquées tiennent notamment à la part plus importante de l’immigration familiale dans les pays européens et aux différences de fonctionnement du marché du travail. Certains émigrés peuvent également souffrir de désavantages spécifiques liés à la discrimination ou à un manque d’accessibilité à certains emplois.
Les femmes sont peu insérées dans l’emploi mais l’écart avec les hommes s’atténue avec le temps
En 2015/16, parmi les émigrés tunisiens, le taux d’emploi des femmes s’élevait à 39 % dans les pays de l’OCDE, alors que celui des hommes atteignait 62 %. Bien que les femmes émigrées tunisiennes soient nettement moins bien insérées sur le marché du travail, leur participation est en hausse et les différences hommes-femmes sur le marché du travail s’atténuent. Entre 2000/01 et 2015/16, parmi les émigrés tunisiens, le ratio entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes est passé de 1.8 à 1.6. Le taux de chômage des femmes est élevé dans les principaux pays de destination, à l’exception d’Israël, du Canada et des États-Unis, où les hommes sont plus souvent au chômage.
Les descendants d’émigrés tunisiens sont plutôt bien insérés sur le marché du travail
Sur le marché du travail européen, les descendants d’émigrés tunisiens sont presque aussi souvent en emploi que les autres natifs : 60 % d’entre eux sont en emploi contre 63 % pour les natifs. Des différences marquées existent en fonction du niveau d’éducation. Le taux d’emploi des descendants d’émigrés tunisiens diplômés du supérieur s’élève à 80 %, contre près de moitié moins pour les individus ayant un niveau d’éducation faible. Dans l’ensemble, avec un taux d’emploi supérieur, les enfants d’émigrés tunisiens restent mieux intégrés sur le marché du travail que l’ensemble des enfants d’émigrés originaires d’Afrique du Nord.
Les émigrés tunisiens occupent majoritairement des emplois peu qualifiés…
Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, environ un tiers des émigrés tunisiens occupent un emploi élémentaire, c’est-à-dire un métier faisant appel à des compétences équivalentes à celles apprises dans l’enseignement primaire. Les hommes sont plus représentés dans ces emplois : 36 % d’entre eux occupent un emploi élémentaire contre 29 % pour les femmes. Les hommes occupent plus souvent des emplois peu qualifiés dans l’industrie tandis que les femmes occupent plus souvent des emplois peu qualifiés dans les services à la personne, où 28 % d’entre elles sont employées. La distribution des professions des émigrés tunisiens est également contrastée selon les pays : en Europe du Sud, les émigrés tunisiens travaillent ainsi plus fréquemment dans des professions peu qualifiées que dans les autres pays de l’OCDE.
…mais des milliers occupent des emplois qualifiés et spécialisés
En dépit de leur surreprésentation dans les emplois peu qualifiés, les émigrés tunisiens sont toutefois nombreux dans certains pays de l’OCDE à exercer des professions où le niveau de qualification requis est élevé. Au Canada par exemple, six émigrés tunisiens sur dix occupant un emploi exercent une profession qualifiée. En France, où cette part est de 40 %, cela représente plus de 57 000 personnes. Les émigrés tunisiens dans les pays de l’OCDE sont plus représentés que l’ensemble des émigrés dans certaines professions, comme par exemple celles du corps médical ou de l’enseignement. Dans ces professions, les tunisiens sont nombreux à exercer à l’étranger : en 2010, 20 % des médecins tunisiens et 4% des infirmiers exerçaient dans un pays de l’OCDE, ce qui représente 3 200 médecins et 1 600 infirmiers. Le potentiel constitué par ces compétences à l’étranger peut représenter une ressource pour le développement de la Tunisie grâce à des instruments permettant de favoriser la mobilité de ces professionnels ou d’autres opportunités d’échanges de savoirs.
Les émigrés tunisiens ont un risque de déclassement professionnel comparable à celui des natifs dans les pays de l’OCDE
Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, le taux de déclassement des émigrés tunisiens s’élève à 29 % contre 28 % pour l’ensemble des personnes nées dans le pays. De plus, le déclassement professionnel des émigrés tunisiens est inférieur de six points de pourcentage à celui de l’ensemble des émigrés, ce qui peut s’expliquer par la part significative des émigrés tunisiens diplômés de l’enseignement supérieur ayant fait une partie de leurs études dans leur pays de destination. Parmi les principaux pays d’émigration des Tunisiens, les pays d’Europe du Nord sont ceux où leur risque de déclassement est le plus fort. Ce sont aussi les pays où les écarts entre les émigrés tunisiens et les natifs sont les plus élevés : 54 % des émigrés tunisiens diplômés du supérieur occupent des emplois peu qualifiés, tandis que le taux de déclassement est seulement de 13 % pour les natifs. Dans ces pays, la barrière de la langue, particulièrement marquée, rend plus difficile la valorisation des diplômes. Les descendants d’émigrés tunisiens sont aussi touchés par le déclassement : dans les pays européens, un quart d’entre eux sont déclassés.
Les migrants de retour reviennent généralement pour des raisons familiales ou économiques, sont en âge de travailler, et se concentrent dans la capitale
Les Tunisiens installés à l’étranger expriment parfois le souhait de revenir temporairement ou définitivement dans leur pays d’origine. Au-delà des circonstances personnelles qui peuvent conduire ou non à la concrétisation de ce projet, les types de permis de séjour qu’ils détiennent peuvent dans certains cas constituer un obstacle à cette mobilité des émigrés. Au total, on peut estimer que l’effectif total des Tunisiens de retour âgés de 15 ans et plus résidant en Tunisie en 2014 était de l’ordre de 60 000, dont 20 000 revenus après 2009. Deux tiers d’entre eux résidaient auparavant dans un pays de l’OCDE. Ces migrants de retour sont plus éduqués et plus fréquemment d’âge actif que la population générale de la Tunisie, et ils s’installent plus souvent dans la région de la capitale. Bien que le retour soit souvent motivé par des raisons familiales, l’emploi est également un motif clé du retour, et l’absence d’opportunités d’emploi en Tunisie peut constituer un obstacle majeur à la réinstallation dans le pays.
La diaspora tunisienne peut apporter de précieuses contributions économiques et sociales au développement du pays, mais cela nécessite des conditions favorables
À leur retour, les émigrés tunisiens contribuent à l’économie de la Tunisie au travers de leur insertion sur le marché du travail. Ils occupent souvent des emplois complémentaires de ceux occupés par les non migrants. Les migrants de retour hautement qualifiés jouent à ce titre un rôle clé et il est indispensable de valoriser au mieux leurs compétences en minimisant le risque d’un déclassement professionnel. Les migrants de retour, mais aussi les émigrés tunisiens résidant encore à l’étranger, contribuent également au développement économique de la Tunisie au travers de la création d’entreprises ou d’investissements, qui sont des moteurs clés de la création de nouveaux emplois. La réalisation de ces opportunités repose non seulement sur une bonne mobilisation des compétences et des ressources financières des émigrés, mais également sur l’amélioration de l’attractivité de la Tunisie en termes économiques et institutionnels.
Comme le montre le niveau toujours élevé des transferts de fonds et la mobilisation civique des Tunisiens de l’étranger lors des récentes échéances électorales, l’implication de la diaspora dans la construction et le progrès de la société tunisienne est forte. Le renforcement des liens de la Tunisie avec sa diaspora pour une meilleure mobilisation des énergies et des compétences passe par une prise en compte plus précise de ses atouts et de ses difficultés lors du retour, mais aussi par une consolidation de la confiance entre les institutions tunisiennes et les émigrés résidant à l’étranger.
Des données récentes et détaillées sont nécessaires pour mieux connaitre la diaspora tunisienne
Afin de dessiner une image complète et détaillée de la diaspora tunisienne dans les différents pays de destination, il est nécessaire de mobiliser de nombreuses sources de données statistiques. L’avantage des données utilisées dans cette étude, notamment celles portant sur les effectifs des émigrés tunisiens, est leur comparabilité entre les différents pays de destination et à travers le temps, ce qui permet des analyses détaillées sur l’évolution de la taille de la diaspora, mais aussi sur son profil en termes de genre, d’âge, de niveau d’éducation, de motif d’émigration et de durée de séjour dans le pays.
Compte tenu du dynamisme de la diaspora tunisienne et de son évolution rapide, il est nécessaire de pouvoir mettre à jour cette cartographie régulièrement. Cela est rendu partiellement possible grâce à l’accès public des données concernant les émigrés tunisiens résidant dans les pays de l’OCDE. Les données du recensement tunisien, peu exploitées à ce jour, pourraient être une excellente source complémentaire de données. En effet, elles permettraient de mieux appréhender la dynamique des départs et des retours des émigrés tunisiens.
Pour mettre en place des politiques pertinentes de mobilisation de la diaspora, les institutions tunisiennes pourraient tirer parti d’un meilleur partage des connaissances et des expériences, notamment statistiques. La répartition institutionnelle des responsabilités et des compétences sur les questions migratoires en Tunisie requiert un échange d’informations plus approfondi et régulier.
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