Ce chapitre s’intéresse aux pratiques d’évaluation du système d’éducation et leur utilisation à des fins d’information des politiques publiques et de responsabilisation des acteurs éducatifs. Si le Maroc dispose des principaux outils d’évaluation tels que les indicateurs administratifs, une évaluation nationale des apprentissages et des évaluations thématiques, des manques importants persistent. L’absence d’objectifs chiffrés sur le moyen terme et d’un cadre de référence pour l’évaluation du système, rendent difficile l’emploi des évaluations pour guider et orienter les réformes du système éducation. Le Maroc devrait également s’assurer que l’évaluation des apprentissages des élèves fait partie intégrante du dispositif d’évaluation du système éducatif et informe les réformes. Ce développement de l’évaluation requière un investissement conséquent dans les capacités d’analyse et d’évaluation au niveau central et régional.
Examens de l'OCDE du cadre d'évaluation de l'éducation : Maroc
Chapitre 5. Évaluation du système éducatif : informer les politiques d’éducation et responsabiliser les acteurs
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem-Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Introduction
L’évaluation du système éducatif joue un rôle central dans l’amélioration de la performance de l’éducation. Elle permet de tenir le public au courant de l’état du secteur et assure la mise en place de politiques éducatives informées. Elle s’est développée à travers le monde lors des dix dernières années, poussée par une volonté des pays d’améliorer la qualité des apprentissages et l’équité dans l’éducation (OCDE, 2013).
Au Maroc, l’évaluation du système éducatif a connu un développement rapide depuis le début des années 2000 et la mise en place de la première vision stratégique du secteur, la Charte nationale d’éducation et de formation (CNEF). Le Royaume dispose aujourd’hui des principaux outils d’évaluation. Le pays collecte et rapporte des indicateurs sur la performance de son système éducatif, participe aux évaluations internationales des apprentissages et dispose d’une évaluation nationale de ces derniers. Toutefois, une évaluation du système éducatif encourageant l’amélioration des apprentissages et l’équité reste limitée par : l’absence de certains éléments clés du cadre d’évaluation du système éducatif, les lacunes d’intégration dans le processus de réforme, et un manque d’implication des acteurs locaux. Pour résorber ces manques, le Maroc se doit de développer un cadre de gouvernance de l’évaluation du système éducatif et de centrer l’évaluation du système sur les priorités du système éducatif et, en particulier, sur l’amélioration des apprentissages. Pour réussir, ces mesures devraient également s’accompagner de procédures de responsabilisation des acteurs centraux et régionaux quant aux résultats du système éducatif.
Contexte et principales caractéristiques de l’évaluation du système éducatif au Maroc
Contexte général de l’évaluation du système éducatif au Maroc
L’évaluation du système éducatif s’inscrit dans un cadre plus global de développement de la bonne gouvernance
Le Maroc fournit depuis quelques années un réel effort de renforcement de la bonne gouvernance pour rendre l’administration publique plus réactive aux besoins des citoyens et développer l’efficience du service public. Dans le domaine de l’éducation, le ministère de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MENFPESRS, ci-après le « Ministère ») a mis en place à partir de 2015 un processus d’audit interne mené par l’inspection générale afin de renforcer la reddition des comptes et la responsabilisation des acteurs. Le Ministère a également été l’un des pionniers en matière de budgétisation pluriannuelle et a mis en œuvre un projet de performance budgétaire sur trois ans prenant en compte des indicateurs de suivi. Toutefois, les projets de performance budgétaire actuels ne définissent pas des objectifs pour le système éducatif, mais simplement des projections basées sur les tendances actuelles de performance (voir encadré 5.1).
Encadré 5.1. La budgétisation pluriannuelle de l’éducation nationale
Dans le cadre de la reddition des comptes et de la responsabilisation de l’administration, le ministère de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MENFPESRS, ci-après le « Ministère ») a été l’un des premiers ministères à piloter les nouvelles normes budgétaires mises en place par la Loi organique de la loi de Finances (LOLF). La LOLF, établie en 2015, a pour objectif de promouvoir une culture de la performance des programmes publics. Elle prescrit que les lois de finances doivent être organisées en plans pluriannuels qui établissent les objectifs d’efficacité, d’efficience, de parité et d’équité pour le secteur public. Alors que la LOLF n’entre en vigueur qu’en 2018, le Ministère a soumis son premier budget pluriannuel en 2015. Le budget de l’éducation nationale est organisé en « projets de performance » qui définissent les axes de travail prioritaires pour les trois prochaines années. Ces projets reprennent explicitement les leviers de la vision stratégique de la réforme 2015-2030 et définissent les objectifs et indicateurs de performance pour leurs suivis (MENFPESRS, 2016).
Toutefois, contrairement aux bonnes pratiques internationales de budgétisation de la performance qui traduisent les objectifs en cibles chiffrés, le projet de performance du Département de l’éducation nationale ne définit pas de cibles à atteindre, mais seulement des prévisions basées sur les projections actuelles. Ceci limite réellement la capacité du budget à promouvoir une culture de la performance et de la reddition des comptes dans le domaine de l’éducation (OCDE, 2005). Ainsi ces programmes ne prennent pas en compte la mise en place de cibles reflétant les ambitions de réformes du secteur. Par exemple, le projet de performance de l’éducation nationale inclut une réduction du taux global d’abandon au secondaire collégial de 12,2% enregistré en 2015 à 11,8% en 2017 (MENFPESRS, 2016). Cette faible baisse ne semble pas refléter une politique volontariste de réduction de l’abandon scolaire.
Source : MENFPESRS (2016), Projet de performance de l’éducation nationale : Année budgétaire 2016, ministère de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, http://lof.finances.gov.ma/sites/default /files/budget/files/pdp_den_plf2016_fr_0.pdf ; OCDE (2005), Government Performance: Lesson and Challenges, OECD Journal on Budgeting, Volume 5, N°1, OECD Publishing.
Les efforts de décentralisation de l’éducation n’ont pas été intégrés dans le processus plus large de « régionalisation avancée »
Le renforcement de la bonne gouvernance au Maroc s’est également manifesté à travers le processus de « régionalisation avancée », lancé en 2011 afin de développer la démocratie locale et de rapprocher le service public des besoins des citoyens. Ce processus octroie aux conseils régionaux une plus grande autonomie et un mandat populaire à travers l’élection, pour la première fois en 2015, des présidents des douze conseils régionaux au suffrage universel direct.
Principalement basée sur la déconcentration de l’administration publique et la création au niveau des régions des Académies régionales de l’éducation et de la formation (AREF), la décentralisation de l’éducation ne s’est pas ancrée dans le processus de régionalisation avancée. Ainsi, les élus régionaux ne disposent pas d’un rôle défini dans le secteur de l’éducation ce qui limite la redevabilité des acteurs éducatifs au niveau régional, provincial et de l’école envers les communautés qu’ils servent (voir chapitre 1).
La mise en place de la vision 2030 de l’éducation donne une impulsion nouvelle à l’évaluation du système éducatif
La vision stratégique de la réforme 2015-2030 (vision 2030) qui est rentrée en vigueur en 2015, représente une avancée certaine de planification stratégique. La mise en place de la vision 2030 s’est basée sur une évaluation rigoureuse de la performance du système éducatif et des acquis et manques de la vision stratégique précédente, la CNEF, établi en 2000 (voir chapitre 1). Un autre atout de la vision 2030, est son aspect holistique couvrant l’ensemble des niveaux d’éducation de la petite enfance jusqu’à l’enseignement tertiaire et ancrant l’éducation dans le cadre du développement socio-économique du pays.
Toutefois, il semble difficile de dégager de la vision 2030 les axes principaux d’un plan d’action pour le secteur de l’éducation sur le moyen terme. La vision 2030 se distingue des visions stratégiques des pays de l’OCDE et des pays arabes voisins par l’absence notable d’objectifs chiffrés et de définition de priorités pour le secteur. Par ailleurs, des difficultés d’appropriation de la vision par le Ministère demeurent tangibles. Deux ans après le lancement de la vision 2030 par le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation professionnelle et de la recherche scientifique (CSEFRS), la Loi-cadre de l’éducation qui serait le plan d’application de la vision, n’a toujours pas été promulguée. L’équipe de l’OCDE a également remarqué une référence limitée à la vision 2030 dans les discussions sur les réformes en cours avec les principales directions du Ministère.
Responsabilités pour l’évaluation du système éducatif
Le Ministère est responsable de plusieurs aspects de l’évaluation du système éducatif
Au sein du Ministère, le département de l’éducation nationale est en charge de mettre en place et coordonner les réformes du secteur. Le secrétariat ne dispose cependant pas d’une unité centrale en charge de l’évaluation et suivi du système éducatif dans son ensemble. Différentes composantes de l’évaluation du système éducatif sont sous la responsabilité de différentes directions, ce qui crée des difficultés à faire ressortir une information complète sur la performance du système éducatif afin d’informer les politiques éducatives et le public (voir graphique 5.1).
La collecte de données et la planification
La Direction de la stratégie, des statistiques et de la planification (DSSP) est en charge de la collecte et du traitement des données statistiques, et de la prévision sur les principaux indicateurs liés au coût, évolution de la population estudiantine, le personnel éducatif et l’infrastructure. La DSSP a aussi, dans le passé, hébergé l’organe ad hoc créé pour la coordination du programme de réforme entre 2008 et 2012, appelé programme d’urgence. La DSSP possède une équipe de huit statisticiens et planificateurs formés par le centre d’orientation et de planification de l’éducation. La DSSP collabore avec les 230 planificateurs affectés aux directions provinciales des AREF pour la collecte des données des écoles.
Le système d’information de l’éducation
La Direction des systèmes d’information (DSI) est en charge du développement du système d’information de l’éducation en fonction des besoins exprimés par les directions du Ministère et les AREF. La collecte de données a connu un progrès conséquent avec la mise en place d’une base de données unique, MASSAR, en 2013 et l’intégration dans celle-ci des autres bases du ministère (voir encadré 5.2).
La plateforme ESISE est la principale base de données statistique de l’éducation au Maroc. Elle permet la collecte des données administratives des écoles telles que le nombre d’élève et de personnel éducatif par les planificateurs provinciaux et leurs consolidations et traitement par la DSSP. ESISE est utilisée dans la mise en place des recueils statistiques nationaux et le transfert de données aux organisations internationales telles que l’UNESCO.
Les plateformes SAGE+ et GEXA+ permettent la collecte des données des examens certificatifs provinciaux, régionaux et nationaux et la communication des résultats aux candidats.
Encadré 5.2. La base de données de l’éducation, MASSAR
Une avancée notable du Maroc dans la mise en place d’un système d’information de l’éducation moderne
Avec MASSAR, le Maroc a introduit pour la première fois un identifiant élève unique qui permet de suivre l’individu le long de sa scolarité. Le but premier de MASSAR est de permettre la gestion des établissements scolaires, en particulier la gestion du temps scolaire, la mise en place des classes et le suivi par les enseignants de la performance des élèves. MASSAR permet également le suivi des indicateurs du système éducatif dans le temps.
MASSAR comprend des informations concernant :
l’élève : l’âge, le genre, la fonction des parents, l’adresse du domicile familial, l’appui social que perçoit l’élève tel que le programme Tayssir et son parcours scolaire précédent dont les classes redoublées ; ainsi que les notes obtenues aux évaluations en classe (appelées contrôles continus au Maroc) et les notes aux évaluations certificatives.
l’enseignant : les classes enseignées et son parcours précédent ;
et l’établissement scolaire : les infrastructures, les ressources matérielles, le nombre d’élèves, d’enseignants et de personnel administratif.
Alors que son utilisation par les écoles n’est pas obligatoire, MASSAR semble rentrer progressivement dans les mœurs avec en 2016 plus de 116000 enseignants rentrants les informations sur leurs élèves. Le Ministère planifie d’étendre MASSAR en y incluant les informations sur les évaluations des enseignants à travers l’intégration d’un module pour les inspecteurs pédagogiques, appelé Taftich.
L’utilisation à des fins d’évaluations et de suivi du système éducatif demeure limitée.
MASSAR est, en théorie, accessible par les enseignants et les établissements pour la gestion scolaire et informer les apprentissages. Cette base de données est aussi accessible par les AREF qui peuvent extraire les indicateurs statistiques relatifs à leurs régions et suivre la performance des écoles et par le Ministère qui peut suivre et comparer la performance du système éducatif dans son ensemble. Toutefois, les écoles et les AREF perçoivent encore leurs rôles en tant que fournisseur d’information et non en tant qu’utilisateur.
Source : MENFPESRS (à paraître), Examen du cadre national de l’évaluation dans le système éducatif marocain : rapport national de base, ministère de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle.
L’organisation des évaluations internationales des apprentissages
Le Centre national de l’évaluation, des examens et de l’orientation (CNEEO) est un centre rattaché au ministère, en charge de l’organisation des évaluations des apprentissages tels que les examens certificatifs et les évaluations internationales auxquelles le Maroc participe (voir tableau 5.3). Toutefois, le CNEEO n’a plus à sa charge, depuis 2016, l’organisation de l’évaluation nationale des apprentissages, le Programme national d’évaluation des acquis des élèves (PNEA) qui revient, maintenant, à l’Instance nationale de l’Évaluation (INESEFRS).
L’audit des écoles et des départements ministériels
L’audit des départements du Ministère, des AREF, des directions provinciales et des établissements scolaires publics est réalisé par deux corps d’inspection, l’inspection générale des affaires pédagogiques et l’inspection générale des affaires administratives. Ces deux corps d’inspection rendent compte directement au ministre de l’Éducation. Si en théorie, l’inspection générale est responsable de l’audit de la qualité pédagogique de l’enseignement, ce rôle se limite en réalité à s’assurer de l’application du cadre réglementaire et des directives ministérielles (voir chapitre 4).
Le CSEFRS est responsable de la mise en place des directions stratégiques du secteur et de l’évaluation des politiques publiques.
Le CSEFRS, créé en 2008, est une instance indépendante du Ministère, qui rend compte directement au Roi. La création du CSEFRS suit une mouvance internationale qui vise à la création d’instances indépendantes du gouvernement, afin de donner une impulsion stratégique nouvelle au secteur éducatif et créer une coalition nationale plus large autour des objectifs du secteur. Cette mouvance s’est particulièrement développée dans les monarchies arabes telles que la Jordanie, l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis où une nomination royale accorde une légitimité à l’instance indépendamment du gouvernement. Au Maroc, le président du conseil est nommé par le Roi pour un mandat de 5 ans. L’assemblée générale du CSEFRS est composée d’experts du secteur de l’éducation nommés par décret royal, de représentants des différents ministères jouant un rôle dans l’éducation (MENFPESRS et ministère des Affaires religieuses, dit Habous) ainsi que des représentants des élus parlementaires et des institutions jouant un rôle en éducation.
Le CSEFRS joue le double rôle d’évaluateur et de décideur stratégique. Le CSEFRS évalue des politiques éducatives, en émettant des avis par saisi ou autosaisi sur les politiques d’éducations du pays. Par exemple, en novembre 2016, le CSEFRS a publié son avis sur le projet de Loi-cadre de l’éducation après une saisie par le gouvernement. Les avis du CSEFRS sont publics et disponibles sur son site web. Le CSEFRS joue également un rôle central dans la mise en place des directions stratégiques du secteur. Ainsi c’est au CSEFRS qu’est revenue la tâche de définir la vision 2030 de l’éducation.
L’INESEFRS est responsable de l’évaluation externe du système éducatif
L’INESEFRS, rattachée au CSEFRS, est en charge de l’évaluation externe du système éducatif. Le programme de travail annuel de l’INESEFRS est défini par l’assemblée générale du CSEFRS. L’INESEFRS publie des évaluations thématiques et des évaluations sectorielles. L’INESEFRS est également en charge de l’organisation et l’analyse du PNEA. L’INESEFRS produit ses propres indicateurs statistiques à partir des données collectées par la DSSP et produit un recueil statistique en ligne. L’Instance a connu une période d’inactivité entre 2011 et 2014 du fait d’un vide de leadership.
Les outils d’évaluation du système
Les indicateurs statistiques de l’éducation sont relativement bien développés mais quelques manques persistent
Le Maroc produit les principales données administratives nécessaires pour le suivi du système éducatif tel que les principaux indicateurs requis par les collectes de données internationales (nombre d’élèves inscrits et nombre de diplômés par niveaux, âge et genre et nombre de personnel éducatif par niveaux). L’INESEFRS et la DSSP calculent leurs propres indicateurs statistiques à partir des données collectées. Chacune des deux institutions a émis son propre glossaire des indicateurs. L’INESEFRS inclut dans la liste de ses indicateurs, des indicateurs plus complexes incluant des indices tels que le coefficient de Gini de l’éducation ou l’indice du développement de l’éducation pour tous. Cependant, il existe une certaine redondance dans les indicateurs calculés par chacune des deux institutions, ce qui semble indiquer un manque de collaboration et une duplication des tâches.
Toutefois, le Maroc continue à rencontrer des difficultés dans la collecte et le traitement de certaines données. L’absence d’informations régulières sur la distribution de la dépense en éducation rend ainsi difficile le suivi de l’utilisation des ressources financières. Par ailleurs, alors que le Maroc fait face à des problèmes d’équité en éducation, peu de données statistiques sont désagrégées par niveau socio-économique rendant difficile toute étude sur la performance du système éducatif en termes d’équité. Les acteurs centraux sont conscients de ce manque et un effort est fourni pour y pallier. La DSSP a ainsi publié par deux fois les comptes nationaux de l’éducation en 2006 et 2016. L’INESEFRS s’intéresse, quant à elle, à l’étude des ressources dont disposent les écoles.
Les évaluations des apprentissages sont relativement récentes et peu exploitées pour informer les politiques publiques
Les évaluations des apprentissages sont l’une des principales sources d’information sur la performance d’un système éducatif. Elles fournissent des informations non seulement sur la performance des élèves actuels, mais également l’évolution de cette performance dans le temps. De ce fait, les évaluations des apprentissages permettent d’informer sur le bien-fondé des politiques d’éducation pour améliorer l’apprentissage des élèves (OCDE, 2013). Le Maroc participe aux principales évaluations internationales des apprentissages (voir tableau 5.3) et dispose d’une enquête nationale des apprentissages qui a été effectué en 2008 et 2016.
L’évaluation nationale des apprentissages
L’évaluation nationale des apprentissages est une pratique relativement récente au Maroc et qui a connu une certaine instabilité de gouvernance en comparaison avec des pratiques plus établies dans les pays à revenu moyen (voir tableau 5.1). Introduit en 2008, le PNEA qui a pour objectif de situer le niveau des acquis des élèves et d’informer l’action des responsables des politiques éducatives, n’est qu’à sa deuxième édition en 2016 après l’annulation de l’édition prévue en 2011. Un changement de gouvernance a été opéré entre ces deux éditions. Si l’édition 2008 a été organisée conjointement par le CNEEO et l’INESEFRS, l’édition 2016 a été organisée par l’INESEFRS qui devient seule responsable de ce programme. Il n’existe pas de texte définissant les objectifs et les cycles du PNEA.
Contrairement aux pratiques dans la plupart des pays de l’OCDE et dans plusieurs pays à revenu moyen, les niveaux d’éducation testés par le PNEA ont varié entre les éditions 2008 et 2016 (voir tableau 5.1). Alors que le PNEA 2008 se focalise sur les 3e et 6e années de primaire et les 2e et 3e années du secondaire collégial, le PNEA 2016 a pour cible la 1re année du lycée. Ainsi, aucune étude longitudinale sur l’évolution de la performance des élèves entre 2008 et 2016 n’est possible. Consciente de ce manque, l’INESEFRS a décidé en 2017 d’établir une cyclicité pour le PNEA qui aura lieu tous les 4 ans et concernera l’évaluation de la fin du cycle primaire (6ème année) et la fin du cycle secondaire collégial (9ème année). Cette stabilité des classes testées, vise à mieux mettre à profit le PNEA pour juger du bien-fondé des réformes pédagogiques.
Tableau 5.1. Les évaluations des apprentissages dans les pays à revenu moyen
Pays |
Nom de l’évaluation |
Classes testèes |
Date d’introduction |
Cyclicité |
---|---|---|---|---|
Albanie |
National Assessment of Pupils Achievements in 3rd and 5th grade |
3, 5 |
2014 |
Annuel |
Azerbaïdjan |
Monitoring Examination - National Assessment of New Curriculum's Learning Achievements |
5, 6, 7 |
2013 |
Annuel |
Azerbaïdjan |
National Assessment Project School (K11) Students' Achievements |
4, 5, 6, 7 |
2008 |
Annuel |
Botswana |
Standard Four Attainment Test |
4 |
1995 |
Annuel |
Cap Vert |
Provas Aferidas em Língua Portuguesa e Matemática (Standardized tests in Portuguese Language and Mathematics) |
2, 4, 6 |
2010 |
Tous les 3 ans ou plus |
Cambodge |
National Assessment |
3, 6, 8 |
2012 |
Tous les 3 ans ou plus |
Costa Rica |
Pruebas Nacionales Diagnósticas (National Diagnostic Tests) |
6, 9 |
2006 |
Tous les 3 ans ou plus |
Côte d'Ivoire |
Évaluation du rendement scolaires en mathématiques et en français dans l'enseignement primaire |
2, 4, 6 |
1995 |
Cycle de durée variable |
Côte d'Ivoire |
Évaluation diagnostique des compétences de français et de mathématiques en Côte d'Ivoire au CE1 |
3 |
1995 |
Cycle de durée variable |
République Dominicaine |
Evaluación Diagnóstica Básica (Diagnostic Evaluation) |
4 |
2012 |
Annuel |
République Dominicaine |
Pruebas Nacionales (National Tests) |
8, 12 |
1992 |
Annuel |
Géorgie |
National Assessment |
4, 7, 9 |
2003 |
Cycle de durée variable |
Honduras |
Evaluación de Rendimiento Académico (Evaluation of Academic Performance) |
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 |
2007 |
Annuel |
Lao PDR |
National Assessment of Student Learning Outcomes |
3 |
2012 |
Tous les 3 ans ou plus |
Maroc |
Programme national d'évaluation des Apprentissages |
Variable |
2008 |
Tous les 3 ans ou plus |
Mexique |
Evaluación Nacional del Logro Académico en Centros Escolares (Quality and Educational Achievement Tests) |
3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 |
2006 |
Annuel |
Mexique |
Exámenes de la Calidad y el Logro Educativos (Quality and Educational Achievement Tests) |
3 |
2005 |
Tous les 3 ans ou plus |
Myanmar |
Pre and Post Term Assessment of Students' Improvement of Life Skills Knowledge and Competency |
6, 7, 8 |
2011 |
Biannuel |
Népal |
National Assessment of Student Achievement |
3, 5,8 |
2011 |
Biannuel |
Nicaragua |
Evaluación del Aprendizaje de los Estudiantes en 4º 6º y 9º Grado (Assessment of Student Learning in 4th, 6th and 9th Grade) |
4, 6, 9 |
2009 |
Cycle de durée variable |
Pakistan |
National Achievement Test |
4, 8 |
2005 |
Annuel |
Paraguay |
Sistema Nacional de Evaluación del Proceso Educativo (National Assessment of Educational Process) |
3, 6, 9 |
1996 |
Cycle de durée variable |
Péru |
Evaluación Muestra (Sample Assessment) |
6 |
1996 |
Cycle de durée variable |
Péru |
Evaluación Censal de Estudiantes (Student Census Evaluation), |
2, 4 |
2007 |
Annuel |
Afrique du Sud |
Annual National Assessment |
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 |
2012 |
Annuel |
Sri Lanka |
National Assessment in Sri Lanka |
4,8 |
2005 |
Tous les 3 ans ou plus |
Viet Nam |
National Assessment of Grades 5 and 9 Achievement |
5, 9 |
2001 |
Cycle de durée variable |
Source : UNESCO-ISU (2017), La Base de données des évaluations nationales des apprentissages, Institut de statistique de l’UNESCO, http://uis.unesco.org/fr/uis-learning-outcomes .
La qualité des tests du PNEA est assurée de façon relativement rigoureuse. Le PNEA teste le curriculum prescrit tel que défini par le Livre blanc et les manuels scolaires. Un cadre de référence est établi qui définit les domaines d’apprentissages du curriculum qui seront testés, les compétences correspondantes et la répartition des items selon les domaines et niveaux de difficultés. Un prétest et une analyse psychométrique sont organisés pour valider les items retenus. Des variables contextuelles sur l’élève les enseignants et l’établissement sont également collectées afin d’appréhender l’environnement où a lieu l’apprentissage (voir tableau 5.2).
Tableau 5.2. Liste des principales variables contextuelles collectées dans le cadre du PNEA 2016
Élèves |
Enseignants et directeurs |
Établissements scolaires |
Environnement socio-éducatif |
||
---|---|---|---|---|---|
Caractéristiques sociodémographiques
Vécu familial
Antécédents scolaires
|
Caractéristiques sociodémographiques
Expérience professionnelle
|
Environnement physique
Environnement organisationnel Structure pédagogique
Contexte socioéconomique de l’école
Politiques éducatives
|
Pratiques éducatives et de gestion
Climat scolaire
Problèmes sociaux
Problèmes scolaires
|
Source : INESEFRS (2016), Programme national d’évaluation des acquis des élèves du tronc commun PNEA 2016 : rapport méthodologique, Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, Rabat, http://www.csefrs.ma/pdf/PNEA2016/Rapport%20methodologie%20Final.pdf.
Les évaluations internationales
La participation du Maroc aux évaluations internationales des apprentissages est quant à elle plus ancienne. Aujourd’hui, le Maroc participe aux trois principales évaluations internationales: les évaluations les Tendances internationales dans l’enseignement des mathématiques et sciences (Trends in International Mathematics and Sciences Study, TIMSS) depuis 2007, le Programme international de recherche en lecture scolaire (Progress in International Reading Literacy Study, PIRLS) depuis 2001 et le Programme international d’évaluation des apprentissages (Programme for International Student Assessment, PISA) pour la première fois, en 2018 (voir tableau 5.3). Alors que le PNEA est organisé par l’INESEFRS, c’est au CNEEO qu’incombe la tâche d’organiser les évaluations internationales. Une étude récente de la Banque mondiale rapporte que les pratiques d’évaluations des apprentissages internationales au Maroc sont bien établies en ce qui concerne l’organisation et le financement des tests, mais des difficultés persistent en ce qui concerne l’analyse et la communication des résultats au public (Banque mondiale, 2015).
Tableau 5.3. La participation du Maroc aux évaluations internationales des apprentissages
Nom de l’évaluation |
Années de participation |
Niveaux scolaires évalués ou groupes d’âge ciblés |
Matières évaluées |
Échantillonnage |
---|---|---|---|---|
TIMSS |
2007, 2011, 2015 |
4e année du primaire, 2e année du secondaire collégial |
Mathématiques Sciences |
Régional depuis 2015 |
PIRLS |
2001, 2006, 2011 et 2016 |
4e année du primaire |
La lecture en langue arabe |
Régional depuis 2006 |
PISA |
2018 |
Élèves de 15 ans |
Mathématiques, sciences et lecture en langue arabe |
National |
Source : MENFPESRS (à paraître), Examen du cadre national de l’évaluation dans le système éducatif marocain: Rapport national de base, ministère de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle.
Les évaluations thématiques connaissent un certain essor
Les évaluations thématiques sont des évaluations qui se focalisent sur un aspect particulier du secteur de l’éducation en se basant sur des données quantitatives et qualitatives. Elles ont pour but d’explorer un aspect du système éducatif en profondeur et de mettre l’accent sur les leviers de politiques éducatives centraux dans le système (OCDE, 2013).
Au Maroc, l’évaluation thématique en éducation a connu un essor relatif avec la création de l’INESEFRS en 2008. Les thèmes étudiés par l’INESEFRS sont arrêtés de manière annuelle par l’Assemblée générale du CSEFRS. Toutefois, en raison de l’inertie de l’instance entre 2011 et 2014, la publication d’études thématiques a connu une halte. Depuis sa reprise d’activité, l’INESEFRS a publié un rapport sur la gouvernance sur système éducatif et sur la formation professionnelle.
Les évaluations externes indépendantes sont pour la plupart réalisées par des organisations internationales ou des programmes de coopérations. Parmi les plus pertinentes pour le thème de ce rapport, nous pouvons mentionner les rapports thématiques de l’enquête Évaluation de la lecture dans l’enseignement de base (Earl Grade Reading Assessment, EGRA) en 2013 et 2015 qui ont couvert les thèmes du curriculum, la formation des enseignants et la lecture ainsi que les rapports analytiques de la Banque mondiale sur l’évaluation des élèves et l’autonomie et la responsabilité des écoles faisant partie du programme SABER (Systems Approach for Better Education Results). Les évaluations thématiques indépendantes réalisées par les centres de recherches universitaires sont quant à elles plus rares au Maroc que dans les pays de l’OCDE.
Les rapports d’audit de l’inspection générale sont peu exploités pour informer les politiques publiques
Des rapports sur l’état des écoles au Maroc sont réalisés depuis 2015 par l’Inspection générale dans le cadre de l’audit des établissements scolaires. Ces rapports informent sur l’état et la performance des établissements scolaires audités et sont destinés à l’utilisation par le Ministère (voir chapitre 4). Cependant, ils ne semblent pas être utilisés pour informer les politiques éducatives par les décideurs politiques. Ainsi, les politiques différenciées ciblant les écoles en difficultés demeurent rares au Maroc montrant le manque d’attention accordé à l’évaluation des établissements à des fins d’amélioration de leurs résultats (voir chapitre 4).
Utilisation de l’évaluation du système éducatif et accès à l’information
La publication et la dissémination active des résultats des évaluations du système éducatif permettent d’informer les décisions des acteurs du système éducatif et d’alimenter un débat public constructif sur l’état du système éducatif. La publication des résultats des évaluations est également un gage de transparence d’un système éducatif. Contrairement aux pratiques observées dans la plupart des pays de l’OCDE, la publication des résultats demeure très limitée au Maroc (voir Graphique 5.2).
L’évaluation du système éducatif a été force d’impulsion de grandes réformes mais n’informe pas le cycle régulier de politiques éducatives
Deux évaluations majeures ont été la source de grandes réformes dans le système éducatif marocain. En 2008, un rapport d’évaluation du système éducatif et le PNEA 2008 ont constitué des facteurs déterminants dans la mise en place du programme d’urgence et le choix des projets à mettre en place. L’expérience a été renouvelée en 2013 avec le rapport sur les acquis de la Charte publiée par l’INESEFRS. Le rapport, critique des modalités de mise en place de la Charte, a permis au CSEFRS de mettre davantage l’accent sur la qualité et l’équité en faisant de ces deux principes les points centraux de la vision.
Cependant, l’évaluation du système éducatif ne fait pas partie intégrante du cycle de réforme de l’éducation au Maroc. En effet, le Maroc ne publie pas de manière régulière un rapport sur l’état du système éducatif afin d’informer les décideurs publics (voir graphique 5.2). L’absence d’un système de suivi régulier et d’évaluation du système éducatif diminue la réactivité des politiques éducatives et leur adaptabilité à la réalité du terrain.
Les acteurs locaux exploitent peu les résultats des évaluations du système éducatif pour informer leurs actions
L’utilisation de l’information générée par l’évaluation du système éducatif par les AREF et les écoles dans le cadre de leurs missions est limitée. Les enseignants et les chefs d’établissement se voient comme fournisseur de données et non comme utilisateurs de l’information. Par exemple, l’équipe de l’OCDE a noté lors de la visite d’écoles une méconnaissance des recommandations des évaluations des apprentissages en termes de pratiques éducatives nocives telles que le redoublement. Par ailleurs, une seule des quatre AREF rencontrées lors de la mission a mis en place des projets basés sur une analyse comparative de la performance du sous-système éducatif par rapport à la moyenne nationale. Ce manque d’utilisation s’explique, entre autres, par un manque de capacité. En effet, les capacités d’analyse des données des évaluations des apprentissages, des évaluations des enseignants et des évaluations du système éducatif ne font pas partie des référentiels de compétences des enseignants, des directeurs d’école et des inspecteurs (voir chapitres 3 et 4).
L’accès à l’information sur la performance du système éducatif est restreint
Le Maroc ne met pas à la disposition des citoyens l’ensemble des résultats des évaluations du système éducatif. Si les principaux indicateurs statistiques sont disponibles sur les sites de l’INESEFRS et du Ministère, il n’existe pas de base de données ouverte de l’éducation qui intègre l’ensemble des résultats du système éducatif. Par exemple, les résultats des évaluations des apprentissages ne sont pas toujours communiqués au public. Jusqu’à présent, aucun rapport national n’a été rédigé reprenant les résultats de TIMSS et PIRLS.
Par ailleurs, le niveau limité d’instruction d’une part importante de la population marocaine est un frein à la recherche active de l’information. De ce fait, le Ministère doit non seulement assurer une diffusion effective de l’information, mais aussi faciliter au maximum l’accès à cette information.
Les principaux leviers de l’évaluation du système
L’évaluation du système éducatif inclut l’ensemble des approches de suivi et d’évaluation du système éducatif. Elle a trois objectifs majeurs : fournir les informations nécessaires pour tenir les citoyens informés de la performance du système éducatif, tenir les acteurs du système éducatif (décideurs politiques, autorités locales, enseignants, écoles, etc.) responsables de cette performance, et fournir les données nécessaires à une prise de décision informée et à la planification de l’action publique. Pour atteindre ces objectifs, l’évaluation doit se baser sur des fondements solides de gouvernance, de procédures, et de capacité d’évaluation et d’utilisation des résultats (voir graphique 5.3)
Face aux défis d'apprentissages faibles des élèves et de décrochage scolaire élevé, le Maroc est conscient de la nécessité de développer une culture du résultat et de la performance dans son système éducatif et de mieux informer les acteurs du secteur et le public sur l'urgence d'améliorer les résultats du secteur éducatif. À cette fin, il est important que le Maroc pallie aux principaux manques de son cadre d’évaluation du système éducatif. En particulier, la gouvernance gagnerait à être renforcée en établissant un cadre de référence et en clarifiant le rôle des deux institutions en charge de l’évaluation du système éducatif. Les procédures d’évaluations des apprentissages telles qu’établies ne sont pas à même d’aider le Maroc à rehausser les niveaux faibles d’apprentissages des élèves. Et enfin, les capacités d’utilisations des résultats des évaluations du système au niveau local doivent être renforcées pour soutenir le processus de décentralisation de l’éducation marocaine et la responsabilisation des acteurs locaux.
Levier 5.1 : Établir des fondements solides pour la gouvernance de l’évaluation du système éducatif
Le Maroc gagnerait à renforcer les fondements de la gouvernance de l’évaluation du système éducatif afin d’asseoir son rôle dans la mise en œuvre des réformes du système éducatif. Il n’existe pas à ce jour de cadre de référence définissant les objectifs du système éducatif et les instruments de suivi de ces objectifs. Les responsabilités des acteurs en charge de l’évaluation, le Ministère et l’INESEFRS, ne sont pas clairement définies. Enfin, un accès limité à l’information sur la qualité du système éducatif entrave la mobilisation du public et la responsabilisation des acteurs du système éducatif.
5.1.1 Développer un cadre de référence pour l’évaluation du système éducatif
L’évaluation du système éducatif au Maroc demeure une activité assez isolée du processus de réformes de l’éducation. En effet, les thématiques abordées, le développement d’outil d’évaluation et les processus de gouvernance ne sont que rarement guidés par les priorités du secteur éducatif. Une cause majeure de ce manque d’intégration est l’absence d’un plan d’action stratégique pour le secteur de l’éducation sur le moyen terme qui définit les objectifs du secteur et fixe un cap pour l’évaluation du système éducatif. Ce plan d’action stratégique doit s’accompagner d’un cadre de référence qui associe aux objectifs chiffrés du secteur, leurs outils de suivi. Cela implique également le développement des indicateurs manquants et la mise en place d’un contrôle rigoureux de la qualité des données collectées.
Définir les objectifs et les cibles chiffrées du système éducatif sur le moyen terme
La plupart des pays de l’OCDE et des pays émergents définissent des objectifs à atteindre par leurs systèmes éducatifs sur le moyen terme. Ces objectifs représentent l’ambition et les priorités d’un pays pour son système éducatif. Ils permettent de guider la planification et la budgétisation en assurant que ces processus répondent bien aux priorités du secteur éducatif. Ils sont, en général, présentés dans le plan sectoriel pour le moyen terme et alignés avec la vision stratégique sur le long terme du pays. Ils sont souvent accompagnés de cibles chiffrées qui en définissent la portée (Santiago et coll., 2012). Malgré un grand niveau de variation des priorités du secteur de l’éducation entre les pays, les cibles couvrent, en général, les résultats de l’éducation (performance des élèves, accès à l’éducation et complétion), l’équité, les procédures de mise en place des réformes et le personnel éducatif (OCDE, 2013).
Au Maroc, l’un des principaux manques de l’évaluation du système éducatif et de la planification stratégique dans le secteur public en général, est l’absence d’objectifs chiffrés qui serviraient de référentiel commun pour juger de la performance du système éducatif sur le moyen terme et informer son développement. L’existence d’une vision ambitieuse sur le long terme, la vision 2030, est un point positif pour le système éducatif marocain. Toutefois, comme le montre l’expérience précédente sous la CNEF, sans un plan d’action avec des objectifs intermédiaires (sur le moyen terme) et des cibles clairement définis pour guider l’action des acteurs et la mise en œuvre des réformes, le Maroc court le risque de ne pas concrétiser sa vision pour l’école nouvelle à l’horizon 2030 (voir chapitre 1).
De ce fait, il est important que la Loi-cadre, qui vise à définir le plan d’action pour atteindre la vision 2030, clarifie les objectifs du secteur sur le long terme pour guider la mise en place d’objectifs et de cibles sur le moyen terme. Par exemple, alors que la vision 2030 appelle à « une école de la qualité pour tous », la définition de cibles en termes de niveaux d’apprentissage attendus permettrait d’orienter l’action du secteur pour améliorer la qualité et l’équité dans l’éducation. La mise en place d’objectifs chiffrés est aussi essentielle pour guider le développement de standards de qualité pour les apprentissages, la profession d’enseignant et les écoles (voir chapitres 2,3 et 4).
Un plan stratégique devrait être mis en place sur le moyen terme pour guider l’action du gouvernement et décliner la Loi-cadre en objectifs intermédiaires chiffrés. Au Mexique, la Loi générale de l’éducation en 2007 a été accompagnée par la mise en place d’un plan sectoriel de l’éducation 2007-2012 qui inclue les priorités du secteur, les objectifs à atteindre et les cibles chiffrées pour les indicateurs clés à l’horizon 2012 (voir encadré 5.3). Le pacte pour le Mexique de 2012 et la Loi de réforme de l’éducation en 2015 ont également inclus des objectifs chiffrés de performance pour le secteur de l’éducation (OCDE, 2015a).
Encadré 5.3. La loi générale de l’éducation au Mexique
Au Mexique, la loi générale de l’éducation établit des objectifs clairs pour l’éducation en mettant en avant le développement personnel des élèves et la promotion des valeurs et du civisme et en y associant des objectifs socio-économiques plus généraux. La Loi articule également les principes de l’éducation au Mexique tels que la promotion de la diversité, l’équité et la qualité et leur rôle dans le développement réussi de l’apprenant et du citoyen informé. De plus, le gouvernement fédéral a défini les priorités pour les politiques de l’éducation créant ainsi un cadre pour le développement des réformes. Par exemple, l’un des six objectifs du Programme du secteur de l’éducation 2007-2012 est de « promouvoir le développement et l’utilisation de l’information et les technologies de communication dans le système éducatif afin de promouvoir l’apprentissage des élèves, développer leurs « life skills » et favoriser leurs insertions dans la société de la connaissance ». Des cibles d’éducations à atteindre à l’horizon 2012 ont été également définies et des indicateurs y ont été associés afin de permettre le suivi de la performance (par exemple dans les écoles primaires, 82% et 83% des élèves doivent développer les compétences de base en espagnol et en mathématiques respectivement dans les tests nationaux à l’horizon 2012).
Source : OCDE (2013), Synergies for Better Learning: An International Perspective on Evaluation and Assessment, OECD Publishing, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/9789264190658-en.
Un tel plan stratégique permettrait d’assurer une responsabilisation de l’ensemble des acteurs du secteur pour atteindre les objectifs communs de l’éducation. Sous le programme d’urgence, le Maroc a établi des objectifs sur le moyen terme qui ont permis de dynamiser le secteur et qui sont perçus comme ayant contribué au relatif succès de la généralisation de la scolarité au primaire. Toutefois, l’absence d’un plan stratégique avec des objectifs communs à l’ensemble du secteur a limité l’impact de ce programme sur les points plus complexes qui requièrent la collaboration de différentes unités tels que la diminution du redoublement et du décrochage scolaire. Un phénomène similaire peut être observé dans les réformes actuelles. Si le Maroc désire faire face à ce problème structurel, il doit mettre en place un plan stratégique sur le moyen terme qui sert de référence à l’ensemble des unités du Ministère et permet une meilleure coopération autour de l’atteinte des objectifs.
Ce plan stratégique gagnerait à être aligné sur les cycles de la loi de finances, un plan de trois ans pour couvrir un cycle budgétaire ou six ans pour en couvrir deux (voir encadré 5.1). La mise en place d’un plan stratégique sur le moyen terme permet, en effet, d’assurer une meilleure efficience dans la distribution des ressources financières et de renforcer le potentiel de la loi de finances en tant qu’outil de reddition des comptes et de responsabilisation de l’administration (OCDE, 2017 ; OCDE, 2005).
Établir un système d’indicateurs de suivi du secteur de l’éducation
Il est nécessaire d’allier à la définition d’objectifs et de cibles chiffrées des indicateurs permettant de juger de la performance du système et l’atteinte ou non des cibles fixées (OCDE, 2013). À ce jour, les indicateurs produits par la DSSP ne semblent pas refléter les priorités du secteur. Ainsi, alors qu’améliorer l’équité et la qualité des apprentissages est au centre des réformes actuelles, aucun indicateur rapporté par la DSSP ne couvre ces dimensions. Le recueil d’indicateurs se focalise principalement sur les données administratives et semble plus propice à la gestion des flux d’élèves et de personnel qu’à une utilisation pour suivre la performance du système éducatif. Le Maroc gagnerait à prendre comme point de référence pour le développement d’indicateurs, les objectifs et cibles du système éducatif et diversifier les sources de données en mettant à profit différentes sources telles que le PNEA et MASSAR.
L’INESEFRS a pris l’initiative de développer une matrice d’indicateurs qui seront utilisés par ses équipes pour le suivi de la mise en place de la vision 2030. Ces indicateurs se basent sur des sources de données plus diversifiées et semblent couvrir de manière plus efficace les problématiques d’équité et de qualité dans le système éducatif. Toutefois, deux problèmes majeurs persistent. La matrice d’indicateur de l’INESEFRS n’est pas liée à ce jour à des cibles prédéfinies et ces indicateurs ne sont pas communs à l’INESEFRS et au Ministère.
Une manière de pallier à ces difficultés serait pour le Maroc de créer un cadre de référence des indicateurs de suivi du secteur de l’éducation. La mise en place d’un document-cadre qui précise la portée du système d’indicateurs, les liens entre les indicateurs et les cibles du système éducatif ainsi que les sources de données, permet en effet d’assurer la stabilité du système d’indicateurs dans le temps, une cohérence de l’action des acteurs et permet d’éviter la duplication d’indicateurs (OCDE, 2013). Au Brésil, par exemple, la Loi-cadre de l’éducation nationale de 1996 inclut dans le cadre de référence du système d’éducation primaire et secondaire les sources de données et les indicateurs de suivi du système éducatif ainsi que les responsabilités des institutions en charge de la collection et de l’analyse des données (Bruns, Evans et Lurque, 2012).
Investir dans le développement d’indicateurs et de données manquantes
La création d’un système d’indicateurs en adéquation avec les objectifs de la Loi-cadre est également l’occasion de lancer la réflexion sur les indicateurs et le manque de données pour assurer le suivi du secteur de l’éducation. Si le Maroc dispose des indicateurs principaux de suivi tels que le taux de scolarisation, d’achèvement ou de redoublement, des données continuent à manquer dans certains domaines centraux de la vision 2030. C’est particulièrement le cas pour les indicateurs sur les apprentissages des élèves (voir levier 5.2). D’autres lacunes importantes concernent les indicateurs permettant le suivi de l’équité du secteur éducatif et l’utilisation des ressources. L’absence de ces indicateurs est problématique au vu des difficultés rencontrées par le Maroc en termes de disparité et de manque de transparence dans l’utilisation des ressources.
Ainsi, alors que le premier levier de la vision 2030 met l’accent sur l’égalité d’accès, les indicateurs statistiques ne sont pas désagrégés par niveaux socio-économiques. Le milieu rural/urbain est souvent utilisé comme proxy pour le milieu socio-économique ce qui ne permet pas d’appréhender les disparités des résultats en termes de scolarisation et d’apprentissages au sein d’une localité donnée. Ceci est d’autant plus inquiétant dans les grandes zones urbaines ou périurbaines où les disparités de revenu sont importantes. Ce manque de données par milieu socio-économique a des conséquences sur la mise en place des programmes d’appui social. Par exemple, le ciblage du programme de bourse « Tayssir » offert aux élèves les plus démunis et visant à réduire le décrochage scolaire n’est pas assez précis pour déterminer les individus les plus nécessiteux. Le ciblage se fait par commune et utilise comme critère principal la ruralité.
Une manière de pallier à ces lacunes serait de mieux exploiter les données contextuelles de MASSAR. En particulier, MASSAR permettrait d’exploiter les données sur l’occupation des parents et les ressources de l’école afin de mieux appréhender les questions d’équité et d’exploitation des ressources financières. Par ailleurs, le Ministère gagnerait à intégrer les enquêtes, panel des ménages, réalisées par l’Office national de développement humain (ONDH) qui inclue, entre autres, le niveau de revenu du ménage, le niveau de formation et les langues parlées, avec l’identifiant élève unique de MASSAR. Cette stratégie d’allier les enquêtes des ménages avec les données administratives de l’éducation a permis à plusieurs pays, en particulier en Europe, de désagréger des indicateurs clés, tels que le taux d’achèvement, par niveaux socio-économiques (OCDE, 2016).
Dans le cadre des projets de performance de la LOLF, le Maroc doit faire du développement des indicateurs de suivi de l’utilisation et distribution des ressources financières une priorité. Pour faire face à la sous-utilisation des ressources financières, il est important que le Ministère mette en place un système d’indicateurs de suivi des coûts et de la déperdition des ressources. Alors que l’initiative de la DSSP de mettre en place des comptes nationaux de l’éducation est louable et a permis le développement d’un certain nombre d’indicateurs sur les coûts tel que le coût de la déperdition salariale, l’absence de données récentes ne permet pas l’exploitation de ces données à des fins de suivi régulier. Le Ministère gagnerait ainsi à collaborer avec le ministère des Finances et les AREF pour développer un protocole de collection des données financières qui soit plus actualisé et à même d’informer la planification financière.
Développer un système d’audit pour assurer la qualité des indicateurs éducatifs
Enfin, dans le cadre de la mise en place d’un système d’indicateurs de suivi de l’éducation, la DSSP devrait développer un protocole d’audit régulier de la qualité des données collectées par les écoles. En l’absence d’un système d’audit régulier, il est difficile pour le Maroc de s’assurer de la qualité de la collecte de données des établissements scolaires. Une telle procédure d’assurance-qualité permettrait d’améliorer le niveau de confiance des acteurs de l’éducation et du public dans l’évaluation du système et d’assurer la concordance entre les données collectées et les besoins du secteur en matière d’indicateurs de suivi. Le processus d’audit permettrait également de développer la capacité des écoles et des AREF à collecter l’information en identifiant les besoins en formation.
5.1.2 Clarifier et définir les rôles du Ministère et de l’INESEFRS en matière d’évaluation et de suivi du système
Les activités d’évaluation et de suivi du système éducatif peuvent être regroupées en deux catégories. Les activités de suivi de l’avancement des programmes et des réformes de l’éducation sont réalisées de manières régulières pour guider la prise de décisions. Elles sont en général réalisées par un organe interne du ministère de l’Éducation. Les activités d’évaluations de la performance du système éducatif prennent la forme d’analyse en profondeurs du système éducatif et peuvent impliquer des acteurs externes au ministère de l’Éducation (IIEP, 2010).
Au Maroc, les responsabilités de l’INESEFRS et du Ministère pour ces deux types d’évaluations du système éducatif gagneraient à être clarifiés. La fonction de suivi du système éducatif n’est pas entreprise par le Ministère qui ne dispose pas d’un organe central en charge de mener ce travail. Le manque de clarté dans la définition des responsabilités de l’INESEFRS et du Ministère dans l’évaluation de la performance du système éducatif diminue la capacité des deux institutions de développer leurs expertises et assurer la complémentarité de leurs actions.
Créer au sein du Ministère un organe de suivi du système éducatif
Il n’existe pas au Maroc un processus de suivi régulier du système éducatif intégré dans la planification et la prise de décision des politiques publiques. Le suivi du système éducatif implique, entre autres, l’exploitation des indicateurs de suivi pour établir des rapports d’avancement régulier du système, la mise en place de programmes pilotes et la réalisation d’études d’impacts (IIEP, 2010). Ce rôle est en général joué par le département en charge de la planification. Au Maroc, le travail d’analyse et de veille statistiques réalisé par la DSSP ne semble pas être employé pour guider, corriger et unifier l’action du Ministère. Des unités sont créées de manière ad hoc pour suivre l’avancement les grandes réformes telles que le programme d’urgence. Ce mode de fonctionnement ne permet pas d’assurer une continuité de l’action du Ministère. Il est ainsi important que le Ministère se dote d’un organe permanent en charge du suivi du système éducatif ou développe cette fonction au sein de la DSSP.
Le développement d’un processus de suivi du système éducation permettrait d’assurer une meilleure coordination horizontale au niveau central. Cet organe serait ainsi en charge d’évaluer l’alignement des programmes avec les objectifs du secteur et de mettre en place des rapports de suivi qui serviront de base de discussion pour la coordination de l’action des différentes directions au niveau du département de l’éducation nationale. En l’absence d’un tel processus de suivi permanent au Maroc, les différentes directions du Ministère se fixent leur propre objectif contre lequel elles jugent du succès de leurs actions ce qui présente un danger pour la cohérence du système éducatif et en limite l’ambition. Par exemple, la mesure coordonnée par la direction des curricula pour le développement des compétences de base n’est pas accompagnée par une révision des modalités d’évaluation des élèves au primaire (voir chapitre 2). Une analyse de l’impact de la réforme des curricula sur les apprentissages aurait pu faire ressortir le besoin d’aligner les modalités d’évaluation des élèves avec le nouveau curricula pour atteindre l’objectif commun d’améliorer le développement des compétences de base.
Un processus de suivi permettrait également d’introduire une meilleure coordination verticale entre les politiques décidées au niveau central et leurs mises en œuvre au niveau local. L’organe chargé du suivi du système éducatif pourrait mettre en place des études d’impact des réformes et s’assurerait ainsi de leur applicabilité sur le terrain. Ainsi, dans l’attente de la promulgation de la nouvelle Loi-cadre de l’éducation et la mise en place de l’organe ad hoc de coordination central, c’est aux AREF qu’incombent de facto de juger de l’applicabilité des programmes développés par les différentes directions centrales. Par exemple, alors que la mesure actuelle qui vise à établir des seuils de passage plus stricts introduit également des mesures pour le développement de programmes de remédiations et de suivi personnalisé des élèves, il a été rapporté à l’équipe de l’OCDE que l’application de la mesure dans les AREF s’est largement limitée à la mise en place de seuils de passage plus stricts (voir chapitre 1). En effet les acteurs de terrain, en particulier les inspecteurs et les responsables des AREF ont rapporté que les effectifs élevés des classes et le manque de formation des enseignants en suivi individualisé rendent quasiment impossible l’introduction du suivi personnalisé des élèves. Ainsi, la mise en place d’un programme pilote évalué par l’organe de suivi aurait permis de faire ressortir les difficultés d’implémentation sur le terrain et ainsi aurait permis un ajustement de la mesure pour prendre en compte les besoins des AREF.
Renforcer le rôle de l’INESEFRS en tant qu’organe d’évaluation externe de la performance du système éducatif
Si le Ministère doit être en charge du suivi régulier des réformes et des programmes, l’existence d’un organe indépendant avec une expertise technique en évaluation, tel que l’INESEFRS, peut jouer un rôle important pour assurer la crédibilité des évaluations plus globales du système éducatif auprès des décideurs politiques et informer leurs décisions. En Amérique latine, la mise en place depuis les années 1990 d’agences d’évaluations indépendantes a été un facteur central pour accélérer les réformes éducatives informées par la recherche et a permis d’assurer une plus grande attention dans le débat public au besoin d’amélioration de la performance du secteur. De manière similaire, au Maroc, les évaluations du système éducatif exercées par l’INESEFRS ont été des atouts pour propulser les réformes comme ce fut le cas avec le PNEA 2008 qui a été une force majeure dans la mise en place du programme d’urgence, ou encore le rapport sur les acquis de la Charte qui a inspiré la mise en place de la vision 2030 (voir chapitre 1).
Toutefois, le manque de clarté sur la division des tâches en évaluation entre l’INESEFRS et le Ministère nuit à la complémentarité des deux institutions. Ainsi, si la loi 105-02 créant le CSEFRS définit l’INESEFRS en tant qu’organe d’évaluation externe du système éducatif, les missions précises couvertes par cette loi demeurent ambiguës. Par exemple, la définition des rôles de l’INESEFRS et du Ministère dans l’évaluation des apprentissages des élèves, en particulier dans le cadre du PNEA, n’a été tranchée qu’en 2016. L’ambiguïté des rôles peut également générer une certaine redondance des tâches. Ainsi, l’INESEFRS et le Ministère ont tous deux développé des systèmes d’indicateurs de l’éducation. Ce problème d’ambiguïté des rôles constitue un risque récurent dans les systèmes éducatifs ayant opté pour la création d’une agence d’évaluation indépendante (Santiago et coll., 2016).
Une manière d’y pallier est de clarifier les tâches et les responsabilités en évaluation des deux institutions. Les tâches relatives à l’évaluation de la performance du système éducatif telles que l’évaluation des apprentissages, les études thématiques et le développement d’indicateurs du système éducatif peuvent ainsi revenir à l’INESEFRS. Afin de mener à bien ce rôle, l’INESEFRS doit bénéficier d’une plus grande autonomie par rapport au CSEFRS dans la définition de son programme de travail et s’établir ainsi en un centre d’expertise technique et d’analyse indépendant par rapport aux centres de décisions stratégiques que sont le CSEFRS et le Ministère. Les tâches relatives au suivi régulier du système éducatif ayant trait à la planification et la mise en place des réformes telles que la collecte et l’exploitation des données administratives, le suivi de la mise en place des réformes et des programmes, doivent être prises en charge par le Ministère.
Il est également important de définir les procédures de communication et de partage de l’information entre l’INESEFRS et le Ministère pour encourager la collaboration. En effet, lors de la visite de l’OCDE, les différents acteurs du Ministère semblaient peu informés des projets en cours au niveau de l’INESEFRS. Ce manque de communication peut être source de tension et limite l’impact des évaluations de l’INESEFRS sur les politiques éducatives. L’INESEFRS gagnerait ainsi à informer le Ministère de manière régulière au sujet des projets d’études et d’évaluation afin de permettre au Ministère d’anticiper la sortie des études et intégrer leurs recommandations dans ses plans d’action.
5.1.3 Informer les politiques et assurer la transparence du système éducatif
Sans une stratégie claire pour promouvoir la diffusion et utilisation des résultats des évaluations du système éducatif, le cadre d’évaluation du système éducatif marocain ne pourra remplir sa double fonction d’information et de responsabilisation. Ainsi, si le Maroc a fourni des efforts importants ces dernières années pour renforcer l’accès à l’information et la bonne gouvernance dans le service public, des efforts restent à fournir par le secteur de l’éducation en termes de transparence et de prises de décisions informées (voir graphique 5.2). À ce jour, le Ministère n’a pas une obligation de rendre compte aux citoyens sur la performance du système éducatif et les données, en particulier les données sur le niveau d’apprentissage des élèves, ne sont pas mises à la disposition du public.
Publier un rapport annuel sur l’état du système éducatif
Sur le court terme, le Ministère gagnerait à publier de manière régulière un rapport sur l’état du système éducatif afin d’alimenter le débat public sur l’éducation au Maroc et d’informer la prise de décision politique. Un tel rapport contribuerait à la mise en place progressive d’une culture de la prise de décision informée en fournissant aux acteurs du système éducatif les informations nécessaires pour guider et corriger l’action publique et servir de base de discussion avec les décideurs politiques. Il permettrait également d’informer le public sur la performance de l’éducation et de ce fait créerait une pression externe sur les acteurs du secteur (OCDE, 2013).
Au Maroc, si la DSSP a publié pendant la période du programme d'urgence (2008-2012) des rapports annuels sur l’état du système éducatif, cette pratique a été abandonnée lorsque le PU est arrivé à son terme. Aujourd’hui la DSSP publie des recueils statistiques, mais ne publie pas de rapports analytiques du système éducatif. La raison avancée par la DSSP est l’absence d’un mandat clair pour la publication du rapport post-programme d’urgence.
La reprise de la publication régulière, annuelle ou biannuelle, d’un rapport sur le système éducatif marocain, permettrait d’assurer un suivi régulier de l’état d’avancement des objectifs de la vision 2030 et une meilleure continuité temporelle des politiques publiques du secteur. Un rapport de qualité inclurait des sources de données diverses telles que les indicateurs administratifs, les évaluations d’apprentissages et les enquêtes qualitatives, et présente l’évolution de la performance du système éducatif dans le temps (voir encadré 5.4). Pour assurer que le rapport soit utilisé de manière effective pour informer les politiques publiques, les conclusions du rapport doivent être présentées et débattues au niveau décisionnel. Dans la plupart des pays de l’OCDE, le rapport sur l’état du système éducatif est présenté et discuté au parlement (OCDE, 2013). La coordination de publication du rapport peut être accordée à l’organe en charge du suivi du système éducatif. Ce rapport annuel devrait servir de base de discussion pour la mise en place des priorités de l’année par le Ministère.
Encadré 5.4. Exemples de rapports analytiques du système éducatif dans les pays de l’OCDE
En Norvège, le rapport analytique annuel sur l’état de l’éducation, appelé « Education Mirror » est l’un des outils majeurs de publication des résultats du système national de suivi de la performance de l’éducation par la Direction de l’éducation et de la formation. Le rapport est organisé en quatre parties : les résultats d’apprentissage, l’environnement de l’apprentissage, les taux d’achèvement dans le secondaire qualifiant, les ressources, et enfin une partie information sur les écoles. « Education Mirror » inclut également un chapitre d’introduction qui met en avant les écoles ayant participé à des projets nationaux et un chapitre de conclusion qui présente des informations sur les initiatives nationales et les résultats de recherches pour promouvoir un meilleur suivi de la qualité de l’éducation au niveau local. Les indicateurs présentés sont pour la plupart récurrents d’une édition à l’autre et incluent les résultats aux examens certificatifs en 10e et 12e années d’éducation, les résultats de l’évaluation des apprentissages et l’enquête nationale des élèves et les résultats des évaluations internationales des apprentissages.
En République tchèque, le ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports produit un rapport annuel d’évaluation du système éducatif appelé le « Rapport d’étape sur le développement du système éducatif en République tchèque ». Le rapport présente les principaux changements organisationnels et législatifs pour l’année en cours et décrit l’état et les principaux développements dans l’éducation du préprimaire au tertiaire. Il se base sur des indicateurs créés pour le suivi de l’avancement vers les objectifs de long-terme de l’éducation en République tchèque. Ces indicateurs comprennent à la fois un certain nombre d’indicateurs de base qui sont stables d’une édition à l’autre et des indicateurs complémentaires provenant d’enquête ad hoc dans les domaines prioritaires du système. Le rapport contient également des informations sur le personnel du système éducatif, le financement des écoles et sur l’insertion des diplômés dans le marché du travail. Les régions en République tchèque produisent également leurs propres rapports sur l’état du système éducatif basés sur leurs propres objectifs sur le long terme.
Au Portugal, le Conseil national de l’éducation (CNE) qui comprend des acteurs variés du système éducatifs, conseille le gouvernement sur les principaux défis de l’éducation nationale. Le CNE publie un rapport annuel appelé l’État de l’Éducation qui contient une analyse des principales données du système éducatif. La première édition de L’état de l’éducation en 2010, s’est focalisée essentiellement sur le parcours des élèves dans le système éducatif alors que la seconde édition en 2011 a exploré en profondeur le niveau de qualification de la population. Le rapport présente également des recommandations sur comment améliorer la qualité de l’éducation de base et secondaire.
Source : OCDE (2013), Synergies for Better Learning: An International Perspective on Evaluation and Assessment, OECD Publishing, Paris. http://dx.doi.org/10.178/9789264190658-en.
Créer une obligation d’évaluation des programmes d’éducation
L’exploitation systématique par les acteurs du secteur des données des évaluations demeurent limitée au Maroc. Alors que certains projets commencent à inclurent des phases pilotes et des études d’impact, telle que la réforme des compétences de base (voir chapitre 1), il n’existe pas un effort institutionnalisé d’assurer l’ancrage de l’action publique dans une culture de l’évaluation des politiques publiques.
Une manière d’assurer une meilleure exploitation de l’information dans la prise de décision est d’exiger que soit incorporée dans les principaux programmes, une phase diagnostique détaillant les problématiques auxquelles répond le programme et justifiant de son impact. Les acteurs centraux et locaux doivent également être informés sur comment exploiter et interpréter les données des différentes évaluations dans la mise en place de cette phase diagnostique. En effet, les capacités d’analyse statistique limitées au niveau des directions centrales et des AREF (voir levier 5.3), peuvent être un frein à la mise en place de phases diagnostiques pertinentes.
Développer une base de données de l’éducation unique et accessible au public
L’accès aux principales données sur l’état du système éducatif est restreint au Maroc. Les données des évaluations d’apprentissages ne sont pas disponibles en libre accès et les données administratives sont publiées dans des formats qui en rendent l’exploitation difficile. Ces pratiques limitent la transparence du système éducatif et la capacité du public à jouer un rôle de contrôle de l’action des acteurs éducatifs. Ainsi, bien que le Maroc n’ait toujours pas de loi sur le libre accès à l’information, le Ministère et le CSEFRS peuvent prendre une attitude volontariste et impulser le mouvement en assurant le libre accès aux données pour le grand public. La création de cette base de données permettrait ainsi d’informer le débat public sur la qualité du secteur éducatif et encourager la recherche académique en éducation.
Cette pratique a connu un essor mondial avec le développement de la gouvernance digitale et la signature par plusieurs pays du partenariat « Open Government » qui promeut la transparence et le libre accès à l’information afin d’asseoir une gouvernance publique responsable (OCDE, 2015b). La base de données « Education Counts » en Nouvelles Zélande est souvent citée comme modèle à suivre (voir encadré 5.5). Dans le cas du Maroc, la création d’une base de données unique devrait, a minima, regrouper l’ensemble des indicateurs du système éducatif, telles que les données administratives collectées par la DSSP, les résultats du PNEA et les résultats des enquêtes qualitatives mises en place par l’INESEFRS, les résultats des évaluations certificatives collectées par le CNEEO et les conclusions des rapports des évaluations des établissements scolaires réalisés par l’Inspection générale.
Encadré 5.5. La base de données « Education Counts » en Nouvelle Zélande
La base de données Education Counts (http://www.educationcounts.govt.nz/home ) est accessible par tous et regroupe un large éventail de données quantitatives et qualitatives sur le système éducatif et des données contextuelles tels que la démographie et le niveau socio-économique. Education Counts regroupe également l’ensemble des rapports rédigés sur le système éducatif du pays. Elle est mise à jour de manière fréquente pour donner une image fidèle de l’état de l’éducation en Nouvelle Zélande. Education Counts accorde également un intérêt particulier à la présentation visuelle de l’information et l’infographie afin de simplifier l’information et assurer la pertinence des messages.
Source : OCDE (2013), Synergies for Better Learning: An International Perspective on Evaluation and Assessment, OCDE Publishing, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264190658-en.
Levier 5.2 : Mettre l’évaluation du système éducatif au service de l’amélioration des apprentissages
L’un des objectifs de la vision 2030 est d’assurer une école de qualité qui permet la maitrise des compétences cognitives, théoriques, pratiques et socio-émotionnelles chez l’ensemble des apprenants (CSEFRS, 2015). Cet objectif appel à une amélioration des apprentissages des élèves marocains qui demeurent faibles par rapport aux standards nationaux et internationaux (voir chapitre 1). Toutefois, il n’existe pas de stratégies affirmées d’évaluation et de suivi des apprentissages à même de signaler l’urgence d’améliorer les acquis des élèves et de tenir les acteurs centraux et régionaux redevable de la qualité des apprentissages. Les enquêtes sur l’apprentissage telles que l’enquête nationale PNEA et les enquêtes internationales TIMSS, PIRLS et PISA, continuent d’être perçues par les acteurs éducatifs comme des activités isolées qui permettent seulement une évaluation a posteriori du système éducatif. Une meilleure intégration de ces enquêtes dans l’évaluation du système éducatif marocain est nécessaire afin d’assurer une place centrale à l’amélioration des apprentissages des élèves marocains dans les plans de réformes. Cette meilleure intégration passe par une révision de l’architecture de l’évaluation nationale des apprentissages, le PNEA, un renforcement de l’analyse des résultats pour assurer leur pertinence pour la prise de décision politique et enfin, un engagement plus fort des acteurs du secteur éducatif et le public autour de l’objectif d’améliorer les apprentissages des élèves.
5.2.1 Mieux aligner l’architecture du PNEA avec les priorités nationales d’éducation
Une évaluation nationale des apprentissages peut être un outil puissant pour identifier les facteurs déterminants pour améliorer les acquis des élèves et l’efficacité des politiques mises en place à cet effet. Elle permet également de mobiliser le public et les acteurs du secteur autour des objectifs d’amélioration des apprentissages et alimenter le débat public sur l’éducation (Kellaghan, Greaney et Murray, 2009). Au Maroc, une révision de l’architecture, l’organisation et l’échantillonnage du PNEA actuel est nécessaire afin de renforcer sa portée d’évaluation des priorités nationales d’éducation.
L’introduction d’un cadre de référence du PNEA en 2017 est un pas positif vers la stabilisation de l’évaluation nationale et son ancrage dans l’évaluation du système éducatif marocain. Cependant, la périodicité de 4 ans ainsi que le choix des classes à tester (6ème et 9ème années) gagneraient à être revus afin d’en assurer l’alignement avec la priorité nationale de renforcer le développement des compétences de base dans les premières années d’éducation. Un échantillonnage plus large permettrait également de d’affiner l’information pour servir à l’amélioration des pratiques d’enseignement en classe et au niveau des écoles (voir tableau 5.4).
Tableau 5.5. Proposition d’organisation des cycles du PNEA
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Année N |
N+1 |
N+2 |
N+3 |
N+4 |
N+5 |
N+6 |
N+7 |
N+8 |
N+9 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
4e année du primaire* |
E M, L |
E M, L |
E M, L |
E M, L |
C M, L |
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6e année du primaire |
C M, L |
C M, L |
C M, L |
C M, L |
C M, L |
C M, L |
C M, L |
C M, L |
C M, L |
C M, L |
3e année du collège* |
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E Cur |
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E Cur |
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Note : C= Ensemble de la cohorte d’élèves; E= Échantillon représentatif ; M= Mathématiques ; L= Lecture ; Cur= Curriculum ; * : niveaux d’éducation sujets aux évaluations internationales (TIMSS et PIRLS pour la 4e année du primaire ; PISA pour la 3e année du collège)
Donner la priorité au suivi régulier de l’acquisition des compétences de bases dans l’enseignement primaire
Alors que le Maroc a fait du développement des compétences de base au primaire en mathématiques, lecture et écriture une priorité pour son système éducatif, il n’existe pas à ce jour un système de suivi des apprentissages à même d’évaluer l’évolution de la performance au primaire et d’informer les politiques publiques. Pour réaliser l’ambition de sa réforme, le Maroc devrait donner priorité dans le PNEA à l’évaluation des apprentissages à la fin des deux cycles du primaire (3e et 6e année). Il est également recommandé que l’évaluation des apprentissages pour la 6e année du primaire soit réalisée de manière annuelle ou biannuelle pour l’ensemble des élèves. La fréquence annuelle de l’évaluation permettrait d’assurer une meilleure visibilité des difficultés d’apprentissages et de générer des données récentes pour guider les réformes du curriculum. Pour limiter les coûts engendrés par la fréquence annuelle ou biannuelle recommandée, le Maroc peut envisager de restreindre l’évaluation aux deux matières (mathématiques et lecture) qui sont visés par la réforme des compétences de base et qui servent de socle à l’apprentissage dans les autres matières.
Le test pour la 6e année du primaire gagnerait également à prendre en compte l’ensemble des élèves de ce niveau pour informer et responsabiliser les acteurs locaux et centraux sur l’importance d’assurer l’acquisition des compétences de base par l’ensemble des élèves (voir chapitre 4). Un test de l’ensemble de la cohorte permet également d’identifier les écoles en difficultés afin de leur fournir un appui technique et financier (voir chapitre 4) et permet d’améliorer la fiabilité des évaluations en classes des élèves (les contrôles continus) en fournissant un modèle aux enseignants pour développer leurs propres évaluations (voir chapitre 2). Ce test des apprentissages, sans enjeux de passage pour les élèves, viendrait ainsi remplacer le Certificat d’Étude Primaire (CEP) qui aujourd’hui constitue un obstacle à la progression des élèves dans l’enseignement obligatoire sans pour autant fournir les informations nécessaires pour le suivi du niveau d’apprentissage des élèves et ses déterminants (voir chapitre 2).
Au niveau de l’évaluation du système, le passage d’un test par échantillonnage à l’ensemble de la cohorte pour ce niveau d’éducation permet de lancer un signal fort qu’il est de la responsabilité des décideurs politiques d’assurer que l’ensemble des élèves marocains acquièrent les compétences de base en mathématique, en lecture et en écriture lors du premier cycle du primaire. Cette transition d’un test par échantillonnage à l’ensemble de la cohorte a été par exemple, réalisée au Brésil pour servir de base à la responsabilisation des acteurs (voir encadré 5.6).
Il est central que le test de l’ensemble de la cohorte soit sans enjeux majeur pour les élèves, les enseignants et les écoles. Les résultats doivent être employés à des fins d’information et d’amélioration des apprentissages et non de sanction. Les études internationales montrent qu’associer aux évaluations des enjeux pour l’élève, l’enseignant ou l’école, peut avoir un impact néfaste sur l’apprentissage en réduisant le contenue du curriculum enseigné aux sujets testés (OCDE, 2013).
Sur le moyen terme, un test de l’ensemble de la cohorte peut également être introduit au niveau de la 3e année du primaire pour appréhender le niveau des apprentissages des élèves à la fin du premier cycle du primaire.
Encadré 5.6. La mise en place de Prova Brazil au Brésil
Le Brésil a été l’un des pays pionniers de la mise en place d’évaluations nationales des apprentissages en Amérique latine. En 1995, le pays a établi le Système d’évaluation de l’éducation de base (SAEB) qui teste un échantillon représentatif d’élèves de 4e et 8e années du primaire et 3e année du secondaire en mathématiques et en portugais tous les deux ans. À partir de 2005, le gouvernement a décidé de tester l’ensemble des élèves de 4e et 8e années du primaire en mathématiques et portugais tous les deux ans et a renommé cette évaluation « Prova Brazil », SAEB continuant à opérer sur un échantillon représentatif des élèves de 3e année du secondaire. Le passage d’une évaluation d’un échantillon représentatif des élèves de primaire à une évaluation de l’ensemble des élèves du primaire se justifie par la priorité accordée par le gouvernement brésilien à l’amélioration de l’apprentissage au primaire et le besoin d’améliorer le suivi de la qualité de l’éducation des écoles et des municipalités. Ces résultats sont utilisés dans l’Indice de l’éducation de base (IDEB) pour informer les écoles sur leur performance et les soutenir dans la mise en œuvre de plan de développement.
Source : Bruns B., D. Evans and J Lurque (2012), Achieving World Class Education in Brazil: the Next Agenda, World Bank, Washington DC ; OCDE (2011), “Brazil: encouraging lessons from a large federal system”, Lessons from PISA for the United States, Strong Performers and Successful Reformers in Education, OCDE Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/9789264096660-en.
Améliorer l’échantillonnage pour mieux capturer les disparités d’apprentissages
Malgré une amélioration notable de l’échantillonnage entre l’édition 2008 et celle de 2016 du PNEA qui comprend maintenant un échantillonnage par région, des problèmes persistent et limitent l’exploitation des données. En particulier, l’exclusion des écoles satellites lors de l’évaluation des écoles primaires et collèges en 2008 ne permet pas la prise en compte des caractéristiques de l’éducation en milieu rural où la plupart des élèves sont scolarisés dans ce type d’établissement (voir chapitre 1). Par ailleurs la méthodologie d’échantillonnage ne définit pas explicitement le traitement des classes multi niveaux. Celles-ci sont encore courantes dans le milieu rural et constituent des enjeux d’apprentissages propres. Il est ainsi important que l’échantillonnage pour les cycles n’ayant pas recours à un test de l’ensemble de la cohorte prenne en compte la diversité des types d’établissements dans le milieu rural pour s’assurer d’une représentation juste de l’apprentissage des élèves. Par exemple, la prochaine édition du PNEA qui touchera la 6ème année du primaire, si elle ne concerne pas l’ensemble de la cohorte comme le recommande fortement ce rapport, devrait à minima inclure un échantillonnage implicite des écoles satellites.
5.2.2 Développer une analyse pertinente des résultats des évaluations des apprentissages pour informer la prise de décision
L’objectif premier des évaluations de l’apprentissage des élèves est d’informer le système éducatif sur sa performance (OCDE, 2013). De ce fait, la qualité de l’exploitation des résultats est jugée par sa capacité de fournir aux responsables et décideurs, en charge de l’amélioration du système éducatif, des indications claires sur la performance des élèves et les facteurs expliquant cette performance (Kellaghan, Greaney et Murray, 2009). Au Maroc, les résultats des enquêtes nationales et internationales sur l’apprentissage des élèves sont peu exploités à des fins d’informations des politiques publiques en éducation.
Assurer une meilleure exploitation des questionnaires contextuels du PNEA
Les questionnaires élèves, parents et enseignants sont relativement de bonne qualité et couvrent les principales caractéristiques reconnues dans la littérature comme influant sur les apprentissages (voir tableau 5.2). Ces questionnaires gagneraient cependant à être mieux exploités pour appréhender l’impact des facteurs déterminants de l’apprentissage dans le contexte marocain. Si le milieu socio-économique tend à influencer les apprentissages au Maroc, comme le montre la différence de résultats entre les milieux urbains et ruraux, les questions relatives au niveau socio-économique des ménages sont peux exploités dans l’analyse des PNEA 2008 et 2016.
L’INESEFRS pourrait ainsi créer un indice composite du niveau socio-économique en se basant sur les variables contextuelles collectées, entre autres, les revenus du ménage, le niveau d’instruction, la localité géographique et les ressources pédagogiques disponibles dans le foyer. Cet indice permettra de mettre en avant l’impact du milieu socio-économique sur l’apprentissage des élèves. Par ailleurs, le PNEA gagnerait à inclure plus de questions liées au niveau de motivations et d’engagement des élèves, des parents et du personnel éducatif. Par exemple, dans un contexte de déscolarisation précoce des filles dans le milieu rural, il serait important d’appréhender la perception des parents envers la scolarisation des filles.
Restructurer le rapport analytique du PNEA pour mettre en avant l’analyse
L’organisation de l’information dans le rapport analytique PNEA devrait être revue pour mettre en avant l’analyse. La description de la méthodologie qui est également détaillée dans le rapport technique devrait être écourtée au profit de l’analyse détaillée des facteurs influant sur la performance des élèves. En particulier, le rapport analytique gagnerait à plus mettre en avant l’analyse d’inférences permettant d’expliquer la relation entre des facteurs de politiques éducatives ou des pratiques scolaires et les résultats des élèves. Dans le rapport analytique du PNEA 2016, cette analyse est présentée brièvement à la fin du chapitre 5 sous le titre « Comparaison des performances des élèves ». L’analyse de cette sous-section du chapitre gagnerait à être étoffée et présentée en début de rapport. Le PNEA devrait également privilégier une présentation des résultats en graphiques au lieu de tableaux et assurer que l’analyse est écrite de manière claire et accessible pour un large public (Kellaghan, Greaney et Murray, 2009).
L’organisation du rapport PNEA par thème, comme cela peut se trouver dans les rapports des évaluations internationales PISA, TIMSS et PIRLS, permettrait également de mettre en évidence les résultats clés dans les domaines d’action de la vision 2030 (équité, amélioration de l’apprentissage, la qualité de l’environnement scolaire, l’enseignement, langue d’instruction, etc.). Les différents volumes de PISA par exemple, sont organisés autour des caractéristiques déterminantes de l’éducation, à savoir, le profil des élèves, le milieu scolaire, le système éducatif et la gouvernance.
Exploiter les résultats des enquêtes internationales
Les résultats des évaluations internationales auxquelles le Maroc participe sont très peu employés pour informer le système éducatif national. Bien que le Maroc participe à TIMSS depuis 1995 et PIRLS depuis 2001, le Maroc n’a jamais publié de rapports nationaux. Ainsi, le Ministère détient une mine d’informations peu exploitées sur la performance de son système éducatif. Les évaluations internationales des apprentissages sont à ce jour la seule source de données longitudinale fiable sur les acquis des élèves marocains. Le Maroc a choisi un sur-échantillonnage pour représenter les régions dans TIMSS 2015 qui pourrait mener à une étude comparative de la performance des différentes régions par rapport à la moyenne nationale et par rapport aux autres pays participants à l’enquête. L’absence d’analyse des résultats au niveau national tend également à entraîner un focus des médias sur le classement du pays sans contextualisation (Lockheed, Prokic-Bruer et Shadrova, 2015). Un rapport national permet en effet d’explorer plus en profondeur les politiques éducatives ayant un impact sur l’apprentissage au niveau national et d’assurer le suivi de la performance du système dans le temps. Par exemple, le CMEC au Canada publie pour chaque cycle de PISA un rapport national comparant la performance des différentes provinces canadiennes et son évolution dans le temps aux moyennes nationales et de l’OCDE. Les rapports du CMEC mettent aussi l’accent sur les problématiques clés au Canada tels que l’impact du milieu socio-économique (CMEC, 2012).
Une analyse des résultats permettrait de dégager des messages cohérents avec les politiques éducatives de la vision stratégique. Consciente de ce problème, l’INESEFRS avec l’aide de l’UNICEF planifie de mettre en place un rapport national sur les résultats de TIMSS 2015. Cette initiative doit être encouragée et étendue de manière systématique aux autres enquêtes internationales telles que PISA 2018.
Renforcer les capacités d’analyse des institutions en charge des évaluations des apprentissages
Une meilleure exploitation des résultats des évaluations des apprentissages ne peut se faire sans développer les capacités d’analyse des institutions en charge de cette mission. L’INESEFRS et le CNEEO ne disposent pas d’unité de recherche capable d’exploiter les résultats des évaluations des apprentissages à des fins d’information des politiques publiques. Par exemple, bien que l’INESEFRS dispose d’un staff technique compétent à même de mener à bien l’analyse statistique des données, composé de quatre statisticiens, un statisticien démographe et un sociologue, les profils chercheurs en science de l’éducation et politiques publiques sont limités. Pour pallier à ce manque, l’INESEFRS devrait renforcer sa collaboration avec des chercheurs externes en politique d’éducation sur le court terme pour augmenter le profile politique publique du rapport analytique PNEA. Sur le long terme, l’INESEFRS gagnerait à se doter d’une unité d’analyse au sein de sa direction de l’évaluation des programmes et des acquis.
Un renforcement de la collaboration entre l’INESEFRS et le CNEEO est également nécessaire pour améliorer la qualité de l’analyse des données issues des évaluations des apprentissages. Ainsi, alors que le CNEEO est en charge de l’organisation des évaluations internationales au Maroc, un consensus semble se former autour de l’INESEFRS pour prendre en charge l’analyse et la mise en place des rapports nationaux pour PISA 2018 et TIMMS 2015. Pour réussir au mieux cette nouvelle division des tâches, l’INESEFRS doit être tenue au courant des choix du CNEEO en termes d’options souscrites et des choix d’échantillonnage. L’INESEFRS doit également avoir un accès aux données avant publication officielle pour pouvoir préparer un rapport national qui met à profit et reflète les choix stratégiques du Maroc.
5.2.3 Mobiliser les acteurs gouvernementaux et la société civile sur l’objectif d’améliorer l’apprentissage des élèves
La diffusion de l’information joue un rôle central dans la gouvernance d’un système éducatif. En particulier, elle permet d’identifier les problèmes à résoudre, et les priorités de l’agenda politique (Burns et Köster, 2016). Il est recommandé que le Ministère et l’INESEFRS assurent un accès à l’information pour l’ensemble des acteurs de l’éducation afin de faire de l’amélioration des apprentissages une priorité nationale. Cet effort de communication gagnerait à être actif et ciblé pour responsabiliser les acteurs sur leurs rôles dans l’amélioration des apprentissages et permettre un débat public constructif sur les principaux enjeux de l’éducation (OCDE, 2015c). Les acteurs du système éducatif doivent être consultés en amont et en aval de la sortie des résultats pour assurer leur mobilisation et les résultats des évaluations doivent être mis à la disposition du public.
Consulter les acteurs du système éducatif en amont et en aval de la sortie des résultats des évaluations des apprentissages
Une manière efficace d’assurer que les rapports analytiques répondent aux besoins des décideurs est de les consulter en amont. Au Maroc, cela implique une consultation avec le Ministère pour définir les thématiques qui seront abordées par les rapports nationaux du PNEA et des évaluations internationales. Aujourd’hui, le Ministère n’est pas consulté par l’INESEFRS pour la mise en place du rapport nationale du PNEA et n’obtient accès aux données qu’au moment de la publication officielle. Un représentant du Ministère participe à la validation du rapport analytique et la définition des grands thèmes abordés dans le cadre de l’assemblée générale du CSEFRS mais il n’existe pas une consultation proactive du Ministère par l’INESEFRS sur les points de politiques éducatives nécessitants un éclairage particulier. Ces pratiques peuvent causer un problème d’appropriation des résultats par les décideurs politiques et diminuer l’impact du PNEA sur les réformes. Ainsi, si l’indépendance de l’INESEFRS est à saluer, car elle assure une transparence et une crédibilité de l’analyse, il est important de renforcer la collaboration avec le Ministère à travers un protocole de collaboration entre les deux institutions (voir levier 5.1).
En aval, une stratégie de communication qui prépare des produits différenciés pour différentes audiences permet d’assurer la clarté du message de l’évaluation à travers différentes plateformes (Kellaghan, Greaney et Murray, 2009). Bien qu’il n’y ait pas à ce jour une stratégie de communication définie pour le PNEA, l’INESEFRS planifie de publier un rapport analytique et un rapport méthodologique et prévoit la mise en place de séminaires pour discuter les résultats avec les acteurs de l’éducation. Aussi utiles que soient les séminaires pour engager le dialogue, une bonne pratique est également de proposer une offre différenciée de supports en fonction des acteurs à cibler. Par exemple, afin d’engager le Ministère et les AREF, des communiqués axés sur les recommandations et les politiques éducatives peuvent être adressés aux responsables du secteur (voir tableau 5.5).
Une stratégie différenciée de communication est également nécessaire pour la diffusion des résultats des évaluations internationales. En particulier, l’absence de communiqué de presse au sujet des résultats publié sur le site du Ministère, comme cela a été observé pour TIMSS 2015, mène à une focalisation des médias sur le classement du Maroc sans une contextualisation des résultats. La mise en place de rapports analytiques nationaux, comme discuté ci-dessus (voir levier 1), permettrait également de centrer le débat sur les politiques éducatives permettant l’amélioration de l’apprentissage.
Tableau 5.6. Les différents supports de dissémination des résultats des évaluations des apprentissages
Support de dissémination |
Audience |
Objectifs |
---|---|---|
Rapport d’analyse |
Décideurs politiques Acteurs du secteur de l’éducation Grand public |
Informer les politiques éducatives. Informer le public sur la performance du système éducatif |
Notes ministérielles et parlementaires |
Ministres et décideurs de l’éducation |
Informer les décideurs sur les principales conclusions de l’enquête et l'implication en termes de politiques éducatives |
Rapport de synthèse |
Grand public |
Informer le public sur la performance du système éducatif |
Rapport technique |
Chercheurs |
Assurer une compréhension de la méthodologie employée |
Rapport thématique |
Acteurs du secteur de l’éducation |
Explorer plus en profondeur un domaine de politiques éducatives précis |
Communiqué de presse |
Média |
Présenter les principales conclusions de l’enquête au média |
Conférence de presse |
Média |
Expliquer les principales conclusions de l’enquête au média |
Site web |
Grand public |
Permettre un accès simplifier aux données |
Source : Kellaghan, T., V. Greaney et T. Scott Murray (2009), Using the Results of a National Assessment of Educational Achievement, National Assessment of Educational Achievement Volume 5, la Banque mondiale Washington DC
Assurer le libre accès aux données des évaluations des apprentissages
Il est important que le Maroc assure le libre accès à l’information sur le PNEA et les évaluations internationales pour informer le public et promouvoir la recherche. L’INESEFRS désire fournir l’accès aux données PNEA 2016, aux chercheurs, mais il n’est pas clair à ce jour si les données seront en libre accès en ligne ou accessibles seulement sur requête. Mettre les données en libre accès au moment de la publication du rapport national PNEA 2016, permettrait de soutenir la recherche universitaire en sciences de l’éducation naissante au Maroc. Les données doivent être accessibles dans un format adapté pour l’analyse statistique (csv, dta, xml, etc.), une pratique qui demeure très peu employée pour les données statistiques de l’éducation au Maroc. Le Maroc peut s’inspirer des bases de données des évaluations internationales. L’OCDE assure le téléchargement des données PISA aux formats EXCEL et formats compatibles avec les logiciels de traitement de données statistiques.
Levier 5.3 : Renforcer le rôle des AREF dans l’évaluation du système éducatif
Les disparités de performances du système éducatif entre les régions et les milieux urbains et ruraux appellent à une politique éducative différenciée entre les régions. Or à ce jour, malgré la flexibilité budgétaire dont elles disposent, les AREF continuent à jouer un rôle d’exécutant des politiques du Ministère et leurs prises d’initiatives pour forger un agenda éducatif spécifique aux besoins de leurs territoires demeurent restreintes. Afin d’améliorer la capacité de développement de stratégie d’éducation différenciée, les AREF doivent être à même de mettre à profit les informations sur leur système éducatif et de rendre des comptes sur sa performance. À ce jour, la responsabilité des AREF et leur capacité d’analyse de leur système éducatif demeurent limitées.
5.3.1 Renforcer la redevabilité des AREF envers le gouvernement central et la communauté locale
Loin des ambitions de la CNEF de faire des AREF des centres de pouvoir décentralisés, près de quinze ans depuis leurs créations, les AREF continuent à jouer principalement un rôle d’exécutant des directives centrales (voir chapitre 1). Alors que les AREF disposent de responsabilités étendues dans la gestion des écoles, elles ne rendent pas compte au sujet de la performance de leurs systèmes au Ministère et aux communautés locales. La mise en place d’objectifs d’éducation spécifiques aux régions et une meilleure information et implication des communautés locales permettraient le développement de la responsabilisation des AREF.
Mettre en place des objectifs d’éducation pour le moyen terme au niveau régional
Malgré les grandes disparités entre les sous-systèmes éducatifs régionaux, peu d’AREF disposent aujourd’hui d’objectifs propres à même de faire face aux difficultés de leurs sous-systèmes éducatifs. En l’absence d’objectifs sur le moyen terme propre à chaque région et une plus grande autonomie d’action des académies régionales, il est en effet difficile d’imaginer un renforcement effectif de la décentralisation du secteur éducatif. Des opportunités actuelles permettent d’envisager la mise en place d’objectifs d’éducation régionale et un renforcement de la capacité d’action des AREF.
Tout d’abord, les avancés du processus de régionalisation créent des opportunités d’ancrage des AREF dans leur environnement immédiat, la région. Certaines d’entre elles mettent en place des partenariats de financement avec leurs Conseils Régionaux. L’AREF et la région de Tanger-Tétouan-Al-Hoceima ont signé un accord de financement à part égal (100 millions de dirhams provenant de la Région et 100 millions de dirhams provenant du Ministère), de huit projets de mise en œuvre de la vision 2030. Cette implication financière des conseils régionaux dans l’éducation peut mener à la naissance d’une vision régionale de l’éducation.
Une seconde initiative qui va dans le sens de la mise en place d’objectifs d’éducation régionale est la contractualisation de la relation entre les AREF et le Ministère, appelée par la vision 2030. La contractualisation implique qu’une plus grande autonomie de gestion budgétaire soit accordée à une institution sous réserve qu’elle remplisse les objectifs de performances définis dans un contrat (Visscher et Varone, 2004). Les AREF seront amenées à définir avec le Ministère des objectifs à atteindre et recevront en contrepartie un financement central. Ce programme sera prochainement testé dans deux régions : Rabat-Salé-Kénitra et l’Oriental. Toutefois, il est peu clair à ce jour comment fonctionnera le pilotage du programme et quelles conséquences la non-satisfaction du contrat aura sur les budgets des AREF.
Pour tirer profit de ces opportunités, la capacité des AREF en planification stratégique doit être renforcée. Le Ministère peut créer une exigence pour l’ensemble des AREF de définir des objectifs clés sur le moyen terme en se basant sur une analyse de la performance de leurs sous-systèmes éducatifs et en gardant comme référence les priorités nationales.
Informer et impliquer la communauté locale
Si la vision 2030 prévoit une augmentation de la responsabilité des AREF envers le Ministère en contrepartie d’une plus grande autonomie d’action, la responsabilité des AREF envers les communautés locales n’est pas abordée. La responsabilité envers la communauté locale, responsabilité dite « horizontale », est souvent plus difficile à mettre en place, car les chaînes de communication et de responsabilité sont plus diffuses. Celle-ci n’en demeure pas moins importante pour assurer l’intégrité de l’action publique et la prise en compte des besoins la communauté locale (Burns Köster et Fuster, 2016 ; OCDE, 2015c).
Dans le cas du Maroc, si les parents d’élèves et les acteurs locaux (représentants des collectivités locales et partenaires socio-économiques) sont en théorie représentés dans les conseils des AREF, en réalité leurs participations demeurent très faibles (INESEFRS, 2014). Ces conseils connaissent une surreprésentation des corps de métiers de l’éducation (enseignants, inspecteurs, chef d’établissements) en comparaison avec des représentants des parents d’élèves et des acteurs locaux qui souvent ne participent pas aux discussions. Ceci crée une distorsion de l’action des conseils en faveur des corps de métiers de l’éducation (INESEFRS, 2014).
De ce fait, les AREF doivent mettre en place une politique proactive d’information et d’implication des parents d’élèves, des entreprises locales et des associations dans les conseils des AREF. Créer une obligation pour les AREF de communiquer les indicateurs clés (scolarisation, abondons, redoublement, réussites aux examens certificatifs) aux acteurs locaux peut sensibiliser ces derniers sur l’éducation dans leur région et créer une demande régionale d’éducation. Toutefois, la capacité des AREF en termes d’évaluation et de suivi du système éducatif aura besoin d’être renforcée afin de pouvoir répondre à ce besoin.
5.3.2 Améliorer la capacité des AREF à assurer l’analyse du système éducatif régional
Afin de mener à bien l’ambition de la vision 2030 d’approfondir la décentralisation du système éducatif, la capacité des AREF dans le domaine de l’évaluation et le suivi de leurs sous-systèmes éducatifs doit être renforcée. Dans le cadre de la décentralisation, les AREF sont en charge de la planification régionale de l’éducation, de l’organisation des formations professionnelles pour les enseignants et de l’inspection des enseignants. Les AREF ne peuvent assurer à bien ces responsabilités sans avoir une connaissance fine du système éducatif régional qu’elles gouvernent. En effet, la connaissance approfondie d’un système est une base essentielle de la bonne gouvernance. Elle permet une prise de décisions informées et encourage une culture du résultat (Fazekas et Burns, 2012)
Assurer une meilleure exploitation des données de l’évaluation des systèmes éducatifs régionaux
Les discussions avec les quatre AREF rencontrées par l’équipe de l’OCDE (Rabat-Salé-Kénitra, Tanger-Tétouan-Alhoceima, Casablanca-Settat et Marrakech-Tansift-Haouz), ont montré que l’analyse des données statistiques au niveau des AREF demeure limitée. Les AREF ne disposent pas d’une direction dédiée à l’évaluation et à l’analyse statistique. Ainsi les AREF jouent le rôle de producteurs de données et non de consommateurs. Elles collectent les données administratives des écoles et les transmettent à la DSSP via la plateforme ESISE, mais n’exploitent pas ces données de manière systématique pour définir leurs programmes d’action. Les AREF ont également accès à l’ensemble des données de leurs régions disponibles sur la base MASSAR. Toutefois, lors des entretiens de l’équipe de l’OCDE avec les AREF, il est apparu que MASSAR est sous-utilisé.
Les rapports des inspecteurs pédagogiques et inspecteurs généraux constituent une autre source de données peu exploitée par les AREF (voir chapitres 3 et 4). Une analyse comparative des rapports d’évaluation des écoles et des enseignants permet de faire ressortir les principaux défis que connaissent les écoles d’une localité et ainsi de déterminer l’action publique en fonction des besoins (OCDE, 2013). Par exemple, les rapports d’évaluations des inspecteurs pédagogiques pourraient être utilisés pour déterminer les besoins en formation des enseignants et conseiller les Centres régionaux des métiers de l’éducation et de la formation (CRMEF) sur le contenu de leurs modules de formation.
Par ailleurs, si elles sont responsables de la qualité des écoles sur leurs territoires, les AREF n’ont aucune obligation de produire un rapport public sur l’état de leur système éducatif. Elles produisent un rapport d’activité annuel soumis au ministre, mais il s’agit simplement d’un résumé d’exécution. Rendre la production d'un rapport analytique public obligatoire a démontré au niveau international être une manière effective d’encourager une culture de l’évaluation au niveau local (OCDE, 2013). Au Danemark, les autorités locales ont pour obligation de produire des rapports analytiques sur leurs systèmes éducatifs depuis 2006. Ce processus qui se base sur un partenariat entre les autorités locales éducatives danoises et les conseils d’établissement a permis le développement des capacités d’évaluations locales en encourageant le dialogue sur les mesures à inclure dans les rapports et la portée de l’analyse (Schewbridge et. coll., 2011).
Accorder un support technique aux AREF
Le Ministère peut également utiliser une approche proactive de renforcement des capacités d’analyse et d’évaluation des AREF en leur offrant un soutien technique accru. Ce soutien technique peut prendre différentes formes. Le Ministère peut détacher aux AREF son personnel central. Cette pratique déjà en place pour l’organisation des examens certificatifs pendant lesquelles des agents du CNEEO sont détachés aux Centres régionaux d’évaluation (CRE) (voir chapitre 2), peut être étendue à d’autres domaines tels que l’analyse statistique. Le Ministère peut également créer un corps spécialisé pour fournir un soutien aux AREF rencontrant des difficultés dans l’exploitation des données. En Norvège un « corps d’orientation », composés de chefs d’établissement sélectionné sur leur performance a été mis en place pour venir en aide aux autorités locales ayant des difficultés à mettre en place une stratégie d’évaluation et de suivi de leur système éducatif (Nusche et coll., 2011).
Enfin, la coopération entre les AREF peut être encouragée pour promouvoir la diffusion des bonnes pratiques d’évaluations des sous-systèmes d’éducation. Dans plusieurs pays, cette coopération se fait au sein d’instances, formelles ou informelles, de coordination des autorités locales. Au Danemark, un consortium d’autorités locales, « Gouvernement local du Danemark » (KL), représentant 37 autorités, a développé un partenariat de 2 ans pour promouvoir l’utilisation des indicateurs pour l’amélioration de la qualité au niveau local. Une étude de ce partenariat a montré que la collaboration accrue entre les autorités locales a amélioré la performance des différentes localités (OCDE, 2013). Au Maroc, la création d’un forum de discussion et de partenariats entre les divisions des AREF qui seront en charge de produire les rapports annuels régionaux de l’éducation permettrait de développer les capacités d’évaluation et d’analyse par l’échange de bonnes pratiques et de faire ressortir les problèmes communs aux AREF dans le domaine de l’évaluation.
Conclusions et recommandations
Au vu de l’urgence d’améliorer l’apprentissage des élèves et l’équité dans son système éducatif, le Maroc se doit de mettre en place un cadre d’évaluation du système capable de faire ressortir l’information nécessaire pour orienter et guider les réformes et tenir les acteurs du système éducatif responsables de leurs applications. La mise en place d’un tel cadre exige tout d’abord la définition d’objectifs à moyen terme et le développement des outils de suivi de ces objectifs. En particulier, le développement des évaluations des apprentissages. Un investissement dans les capacités d’évaluation aux niveaux central et régional doit également être une priorité. Si l’ensemble de ces conditions sont réunies, le Maroc disposera d’un cadre solide pour une évaluation performante et alignée sur les priorités du système éducatif. Ceci permettra au Maroc de dépasser les lacunes rencontrées dans la mise en œuvre de la CNEF et de concrétiser sa vision 2030 d’une « éducation de qualité pour tous ».
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