Les Pays-Bas mettent l'accent sur les contextes fragiles dans leur coopération au développement et se définissent comme un partenaire critique mais constructif qui reste engagé sur le long terme. En pratique, rester engagé implique de prendre des risques mesurés, d'être prêt à des dialogues difficiles et de communiquer clairement avec les partenaires et les parties prenantes sur les objectifs et les conséquences de cet engagement. Cela a été démontré dans le soutien des Pays-Bas au secteur de la justice, du droit et de l'ordre en Ouganda.
Rester engagé sous la pression : le soutien des Pays-Bas au secteur de la Justice, du Droit et de l'Ordre en Ouganda
Abstract
Défi
Les Pays-Bas sont déterminés à rester engagés dans les contextes fragiles et se définissent comme un partenaire critique mais constructif dans la coopération au développement. Ce que signifie rester engagé et la manière dont les décisions de rester engagé sont prises sont des défis qui nécessitent des réponses adaptées à chaque contexte. L'Ouganda est un pays qui connaît des niveaux élevés de fragilité humaine, sociétale et politique. Lorsque, à l'approche des élections de 2021, des voitures de police financées par les Pays-Bas dans le cadre d'un projet de protection des réfugiés ont été identifiées dans des opérations menées en dehors du cadre du programme et contre des membres de l'opposition, le gouvernement néerlandais a dû réfléchir à la meilleure façon de réagir. Les médias néerlandais et les enquêtes parlementaires ont exercé une forte pression pour que le gouvernement réagisse rapidement et fermement. Plus tard, l'adoption de la loi anti-homosexualité 2023 a de nouveau contraint le gouvernement néerlandais à réfléchir à sa réaction, afin de ne pas fournir un soutien financier direct aux agences gouvernementales ougandaises susceptibles d'être impliquées dans la mise en œuvre de la loi.
Approche
Grâce à un dialogue étroit avec les partenaires du projet, le siège du ministère des Affaires étrangères et le gouvernement ougandais, les Pays-Bas ont pu adapter leur réponse à chaque situation :
Dialogue politique : Dans un premier temps, au lieu de se retirer, les Pays-Bas ont choisi d'engager un dialogue franc avec le gouvernement ougandais pour renforcer la redevabilité concernant l'incident. Ils ont pu le faire parce qu'ils avaient établi un partenariat solide et une crédibilité depuis de nombreuses années dans le secteur. Plus tard, dans un contexte de dialogue politique constant, l'adoption d'une législation restrictive a entraîné une réaction publique forte de la part du ministre, qui a clairement indiqué les limites de l'acceptation néerlandaise en annonçant la cessation du soutien au secteur de la justice, du droit et de l'ordre (JLOS).
Dialogue avec la société civile : Les partenaires de la société civile ont souligné qu'en dépit des risques et des défis, le dialogue avec la police dans le secteur de la JLOS restait essentiel, ce qui a orienté la réponse initiale. En réaction à la législation restrictive, le ministre a confirmé que le soutien à la protection de la communauté LGBTQI+ se poursuivrait.
Ajustements programmatiques : L'ambassade a évalué l'ensemble de son portefeuille de projets dans le secteur de la JLOS avant de décider des réponses mesurées à ces incidents. Le soutien aux efforts de l'Ouganda en faveur des réfugiés a été maintenu, mais toutes les activités avec la police ont été interrompues, puis arrêtées. Dans le cadre d'un programme multidonateurs distinct mais lié au secteur de la JLOS, un paiement important a été retenu. Après avoir constaté que les autorités ougandaises avaient pris des mesures importantes en faveur de la redevabilité, les Pays-Bas ont décidé qu'ils seraient prêts à développer un nouveau programme dans ce secteur. Cette décision était également fondée sur les résultats tangibles obtenus grâce au soutien des Pays-Bas, ainsi que sur celui de la société civile pour la poursuite de l'engagement néerlandais. Toutefois, lorsqu'en 2023 les lignes rouges néerlandaises en matière de droits de l'homme ont été franchies, le soutien au secteur n'a plus été jugé approprié.
Communication avec les parties prenantes nationales : L'attention accrue des médias a suscité un vif intérêt de l'opinion publique et une pression en faveur d'une réponse décisive. Dans les deux cas, le ministère des Affaires étrangères a clairement exposé son approche devant le Parlement et le public, expliquant les mesures prises en réponse aux incidents.
Résultats
Les Pays-Bas ont été en mesure de calibrer leurs réponses face aux incidents graves tout en conservant leur engagement de principe dans un contexte difficile et en satisfaisant les exigences de redevabilité. En pondérant son objectif de contribuer au développement durable de l'Ouganda et les risques accrus d'incidents difficiles, le gouvernement néerlandais a ajusté son engagement dans le secteur de la justice, du droit et de l'ordre en fonction des événements.
En retenant dans un premier temps le paiement d'un programme distinct mais lié au secteur de la justice, du droitet de l'ordre, les Pays-Bas ont pu signaler que les questions de redevabilité n'avaient pas été abordées de manière satisfaisante malgré un dialogue solide. Lorsque l'Ouganda a montré qu'il avait pris des mesures importantes en matière de redevabilité, les Pays-Bas ont décidé qu'ils seraient prêts à reprendre leur soutien à un nouveau programme dans ce secteur. En maintenant par la suite le dialogue politique à tous les niveaux tout en suspendant le soutien au secteur, les Pays-Bas ont clairement indiqué leurs lignes rouges et leur intention de continuer à protéger les droits de l'homme et les groupes vulnérables.
En réaction au premier incident, le soutien recalibré aux districts d'accueil des réfugiés a été maintenu en reconnaissance de sa contribution et de son importance pour les partenaires de la société civile et les bénéficiaires. Toutefois, le gouvernement néerlandais a décidé d'interrompre le soutien à la police dans le cadre de ce programme.
Plus tard, les Pays-Bas ont de nouveau réévalué leur engagement dans le secteur de la JLOS en réaction à la "loi antihomosexualité 2023" jugée contraire à leurs valeurs en matière de droits de l'homme. Tout en annonçant l'arrêt du soutien au secteur, le ministre a confirmé la poursuite du soutien à la protection des droits de l'homme et des groupes vulnérables, y compris la communauté LGBTQI+. Il a été possible de démontrer le sens des proportions et des priorités grâce à un engagement de longue date et équilibré dans le secteur.
Une communication claire et structurée avec le parlement néerlandais a assuré le soutien à la poursuite de l'engagement et a offert des garanties sur la nature et la portée des réponses. Le partage d'informations sur la tolérance zéro des Pays-Bas à l'égard de l'inaction lors du premier incident a permis de clarifier le bien-fondé de l’approche et a conduit à une meilleure compréhension et acceptation des risques éventuels. L'adoption d'une position plus ferme dans le second cas visait à démontrer l'engagement en faveur des droits de l'homme et à montrer les limites de son acceptation, d’une part, et la volonté de continuer à défendre ces droits, d'autre part.
Le dialogue politique avec le gouvernement ougandais a été maintenu, démontrant comment être un partenaire critique et constructif, et qu’il est essentiel de rester engagé pour prendre des mesures proportionnées et réfléchies.
Enseignements tirés
L'expérience des Pays-Bas en matière de soutien au secteur de la justice, du droit et de l'ordre en Ouganda a montré que pour rester engagé, il faut faire des choix prudents et calibrés :
Établir des partenariats et une crédibilité à long terme ouvre la voie à un dialogue solide et critique lorsque cela est nécessaire et permet d'identifier des réponses qui tiennent compte de l'impact sur la programmation et la nécessité de réagir.
Considérer l'ensemble du portefeuille d'activités, et non seulement se focaliser sur un projet dans un pays ou un secteur spécifique, permet de répondre fermement aux incidents tout en minimisant l'impact des mesures d'intervention éventuelles ou des contrôles supplémentaires sur les objectifs de développement et/ou les populations bénéficiaires.
Au niveau national, partager des informations plus détaillées sur la programmation est un bon moyen de mieux comprendre les niveaux de risque et les conséquences potentielles des opérations dans des secteurs spécifiques et dans des contextes fragiles.
Un effort soutenu pour assurer un engagement continu avec les parties prenantes telles que les conseillers politiques et le personnel technique, le Parlement, les commissions législatives, les autres départements gouvernementaux, mais aussi les médias et les groupes d'intérêt, est essentiel pour mieux faire comprendre au public l'importance de l'engagement dans des contextes politiquement contraignants.
Informations supplémentaires
Ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas, Kamerbrief over Nederlandse inzet op veiligheid en rechtsorde in Oeganda (Lettre au Parlement sur l'engagement des Pays-Bas en faveur de la sécurité et de l'État de droit en Ouganda), https://open.overheid.nl/Details/ronl-3b95d8de4a848bff4deb42c1c1a0e49b5f0bc98a/1?hit=68&text=oeganda&sort=date-desc&page=7#panel-gegevens.
Ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas, Theory of change on security and rule of law (Théorie du changement en matière de sécurité et d'État de droit), www.government.nl/documents/publications/2023/01/26/theory-of-change---security-and-rule-of-law.
Ressources de l’OCDE
OECD, Conflits, fragilité et résilience, www.oecd.org/fr/cad/conflits-fragilite-resilience/
OECD (2022), "L'engagement dans les contextes fragiles", Fondamentaux de la coopération pour le développement, https://read.oecd-ilibrary.org/view/engagement-dans-les-contextes-fragiles
To learn more about the Netherlands’ development co-operation see:
OCDE (2023), Examens par les pairs de la coopération au développement du CAD de l'OCDE : Pays-Bas 2023, [à venir]
OECD (2023), "Netherlands", dans Profils de la coopération au développement, https://doi.org/10.1787/2faea623-en.
Voir d'autres exemples pratiques des Pays-Bas ici : www.oecd.org/development-cooperation-learning?tag-key+partner=netherlands.