Cette étude de marché fournit une évaluation de la concurrence dans trois grands domaines du secteur de la banque de détail en Tunisie : les comptes courants, les prêts bancaires pour les micro, petites et moyennes entreprises et les services de paiement mobile. Le rapport identifie les domaines où la concurrence ne fonctionne pas aussi bien qu'elle le pourrait, réduisant la mobilité des clients et l'accès au financement et limitant la pression concurrentielle que les entreprises fintech peuvent exercer sur les banques traditionnelles. Le rapport fournit une série de recommandations visant à améliorer les résultats du marché pour les utilisateurs de services financiers et comprend des estimations de l'impact attendu de la mise en œuvre des recommandations sur l'économie. Cette étude de marché sur la concurrence fait partie d'un projet plus large visant à favoriser les réformes pro-concurrentielles en Tunisie.
Étude de marché sur la concurrence dans le secteur de la banque de détail en Tunisie
Résumé
Synthèse
Ce rapport évalue le fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la banque de détail en Tunisie et formule des recommandations pour l’améliorer lorsque cela se justifie. Il porte sur trois grands segments de ce secteur :
les comptes courants personnels et professionnels utilisés pour conserver de l’argent accessible rapidement, effectuer et recevoir des paiements et emprunter de l’argent à court terme sous la forme d'une autorisation de découvert ;
le financement bancaire, plus précisément les prêts bancaires, aux très petites, petites et moyennes entreprises ; et
les services de paiement mobile, y compris l’ouverture d’un compte de paiement, le paiement et retrait d’espèces et les opérations de transfert d’argent.
Principaux résultats
Le secteur de la banque de détail doit être réellement concurrentiel pour favoriser l’inclusion financière et l’investissement privé. Or, le rapport met en évidence plusieurs domaines dans lesquels la concurrence ne fonctionne pas au bénéfice des consommateurs comme elle pourrait l’être.
Une faible implication des consommateurs
La concurrence ne fonctionne bien que si les consommateurs sont suffisamment informés pour choisir le produit ou service qui offre le meilleur rapport qualité-prix. Il faut que les consommateurs sachent qu’ils peuvent comparer les prestataires, puissent et veuillent obtenir et comprendre les informations sur les caractéristiques des produits et évaluer ces caractéristiques pour sélectionner l’offre qui leur convient le mieux. Il faut aussi qu’ils aient la possibilité et la volonté de choisir leur produit préféré ou de changer de produit. Enfin, pour que les entreprises aient envie d’offrir un meilleur produit, elles doivent avoir l’impression que les consommateurs sont susceptibles de réagir à une meilleure offre. S’ils ne réagissent pas au produit et si les banques ne s'attendent pas à ce qu'ils le fassent, elles n’ont guère d’intérêt à se faire concurrence, ce qui peut se traduire par des prix plus élevés et une moindre qualité.
Or, les données montrent que les consommateurs tunisiens sont relativement passifs. Sur le marché des comptes courants, quatre consommateurs sur cinq et deux petites entreprises sur trois ne comparent pas les tarifs lors de l’ouverture d'un compte, et deux consommateurs sur trois affirment ne pas connaître le montant des frais bancaires. Seulement 3 % des particuliers et 4 % des petites entreprises ont changé de prestataire de compte courant au cours de l’année écoulée, et les petites entreprises sont nombreuses à rester longtemps fidèles au même prestataire de compte courant. Les chefs d’entreprise qui ont besoin d’un financement se tournent souvent vers la banque où est domicilié leur compte courant, et bon nombre d’entre eux ne contractent des prêts qu’auprès de leur banque.
Particuliers et petites entreprises peuvent trouver coûteux de rassembler et comprendre les informations sur les produits financiers et de réagir à ces informations. Les banques en Tunisie ne prennent pas suffisamment de mesures pour permettre aux consommateurs de trouver des informations pertinentes et comparables au sujet des tarifs. Par ailleurs, elles créent des obstacles, monétaires et non monétaires, à la fermeture de comptes, si bien qu'il est plus difficile de changer de banque. La pression concurrentielle qui pourrait conduire les banques à baisser les prix ou augmenter la qualité des services s’en trouve affaiblie. La passivité des consommateurs représente aussi un obstacle à l’entrée et à l’expansion parce qu’il est plus difficile pour les banques d’attirer de nouveaux clients.
Faiblesse des prêts aux TPME
Les petites entreprises tunisiennes ont du mal à accéder au financement. L’analyse de l’OCDE met en évidence la place des activités bancaires reposant sur des relations de long terme en Tunisie. 45 % des TPME ne détiennent des produits financiers qu'auprès de leur prestataire de compte courant et plus de la moitié d’entre elles ne font pas de comparaison entre banques.
Il ressort de l’analyse que plusieurs raisons les en empêchent. À titre d’exemple, du fait de l’absence de bureau privé d’information sur le crédit, les banques ont relativement peu de moyens d’évaluer le risque que présentent les nouveaux emprunteurs, ce qui amplifie les conséquences du monopole de l’information sur les clients existants. Le manque d'informations disponibles et le plafonnement du taux d’intérêt applicable aux prêts empêchent les banques d'évaluer le risque de crédit et d’en fixer le juste prix, ce qui les conduit à exiger une garantie. Autre raison : la forte aversion des banques au risque, elle-même imputable à la durée de la procédure à suivre pour acquérir la propriété d’une garantie en cas de défaillance de l’emprunteur et à l’absence de registre des sûretés sur les biens meubles, qui dissuade les banques d'accepter d'autre garantie que des terres.
Les parties prenantes interrogées par l’OCDE ont fait part de leurs préoccupations concernant les pratiques à travers lesquelles les banques favorisent les emprunteurs avec lesquels elles ont des liens. L’examen par les pairs du droit et de la politique de la concurrence réalisé en 2022 montre en effet qu’en 2019, cinq groupes industriels contrôlaient plus de 60 % du chiffre d'affaires des plus importantes entreprises privées du pays. Ces cinq groupes ont également des liens directs avec les banques, ce qui peut rendre plus difficile l'accès au crédit des entreprises qui n’ont pas de liens avec ces groupes. Bien que les effets de ce phénomène n'aient pas pu être analysés de façon précise faute de données granulaires, l’OCDE juge très probable que les liens entre banques et groupes industriels aient une incidence sur les activités de prêt en général.
Restrictions injustifiées imposées aux établissements de services de paiement
L'analyse de la législation applicable réalisée par l’OCDE a permis de mettre en évidence plusieurs dispositions qui font obstacle de manière injustifiée à l’entrée sur le marché des prestataires de services de paiement. Ainsi, pour obtenir l’agrément, les établissements qui souhaitent offrir des services financiers doivent justifier d’un capital minimum 12 à 76 fois plus élevé que ce qui est exigé dans d'autres pays (en fonction du service concerné). De surcroît, l’existence de dispositions ad hoc et la durée de la procédure, qui dans les faits est longue, réduisent la transparence et augmentent les coûts à supporter par les demandeurs. En pratique, la procédure d'agrément se révèle favorable aux filiales de groupes bancaires existants et exclut toutes les fintechs indépendantes.
Alors qu’ailleurs, les fintechs ont joué un rôle important dans l’intensification de la concurrence et l'amélioration de l’inclusion financière parce qu’elles offrent des solutions innovantes et moins coûteuses que celles proposées par les banques traditionnelles, en Tunisie, la réglementation dissuade les nouvelles entreprises d’entrer sur le marché de la banque de détail et limite la capacité des nombreuses personnes qui n’ont pas de compte à accéder aux services de paiement.
Une concurrence entravée par la structure du marché et par le cadre réglementaire
Plusieurs autres facteurs peuvent affaiblir la concurrence sur les marchés qui font l'objet du présent rapport. Certaines dispositions juridiques, les pratiques du marché et la structure de l’actionnariat sont de nature à faciliter le partage d'informations commercialement sensibles et à encourager une surveillance des stratégies tarifaires, augmentant le risque d'un comportement coordonné. La présence de l’État, actionnaire majoritaire des trois des plus grandes banques, affaiblit un peu plus encore la concurrence. Les banques publiques ont généralement moins de raisons de devenir plus efficientes et d’innover et les équipes dirigeantes n’ont aucune motivation à réduire les coûts et à accroître les bénéfices.
La concurrence et le choix du fournisseur sont limités par le rôle des réseaux d’agences. Du fait de la faible pénétration de la banque en ligne, les banques s'appuient sur leurs agences pour fournir des services à la clientèle existante et attirer de nouveaux clients, ce qui représente un coût important pour les banques qui souhaitent élargir leur clientèle et limite le choix des consommateurs, en particulier dans les zones rurales, où les agences sont moins nombreuses.
Les données montrent que la situation du marché est caractéristique d'une faiblesse de la concurrence. Les commissions et les recettes tirées des comptes courants, de même que la rentabilité générale des banques, ont connu une hausse constante au cours de la décennie écoulée. À cela s’ajoute que le secteur financier innove peu, comme le montre par exemple la place très limitée de la banque en ligne et des paiements mobiles.
Principales recommandations
Le rapport formule un ensemble de recommandations de nature à améliorer le fonctionnement de la concurrence. Il est seulement possible de quantifier les avantages pour un sous-ensemble de recommandations, mais l'OCDE estime que la mise en œuvre de ce sous-ensemble représenterait environ 325 millions d'euros par an en termes de baisse des prix et des taux d'intérêt pour les consommateurs et les entreprises, ce qui correspond à 0,8 % du PIB tunisien de 2021. Ces chiffres sont vraisemblablement sous-estimés parce qu'il n’a pas été possible de quantifier les effets de chacune des recommandations faute de données détaillées. Ils ne rendent en outre pas compte des avantages dynamiques de la concurrence, qui peuvent être non négligeables mais sont difficiles à évaluer.
Pour résumer, quatre séries de recommandations sont formulées :
Mesures visant à accroître l’implication des clients. Ces mesures englobent des recommandations qui, si elles sont suivies, donneraient aux clients les moyens d'accéder à l’information, de l’évaluer et de réagir en conséquence et permettraient de réformer le mécanisme de médiation pour que les particuliers et les entreprises disposent d’une voie de recours effective.
Mesures visant à accroître la concurrence sur le marché des financements destinés aux TPME. Ces recommandations devraient permettre que les TPME aient davantage la possibilité de prendre des décisions éclairées au sujet des prêts et d’encourager la création d'un bureau privé d'information sur le crédit et d’un registre des sûretés sur les biens meubles.
Mesures visant à éliminer les dispositions réglementaires qui affaiblissent de manière injustifiée la concurrence dans le marché des services de paiement. Ces recommandations portent notamment sur l’adoption d’une approche fondée sur le risque afin de réduire les obstacles réglementaires à l'entrée sur le marché.
Mesures visant à inciter les banques à se livrer concurrence. Il s'agirait de revoir le statut du Conseil Bancaire et Financier, de renforcer le rôle du Conseil de la concurrence, d'accroître l’indépendance des administrateurs des banques et de revoir le rôle de l’État dans le secteur de la banque de détail.
En outre, l’OCDE réitère les recommandations formulées dans l’examen par les pairs du droit et de la politique de la concurrence réalisé en 2022 concernant le renforcement de la coopération entre le Conseil de la concurrence et l'autorité de réglementation du secteur financier.
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