Le niveau de vie moyen des Tunisiens a augmenté de façon continue depuis plusieurs décennies tandis que la pauvreté et les inégalités ont largement diminué grâce à la mise en œuvre de nombreux programmes sociaux. L’accès aux infrastructures de base telles que l’eau potable ou l’électricité a également été développé. Néanmoins, le taux d’emploi demeure faible, surtout pour les femmes ; environ un tiers des jeunes est au chômage et le travail informel est répandu. Il est urgent de promouvoir des formations répondant aux besoins des employeurs et de favoriser l’emploi des femmes. L’allégement des cotisations sociales pesant sur le travail salarié permettra la création d’emplois de qualité. La mise en œuvre de la stratégie d’inclusion financière facilitera l’accès au financement. Les disparités régionales en termes de chômage et de niveau de vie entre les régions côtières et les régions de l’intérieur sont importantes. Une nouvelle politique de développement régional, valorisant les atouts spécifiques de chaque région autour du développement de pôles urbains, est nécessaire. La Constitution de 2014, qui prévoit l’accroissement de l’autonomie et des compétences des collectivités locales, représente une opportunité pour réaliser cet objectif.
Études économiques de l'OCDE : Tunisie 2018
Chapitre 2. Vers une croissance plus inclusive : réduire les inégalités par la création d’emplois de qualité
Abstract
Introduction et conclusions principales
Le niveau de vie moyen des Tunisiens a augmenté de façon continue depuis plusieurs décennies tandis que la pauvreté diminuait largement. Depuis son indépendance, la Tunisie a développé l’État providence à travers une politique sociale favorisant l’universalité et la gratuité de l’éducation et de la santé, des prestations spécifiques pour les familles nécessiteuses et le maintien de prix faibles des produits alimentaires de base grâce à des subventions aux producteurs ou indirectement aux consommateurs. L’accès aux infrastructures de base telles que l’eau potable ou l’électricité a aussi été développé. Les prix des services publics de base sont subventionnés. Avec l’adoption en 1956 du Code du statut personnel, la Tunisie a reconnu le principe d’égalité entre les hommes et les femmes sur le plan socio-économique, culturel et politique.
Néanmoins, malgré tous ces efforts et le niveau de croissance des années 90 et 2000, le taux d’emploi est demeuré faible, surtout pour les femmes, environ un tiers des jeunes est au chômage et de nombreux travailleurs font face à des conditions de travail précaires, dont plus de 30 % dans le secteur informel. La création d’emplois de qualité et la participation d’une plus grande majorité de tunisiens au marché du travail doit devenir la priorité afin de donner à l’ensemble de la population l’opportunité de contribuer au développement du pays et d’améliorer leurs conditions de vie.
La hausse du niveau de vie n’a pas permis un développement équilibré et juste entre les régions et entre les hommes et les femmes. Les inégalités de revenu en Tunisie comme dans les pays de l’OCDE et les économies émergentes proviennent, en partie, de dysfonctionnements sur le marché du travail (Hoeller et al., 2012). Une croissance économique forte sera nécessaire mais pas suffisante pour créer des emplois de qualité. Pour y parvenir, les autorités tunisiennes devront mettre en œuvre un ensemble de politiques socio-économiques cohérentes relevant, non seulement du marché du travail mais aussi de la qualité de l’éducation, des réglementations sur les marchés des biens, du climat des affaires et du système fiscal.
La création d’emplois est particulièrement faible dans certaines régions. Les disparités régionales en termes de chômage et de niveau de vie entre les régions côtières et les régions de l’intérieur (nord-ouest, centre et sud-ouest) sont importantes. Les régions côtières ont un accès relativement meilleur aux services publics comme la santé, l’éducation ou l’eau potable. De plus, la majorité des industries et des services sont installés dans ces régions qui sont plus urbanisées et offrent de meilleures conditions pour l’investissement privé telles que les infrastructures et la proximité des marchés. Il est nécessaire de repenser la politique de développement régional en tirant parti des atouts de chaque région afin de les intégrer dans la chaine de valeur nationale tout en assurant une coordination efficace entre l’État et les collectivités territoriales. La Constitution de 2014 qui prévoit, d’une part, l’accroissement de l’autonomie et des compétences des collectivités et d’autre part, la mutation approfondie des rapports de l’État et des collectivités locales, représente une opportunité pour réaliser cet objectif.
Promouvoir la création d’emplois de qualité
Le PIB par habitant a augmenté tandis que la pauvreté diminuait
La Tunisie a connu une croissance soutenue depuis plusieurs décennies qui s’est traduite par une réduction de la pauvreté. Le PIB par habitant est passé de 24 % de la moyenne de l’OCDE en 1995 à 30 % en 2015, ce qui est comparable, en termes d’accroissement au Maroc mais plus faible que les pays asiatiques. L’impact de la révolution de janvier 2011 sur le niveau de vie n’a pas permis à la Tunisie de profiter du ralentissement dans les pays de l’OCDE dû à la crise financière et ainsi renforcer le rythme de sa convergence. Le PIB par habitant reste bien en deçà des pays de l’OCDE et de bon nombre de pays émergents (Graphique 2.1). Il faut noter que l’écart de PIB par habitant s’explique par des différences de productivité et de taux d’emploi. Le niveau de productivité de la Tunisie est plutôt élevé par rapport aux autres pays émergents. Toutefois, il a baissé rapidement depuis 2011. En revanche le taux d’emploi est bien plus faible que celui des pays de l’OCDE et des pays émergents.
La diminution du taux de pauvreté (% des personnes gagnant moins de 1 706 TND ou 712 USD par an, et moins de 1 032 TND ou 431 USD par an pour la pauvreté extrême, seuil de pauvreté national basé sur les besoins en calorie alimentaire) a été particulièrement importante passant de 25 % du total de la population (en 2000) à 15 % (en 2015) en seulement 15 ans. Le taux de pauvreté extrême a suivi la même tendance (Graphique 2.2). La baisse de la pauvreté a été particulièrement impressionnante en comparaison des pays de la région MENA. Le ratio des personnes vivant avec moins de 5.50 $ par jour a baissé de 28 points de pourcentage entre 1995 et 2010 en Tunisie alors qu’il baissait de 16.5 points de pourcentage sur la même période dans la région MENA (Banque mondiale, Indicateurs de développement mondial). De nombreux programmes sociaux mis en œuvre depuis les années 70 ont contribué à la réduction de la pauvreté. De plus les subventions énergétiques généreuses, le développement des infrastructures en milieu rural (routes, accès à l’eau et à l’électricité, périmètres irrigués, etc.), les augmentations importantes du salaire minimum, l’investissement dans l’éducation et les programmes de micro-crédit ont été dirigés vers la population la plus pauvre. Ainsi, la plupart des ménages tunisiens ont bénéficié dela croissance économique, y compris les plus pauvres, qui ont vu leur consommation se développer à un rythme plus élevé que les segments les plus riches (Banque Mondiale, 2016), ce qui traduit une diminution des inégalités de consommation.
Les inégalités de revenu ont diminué mais persistent
Dès son indépendance en 1956, la Tunisie a mis la problématique des inégalités au cœur de son modèle de développement. L’adoption du Code du statut personnel, la mise-en-place des mécanismes de protection sociale notamment le système de retraites ou de santé et le soutien direct aux ménages de faible revenu, ou l’objectif de l’éducation pour tous et particulièrement les femmes en sont autant d’exemples.
Cette volonté affichée des pouvoirs publics associée à une forte croissance jusqu’en 2010 a permis une réduction des inégalités (mesurées par l’indice de Gini basé sur la consommation) (Graphique 2.3). Toutefois, cette amélioration au niveau national ne s’est pas manifestée au niveau régional où les disparités de développement et de revenu entre régions restent importantes. En effet alors que les inégalités (calculées sur la base de la consommation des ménages) diminuaient à l’intérieur des régions, celles entre régions augmentaient, quoique dans une moindre mesure plus récemment (INS, 2012 et Amara et Jemmali, 2017). De plus la Tunisie fait face à des disparités entre hommes et femmes, et jeunes et personnes plus âgées (voir plus bas).
L’indice de Gini étant calculé sur la consommation et non sur le revenu, il est impossible de déterminer dans quelle mesure le système d’imposition et de transferts réduit les inégalités de revenus par la redistribution. Néanmoins, dans bon nombre de pays émergents, comme par exemple le Mexique ou la Turquie, les impôts et transferts ne jouent qu’un faible rôle dans la redistribution des revenus.
Demande et offre de travail, compétences et qualité de l’emploi
Le taux d’emploi (défini comme le nombre d’actifs occupés divisé par la population en âge de travailler, 15-64 ans) est faible, en particulier pour les femmes, alors que le taux de chômage est élevé, environ un tiers des jeunes étant à la recherche d’un emploi. Cette section analyse les tendances et caractéristiques du marché du travail et propose des solutions pour rendre le marché du travail plus dynamique et inclusif. Étant donné l’étendue du secteur informel, la qualité de l’emploi est aussi un problème important en Tunisie.
L’emploi a augmenté mais le marché du travail est confronté à de nombreux défis
La population active (définie comme la population occupée et celle au chômage) a augmenté depuis une décennie quoique dans une moindre mesure depuis 2011 (Graphique 2.4). Après 2011, les embauches dans le secteur public ont permis à l’emploi de se redresser. Néanmoins, la hausse de la population active observée en 2016 reflète aussi, dans une large mesure, une augmentation du nombre de chômeurs. Depuis une décennie l’emploi a augmenté en moyenne dans tous les secteurs de l’économie à l’exception de l’agriculture (Graphique 2.5). Néanmoins, en moyenne annuelle, l’augmentation de l’emploi total est restée assez modérée entre 2006 et 2016 pour s’élever à environ 1.2 % bien inférieure à celle de l’augmentation de la population active ce qui explique la persistance d’un chômage élevé au cours des dernières décennies. Les créations d’emplois ont été beaucoup plus importantes dans le secteur offshore, témoignant du dynamisme plus important de ce secteur (voir Chapitre 1). D’après le Registre National des Entreprises, l’emploi salarié formel dans le secteur offshore représentait environ 30 % de l’emploi salarié formel total et avait augmenté de 3 % par an environ entre 2006 et 2015 alors que l’emploi dans le secteur onshore n’augmentait que de 1.1 % par an.
Le taux d’emploi total (formel et informel) (défini comme la population active occupée divisée par la population en âge de travailler) des personnes âgées de 15 à 64 ans reste bien en deçà de celui des pays de l’OCDE et de bon nombre de pays émergents. Il s’élevait à environ 45 % en Tunisie en 2016 contre près de 70 % dans les pays de l’OCDE en moyenne (Graphique 2.6). C’est particulièrement vrai pour le taux d’emploi des femmes qui, à environ 23 %, est faible par rapport à un peu plus de 60 % observé en moyenne dans les pays de l’OCDE. Il ressort aussi que la majorité des emplois créés sont de mauvaise qualité en termes de qualification et de revenu. L’emploi informel est répandu, les contrats à durée déterminée sont fréquents et les conditions de travail sont bien souvent précaires. La situation des jeunes, notamment les jeunes diplômés, est particulièrement préoccupante.
Conscientes du problème, les autorités ont lancé, depuis 2011, une série de programmes de soutien actif à l’emploi des jeunes tel que le programme « Amal » en 2011 ou encore « Forsati » et « Dignité » plus récemment. De plus, un programme de travaux d’utilité publique a été initié depuis 2011 dans pratiquement toutes les régions du pays. L’efficacité de ces programmes est difficile à juger en l’absence d’évaluation systématique de leur mise en œuvre. En août 2017, le gouvernement a lancé une nouvelle stratégie nationale pour l’emploi afin de s’attaquer à la problématique du chômage et de l’emploi informel. Elle devrait être mise en œuvre dans un an au maximum. Cette stratégie vise à réduire les disparités entre les régions et les catégories sociales et à exploiter les opportunités d’emploi existantes en valorisant les richesses naturelles et les ressources humaines en Tunisie. La principale composante de cette stratégie consiste à encourager l’entrepreneuriat local, surtout des jeunes en leur apportant le soutien technique et financier nécessaires à la réalisation de petits projets. Il est trop tôt pour évaluer cette initiative mais la priorité donnée à l’emploi à travers cette stratégie par les autorités représente une étape importante. L’annonce, fin 2017, du ministre de l’emploi d’arrêterun certain nombre de programmes de soutien actif à l’emploi appelle à la nécessité de procéder à des évaluations systématiques avant et au cours de la mise en œuvre de ce type de programmes qui se sont avérés, dans d’autres pays, très couteux et peu efficaces.
Un des axes de cette stratégie est le développement de l’économie sociale et solidaire, définie comme « l’ensemble des activités économiques de production, de transformation, de distribution, d’échange et de consommation de biens ou de services exercées par les coopératives, les mutuelles et les associations ainsi que par toute personne morale de droit privé » (PNUD, 2017). Aujourd’hui ce secteur économique ne représente, en Tunisie, que 0.6 % de l’emploi et 1 % du PIB. Ce secteur a vocation à créer de la valeur ajoutée et de l’emploi (1.5 % de la population active en 2020) tout en assurant la cohésion sociale et la solidarité et pour ce faire nécessite un cadre institutionnel et juridique pour le promouvoir et l’encourager, y compris la mise en place de sources de financement adéquates et un système d’information pour en assurer le suivi et l’évaluation.
Le taux de chômage est élevé surtout chez les jeunes diplômés
Le taux de chômage est élevé surtout chez les jeunes et demeure l’un des problèmes majeurs de la Tunisie. En 2016, le taux de chômage s’élevait à 15.6 % de la population active alors qu’en moyenne dans la zone OCDE il n’était que de 6.3 % et s’élevait à 11.1 % dans les pays MENA (Banque mondiale, Indicateurs de développement mondial). Certains groupes sont particulièrement touchés notamment les femmes, les jeunes et les habitants des régions intérieures (voir plus loin). À environ 35 %, le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans se situe au-delà de la plupart des pays de l’OCDE et des pays émergents. De même, le nombre de jeunes qui sont déscolarisés et sans emploi est important (Graphique 2.7). Il est frappant de constater que les diplômés de l’enseignement supérieur ont un taux de chômage plus élevé que les personnes ayant atteint un niveau d’éducation primaire ou secondaire. Le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur s’élevait en 2016 à 30.5 %, les femmes enregistrant un taux de 40.4 % et les hommes de 19.4 % (Graphique 2.8). Ce fort taux de chômage des diplômés reflète le décalage entre une offre de main-d’œuvre de plus en plus qualifiéeet une demande de travail peu qualifié (Banque Mondiale, 2014) témoignant d’une part de la faible capacité de l’économie à créer suffisamment d’emplois, et d’autre part, de la lenteur du processus de transformation structurelle de l’économie tunisienne dans la mesure où l’essentiel des activités économiques sont encore confinées dans les activités de faible valeur ajoutée exigeant moins de main d’œuvre qualifiée.
Alors que les microentreprises et l’emploi indépendant jouent un rôle important dans la création d’emplois, 2 % seulement des jeunes âgés de 18 à 24 ans ont participé à la création d’une entreprise en 2012 (Belkacem et Mansouri, 2013). Par rapport à leurs pairs des pays de l’OCDE, les jeunes tunisiens sont moins nombreux à déclarer avoir un accès à des formations et des financements. Même si la Tunisie est dotée d’un système de soutien aux créations d’entreprises relativement bien développé, qui fournit des informations, des formations, des financements et des services de suivi les deux premières années d’activité, des gains d’efficience pourraient être réalisés. De plus, une meilleure assistance à moyen et long termes devrait être apportée aux jeunes entrepreneurs, particulièrement aux femmes qui se heurtent à de nombreux obstacles pour créer leur entreprise (OECD, 2015a).
La politique de recrutement dans le secteur public semble avoir aussi aggravé le problème du chômage des diplômés. Elle a consisté à recruter en priorité des chômeurs et à privilégier les chômeurs de longue durée. Ceci représentait clairement une incitation à s’inscrire auprès de l’agence pour l’emploi et attendre un emploi dans le secteur public qui offrirait au travailleur un salaire plus élevé, la sécurité du travail et des prestations de sécurité sociale meilleures (OCDE, 2015b). À présent, les sureffectifs et le niveau de la masse salariale du secteur public (plus de 14 % du PIB en 2016) démontrent que cette politique a atteint ses limites. Désormais, les emplois sont à créer dans le secteur privé. De ce fait, les politiques publiques futures devraient se consacrer à promouvoir l’entrepreneuriat des jeunes et à améliorer l’environnement des affaires pour relancer l’investissement privé.
Le chômage des jeunes en général et des jeunes diplômés en particulier, provient d’une combinaison de plusieurs facteurs. Les performances économiques modestes en matière de croissance et de transformation structurelle vers les activités à forte valeur ajoutée, en raison d’un environnement des affaires peu propice à l’investissement privé et à l’entrepreneuriat, n’ont pas permis de promouvoir l’investissement privé et la création d’emplois. Les institutions du marché du travail souffrent de dysfonctionnements en matière d’information sur les besoins du marché du travail en compétences et qualifications ; de coordination entre les institutions de formation et les employeurs pour mieux rapprocher l’offre et la demande de travail ; de conseil ; d’encadrement et de soutien aux jeunes pour améliorer leur employabilité et faciliter leur placement. La législation du travail est relativement rigide et couteuse pour les entreprises surtout en matière de licenciement y compris les licenciements pour des raisons économiques. Cette législation devra faire l’objet, conformément aux orientations stipulées dans le Contrat Social signé entre le Gouvernement et les partenaires sociaux en janvier 2013, d’une réforme visant à concilier la protection des travailleurs et la pérennité de l’entreprise économique et ce, dans le cadre du Conseil National du Dialogue Social institué en Juillet 2017. Une consultation nationale sera engagée en 2018 concernant la mise en place d’un fonds tripartite pourla perte d’emplois au profit des salariés licenciés pour des raisons économiques.
Le chômage des jeunes provient aussi de dysfonctionnements du système éducatif : la faible qualité de l’enseignement y compris de la formation professionnelle ; un système d’orientation post-baccalauréat très élitiste, sélectionnant les meilleurs et laissant la majorité des jeunes bacheliers poursuivre des études dans des filières ayant très peu de débouchés sur le marché du travail (droit, littérature, histoire, gestion, économie, etc.) ; l’absence d’un enseignement technique de qualité et attractif pour la formation de techniciens en forte demande par le marché du travail ; l’absence de système de recyclage post-supérieur permettant aux jeunes diplômés sans travail de se reformer dans des compétences et/ou spécialités recherchées par le marché du travail ; ainsi que le faible encadrement extra-scolaire des jeunes dans les maisons de jeunes (OCDE, 2017a ; OCDE, 2017b).
Un des paradoxes du marché du travail tunisien est que, malgré l’ampleur du chômage, de nombreux emplois ne sont pas pourvus. D’après une enquête récente, ils s’élèveraient à un peu plus de 145 000 emplois (IACE, 2016a). Ces postes concernent en premier lieu les industries de process, la maintenance et le commerce. D’après cette étude il ressort que les compétences des travailleurs tunisiens ne sont pas en parfaite adéquation avec les besoins des entreprises dans beaucoup de régions.
Afin de promouvoir la création d’emplois pour les jeunes diplômés, le gouvernement a mis en œuvre plusieurs programmes entre 2006 et 2015. Un peu plus de 820 000 contrats ont été signés dans le cadre de ces programmes mais seulement 484 000 sont arrivés à terme soit un taux de résiliation de 41 % (ITCEQ, 2017). De plus, un grand nombre de ces contrats ne se sont pas traduits par des embauches définitives à la fin de la prise en charge par l’État car, souvent, la qualité des compétences des candidats ne répondaient pas à l’attente des employeurs. Une première évaluation de ces programmes en novembre 2017 a conduit à la suppression de 5 d’entre eux. Le gouvernement s’est engagé à poursuivre l’évaluation de ces programmes afin de ne garder que les plus pertinents.
En mars 2017, le Contrat de dignité a été lancé pour les diplômés sortant de l’université et qui sont à la recherche de leur premier emploi depuis plus de 2 ans. Le gouvernement prend en charge le paiement des cotisations de sécurité sociale des employeurs et 2/3 des salaires (salaire de 600 dinars, soit environ 250 USD). Cette mesure vise à créer 25 000 emplois en 2017 et autant en 2018. Chaque gouvernorat bénéficie de 1 042 postes. Étant donné la présence plus importante des entreprises et de la population dans les régions côtières, les 1 042 postes alloués à ces régions pourraient s’avérer insuffisants alors que dans les régions du centre, les entreprises pourraient avoir des difficultés à proposer autant de postes étant donné leur nombre et leur taille. Ce nouveau programme devra faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation afin de maximiser son impact sur l’emploi des jeunes. À moyen-terme, il pourrait s’avérer utile d’allouer une partie des moyens dédiés à ces programmes à des formations qui permettraient de remettre les compétences des candidats en adéquation avec les demandes des employeurs. À plus long terme, c’est à une refonte du système éducatif et de formation professionnelle à laquelle la Tunisie devra s’atteler (voir plus bas).
L’emploi informel est répandu et les contrats à durée déterminée sont nombreux
L’emploi informel est répandu et, selon les sources et la définition, représenterait entre 30 % et 45 % de l’emploi total (Banque Mondiale, 2014 ; CRES, 2016). Même si ce taux est plus bas que la moyenne des pays d’Amérique Latine ou d’Asie, il reste néanmoins plus élevé que les pays de l’OCDE ou les pays en transition (Graphique 2.9). L’emploi informel est défini ici comme les personnes travaillant dans les petites ou très petites entreprises et/ou celles ne cotisant pas à la sécurité sociale. La contrebande qui représente l’économie illégale n’est pas incluse. Celle-ci résulte pour une large part d’une distorsion sur les prix provenant du contrôle d’environ 1/3 d’entre eux. Un taux élevé d’informalité est, généralement, générateur d’inégalités car les personnes travaillant dans ce secteur ont, souvent, des salaires plus faibles (Dickens et Lang, 1985 ; Bargain et Kwenda, 2010 ; Daza et Gamboa, 2013) – ils ne sont pas soumis au salaire minimum et ont moins de pouvoir de négociation car ils ne sont pas couverts par les conventions collectives –, ont des conditions de travail précaires et ont peu ou pas d’accès au système financier. De plus, le secteur informel est généralement caractérisé par des activités de faible valeur ajoutée, où la productivité du travail est faible, contribuant trèspeu à la compétitivité des économies nationales et aux finances publiques, demeurant en marge des chaines de valeur nationales et internationales.
L’économie informelle touche plus particulièrement les femmes, les travailleurs peu qualifiés et les jeunes. On estime que, en Tunisie, 50 % des jeunes occupent des emplois informels (OCDE, 2015b). En raison d’inadéquation des compétences et d’un déficit d’information, peu de travailleurs passent du secteur informel ou secteur formel. Par exemple, en Tunisie chaque année, seulement 11 % des travailleurs salariés du secteur informel et 8 % des autoentrepreneurs migrent vers le secteur formel (Angel-Urdinola et al., 2015).
De même dans le secteur formel, nombreux sont les tunisiens qui ont des conditions de travail précaires, les embauches se faisant la plupart du temps sous contrats à durée déterminée (CDD) notamment en raison des contraintes liées à la résiliation des contrats à durée indéterminée (CDI). Selon le Code du travail, le CDD ne doit pas durer plus de 4 ans et doit être transformé en CDI après ces 4 ans. Étant donné la complexité et le coût des procédures de licenciement, les employeurs préfèrent souvent ne pas convertir les travailleurs en CDI, puis s’en séparer et en embaucher de nouveaux (Angel-Urdinola et al., 2015). Alors que ce système peut permettre aux employeurs de s’ajuster plus rapidement aux fluctuations de la demande, il est source d’insécurité pour les travailleurs qui bénéficient souvent de salaires moins élevés, de hausses de salaire moins importantes et de conditions de travail plus difficiles (OCDE, 2015c et Hijzen et Menyhert, 2016). De plus, les travailleurs en CDD ne bénéficient pas des aides sociales liées aux licenciements pour des raisons économiques et techniques ou d’indemnités de licenciement si le contrat se termine avant son terme. Les jeunes actifs, en particulier, se trouvent bloqués dans des emplois précaires, réduisant leurs possibilités de carrière et dévalorisant leurs compétences, avec de larges conséquences sur la qualité des emplois comme sur la productivité. On estime que 50 % des jeunes travaillant dans le secteur formel ont un contrat temporairecontre un peu plus d’un tiers en moyenne dans les pays de l’OCDE (OECD, 2015b).
Mettre en œuvre un ensemble de politiques cohérentes pour stimuler l’emploi
Augmenter la participation des femmes sur le marché du travail
Bien que la Tunisie figure en pointe sur la question de l’égalité hommes-femmes parmi les pays de la région MENA, les autorités font face à de nombreux défis. Dès 1956, la Tunisie a affirmé, dans son Code du statut personnel, le principe des droits de la femme et de l’égalité entre les hommes et les femmes sur le plan socio-économique, culturel et politique. Depuis, de nombreuses réformes successives ont fait avancer les droits et le statut des femmes, et des mécanismes et mesures complémentaires ont été adoptés pour leur mise en œuvre. En août 2017, le président de la République a ouvert un débat proposant d’introduire l’égalité hommes-femmes au regard de l’héritage. Actuellement, les femmes héritent de la moitié de ce qu’héritent les hommes. Il est important d’accélérer l’élimination des différences juridiques entre les hommes et les femmes.
Ces politiques ont porté leurs fruits. Par exemple, la proportion des femmes parlementaires avoisine celle de la moyenne des pays de l’OCDE. Il est à noter que les femmes représentaient plus de 40 % des effectifs du secteur public en 2010, et occupaient 45 % des postes de direction dans la fonction publique, une situation comparable aux pays de l’OCDE les mieux classés sur ce plan. De plus, la part des femmes occupant des postes de direction dans les secteurs publics et privés est la plus élevée des pays MENA (14.8 %) même si celle-ci est plus faible que la plupart des pays de l’OCDE (OECD, 2017c). Des disparités importantes persistent néanmoins sur le marché du travail entre les hommes et les femmes. Le taux d’emploi des femmes est l’un des plus élevés de la région MENA. Néanmoins, alors que le taux d’emploi des hommes est légèrement inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE (68 % contre 74 % en 2016 pour les personnes âgées de 15 à 64 ans), celui des femmes est largement plus faible (23 % contre 63 %).
Le niveau d’éducation des femmes est en forte progression depuis plusieurs décennies. Par exemple, alors que le taux de scolarisation (effectifs scolarisés tous niveaux confondus en % de la population totale) des hommes passait d’environ 51 % à 61 % entre 1975 et 2016, celui des femmes passait de 32 % à 71 % (Daghari, 2017). Néanmoins, bien que le taux de scolarisation des femmes, tous niveaux confondus, soit aujourd’hui de 10 points supérieur à celui des hommes, le taux de chômage est bien plus élevé pour les femmes que les hommes (22 % contre 12 % en 2015) même si l’écart entre les deux tend à se réduire. Globalement, les femmes occupent des emplois moins qualifiés que les hommes ayant le même niveau d’instruction (Stampini et Verdier-Chouchane, 2011). Les disparités entre les hommes et les femmes au regard de l’emploi proviennent de la faible capacité de l’économie à créer suffisamment d’emplois ; du confinement d’une large proportion des filles dans des filières d’éducation peu demandées par le marché du travail ou ciblant des emplois dans le secteur public alors que ce dernier est de plus en plus saturé ; des résistances d’ordre socio-culturel surtout dans le secteur privé ; et, dans les régions, de la plus faible mobilité des femmes. Les femmes entrepreneurs se heurtent aussi à de nombreux obstacles en Tunisie, dont les principaux sont : i) les barrières culturelles opposées aulancement d’une entreprise ; ii) un défaut de garanties pour les prêts bancaires du fait que les femmes possèdent très peu de propriété en leur nom et iii) la rareté générale des femmes dans la population active et à des postes de direction (OECD, 2017c). La mise en place d’une politique de promotion de l’emploi féminin devrait être une des priorités des autorités pour compenser la baisse continue de la population active à moyen et long terme due à la chute rapide des taux de fécondité.
Dans les pays de l’OCDE, les politiques visant à réduire les inégalités hommes-femmes sur le marché du travail, consistent notamment à mieux faire connaître les lois contre la discrimination, à promouvoir la transparence salariale et à mieux appliquer les lois sur l’égalité de rémunération. Il est également possible d’introduire des quotas temporaires pour assurer une présence féminine dans les conseils d’administration des entreprises et dans les postes de direction, mais une évaluation exhaustive et préalable de l’impact économique de la réglementation devrait pour cela être menée (OCDE, 2012). De plus pour faciliter l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, les entreprises sont incitées à offrir à leurs employés une certaine flexibilité sur le lieu de travail comme un aménagement des plages horaires ou le travail à domicile.
L’offre de main d’œuvre féminine pourrait aussi être stimulée par des politiques dirigées vers la petite enfance. En Tunisie, comme dans beaucoup de pays émergents et de l’OCDE, les tâches ménagères et la garde des enfants ou des personnes âgées relèvent le plus souvent de la responsabilité des femmes. Un partage plus équitable des tâches ménagères améliore l’équilibre travail-famille pour les femmes mais aussi pour les hommes (OCDE, 2012a). Faute de moyens, le nombre de crèches publiques a beaucoup diminué depuis les années 80 même si certaines sont réhabilitées depuis 2015. Néanmoins le personnel est très mal formé et les capacités de faible qualité. Il est nécessaire de former un plus grand nombre de personnes dédiées à la petite enfance et d’instaurer un contrôle régulier des structures d’accueil et des prestations. Un effort est mené pour améliorer la couverture du pays en matière de structures d’éducation de la petite enfance de manière à atteindre un taux de couverture de 53 % en 2020 contre 35 % en 2015. Cet élargissement de la couverture pourrait contribuer à améliorer le taux d’activité de la femme pour atteindre l’objectif de 35 % en 2020 contre 28 % en 2015.
Les frais de garde d’enfants qui sont particulièrement élevés en Tunisie devraient être fixés à des niveaux qui rendent rentable un travail à plein temps pour les femmes. Un accès abordable aux structures de petite enfance augmente la participation des parents au marché du travail (Bauernschuster et Schlotter, 2015 et Thévenon, 2015). Les politiques dirigées vers la petite enfance sont aussi importantes pour le bien-être des enfants en terme de développement cognitif et de succès scolaire, de sociabilité, de santé et de revenu puisque les investissements dans la petite enfance se traduisent par des bénéfices tout au long de la vie (OCDE, 2011 ; OCDE, 2012b). Il est essentiel de poursuivre ce travail afin que les ménages les moins aisés puissent avoir accès à des gardes d’enfants de qualité à moindre frais.
Plusieurs programmes et actions ont été initiés avec l’objectif de renforcer l’autonomisation sociale, économique et politique de la femme et particulièrement la femme rurale. Ces interventions concernent notamment la promotion de la participation de la femme à la vie active et l’entreprenariat féminin, le renforcement de la participation des femmes dans la vie publique et politique, la lutte contre la déperdition scolaire chez les filles en milieu rural et la lutte contre les violences faites aux femmes.
La fiscalité élevée sur le travail maintient un grand nombre de tunisiens dans le secteur informel
Un déterminant important du travail informel en Tunisie réside dans le niveau élevé du coin fiscal, c’est-à-dire de la charge que représentent les cotisations à la sécurité sociale (employeurs et employés) et l’impôt sur le revenu. Une charge fiscale élevée limite les incitations à l’embauche pour les employeurs et à la participation au marché du travail formel pour les salariés (Graphique 2.10).
L’expérience internationale suggère qu’une baisse de la fiscalité sur le travail est favorable à la création d’emplois dans le secteur formel. Par exemple, en 2012, la Colombie a mis en œuvre une réforme fiscale qui a éliminé certaines cotisations sur les salaires et en a réduit d’autres, et qui s’est traduite par une augmentation de l’emploi formel. L’augmentation des cotisations patronales et salariales aux caisses de sécurité sociale incluses dans la loi de finance 2018 risque de peser sur le travail formel. Il faudrait financer certaines prestations sociales, comme la taxe de formation professionnelle ou certaines prestations familiales, par la fiscalité générale pour alléger le coût du travail et ainsi stimuler le travail formel.
Législation sur la protection de l’emploi, négociations collectives et salaires
Certaines réglementations et pratiques sur le marché du travail, qui pèsent aussi sur la création d’emplois stables dans le secteur formel, semblent plus difficile à réformer actuellement sans générer des protestations qui risqueraient de bloquer le processus de réforme. Ainsi, alors que la réglementation sur les licenciements pour les titulaires de contrats à durée indéterminée est plus stricte que dans bon nombre de pays émergents et partenaires, les titulaires de contrats temporaires sont très peu protégés (Graphique 2.11). Ceci génère une dualité sur le marché du travail avec, d’un côté, des groupes protégés et, de l’autre, des groupes précarisés, les possibilités de passage de l’un à l’autre étant rares.
Les négociations salariales reposent sur un système tripartite (État, UGTT – Union Générale des Travailleurs Tunisiens- et UTICA – Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat – principale association patronale du pays). Les négociations se font par branche et donnent lieu à des conventions collectives dans la plupart des secteurs de l’économie formelle (OCDE, 2015b). L’application de ces conventions aux travailleurs non syndiqués est automatique une fois la convention approuvée par l’État. Depuis 2011, suite à un accord entre l’UGTT et UTICA, les conventions collectives nationales se sont centrées uniquement sur les salaires. Bien que le Code du travail tunisien prévoie des conventions collectives au niveau des entreprises, celles-ci ne jouent en réalité qu’un rôle mineur (Ennaceur, 2000 ; Kriaa, 2012), notamment parce que la rémunération et les conditions de travail convenues dans ce cadre ne peuvent être moins favorables que celles stipulées dans les conventions collectives sectorielles (il n’est pas possible d’établir des dispositions contraires). Les entreprises prennent donc rarement part directement aux négociations collectives et se résignent à appliquer le salaire et les conditions de travail convenus au niveau sectoriel. Certains appellent à plus de décentralisation dans le processus de négociations salariales et à privilégier les conventions d’établissements sur les conventions sectorielles (Kriaa, 2012).
Depuis la fin des années 80, plusieurs réformes ont encouragé la décentralisation de la négociation collective dans plusieurs pays de l’OCDE, c’est-à-dire laisser plus de place à la négociation au niveau de l’entreprise, de l’établissement ou du lieu de travail. Aujourd’hui, dans les 2/3 des pays de l’OCDE et en voie d’adhésion, la négociation collective s’effectue principalement au niveau de l’entreprise (OCDE, 2017d). Néanmoins, il existe de grandes différences entre les pays quant à la possibilité laissée aux accords négociés au niveau de l’entreprise de modifier les conditions d’emploi définies dans des accords négociés à un niveau plus élevé. Alors qu’une centralisation totale permet de garantir une couverture et une inclusion élevées, elle ne permet pas beaucoup de flexibilité et peut compromettre l’avenir des entreprises en difficulté. À l’extrême opposé, une décentralisation totale peut offrir une souplesse considérable aux employeurs et aux syndicats au niveau des entreprises, mais se traduire par une faible couverture voire des différences de traitement, et donc être clairement limitée en termes d’inclusion et de justice sociale. L’articulation entre la négociation de branche et d’entreprise, le contenu des accords de branche, le recours aux extensions et à des clauses de dérogation (générale ou temporaire), sont quelques-uns des outils essentiels sur lesquels mettre l’accent pour garantir un bon équilibreentre flexibilité et inclusion (OCDE, 2017d).
De plus, le processus de négociations en Tunisie est long et de nombreux employeurs se plaignent du fait que ces négociations centralisées leur imposent des augmentations de salaires qui, parfois, dépassent leur capacité financière surtout en période de contraction économique. Cela pourrait les encourager à mécaniser ou automatiser le processus de production pour réduire le recours à la main d’œuvre. Les augmentations salariales sont liées à l’inflation et au pouvoir d’achat et non à la productivité. Les employeurs souhaiteraient un lien plus clair entre les augmentions salariales et la productivité. Il est à noter que depuis 2010, les salaires réels ont augmenté plus vite que la productivité surtout dans les administrations publiques, les hydrocarbures, le bâtiment et les services productifs (Ben Chaâben, 2017). À cet effet il est prévu de mettre en place une stratégie pour améliorer le pouvoir d’achat et augmenter la productivité qui vise notamment à définir des critères liant les augmentations salariales à l’amélioration de la productivité.
Le niveau et l’augmentation des salaires dans le secteur public génèrent des dysfonctionnements sur le marché du travail. En effet, l’écart entre les salaires et les avantages proposés dans le secteur public et dans le secteur privé, se traduit par une hausse de la rémunération minimale souhaitée et une abondance de candidats à des postes dans le secteur public. Ainsi, l’embauche dans le secteur privé au taux de salaire actuel devient plus difficile (OCDE, 2015b). La Tunisie devrait revoir sa politique des revenus, pour éviter les distorsions entre les secteurs public et privé, éliminer les biais actuels de préférence à l’emploi dans le secteur public alors qu’il est déjà en sureffectif, encourager la création d’emploi et l’augmentation de la productivité à travers des liens plus directs entre les augmentations des salaires, la productivité et la taille des entreprises.
Comparé à celui des pays de l’OCDE, le salaire minimum ne parait pas spécialement élevé en Tunisie par rapport au salaire moyen. De plus, la Tunisie a instauré un salaire minimum pour les jeunes de moins de 18 ans équivalent à 85 % du salaire minimum des adultes. L’instauration d’un salaire minimum inférieur pour les jeunes est une pratique assez répandue dans les pays de l’OCDE. Environ la moitié d’entre eux ont un salaire minimum minoré qui représente, en moyenne, 72 % du salaire minimum des adultes. Il reflète la différence de productivité avec les travailleurs plus expérimentés. Ces salaires minimum minorés visent à compenser l’impact négatif que pourrait avoir un salaire minimum sur l’emploi des jeunes. La Tunisie pourrait étendre ce salaire minimum minoré aux jeunes de 20 ou 22 ans et envisager de le réduire légèrement pour encourager l’emploi des jeunes qui sont les plus affectés par le chômage et la marginalisation.
Les politiques actives du marché du travail
Les politiques actives du marché du travail (PAMT) n’ont pas permis le placement d’un grand nombre de travailleurs même dans les secteurs qui ont créé des emplois (Banque Mondiale, 2015a). En moyenne entre 2013 et 2015, la Tunisie a dépensé 0.8 % de son PIB pour les PAMT et le service public de l’emploi, ce qui est légèrement supérieur à la moyenne de l’OCDE de 0.5 %. La conception des PAMT est souvent de mauvaise qualité car peu d’études préalables sont réalisées pour examiner leur pertinence et les modalités de leur mise en œuvre. De plus, peu de programmes sont destinés aux personnes peu qualifiées. Les primo-demandeurs d’emploi ne bénéficient que d’une faible couverture sociale (carnets de soins pour une durée limitée) ce qui aggrave encore les inégalités. À partir de 2018, les chômeurs bénéficient de la gratuité des soins dans les établissements publics de santé. Les PAMT existantes devraient faire l’objet d’une évaluation rigoureuse pour examiner la qualité de leur conception et de leur mise en œuvre, ainsi que leur efficacité par rapport aux objectifs retenus en termes de nombre et de qualité d’emplois. Les programmes non performants doivent être arrêtés et éventuellement remplacés par d’autres mieux conçus et tenant compte des expériences tirées des programmes précédents. Une partie des ressources allouées aux PAMT gagnerait à être allouée à desprogrammes de formations de qualité et bien ciblés vers les spécialisations et les qualifications recherchées par les employeurs. Une étude sur l’évaluation des PAMT est en cours de finalisation et ce, dans le cadre de l’élaboration de la Stratégie nationale de l’emploi en collaboration avec le BIT.
Simplifier le climat des affaires
Comme dans la plupart des pays de la région MENA, la dynamique d’entreprises (entrée et sortie) est restée faible en Tunisie ce qui suggère une faible réallocation des ressources (Rijkers et al., 2014, Shiffbauer et al., 2015). Plusieurs raisons expliquent le fait qu’il y ait peu de créations d’entreprises et donc d’emplois et que le tissu des entreprises ne s’étoffent pas. Quoique la Tunisie se classe mieux que beaucoup de pays émergents pour le climat des affaires, plusieurs dimensions pourraient être améliorées (Banque mondiale, 2017). En particulier, l’accès au financement et la bureaucratie sont souvent cités comme des contraintes majeures de l’environnement des affaires (World Economic Forum et World Bank, Doing Business). Les travaux préliminaires de l’OCDE sur les marchés de produit montrent que les barrières à l’entreprenariat sont élevées en Tunisie et plus particulièrement les permis et licences nécessaires pour créer une entreprise (voir Chapitre 1).
Les autorités prévoient de créer un statut d’entrepreneurs et de simplifier la création des start-ups. À cette fin, une plateforme avec un guichet unique a été créée. Pour l’instant cette plateforme ne gère que la création d’entreprises mais ne fournit pas les autorisations d’exercer. La simplification des procédures de création d’entreprises, et la mise en place d’une assistance technique permanente de qualité aux initiateurs de projets (études de marché et préparation de business plan, aide à la mobilisation du financement, soutien commercial, accès à la commande publique, etc.) permettraient d’encourager l’entrepreneuriat et d’augmenter la probabilité de succès des start-ups et donc de contribuer à la création de richesses et d’emplois.
Une stratégie d’inclusion financière est nécessaire
Un accès généralisé à des services de financement performants stimule la croissance et l’emploi et participe à la réduction des inégalités. Selon la Banque Mondiale, l’offre de services financiers inclusifs en Tunisie est fragmentée, incomplète et peu accessible (Banque Mondiale, 2015b). Seulement 27 % des tunisiens ont un compte dans une institution financière (22 % en milieu rural) et moins de 7 % ont une carte de crédit ce qui est faible en comparaison des pays émergents et des pays de l’OCDE (Graphique 2.12). Globalement, en Tunisie, on estime que 64 % des individus sont exclus ou mal servis par le secteur financier formel soit un taux d’inclusion financière de seulement 36 % (Banque Mondiale et CAWTAR, 2015).
De nombreuses entreprises identifient l’accès au crédit comme l’une des contraintes majeures à leur développement (World Bank, Enterprises Survey). Dans le rapport Ease of Doing Business de la Banque Mondiale, la Tunisie se positionne à peu près dans la moyenne des pays MENA au regard de l’accès au crédit mais bien en deçà des pays de l’OCDE. Pour les entreprises, l’accès au financement permet de soutenir l’investissement, la production et donc l’emploi (Banque Mondiale, 2015b). On estime entre 245 000 et 425 000 le nombre de micro et très petites entreprises formelles en Tunisie qui auraient besoin de services financiers (Banque Mondiale, 2015b).
L’offre de services financiers est assez peu développée (Graphique 2.13) et concentrée géographiquement dans les régions côtières même si la présence de la Poste dans les régions permet aux populations rurales et reculées d’avoir accès à des services financiers de base. La Poste joue un rôle important pour l’inclusion financière, mais elle n’offre pas encore de micro-épargne ou des moyens de paiement facilement utilisables. De plus, avec le quart de ses agences qui ne sont pas connectées au serveur central, des horaires d’ouverture des agences relativement restreints et des montants minimums de versement, la Poste n’est probablement pas en mesure de répondre entièrement aux besoins des entreprises (Banque Mondiale, 2015b). Les services offerts par les banques ne sont pas adaptés aux micro- et petites entreprises et aux personnes à faibles revenus car les frais de tenue de compte et les garanties pour les prêts sont élevés. Les individus qui n’ont pas accès à la finance formelle se tournent vers des financements informels souvent risqués et coûteux.
Une manière importante de lever les obstacles à la demande de services financiers est de développer l’éducation financière (Atkinson et Messy, 2013). La connaissance financière peut être améliorée par des campagnes de sensibilisation ou des formations individuelles ou collectives (Deb et Kubzansky, 2012).
Les autorités ont lancé une stratégie d’inclusion financière dont la mise en œuvre est prévue pour la période 2018-22, visant, entre autres, le développement de la finance digitale, de la micro-assurance, de l’économie sociale et solidaire et de l’éducation financière. En 2011, une loi a réglementé l’activité des institutions de microfinance et permis l’introduction d’une nouvelle forme juridique pour les institutions de microfinance et la mise en place d’une autorité de régulation et de supervision du secteur. Néanmoins, la gamme des services financiers disponibles demeure limitée, la micro-épargne et la micro-assurance n’étant pas encore accessibles. En 2016, un Observatoire de l’Inclusion Financière a été créé au sein de la Banque Centrale avec pour principales missions l’évaluation et le suivi de l’évolution de l’accès aux services financiers. De nombreux pays émergents ont mis en œuvre des mesures permettant d’accroître l’inclusion financière dont la Tunisie pourrait s’inspirer. Par exemple, le Brésil, la Colombie et l’Inde ont promu l’inclusion financière en ouvrant des comptes bancaires pour tous et en y versant les prestations sociales.
Une étude sur l’inclusion financière a été lancée fin 2017 avec pour objectif de déterminer, sur la base d’indicateurs, le niveau de l’inclusion financière. Cette étude sera répliquée dans le futur par l’Observatoire de l’Inclusion Financière en collaboration avec l’INS. Enfin, le projet de loi relatif à la promotion des startups a été approuvé, fin 2017, par le Conseil des Ministres. Il vise la simplification des procédures administratives, la facilitation de l’accès au financement, l’encouragement à entreprendre et la création des conditions nécessaires pour une percée internationale des startups.
Promouvoir la qualité de l’éducation pour améliorer l’employabilité des travailleurs
Le développement du capital humain est la base d’une croissance inclusive. En Tunisie, les politiques mises en œuvre depuis de nombreuses années ont permis une scolarisation presque totale des garçons et des filles et une amélioration des rendements des différents niveaux d’éducation y compris l’enseignement supérieur. La scolarisation obligatoire entre 6 et 16 ans et la gratuité des études ont conduit à des taux de scolarisation quasi-universels (Daghari, 2017) : 100 % pour le primaire et 81.3 % pour le secondaire. Le nombre d’étudiants s’engageant dans l’enseignement supérieur a triplé au cours des 20 dernières années (Banque Mondiale, World Development Indicators database). Quant au nombre de diplômés du supérieur, il a doublé sur la même période.
La qualité de l’éducation et l’adéquation des compétences acquises aux besoins du marché du travail semblent poser problème. Les tests PISA de l’OCDE révèlent que la performance des élèves en mathématiques, sciences et en compréhension de l’écrit a peu ou pas augmenté depuis 2006 et se situe parmi les plus basses des pays couverts par l’enquête et ne correspond pas au niveau de développement de la Tunisie (Graphique 2.14.A). En outre, la part des personnes n’ayant pas atteint le niveau d’éducation de base (en écriture et lecture) est très élevée (Graphique 2.14.B). Outre le fait qu’il permet une amélioration du bien-être personnel des individus, l’investissement dans une éducation de qualité est essentiel pour la croissance et par-là même pour la création d’emplois.
La qualité de l’éducation dépend de la qualité de la formation des enseignants, de la pertinence des programmes, des méthodes pédagogiques et d’évaluation des acquis, et des infrastructures qui lui sont dédiées. Les dépenses publiques dédiées au secteur de l’éducation sont relativement élevées puisqu’elles représentent 6.3 % de PIB (Banque mondiale, Indicateurs de développement mondial), soit plus que la moyenne de la région MENA (4.5 %) ou les pays de l’OCDE (5.3 %). L’accompagnement des enseignants, en termes de modernisation de la pédagogie, des programmes ou curriculum, et les méthodes d’évaluation tant des acquis des étudiants que de la performance des enseignants, ont été identifiés par les autorités tunisiennes comme étant les points faibles du système d’éducation du pays. Les enseignants ont besoin de formation continue pour adapter leurs méthodes pédagogiques, et actualiser leurs programmes. Ils ont aussi besoin de soutien pour moderniser les méthodes d’évaluation des élèves et identifier aussi tôt que possible ceux qui risquent de décrocher afin de leur procurer l’aide adéquate. À cette fin, l’école doit disposer d’un bon niveau d’autonomie et de ressources appropriées tels que les outils d’évaluation, du matériel didactique et du personnel assistant, pour effectuer les adaptations jugées utiles pour les élèves et apporter les améliorationsnécessaires à une meilleure qualité d’apprentissage.
Les expériences de nombreux pays de l’OCDE ont montré que la formation initiale et la mise-à-niveau des connaissances et des méthodes didactiques des enseignants tout au long de leur vie professionnelle sont essentielles pour maintenir un bon niveau de qualité du système éducatif. La mise à jour des programmes et leur adaptation continue aux besoins de l’économie nationale constituent désormais une nécessité pour bien préparer les étudiants à mieux répondre aux besoins des employeurs dont la demande évolue rapidement en raison de l’accélération des progrès de la technologie et des changements rapides de la demande des marchés. De ce fait, une amélioration de la qualité de l’éducation, surtout dans le domaine scientifique (en 2015, 30 % des chômeurs de l’enseignement supérieur avaient une maitrise en science exacte), renforcera la compétitivité du pays et sera, de ce fait, une source de croissance économique et sociale. À titre d’illustration, si tous les élèves tunisiens atteignaient le niveau de connaissance de base, l’OCDE a estimé que le PIB augmenterait de 0.9 points de pourcentage par an sur le long-terme (OECD, 2015d).
Plusieurs études ont démontré que les employeurs avaient du mal à trouver de la main d’œuvre répondant à leurs besoins (par exemple, World Bank Enterprises Survey 2013 et IACE, 2016a). C’est en particulier la main-d’œuvre peu qualifiée et moyennement qualifiée qui fait défaut. Le fait qu’un grand nombre de diplômés de l’enseignement supérieur ne trouve pas d’emploi est aussi significatif de cette inadéquation. Le taux de sous-emploi et d’inadéquation (défini comme les personnes occupant un emploi ne correspondant pas à leurs compétences) parmi les diplômés universitaires s’élève à 30 % pour les techniciens et à 36 % pour les détenteurs d’une licence en sciences humaines. De plus, les formations privilégiées ne correspondent pas à celles demandées par le marché du travail comme les opérateurs de machine, les artisans, les comptables et les commerciaux (Angel-Urdinola et al., 2015). Les autorités tunisiennes doivent inciter les entreprises, les centres de formation professionnelle et les universités à collaborer plus activement afin que ces dernières fournissent aux étudiants les formations nécessaires au marché du travail.
La formation professionnelle permet de donner à de nombreux jeunes les compétences nécessaires pour s’intégrer sur le marché du travail et réussir leur carrière professionnelle (OCDE, 2010). Les autorités tunisiennes envisagent une réforme de l’enseignement et de la formation professionnels (EFP) qui souffrent de plusieurs lacunes. Les offres de formations dépendent essentiellement des capacités du système et ne reflètent pas les besoins de l’économie. De plus, les effets négatifs de la faible valorisation des collèges techniques, et le sous-développement des options de qualité dans le deuxième cycle de l’enseignement secondaire se traduisent par un manque d’intérêt des étudiants pour l’EFP (OECD, 2015b). Les élèves qui suivent les filières EFP, bien souvent, ne l’ont pas choisi et sont issus de familles plus défavorisées, ce qui perpétue la marginalisation sur le marché du travail et ainsi les inégalités. La réforme envisagée vise à améliorer la qualité et la gouvernance du système tout en renforçant l’intégration du plus grand nombre. Il est nécessaire de mettre en place des possibilités de passage entre l’enseignement général et les filières professionnelles. De plus, la qualité de ces programmes semble relativement faible. Il est nécessaire de renforcer la coordination entre les ministères en charge de l’EFP (OECD, 2015b).
Les autorités tunisiennes ont initié une série de réformes dans le cadre d’un plan stratégique pour l’éducation 2016-2020. Il s’agit d’améliorer la qualité du système par une meilleure formation des enseignants et une montée en gamme des programmes et des infrastructures. En 2015, le gouvernement a lancé le plan stratégique de la réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, 2015-2025. Celui-ci a pour but d’améliorer la qualité de la formation universitaire et l’employabilité des diplômés, de promouvoir la recherche et l’innovation, de promouvoir la bonne gouvernance du système et d’optimiser la gestion des ressources, de réviser la carte universitaire pour de meilleurs ancrage et équilibre régionaux et de promouvoir la formation pédagogique des enseignants (République Tunisienne, 2015).
Vers une nouvelle politique de développement régional
Des améliorations de niveau de vie ont été observées dans l’ensemble des régions tunisiennes. Le taux de pauvreté a baissé et l’accès aux infrastructures de base et aux services publics a été largement amélioré au cours des vingt dernières années. Néanmoins, le choix d’un modèle de développement économique basé sur les exportations manufacturières, le maintien d’une forte centralisation des décisions et le manque de connections rapides entre les régions de l’intérieur et les zones côtières ont généré une concentration des activités sur les zones côtières laissant les régions de l’intérieur à la traine. Cette concentration s’est traduite par un faible niveau d’investissements privés dans les régions de l’intérieur et donc peu de développement des activités productives et de création d’emplois d’où des dispersions importantes du taux de chômage entre les régions (Graphique 2.15).
Le niveau de vie s’est amélioré dans l’ensemble des régions
La priorité donnée à l’amélioration du niveau de vie des tunisiens depuis l’indépendance s’est traduite par une réduction significative du taux de pauvreté dans l’ensemble des régions. Néanmoins, des disparités persistent entre les régions et le taux de pauvreté demeure important dans certaines régions (Graphique 2.16). Selon l’INS, alors que le Grand Tunis enregistrait en 2015 un taux de pauvreté de 5.3 %, le Centre-Ouest et le Nord-Ouest enregistraient des taux de 31 % et 28 % respectivement.
Le ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération Internationale a développé un indice de développement régional sur la base de 4 composantes : conditions de vie, indicateurs sociaux et géographiques, capital humain et indicateurs du marché du travail. Ce dernier montre aussi clairement la disparité entre les régions, Tunis et les régions côtières enregistrant un niveau de vie sensiblement plus élevé que les autres régions (Graphique 2.17).
De même l’accès aux infrastructures s’est beaucoup amélioré. Ainsi, le taux de raccordement des ménages au réseau d’eau potable dans la région centre-ouest, qui est l’une des plus pauvres, a été porté de 38 % en 1994 à 65 % en 2014. Des progrès ont aussi été enregistrés dans l’accès aux soins de santé. Des centres de santé de base publics sont implantés sur tout le territoire. Ils sont, néanmoins, sous- utilisés, notamment dans les régions intérieures, en raison du manque de personnel hospitalier et de sous équipement. De même, les régions intérieures manquent de médecins spécialistes qui sont pour l’essentiel concentrés à Tunis et dans quelques villes côtières.
Les statistiques régionales sont assez peu nombreuses en Tunisie. Il est donc difficile de faire un état des lieux détaillé et d’évaluer les performances régionales par rapport aux autres pays de la zone ou de l’OCDE. La mise en place du financement des régions qui s’inscrit dans le cadre du projet de décentralisation devra se baser sur des indicateurs régionaux comme le produit intérieur brut. Il est particulièrement recommandé au gouvernement tunisien d’encourager l’INS à identifier les informations économiques et sociales au niveau des régions qui devront être collectées et publiées d’une façon systématique afin de permettre une analyse économique adéquate nécessaire à la bonne conception et à la mise en œuvre des politiques publiques régionales les plus efficaces possibles. L’OCDE travaille actuellement avec l’INS sur ce projet.
L’activité économique productive s’est concentrée dans les régions côtières
Depuis son indépendance, la Tunisie a donné la priorité au développement des villes dynamiques, l’ouverture commerciale et la compétitivité industrielle. Cette politique avait pour but de répondre aux besoins en services publics et en emplois générés par une forte urbanisation des grandes villes. Elle s’est traduite par le rôle dominant occupé par Tunis et les régions du littoral Centre et Nord-Est (ministère de Développement régional, 2011). Malgré l’importance des investissements publics et les fortes incitations à l’investissement privé dans les régions de l’intérieur, ce modèle de développement par les exportations a créé une économie à deux vitesses où le secteur offshore, majoritairement situé dans les régions côtières, s’est développé rapidement tandis que le secteur onshore peinait à se développer et à créer des emplois. Plus encore, il n’a pas pu tirer profit des opportunités et des retombées positives que pouvait offrir le secteur offshore (voir Chapitre 1). De ce fait, les habitants des régions de l’intérieur éloignées des ports ont dû soit émigrer vers les villes côtières offrant des opportunités d’emplois plus rémunérateurs ou se concentrer sur des activités rurales à faible productivité et donc faiblement rémunératrices (ministère de Développement régional, 2011).
Les investissements publics par habitant entre 1990 et 2005 ont été plus élevés dans les régions de l’intérieur que dans les régions côtières. En revanche, malgré les incitations dirigées vers les régions de l’intérieur, les investissements privés ont majoritairement bénéficié aux régions côtières et conduit à une concentration des entreprises dans ces régions. Ainsi près de 56 % de la population et 92 % de toutes les entreprises industrielles se concentrent à moins d’une heure de route des trois plus grandes villes du pays : Tunis, Sfax et Sousse. Près de 20 % de l’ensemble des entreprises privées se situent à Tunis et 50 % des entreprises sont situées dans seulement 5 gouvernorats (Graphique 2.18). En outre, la taille des entreprises privées situées dans les régions côtières est globalement plus grande ce qui leur permet d’être plus productives et donc de verser des salaires plus élevés, et d’investir plus fréquemment. La majorité des créations d’entreprises a lieu dans le nord-est et le centre ouest.
L’activité économique dans les régions intérieures est moins diversifiée que dans les régions côtières, ce qui les rend plus vulnérables aux chocs et entraine une volatilité plus grande de leur production (BAD, 2014, OCDE, 2015a). Les régions de l’intérieur dépendent généralement d’une gamme étroite de produits de base traditionnels et sont peu intégrées dans les chaines de valeur mondiales. Il est à noter que la diversification de la structure industrielle pour les gouvernorats du littoral est relativement stable depuis une quinzaine d’années (BAD, 2014).
La dispersion du chômage est importante
Cette concentration de l’activité à Tunis et dans les régions côtières se traduit naturellement par une dispersion accentuée du taux de chômage entre les régions. Alors que le chômage représentait en 2016 moins de 10 % de la population active âgée de 15 à 64 ans à Monastir et Sfax, il dépassait 25 % à Gafsa et Tataouine. Plus préoccupant, le chômage s’est aggravé de manière plus forte dans les régions où il était le plus élevé. Cette dispersion est l’une des plus importantes des pays de l’OCDE (Graphique 2.19)
Les disparités en termes de chômage qui résultent de la concentration de l’activité économique sont exacerbées par des disparités au niveau de l’éducation qui sont plus importantes que dans la plupart des pays de l’OCDE (Graphique 2.20). Malgré les efforts déployés pour la généralisation de l’accès à l’éducation, l’analphabétisme, qui concernait encore 18 % de la population en 2014, s’élevait à 12 % en milieu communal et à 32 % en milieu non-communal qui est, pour l’essentiel, rural. De même, les taux de scolarisation varient d’une région à l’autre. Ainsi, 14 régions enregistrent des taux nets de scolarisation de la tranche d’âge 6-11 ans inférieurs à la moyenne nationale (98 %). Le taux de scolarisation des 12-18 ans qui était de 79 % au niveau national en 2012-13 ne s’élevait qu’à moins de 70 % dans les régions centrales telles que Kairouan et Kasserine (Dhaoui, 2015). Or, le niveau de capital humain est un déterminant important de la croissance économique régionale (OECD, 2012c). C’est plus précisément le niveau d’éducation des personnes faiblement qualifiées qui est important car elles sont moins mobiles. Une large proportion de travailleurs peu qualifiés peut avoir un impact important sur la croissance.
Même si les taux de scolarisation ont augmenté dans l’ensemble de la Tunisie, l’accès à l’éducation n’est pas le même partout. Ainsi la déficience de la connectivité (physique ou technologique) dans les zones rurales est un frein à l’expansion de l’éducation. En 2013, plus de 75 % des écoles de Tozeur, Tunis et Monastir avaient accès à Internet tandis que la couverture était inférieure à 10 % à Sidi Bouzid, Kasserine et Kairouan (Dhaoui, 2015). L’accès à l’eau potable reste insuffisant pour les écoles de l’intérieur. En 2015-16, alors que la majorité des régions côtières étaient couvertes à plus 95 %, Kasserine et Sidi Bouzid l’étaient à moins de 40 %. De plus, les élèves de l’intérieur ont à parcourir une distance bien plus importante pour rejoindre l’école car plusieurs écoles ne sont pas desservies par des routes (ITCEQ et OIT, 2017). La qualité de l’éducation est souvent moindre dans les régions reculées. La différence entre les taux de réussite au baccalauréat des régions intérieures et ceux du littoral, peut être attribuée aux différences socio-économiques entre ces régions mais aussi à la qualité de l’enseignement.
Le ministère de l’Éducation a mis en place à partir de 2000, des zones d’éducation prioritaire auxquelles les pouvoirs publics allouent du personnel et des ressources matérielles supplémentaires afin de permettre à ces régions de combler leur retard en termes d’éducation. Il est particulièrement important que les politiques régionales ciblent les zones (régionales et locales) où la qualité de l’éducation est encore inférieure à celle des autres régions. Des programmes spécifiques de rattrapage doivent être élaborés et mis en œuvre dans ces zones.
Une nouvelle politique de développement régional est nécessaire
Dans le passé, les politiques de développement régional dans les pays de l’OCDE se fondaient essentiellement sur des subventions sectorielles et des aides financières aux régions défavorisées. Ces politiques instauraient, de fait, une dépendance économique de ces régions par rapport aux régions plus dynamiques et favorisaient très peu leur capacité à croître. À présent, les pays de l’OCDE adoptent des politiques plurisectorielles qui valorisent les actifs spécifiques de chaque région tout en assurant une coordination à la fois verticale (entre différents niveaux de gouvernement) et horizontale (entre différentes politiques et différents secteurs) (OECD, 2012c). Il s’agit de puiser dans le potentiel sous-utilisé des régions pour améliorer leur compétitivité. Ainsi, les régions doivent identifier les secteurs qui leur permettront de s’insérer dans les chaines de valeur mondiales et d’attirer les investissements directs étrangers.
Les principaux facteurs de croissance au niveau régional sont notamment le capital humain, la disponibilité et la qualité des infrastructures et les effets d’agglomération qui favorisent les innovations et l’augmentation de la productivité. Pour en tirer le meilleur profit, il faut tenir compte de la complémentarité de ces facteurs et ainsi mettre en œuvre une approche intégrée dans laquelle ils se renforcent mutuellement (OCDE, 2012c). Le développement régional dépend aussi de l’environnement des affaires au niveau local et de la qualité de la gouvernance locale. Il est important qu’une coordination efficace ait lieu entre les différents niveaux de gouvernement de façon à ce que les décisions politiques soient cohérentes et que leurs effets ne s’annulent pas les uns les autres. Une coopération horizontale est aussi nécessaire entre régions mitoyennes de façon à éviter un gaspillage de ressources et à favoriser les économies d’échelle.
Depuis 2011, le gouvernement a réaffirmé le caractère prioritaire du développement régional. Cette priorité fait partie du plan de développement 2016-2020 et est reprise parmi les 6 grands piliers du Pacte de Carthage. La Constitution de 2014 inclut un principe d’égalité de niveau de vie entre les régions et souligne l’importance d’un développement régional équitable, de la justice sociale et du développement durable. Elle mentionne qu’une discrimination positive au profit des régions de l’intérieur peut être appliquée pour atteindre ces objectifs. Cette stratégie repose sur 5 piliers (Encadré 2.1). La nouvelle Constitution prévoit aussi l’évolution de l’organisation territoriale avec la naissance du district. L’évolution de l’organisation administrative et financière de ces entités figure parmi les sujets définis par le code des collectivités locales, encore en cours de discussion à l’Assemblée des Représentants du Peuple.
Encadré 2.1. Une stratégie régionale basée sur la discrimination positive
Pour réduire les inégalités entre les régions comme il est stipulé dans la Constitution de 2014, les autorités envisagent la mise en œuvre d’une stratégie basée sur la discrimination positive. Cette stratégie repose sur 5 piliers :
Assurer la connectivité des régions
Moderniser et assouplir le système de financement du développement régional
Promouvoir le développement dans les régions et améliorer leur attractivité
Améliorer les conditions de vie aux niveaux local et régional
Développer la décentralisation et instaurer les bases de la gouvernance locale et régionale
Source : Plan Quinquennal du Gouvernement tunisien.
Le nouveau code de l’investissement, entré en vigueur en Avril 2017, prévoit des dispositions spécifiques pour la promotion des investissements dans les régions du centre et du sud du pays. Ainsi, il est prévu de verser une prime d’investissement allant de 15 à 30 % avec un plafond de 3 millions de dinars pour les zones d’encouragement au développement régional dont la liste est fixée par décret dans les secteurs de l’industrie, de l’artisanat et quelques activités de services (République Tunisienne, 2017). Il est aussi prévu une déduction totale à 100 % de l’assiette imposable pendant 5 ou 10 ans et une prise en charge de la contribution patronale pendant 5 ou 10 ans. Il est important de suivre et évaluer l’impact réel de ces mesures pour éliminer celles qui ne fonctionnent pas et améliorer celles qui semblent avoir un impact concret sur l’investissement et le développement dans les régions ciblées.
De même, la loi de 2015 sur les partenariats publics/privés (PPP) ainsi que ses décrets d’application de 2016 incluent le développement régional comme un objectif essentiel. Elle permet aux gouvernements locaux d’avoir recours directement à des PPP pour dynamiser l’économie locale et développer des projets d’infrastructures sociales.
Le gouvernement prévoit de mettre en œuvre une stratégie nationale de développement régional qui se baserait sur le soutien à des filières plutôt qu’à des secteurs, ce qui est la pratique actuelle. Dans le cadre de la nouvelle loi sur l’investissement, l’instance tunisienne de l’investissement serait présente dans les 24 gouvernorats et remplacerait toutes les structures existantes. Cette stratégie basée sur le développement des chaînes de valeurs va dans la bonne direction mais, pour être réellement efficace, devra être complétée par plusieurs mesures.
Une stratégie possible de développement régional, inspirée d’autres expériences réussies, consisterait, pour les autorités, à promouvoir le développement de pôles régionaux à l’intérieur du pays. Ces pôles prendraient appui sur des centres urbains (villes existantes à développer) pour exploiter les économies d’agglomération que seuls les centres urbains d’un certain niveau peuvent générer grâce à la taille des marchés qu’ils offrent, et à leur capacité d’attirer des investissements productifs. Par effet d’entrainement, ces pôles serviraient de moteurs au développement des régions dans lesquelles ils se situent en offrant des marchés d’échange et d’intégration économique tant au niveau régional que national.
Actuellement, il existe 3 offices de développement régionaux (en charge de 4 gouvernorats chacun) et 1 commissariat (en charge des autres gouvernorats dont Tunis). De plus, il existe une direction régionale de développement dans chaque gouvernorat. La rationalisation et la modernisation des institutions en charge du développement régional, en les dotant de ressources humaines de grandes compétences, jouissant de l’autonomie financière et de décision, permettrait la mise en place de la stratégie. Le personnel de ces institutions devrait être composé d’agents locaux, connaissant le terrain, accompagnés par des agents venant du gouvernement central qui apporteront, si besoin, les compétences nécessaires dans un processus d’apprentissage par la pratique. Ces institutions indépendantes seraient entièrement dédiées à la planification et à la gestion de projets de développement en fonction des besoins et du potentiel économique de la région; à l’identification des opportunités d’investissement privés et la recherche de promoteurs et entrepreneurs potentiels ; à la mise en place d’un environnement propice à l’investissement privé (élimination des obstacles règlementaires et administratifs) ; et enfin à l’assistance aux investisseurs et aux jeunes entrepreneurs de la région pour les aider à accélérer la mise en place de leurs projets. Cette stratégie devrait être évaluée et ajustée d’une façon continue en fonction des résultats obtenus et des conditions réellesdu terrain. La mise à niveau des infrastructures et des services publics des régions de l’intérieur, et l’amélioration rapide de leur connectivité physique et digitale permettrait de réduire les inégalités, d’améliorer les conditions de vie de la population tout en renforçant l’attractivité de ces régions et leur intégration aux marchés national et international.
Le processus d’urbanisation peut renforcer la productivité et le bien-être des citoyens
Le développement économique s’est toujours accompagné d’un processus d’urbanisation. Sa réussite repose sur des politiques adaptées en termes de transports, de logement et de planification spatiale. Le succès de l’urbanisation repose aussi sur une bonne gouvernance à l’échelle de la métropole et doit soutenir les partenariats entre les communes.
L’urbanisation est source de croissance économique car les villes sont globalement plus productives et innovantes que les zones rurales (OCDE, 2015e). Les personnes qui se déplacent vers les villes bénéficient généralement de salaires plus élevés et de services publics de meilleure qualité. Dans la plupart des pays de l’OCDE, la productivité du travail et les salaires augmentent avec la taille des villes y compris lorsqu’on tient compte de certaines caractéristiques des travailleurs comme le niveau d’éducation. Les économies d’agglomération engendrées proviennent de la concentration des entreprises et des travailleurs dans un même lieu. Cela permet aux entreprises de bénéficier des avancées technologiques, de meilleures opportunités pour partager les intrants intermédiaires, d’avoir accès à un nombre important de travailleurs ayant des compétences multiples et d’avoir accès à un marché important qui leur permet d’exploiter les économies d’échelle (OCDE, 2014). La performance des villes peut aussi avoir des retombées positives sur les régions alentour dans un rayon estimé à 1 h de route environ (OCDE, 2015e).
En Tunisie, il serait important de soutenir le développement de pôles urbains qui serviraient de moteurs au développement des régions dans lesquelles ils se situent en générant des économies d’agglomération. Le développement des infrastructures autour de ses pôles sera nécessaire pour leur connexion aux divers marchés et devrait faire l’objet de plans d’investissements publics prioritaires financés par l’État. L’amélioration des services publics (éducation, santé, etc.) et des institutions renforcerait leur attractivité et permettrait d’attirer du personnel qualifié. Selon une enquête de l’IACE auprès d’entreprises, 50 % des gouvernorats ne disposent pas d’un niveau assez élevé d’infrastructure et de cadre de vie pour attirer les investisseurs (IACE, 2016b).
Développer la connectivité des régions isolées
Il est important de développer la connectivité des régions reculées pour leur permettre d’élargir leurs marchés et de renforcer la mobilité des travailleurs des régions en déclin vers les régions plus dynamiques. Le Plan National de Développement 2016-2020 inclut un plan d’investissement public relativement important qui vise à renforcer la connexion entre les régions par le développement d’un maillage de routes. La qualité des infrastructures routières varie beaucoup entre les régions, le réseau routier dans les régions du sud et du centre-ouest étant peu modernisé et mal entretenu. Même si le développement des infrastructures routières à lui seul ne suffit pas à promouvoir la croissance des régions isolées, des infrastructures performantes sont un atout important pour les entreprises. Le développement de meilleures connexions routières et de routes secondaires peut jouer un rôle important dans la politique de développement régional. Le développement de routes dans les régions isolées renforce l’accessibilité des régions en réduisant le temps et les coûts de transport. Les entreprises peuvent ainsi réaliser des gains de productivité en améliorant la production et la distribution. Enfin les populations isolées auront un meilleur accès à l’emploi et aux services publics (OCDE, 2002). La poursuite du maillage des routes est donc essentielle pour améliorer la mobilité des travailleurs.
La mobilité peut aussi être renforcée par une politique du logement adaptée visant, par exemple, à promouvoir le marché locatif ou baisser les coûts lors de la transaction d’un bien. Alors qu’environ 60 % des ménages de Tunis sont propriétaires de leur logement, ils sont près de 80 % dans les communes du Gouvernorat de Gafsa et 75 % dans celle de Kasserine. Cela tend à montrer que le secteur locatif est bien moins développé dans ces 2 villes qu’à Tunis.
Améliorer la connectivité technologique (Internet) des travailleurs avec les zones d’emploi est aussi important pour bénéficier des effets d’entrainement et de diffusion. Par exemple, le nombre des ménages ayant accès à Internet varie énormément d’une région à l’autre. Alors qu’ils sont plus de 45 % à Tunis, Ben Arous et Ariana, ils ne sont que 10 % à Kairouan, Sidi Bouzid et Kasserine (Graphique 2.21). Le déploiement de la connexion haut-débit sur l’ensemble du territoire est essentiel pour le développement régional.
La décentralisation pour favoriser le développement régional
Dans le cadre de la stratégie de développement régional, les autorités prévoient une plus grande décentralisation des responsabilités aux gouvernements élus aux niveaux régional et local (communal). Actuellement, les responsabilités des régions et des communes sont très limitées. Le conseil régional est notamment responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre du plan régional de développement qui doit s’intégrer dans le cadre du plan national de développement économique et social, et de l’élaboration des plans d’aménagement du territoire hors des périmètres communaux et de l’examen du plan directeur d’urbanisme du gouvernorat. Le conseil municipal est notamment responsable du budget communal et définit, dans la limite des ressources de la commune et des moyens mis à sa disposition, le programme d’équipement de la collectivité. Le projet de loi sur la décentralisation prévoit, outre le niveau national, trois niveaux de collectivités locales : la commune (ou municipalité) actuellement au nombre de 350 et couvrant l’ensemble du territoire national, la région au nombre de 24, et enfin le district qui couvre un certain nombre de régions. Le nombre de district n’est pas encore fixé. Il est prévu que le processus de décentralisation en matière de réallocation des responsabilités et de transfert des ressources soit progressif et graduel dans le temps pour permettre aux collectivités décentralisées de développer les capacités de gestion nécessaires à laprise en charge des nouvelles responsabilités (Graphique 2.22).
Les budgets locaux ne représentent que 3.6 % du budget de l’État contre 10 % au Maroc et 20 % en Turquie (Banque Mondiale, 2015c). La fiscalité locale (prélevée au niveau de la municipalité) comprend, notamment, la taxe sur les immeubles bâtis, la taxe sur les terrains non bâtis, la taxe sur les établissements à caractère industriel, commercial ou professionnel, la taxe hôtelière, la taxe sur les spectacles et les droits de licence sur les débits de boisson. Les collectivités communales sont confrontées à des difficultés de financement en raison de l’augmentation des effectifs des communes et de la masse salariale (doublement entre 2011 et 2015). Plus de 70 à 90 % des budgets des communes sont affectés aux salaires de sorte que les transferts du gouvernement central sont désormais utilisés pour couvrir les frais de fonctionnement des communes en lieu et place des investissements comme par le passé. De plus, le financement des collectivités locales a pâti de la baisse importante des taux de recouvrement des taxes locales, de la mauvaise gouvernance des affaires locales et d’un manque de contrôle de la qualité des dépenses.
Dans les pays de l’OCDE, les gouvernements locaux ont deux sources de revenus : les impôts qu’ils collectent et les transferts du gouvernement central, ces derniers ayant pour but la péréquation financière. En règle générale, les revenus devraient, dans la mesure du possible, couvrir les dépenses des entités locales. Les revenus ainsi générés renforcent l’autonomie des communes dans la détermination des niveaux de services publics communaux, la responsabilité des autorités locales vis-à-vis de leurs concitoyens, la mobilisation des ressources, la soutenabilité des dépenses (OECD/KIPF, 2016). Il n’est pas aisé de choisir les taxes qui doivent incomber aux régions. Une importante littérature suggère que les gouvernements locaux doivent prélever les impôts pour lesquels il existe un lien clair entre ce que les ménages et les entreprises paient et les services publics qu’ils reçoivent (Oates et Schwab, 1988). Ainsi les impôts prélevés au niveau régional doivent être non-mobiles, non-redistributifs et non-cycliques (pour éviter que les gouvernements locaux ne mettent en œuvre des politiques budgétaires pro-cycliques). L’expérience des pays de l’OCDE suggère qu’avec une combinaison d’impôts sur la propriété, une part d’impôts sur le revenu des personnes physiques et dans certains cas d’impôts sur la consommation, à recettes égales, une augmentation de la part des impôts locaux pourrait aller de pair avec un système fiscal plus efficaceet une réduction des transferts inter-gouvernementaux (OECD/KIPF, 2016). Ce cadre requiert une administration fiscale locale transparente qui n’est pas toujours le cas dans les pays émergents.
La décentralisation permet généralement une meilleure adéquation entre la fourniture des biens et services publics et les préférences des citoyens. Mais il convient de s’assurer que toutes les régions puissent bénéficier de cette décentralisation et en particulier les plus pauvres qui pourraient perdre en compétitivité en raison de différentes capacités institutionnelles (capacité financière et compétence de l’administration locale) et de différentes caractéristiques économiques (productivité, infrastructure, etc.) (Rodriguez-Posé et Gill, 2004). Une étude menée sur les pays de l’OCDE confirme que la décentralisation des impôts et des recettes a tendance, dans certaines conditions, à réduire les disparités régionales. Cette réduction provient de la responsabilité qu’ont les régions à récolter l’impôt et donc de leur capacité à engager les dépenses qui répondent le mieux aux besoins des citoyens (Bartolini et al., 2016).
Les autorités tunisiennes ont conscience des risques associés à la décentralisation comme le coût à court terme sur les finances publiques, le manque de capacités humaines et techniques au niveau local et les possibilités de développement de la corruption au niveau local comme on l’a observé dans de nombreux pays nouvellement engagés dans des expériences de décentralisation. D’un côté, la décentralisation peut réduire le champ de la corruption, les autorités locales devant rendre des comptes à leurs concitoyens, de l’autre, les opportunités peuvent être plus importantes et les obstacles moins nombreux en raison, par exemple, d’une plus faible gouvernance ou de contacts plus proches entre les autorités et le monde des affaires au niveau local (OECD, 2016). De ce fait, améliorer les contrôles financiers et administratifs des collectivités locales dans le cadre de la nouvelle loi en déterminant de manière claire et détaillée la forme, l’étendue et le détenteur du droit de contrôle, ainsi que les conséquences des mesures de contrôle administratif et juridictionnel devrait réduire les risques d’atteintes à l’intégrité (OCDE, 2017e).
Le projet de décentralisation n’en est qu’à ses débuts et devrait s’étendre sur 20 à 30 ans. Des élections locales doivent avoir lieu en 2018. La nouvelle politique de décentralisation devra être mise en œuvre de façon progressive en donnant aux régions et aux communes un niveau d’autonomie et des prérogatives claires et complémentaires (sans chevauchement) et des ressources financières et humaines adéquates. Ceci permettra aux autorités régionales et locales de mener à bien le développement économique et social de leur territoire, d’améliorer les conditions de vie de la population et de créer des opportunités économiques pour tous.
Encadré 2.2. Résumé des recommandations pour stimuler la création d’emplois et le développement régional
Recommandations principales
Assurer l’adéquation entre les systèmes d’éducation, d’apprentissage et de formation, et les besoins des entreprises.
Diversifier les sources de financement de la sécurité sociale.
Favoriser le recrutement des femmes par des campagnes de sensibilisation sur les conséquences des choix éducatifs et de la formation sur les possibilités d’emploi et d’entrepreneuriat, l’évolution de carrière et les salaires.
Accélérer la mise en œuvre de la stratégie d’inclusion financière.
Moderniser les structures et institutions régionales pour mieux exploiter les opportunités d’investissement et accompagner les investisseurs dans les régions.
Recommandations pour promouvoir l’emploi et réduire les inégalités sur le marché du travail
Accorder plus de poids aux négociations salariales au niveau des entreprises afin qu’elles puissent répondre de manière plus flexible à l’évolution de la conjoncture.
S’assurer que les salaires augmentent avec la productivité.
Améliorer le climat des affaires et simplifier les procédures règlementaires et administratives pour favoriser la création d’entreprises et l’emploi.
Faciliter l’accès des familles à des services de garde d’enfant à moindre frais en soutenant l’offre de crèches publiques.
Développer la formation initiale, et tout au long de leur vie active, des enseignants et promouvoir la modernisation et l’adaptation des programmes (curriculum) et des méthodes pédagogiques.
Renforcer les dispositifs visant à impliquer les employeurs, et établir un équilibre entre les préférences des élèves et les besoins des employeurs, pour renforcer l’adéquation entre les besoins des entreprises et les formations.
Recommandations pour promouvoir l’inclusion financière
Renforcer l’accès au financement pour les petites et moyennes entreprises.
Renforcer les capacités des agences de la Poste dans les régions.
Recommandations pour promouvoir le développement régional
Considérer une nouvelle approche pour le développement des régions de l’intérieur basée sur l’exploitation des économies d’agglomération des grands centres urbains. Développer des centres urbains à partir de villes existantes.
Mettre en œuvre un programme régional de mise à niveau de l’ensemble de l’infrastructure économique et sociale et d’amélioration de la connectivité digitale des régions de l’intérieur pour les mettre en relation directe avec les marchés national et internationaux et accroitre leur attractivité.
Continuer de privilégier les régions reculées en les faisant bénéficier de moyens suffisants et de personnel qualifié pour fournir une éducation de qualité.
Poursuivre le maillage des routes secondaires pour augmenter la mobilité des travailleurs.
Moderniser la gouvernance des régions et des collectivités locales. Doter les régions de l’autonomie et des ressources nécessaires pour décider de leur stratégie de développement.
Développer et exploiter les systèmes d’information économique et sociale pour asseoir les décisions de politique économique sur des informations crédibles.
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