Le déplacement des Ukrainiens dans les pays de l’OCDE s’inscrivant dans la durée, une aide supplémentaire à l’intégration est nécessaire pour parvenir à des résultats adéquats, mais la nature et la portée de cette aide peuvent ne pas correspondre aux pratiques d’intégration habituelles car il est probable que de nombreux réfugiés voudront vouloir rentrer chez eux lorsque la situation le permettra.
Au vu de ces besoins apparemment contradictoires, adopter une approche de l’intégration visant un double objectif permettrait de prévoir à la fois la possibilité d’un séjour d’une durée indéterminée dans le pays d’accueil et celle d’un retour des réfugiés en Ukraine, tout en s’attachant à minimiser les éventuels obstacles au retour.
Dans de nombreux pays de l’OCDE, cela diffèrerait des mesures d’intégration en vigueur qui se concentrent sur les résidents de longue durée et qui ne tiennent généralement pas compte des conséquences en terme de retour et de réintégration en ce qu’elles se concentrent sur l’insertion dans le pays d’accueil.
Les pays peuvent viser ce double objectif en investissant dans le capital humain des réfugiés ukrainiens, en simplifiant la reconnaissance des compétences et des qualifications dans le pays d’accueil et en Ukraine, et favorisent l’apprentissage de l’ukrainien dans les pays d’accueil, en entretenant et en facilitant les liens financiers et numériques des réfugiés avec l’Ukraine, et en garantissant des voies de réémigration et de mobilité.
Intégration des réfugiés ukrainiens : une double approche
Principaux messages
Contexte
Dans le contexte de dévastation provoqué par la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, plus de 10 millions de personnes se sont retrouvées déplacées à l’intérieur de l’Ukraine ou réfugiées à l’étranger. En juin 2023, on recensait environ 4.9 millions d’Ukrainiens déplacés dans les pays de l’OCDE. Les pays de l’OCDE ont répondu à la crise des réfugiés ukrainiens, et à cet afflux soudain et inattendu de personnes sollicitant une protection, en leur apportant sans hésitation un soutien massif et sans précédent (OCDE, 2022[1]).
Alors que la guerre contre l’Ukraine est dans sa deuxième année, les sociétés d’accueil cherchent les moyens de mieux accompagner les Ukrainiens déplacés à plus long terme, mais la nature et la portée de l’aide nécessaire peuvent ne pas correspondre à leurs pratiques habituelles en matière d’intégration, vu que de nombreux réfugiés ukrainiens souhaiteront vraisemblablement rentrer chez eux lorsque la situation le permettra. Compte tenu de la grande incertitude qui entoure l’évolution de la situation et les événements futurs, une double approche de l’intégration préparerait les réfugiés à la fois à séjourner pour une durée indéterminée dans leur pays d’accueil et aussi à rentrer en Ukraine lorsque la situation le permettra. Dans ce cadre, les mesures et les efforts d’intégration peuvent chercher à favoriser l’inclusion socioéconomique des réfugiés ukrainiens afin de leur permettre de devenir autonomes, de reconstituer leurs moyens de subsistance et de continuer à développer leur capital humain pour améliorer leurs résultats futurs quel que soit leur lieu de résidence, tout en cherchant à réduire au minimum les éventuels obstacles au retour à la fois dans les pays d’accueil et d’origine.
Pourquoi le double objectif de l’intégration est-il important dans le cas des réfugiés ukrainiens ?
L’un des principaux obstacles à l’intégration est l’incertitude quant à la durée potentielle du séjour des déplacés ukrainiens dans les sociétés d’accueil. Si des retours en Ukraine ont déjà lieu, notamment dans la ville de Kyiv et en Ukraine occidentale, la persistance des combats et les dommages causés aux infrastructures dans une grande partie du pays compromettent les perspectives de retour à court terme. Par conséquent, pour bon nombre d’Ukrainiens, un retour ne sera envisageable qu’après une période de déplacement relativement longue, et tout projet d’avenir reste empreint d’incertitude. Il ressort d’une enquête de la FRA (Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, 2023[2]) qu’un quart environ des réfugiés ukrainiens hésitent entre rester dans le pays d’accueil ou rentrer chez eux, chiffre qui avait atteint 43 % selon une enquête du HCR sur leurs intentions réalisée en septembre 2022 (HCR, 2022[3]).
Parallèlement, les réfugiés ukrainiens ont commencé à reconstruire leur vie dans les sociétés d’accueil et ont besoin d’aide pour s’intégrer au mieux. L’insertion des réfugiés ukrainiens sur le marché du travail, par exemple, est d’ores et déjà plus rapide que pour d’autres groupes de réfugiés mais, fréquemment, les emplois qu’ils occupent ne correspondent pas à leur niveau de compétences, et les pays d’accueil doivent envisager de prendre des mesures de soutien afin de remédier à cette inadéquation (OCDE, 2023[4]).
Près d’un tiers des réfugiés ukrainiens sont mineurs, ce qui contraint les sociétés d’accueil à réfléchir à des mesures d’aide à l’intégration ciblées sur les enfants afin d’améliorer leurs perspectives d’avenir. Ceci est d’autant plus important que les écarts entre les jeunes de parents immigrés et ceux dont les parents sont nés dans le pays sont en général très prononcés en termes de résultats scolaires et de débouchés professionnels (OCDE, 2021[5] ; OCDE, 2023[6]). D’après les résultats d’une enquête de l’OCDE sur les moyens mis en œuvre pour faciliter l’intégration scolaire pérenne des enfants ukrainiens, la barrière de la langue et le niveau relativement faible d’intégration des familles ukrainiennes entravent largement l’accès à l’éducation, notamment l’accès aux services d’éducation et d’accueil des jeunes enfants (EAJE) (OCDE, 2023[7]).
La réussite et la rapidité de l’intégration socioéconomique des réfugiés peuvent par ailleurs avoir des effets bénéfiques pour l’Ukraine. Les compétences nouvelles et l’expérience professionnelle que les réfugiés acquièrent à l’étranger peuvent être mises à profit de retour en Ukraine à l’appui du redressement du pays, d’autant plus que les besoins de main-d’œuvre et de compétences de l’Ukraine seront élevés pendant la phase de reconstruction. Il ressort également des données disponibles qu’une bonne intégration dans le pays de destination favorise la réintégration lorsque les immigrés décident de rentrer dans leur pays d’origine (Banque mondiale, 2017[8]). En effet, le fait qu’ils puissent travailler et accéder à un logement indépendant durant leur séjour à l’étranger, et qu’ils aient la liberté d’y tisser des liens sociaux, est un important facteur à l’appui de leur réintégration sociale et économique à leur retour dans leur pays d’origine (Ruben, Van Houte et Davids, 2009[9]).
Jusqu’à ce qu’un retour effectif soit possible, les Ukrainiens déplacés peuvent soutenir leur pays d’origine au moyen d’envois de fonds. La Banque nationale de Pologne a constaté que, déjà l’été dernier, 30 % des réfugiés interrogés et 44 % de ceux pourvus d’un emploi en Pologne avaient envoyé en Ukraine des contributions monétaires ou en nature ; en 2023, ils étaient environ 60 % à avoir effectué des envois de fonds (Narodowy Bank Polski, 2022[10] ; 2023[11]). Comme on pouvait s’y attendre, il en est ressorti que le montant des envois de fonds dépendait de la situation financière des réfugiés, laquelle est liée à l’activité dans les pays d’accueil.
Dans le même temps, il est important d’envisager des possibilités de regroupement familial dans les pays de destination et de séjour de plus longue durée à l’issue de la guerre. Si de nombreux Ukrainiens sont actuellement indécis sur leurs projets d’avenir, l’expérience a montré que, lors des déplacements de population à grande échelle, une part importante des personnes déplacées restent dans leur pays d’accueil, même lorsqu’un retour devient possible (OCDE, 2016[12]). Une aide précoce à l’intégration peut améliorer les résultats des Ukrainiens qui resteront à l’étranger en réduisant le risque d’exclusion sociale, de ségrégation, de pauvreté relative et de dépendance à l’égard des prestations sociales.
Les enquêtes continuent pourtant d’indiquer que les Ukrainiens sont nombreux à espérer rentrer chez eux une fois que la situation le permettra, et leur contribution sera en outre essentielle à la reconstruction de l’Ukraine. Le quatrième cycle de l’enquête du HCR sur leurs intentions, qui a été mené entre avril et mai 2023, a conclu que 62 % des réfugiés ukrainiens souhaitent retourner en Ukraine un jour (HCR, 2023[13]). Parmi les réfugiés accueillis dans les pays voisins de l’Ukraine, cette part atteint 71 %. Au vu de ce niveau d’intentions de retour toujours élevé, il importe de réfléchir aux moyens de favoriser l’intégration sans réduire les possibilités de retour à plus long terme et en veillant particulièrement à éliminer tout obstacle au retour tant dans le pays d’accueil qu’en Ukraine.
Mettre en œuvre une approche de l’intégration visant ce double objectif pourrait être une solution pour concilier au mieux ces besoins et circonstances contradictoires. Une telle approche permettrait aussi de surmonter ce qui peut être désigné le « dilemme de l’attente » (Commission européenne, 2023[14]), c’est-à-dire lorsque différentes parties, y compris les réfugiés eux-mêmes, hésitent à investir dans des activités d’intégration en raison du retour immédiat escompté en Ukraine.
Encadré 1. L’expérience de la Norvège en matière de réfugiés pendant les guerres de Yougoslavie
La protection temporaire a été utilisée comme moyen d’action par plusieurs pays européens pour faire face aux déplacements de réfugiés déclenchés par les guerres de Yougoslavie dans les années 1990. La Norvège a notamment déployé pour la première fois un dispositif de protection collective temporaire afin de résoudre la situation de quelque 14 000 réfugiés bosniaques (Statistics Norway, 2017[15]). Si le retour final était un principe fondamental de la protection temporaire, des difficultés sont rapidement apparues au moment de déterminer les conditions de séjour de ces nouveaux arrivants. La question était de savoir s’il fallait « isoler » les personnes déplacées récemment arrivées « à titre temporaire » des réfugiés en cours d’installation et de la société d’accueil, ou bien leur donner accès à des programmes classiques d’intégration et d’aide à l’installation (Brekke, 2001[16]).
En 1993, le gouvernement danois a adopté un modèle d’isolement pour les réfugiés bosniaques, invoquant le fait que ce dispositif allait faciliter le processus de rapatriement tant pour les autorités danoises que pour les réfugiés eux-mêmes (Brekke, Vedsted-Hansen et Thorburn Stern, 2020[17]). La Suède a en revanche décidé de leur accorder des permis de séjour permanents et de les mettre sur la voie de l’installation. La Norvège a quant à elle mis en œuvre une stratégie double en faveur à la fois de l’intégration et du rapatriement (Haagensen, 1999[18]). Les Bosniaques avaient pleinement accès au marché du travail, à l’éducation, au soutien social et aux programmes d’intégration classiques, tandis que les autorités continuaient de planifier leur retour.
L’importance d’avoir reçu une aide à l’intégration est devenue évidente lorsque le déplacement des Bosniaques s’est prolongé au-delà de la durée initialement prévue. Si les accords de Dayton ont été signés et la guerre de Bosnie‑Herzégovine a pris fin avant la levée prévue de la protection collective temporaire en Norvège en 1996, le processus d’amélioration et de normalisation en Bosnie‑Herzégovine a été lent. Les inquiétudes persistantes quant à d’éventuels conflits internes et actes de violence ont dissuadé de nombreux Bosniaques d’envisager leur rapatriement. En outre, la population norvégienne a rejeté l’idée de retours forcés. En conséquence, à l’automne 1996, les autorités norvégiennes ont pris la décision d’octroyer la résidence permanente à ce groupe de réfugiés (Brekke, 2001[16]).
Si la plupart des réfugiés bosniaques sont restés et se sont installés en Norvège, la même politique a de nouveau été appliquée en 1999 dans le contexte de la guerre du Kosovo1. Cette fois, la situation dans le pays d’origine s’est rapidement améliorée, et les deux tiers des réfugiés sont rentrés chez eux en l’espace d’une année (Brekke, Vedsted-Hansen et Thorburn Stern, 2020[17]).
Comment les pays peuvent-ils mettre en œuvre une approche de l’intégration visant un double objectif ?
Il existe des exemples isolés d’adoption d’approches similaires par le passé. Par exemple, la Norvège a tenté dans les années 1990 d’appliquer des mesures d’intégration offrant une possibilité de retour aux réfugiés bosniaques, dans le cadre d’une stratégie baptisée « course sur deux voies » (Haagensen, 1999[18]) (voir l’Encadré 1). Toutefois, dans la plupart des pays d’accueil, une telle approche serait nouvelle car différente des politiques d’intégration en vigueur qui, de manière générale, ne tiennent pas compte des effets potentiels sur la probabilité de retour et de réintégration et cherchent plutôt à promouvoir l’installation à long terme et n’offre qu’un soutien limité aux personnes admises à titre temporaire. Dans le même temps, il convient de noter qu’un nombre croissant de pays de l’OCDE, notamment l’Allemagne, l’Espagne et la Nouvelle‑Zélande, étendent progressivement l’accès à certains services d’intégration, comme les cours de langue, à la plupart des groupes d’immigrés, notamment les demandeurs d’asile et d’autres personnes admises à titre temporaire (OCDE, 2023[19]).
Dans le contexte de la crise des réfugiés ukrainiens, les pays disposent de cinq moyens prometteurs et interconnectés, pour mettre en œuvre cette double approche.
Premièrement, les pays d’accueil devraient investir dans le développement du capital humain des réfugiés ukrainiens pendant leur déplacement. En plus d’entretenir et de mettre à profit les compétences existantes, il faudrait privilégier les compétences, savoir-faire et expériences professionnelles dans les secteurs qui sont essentiels à la reconstruction et au redressement de l’Ukraine, comme la construction, l’ingénierie, l’énergie, la santé, les technologies de l’information et l’appui à la transition verte. Parmi ces compétences, beaucoup sont aussi très recherchées dans les pays d’accueil actuels, ce qui crée des possibilités socioéconomiques pour les Ukrainiens déplacés quel que soit leur lieu de vie futur. Les emplois généralement accessibles via l’enseignement et la formation professionnels (EFP), par exemple, sont très demandés dans les pays d’accueil et seront également cruciaux pour la reconstruction de l’Ukraine, ce qui fait des filières d’EFP un investissement dont les rendements escomptés sont particulièrement élevés (OCDE, 2022[20]).
Deuxièmement, l’Ukraine et les pays d’accueil doivent œuvrer de concert à la simplification de la reconnaissance mutuelle des compétences et des qualifications. Cette démarche favorisera l’entrée des arrivants ukrainiens sur le marché du travail des pays d’accueil dans des emplois qui correspondent à leur niveau de compétences, en particulier compte tenu de leur niveau d’éducation supérieur à la moyenne (OCDE, 2023[4]), mais elle préparera aussi le transfert en Ukraine, à leur retour, des compétences et du savoir-faire nouvellement acquis. Il ressort des données disponibles que les problèmes de reconnaissance entravent déjà largement l’accès des Ukrainiens à l’enseignement supérieur dans les pays d’accueil. Plusieurs pays, dont l’Espagne, la France et la Lituanie, font état d’inquiétudes liées à la reconnaissance future des diplômes au moment du retour en Ukraine qui dissuadent les réfugiés ukrainiens de s’inscrire dans des programmes d’EFP (OCDE, 2023[7]). Des mesures émergentes toutefois sont prises dans ce domaine. En octobre 2022, l’Ukraine est convenue en principe de reconnaître les systèmes éducatifs de cinq pays de l’OCDE (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne et République tchèque (Tchéquie)) dans le cadre de procédures simplifiées et d’assouplir l’obligation pour les enfants réfugiés de redoubler quand ils rentrent en Ukraine. Cette initiative vise à accélérer la réintégration des enfants dans le système éducatif ukrainien.
Troisièmement, il importe de proposer des cours d’ukrainien aux enfants et aux jeunes adultes dans les pays d’accueil afin qu’ils possèdent les compétences linguistiques et les liens culturels nécessaires, malgré une longue période de déplacement, pour rentrer en Ukraine et se réinsérer de façon satisfaisante dans la société. Certains pays de l’OCDE, notamment l’Allemagne, l’Autriche et la Belgique, ont une expérience de l’enseignement scolaire aux enfants d’immigrés de la langue maternelle de leurs parents, mais cette offre n’est pas généralisée (OCDE, 2021[21]) et les données disponibles sur ses effets sont contrastées (OCDE, 2017[22]).
Quatrièmement, les pays d’accueil et l’Ukraine doivent coopérer pour entretenir et faciliter les liens financiers des réfugiés avec leur pays d’origine. Les mesures prises à cet égard peuvent consister à faciliter les flux d’investissement à petite échelle et à réduire le coût des transferts de fonds, mais aussi à régler les difficultés liées au respect des obligations fiscales à la fois en Ukraine et dans le pays d’accueil et à résoudre les situations de double imposition internationale, qui concernent notamment les réfugiés salariés ou indépendants qui continuent de travailler à distance pour le compte d’entreprises ukrainiennes (Encadré 2). Qui plus est, il importe que l’Ukraine entretienne des liens numériques avec ses ressortissants à l’étranger et sa diaspora. L’infrastructure actuelle de l’administration électronique de l’Ukraine, notamment l’application Diia, est également un moyen unique pour l’Ukraine de rester en contact avec ses communautés déplacées à l’étranger et pourrait sans doute être mieux exploitée par les pays d’accueil dans le cadre de leurs relations avec les réfugiés ukrainiens.
Encadré 2. Problèmes fiscaux à l’échelle internationale et considérations relatives au double objectif de l’intégration
Les défis fiscaux internationaux qu’entraînent les déplacements de population à grande échelle se posent en particulier dans le cas des réfugiés qui demeurent économiquement actifs dans leur pays d’origine ou qui perçoivent des revenus en provenance d’autres pays dans lesquels ils ont investi ou placé leur épargne. C’est l’interaction entre deux ou plusieurs systèmes d’imposition qui crée des défis fiscaux et complexifie le respect des obligations fiscales. Il s’agit, d’une part, du risque de double imposition du même revenu ou capital et, d’autre part, des risques de non-respect des obligations fiscales, de double non-imposition, voire de fraude fiscale. Si l’on veut mettre en œuvre une approche de l’intégration visant un double objectif, il est souhaitable que la population déplacée bénéficie de l’assistance nécessaire pour adopter rapidement l’attitude adéquate en matière de respect des obligations fiscales dans les pays d’accueil. Plusieurs problèmes risquent cependant de se poser dans ce contexte, par exemple la barrière de la langue ou la méconnaissance des règles fiscales locales, qui sont généralement complexes même pour la population locale. En outre, l’ouverture et la tenue de comptes bancaires dans les différents pays posent des difficultés supplémentaires en matière de déclaration des revenus ou de l’épargne dans ces pays. Ce problème est en partie résolu par l’échange automatique de renseignements, qui inclut les informations relatives aux comptes bancaires, mais les déplacements de population à grande échelle présentent malgré tout des difficultés uniques. L’adoption de bonnes habitudes et d’une culture de conformité en matière fiscale, peut faciliter et améliorer leur intégration dans le pays d’accueil, mais aussi avoir des effets positifs sur les recettes fiscales tant dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine, lors d’un éventuel retour. De même, le pays d’accueil comme le pays d’origine devraient collaborer étroitement pour prévenir la double imposition, de façon à ne pas décourager l’activité économique, l’investissement et le respect spontané des obligations fiscales.
Cinquièmement, les différentes parties concernées doivent coopérer plus avant en vue de définir un cadre juridique pour l’immigration régulière qui garantisse des voies de réémigration et de mobilité aux Ukrainiens de retour en Ukraine. Dans 16 pays d’Europe, les voyages vers l’Ukraine ont déjà des répercussions sur les droits d’accès des réfugiés et l’assistance dont ils bénéficient, ce qui les dissuade de se rendre en visite dans leur pays d’origine (HCR, 2023[23]). À l’issue de la guerre, il est probable que les Ukrainiens nourrissent des aspirations contradictoires, tiraillés entre le désir de contribuer au redressement de l’Ukraine et celui de maintenir des liens avec les sociétés d’accueil où ils ont reconstruit leur vie. On peut s’attendre à ce que les individus soient moins disposés à rentrer s’ils estiment qu’il n’est pas possible de réémigrer. Les parties concernées devraient dès à présent commencer à envisager des solutions, y compris des partenariats en matière de compétences (voir l’Encadré 3), afin de faciliter dès à présent la mobilité de demain.
Encadré 3. Renforcer les compétences des Ukrainiens et mettre en place des voies régulières de mobilité professionnelle après leur retour
Les besoins de main-d’œuvre en Ukraine pour reconstruire et redresser le pays seront immenses, pour ne pas dire quasiment inédits, en termes à la fois d’effectifs et de compétences. Au cours de la seule première année de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, plus de 3 100 établissements d’enseignement ont été endommagés ou détruits, les autorités ukrainiennes estimant le total des dégâts dans le domaine de l’éducation à environ 8.9 milliards USD. Ces capacités doivent être reconstruites dans le cadre du plan de redressement et de reconstruction de l’Ukraine. D’ici là, les ressources pour former la main-d’œuvre et améliorer les compétences restent limitées, ce qui risque de ralentir les efforts de redressement.
L’une des formes d’aide au redressement que les pays de l’OCDE peuvent fournir à l’Ukraine passe par la formation professionnelle, en vue du recours ultérieur à des voies d’immigration régulière pour utiliser et développer les compétences. La guerre contre l’Ukraine a entraîné un bouleversement de ses systèmes éducatifs. Consolider l’apprentissage, en l’alignant plus étroitement sur les cadres de compétences européens et nationaux, permettrait d’élargir le socle de compétences en Ukraine et d’améliorer les perspectives des Ukrainiens dans l’OCDE et en Ukraine.
Les avantages potentiels sont particulièrement grands dans l’éducation et la formation professionnelles (EFP) (OCDE, 2022[20]). L’Ukraine dispose normalement d’une offre étoffée d’EFP au niveau du deuxième cycle du secondaire, et les jeunes Ukrainiens s’intéressent aux professions généralement accessibles par le biais d’études professionnelles (production, agriculture et construction). Avant d’être envahie par la Russie, l’Ukraine était en train de consolider son système d’EFP, notamment en mettant en place des programmes de formation par alternance. Il est nécessaire de reconstruire ces capacités, notamment en réintégrant dans le système d’EFP les jeunes qui rentrent en Ukraine, ce qui nécessitera de reconnaître et de valider les qualifications professionnelles obtenues à l’étranger.
Les partenariats pour la mobilité des compétences (PMC) sont des outils qui encouragent l’adoption d’une approche adaptée de l’immigration de main-d’œuvre qualifiée et de la mobilité professionnelle, dans l’idée de renforcer les compétences au bénéfice des pays d’origine et de destination (OCDE, 2018[24] ; REM/OCDE, 2022[25]). Leur forme varie, de même que leurs modalités et le type de participation des parties prenantes, mais les cinq composantes classiques sont les suivantes : coopération officielle des administrations, participation multipartite, formation, reconnaissance des compétences et mobilité. Pour les pays d’origine, les partenariats élargissent le vivier potentiel de compétences, tandis que les pays de destination ont plus facilement accès aux compétences qu’ils recherchent. Pour les immigrés, les partenariats permettent d’acquérir et de vendre de nouvelles compétences. Le nouveau Pacte sur les migrations et l’asile (2020) souligne l’importance de créer de nouvelles voies légales dans le contexte des migrations de travail et de l’adéquation des compétences pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre. Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (2018) a également avancé l’idée de mettre en place des partenariats mondiaux pour les compétences afin de renforcer les capacités de formation et de favoriser le développement de compétences transférables/utiles aux marchés du travail de tous les pays participants, à la fois chez les travailleurs dans les pays d’origine et chez les immigrés dans les pays de destination.
Quelles sont les conditions à réunir pour y parvenir ?
La relative nouveauté de cette approche de l’intégration visant un double objectif pose différents problèmes de mise en œuvre, compte tenu également de l’ampleur et de la portée inédites de cette crise et des attentes du pays d’origine en termes de retour de ses ressortissants. Elle nécessite notamment des niveaux de coopération sans précédent entre les pays d’accueil et l’Ukraine en vue d’élaborer et d’appliquer des mesures pertinentes et appropriées. Les politiques d’intégration relèvent le plus souvent de la compétence des pays d’accueil et la coopération internationale dans ce contexte prend généralement la forme d’une mise en commun des bonnes pratiques plutôt que de l’élaboration de mesures concertées avec les pays d’origine. Il est donc nécessaire de développer les liens et les voies de coopération qui n’existent pas encore. L’Ukraine a toutefois montré sa bonne disposition à coopérer et a tout intérêt à ce que le plus grand nombre de ses ressortissants déplacés souhaitent rentrer à la fin de la guerre. De plus, de nombreuses plateformes à l’appui d’une étroite coopération multilatérale dans le contexte de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine sont déjà opérationnelles, et d’autres sont en cours de création.
Un autre défi consistera à préserver le soutien de l’opinion publique pour ces mesures. L’aide à l’intégration des immigrés et des réfugiés est généralement proposée au motif qu’elle favorise la cohésion sociale à long terme, et ces investissements sont censés être récupérés au moyen de l’impôt. Ces considérations sont toutefois moins pertinentes dans le cas des Ukrainiens qui choisiront de rentrer chez eux. En outre, la mise en œuvre d’une approche de l’intégration visant un double objectif entraînera probablement des coûts additionnels à ceux associés au maintien régulier des activités et mesures d’intégration visant d’autres groupes d’immigrés et de réfugiés. Ces investissements dédiés aux réfugiés ukrainiens devraient toutefois être considérés et présentés comme étant un volet important de l’aide au redressement de l’Ukraine. Compte tenu du coût élevé de la reconstruction et des besoins de main-d’œuvre prévus, les pays de l’OCDE qui se sont engagés à soutenir le redressement de l’Ukraine peuvent commencer à le faire en investissant dès aujourd’hui dans le capital humain des réfugiés ukrainiens.
Quelles sont les perspectives ?
Les pays de l’OCDE ont rapidement pris des mesures décisives pour l’accueil des réfugiés ukrainiens, ce qui s’est traduit en bien des endroits par de premiers résultats d’intégration supérieurs à la moyenne pour les réfugiés ukrainiens par rapport à d’autres groupes de réfugiés arrivés précédemment. On constate cependant de plus en plus que ces résultats ne sont pas uniformes, certains Ukrainiens déplacés, notamment de nombreux mineurs, étant confrontés à des difficultés dans le cadre de leur processus d’intégration. Alors que nous sommes confrontés à un scénario de déplacement qui se prolonge, cette question revêt une importance grandissante. Dans le même temps, il sera crucial pour le redressement de l’Ukraine de faciliter le rapatriement des Ukrainiens déplacés lorsque la situation sera suffisamment sûre. Par conséquent, les autorités des pays d’accueil ont la tâche difficile de trouver un équilibre entre, d’une part, apporter une aide suffisante à l’intégration et, d’autre part, éviter de créer sans le vouloir des obstacles au retour. Il importe au contraire de s’employer activement à éliminer ces obstacles. Adopter une approche visant un double objectif dans les politiques d’intégration pourrait s’avérer une stratégie pertinente pour trouver un juste équilibre, c’est-à-dire créer les conditions optimales qui permettraient aux Ukrainiens déplacés de reconstruire leur vie tout en ménageant des voies d’accès, aussi bien pour ceux qui choisissent de rester dans le pays d’accueil que pour ceux qui souhaitent rentrer en Ukraine.
Principaux éléments à prendre en considération par les décideurs
Les pays d’accueil doivent prévoir à la fois la possibilité de l’installation des réfugiés ukrainiens et celle de leur retour. Une telle démarche suppose d’évaluer l’adéquation de leurs politiques d’intégration. La plupart des approches de l’intégration ne tiennent compte pas des effets potentiels sur la probabilité de retour et sur la réintégration dans le pays d’origine et cherchent à promouvoir uniquement une installation à long terme.
Mettre en œuvre une approche de l’intégration visant un double objectif suppose de coopérer étroitement avec les autorités ukrainiennes afin d’élaborer et d’appliquer des mesures utiles et appropriées. Cette approche de l’intégration est différente des pratiques habituelles, mais il existe des plateformes déjà opérationnelles ou en cours de déploiement qui peuvent faciliter la coopération dans ce domaine.
Bibliographie
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[4] OCDE (2023), What we know about the skills and early labour market outcomes of refugees from Ukraine, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd.org/ukraine-hub/policy-responses/what-we-know-about-the-skills-and-early-labour-market-outcomes-of-refugees-from-ukraine-c7e694aa/.
[20] OCDE (2022), Comment les systèmes d’éducation et de formation professionnelles (EFP) peuvent soutenir l’Ukraine Enseignements tirés des crises passées, https://www.oecd.org/ukraine-hub/policy-responses/comment-les-systemes-d-education-et-de-formation-professionnelles-efp-peuvent-soutenir-l-ukraine-d9afb1f4/ (consulté le 5 juin 2023).
[1] OCDE (2022), Faire face à la crise des réfugiés ukrainiens, Perspectives des migrations internationales 2022, Éditions OCDE, Paris, https://www.oecd-ilibrary.org/sites/74d2c6a7-fr/index.html?itemId=/content/component/74d2c6a7-fr.
[5] OCDE (2021), How can European countries improve the integration of youth with migrant patterns?, https://www.oecd.org/migration/mig/MPD-N-26-Integration-Youth-with-Migrant-Parents-REV.pdf (consulté le 5 juin 2023).
[21] OCDE (2021), Young People with Migrant Parents, Making Integration Work, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/6e773bfe-en.
[24] OCDE (2018), What would make Global Skills Partnerships work in practice?, https://www.oecd.org/els/mig/migration-policy-debate-15.pdf (consulté le 7 June 2023).
[22] OCDE (2017), Vers un rattrapage ? La mobilité intergénérationnelle et les enfants d’immigrés, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264189744-fr.
[12] OCDE (2016), « Les migrations internationales dans le sillage des chocs environnementaux et géopolitiques : quelles mesures les pays de l’OCDE peuvent-ils prendre ? », dans Perspectives des migrations internationales 2016, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/migr_outlook-2016-7-fr.
[25] REM/OCDE (2022), Skills mobility partnerships: Exploring innovative approaches to labour migration, https://www.oecd.org/migration/mig/2022-March-Joint-EMN-OECD-Inform-Skills-Mobility-Partnerships.pdf (consulté le 7 June 2023).
[9] Ruben, R., M. Van Houte et T. Davids (2009), « What Determines the Embeddedness of Forced‐Return Migrants? Rethinking the Role of Pre‐and Post‐Return Assistance », International Migration Review, vol. 43, n° 4, https://doi.org/10.1111/j.1747-7379.2009.00789.x.
[15] Statistics Norway (2017), Bosnians – the integration champions?, https://www.ssb.no/en/befolkning/artikler-og-publikasjoner/bosnians-the-integration-champions#:~:text=During%20the%20Yugoslav%20Wars%20in,homeland%20since%20the%20war%20ended. (consulté le 11 September 2023).
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← 1. Cette désignation est sans préjudice des positions sur le statut et est conforme à la résolution 1244/1999 du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi qu'à l'avis consultatif de la Cour internationale de justice sur la déclaration d'indépendance du Kosovo.