Le logement occupe une place centrale dans la vie de chacun. L’accès au logement constitue un besoin humain fondamental et joue un rôle décisif dans le bien-être individuel. Le fait de disposer d’un logement bien situé et de qualité est en effet déterminant pour la vie sociale des individus ainsi que pour leur accès aux soins de santé, à l’enseignement, à l’emploi et aux loisirs. Le logement influe également sur le bien-être au quotidien, puisque le domicile est au centre de la vie familiale, mais aussi de plus en plus, du fait de la généralisation du télétravail lors de la pandémie de COVID-19, de la vie professionnelle. Dans les pays de l’OCDE, le logement constitue en moyenne le principal poste de dépense des ménages, tous groupes de revenu confondus, et représente une part de leurs dépenses totales qui n’a cessé de s’accroître ces dernières années.
Bien que son importance relative varie d’un pays à l’autre, le logement constitue aussi le principal investissement que réalisent les ménages au cours de leur vie, ainsi que la majeure partie de leur patrimoine. Il s’agit en effet d’un vecteur essentiel d’accumulation du patrimoine et d’un actif particulièrement important pour les ménages de la classe moyenne. Dans les pays de l’OCDE, les résidences principales représentent en moyenne 50 % du patrimoine total des ménages, toutes catégories confondues, et plus de 60 % du patrimoine de la classe moyenne. Toutefois, l’importance du logement varie considérablement d’un pays à l’autre. La part des propriétaires sur l’ensemble des ménages s’échelonne ainsi de 44 % (Allemagne) à 93 % (Lituanie), tandis que le patrimoine immobilier (en tenant compte à la fois des résidences principales et des biens immobiliers secondaires) représente au moins 80 % du patrimoine total des ménages au Chili, en Lettonie, en Lituanie et en Grèce, mais moins de 40 % aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande.
Bien qu’il soit réparti plus également que les actifs financiers, le patrimoine immobilier demeure concentré entre les mains de ménages à haut revenu, à haut patrimoine et âgés. Les ménages à haut patrimoine et, dans une moindre mesure, ceux à haut revenu, détiennent une part disproportionnée des résidences principales, ainsi que la majorité des biens immobiliers secondaires. Les ménages à haut revenu détiennent également une part disproportionnée de la dette immobilière, même si, en termes relatifs, la charge de la dette pesant sur les ménages à faible revenu ayant contracté un emprunt est généralement plus élevée. Par ailleurs, la proportion de propriétaires et le niveau de patrimoine immobilier sont fortement corrélés à l’âge : les ménages âgés détiennent un patrimoine immobilier plus important et représentent une part bien plus élevée des propriétaires.
Du fait d’une hausse sans précédent des prix de l’immobilier ces dernières décennies, les jeunes générations éprouvent de plus en plus de difficultés à accéder au marché du logement. Malgré quelques fluctuations, les prix de l’immobilier ont enregistré une progression forte et continue au cours du siècle dernier, qui s’est brusquement accélérée ces 30 dernières années, avant de connaître une croissance encore plus importante durant la pandémie de COVID-19. Cette hausse a toutefois affecté différentes régions de manière inégale : elle a été bien plus marquée dans les grandes zones métropolitaines. L’inflation des prix des logements, en particulier dans les zones urbaines, résulte d’une conjonction de facteurs qui limitent l’offre (manque de place dans les zones très urbanisées, réglementations relatives à l’occupation des sols et au zonage, hausse des coûts de construction, par exemple) et stimulent la demande (évolutions démographiques, faiblesse des taux d’intérêt, mondialisation, etc.). La baisse de l’accessibilité du logement pose un problème particulier aux jeunes ménages : les données démontrent qu’au fil du temps, les taux d’accession à la propriété ont diminué pour les cohortes de personnes plus jeunes, en particulier celles dont le revenu et le patrimoine sont faibles.
Le logement a aussi d’importantes répercussions sur l’environnement. L’empreinte carbone du secteur résidentiel est considérable, puisqu’il représente environ 22 % de la consommation finale d’énergie dans le monde et 17 % des émissions de CO2 liées à l’énergie, l’essentiel de l’énergie consommée par les logements étant imputable au chauffage, sans compter que le secteur est un important émetteur de particules fines. En matière d’environnement, les répercussions du logement se font également sentir sur l’utilisation des sols et la biodiversité, avec notamment la disparition des terres rurales et le morcellement des habitats naturels, ainsi que sur les transports et la consommation d’eau.
Compte tenu des pressions qui s’exercent sur les autorités pour mobiliser des recettes, améliorer le fonctionnement des marchés du logement et lutter contre les inégalités, la question des taxes sur l’immobilier revêt une importance croissante. Au sortir de la crise liée à la pandémie de COVID-19, de nombreux pays cherchent à redresser leurs finances publiques en combinant accroissement des recettes fiscales et soutien à la reprise de l’économie. Par ailleurs, nombre de pouvoirs publics subissent des pressions grandissantes qui les incitent à s’attaquer aux problèmes du creusement des inégalités et de la baisse de l’accessibilité du logement, qui touchent plus durement les jeunes ménages et ceux à faible revenu. En outre, dans le contexte de la mobilité internationale croissante des capitaux et des personnes, les administrations pourraient chercher à augmenter les recettes provenant de bases d’imposition moins mobiles, en particulier la propriété immobilière. Face à cette attention accrue portée aux taxes sur l’immobilier, il est d’autant plus nécessaire que celles-ci soient conçues dans un souci d’efficacité et d’équité.
La fiscalité immobilière joue déjà un rôle important dans la zone OCDE, dans la mesure où les pays prélèvent un large éventail d’impôts sur les biens immobiliers résidentiels. Tous les pays de l’OCDE (mais pas toutes les administrations infranationales) prélèvent des impôts périodiques sur la propriété immobilière. Les propriétaires de biens mis en location sont imposés sur leurs revenus locatifs et, dans une minorité de pays, les propriétaires occupant leur bien immobilier sont imposés sur les loyers imputés. Il est par ailleurs fréquent que les achats de logements soient soumis à des impôts sur les transactions immobilières, et les ventes de logements à des impôts sur les plus-values, même si bon nombre de pays exonèrent les plus-values générées par la vente de la résidence principale. Lorsqu’un bien immobilier est cédé aux héritiers du propriétaire, il peut également être soumis à des impôts sur les successions et les donations.
Selon le rapport, cependant, l’efficience, l’équité et le potentiel de recettes des taxes sur le logement sont souvent limités par la façon dont ces taxes sont conçues. De nombreux pays continuent en effet de prélever des impôts périodiques sur la propriété immobilière reposant sur des valeurs cadastrales obsolètes, ce qui affaiblit considérablement leur potentiel de mobilisation de recettes (les recettes n’ont pas augmenté au même rythme que la valeur des biens immobiliers), leur équité (il peut arriver que des ménages possédant des biens immobiliers dont la valeur s’est appréciée ne paient pas davantage d’impôts pour autant), ainsi que leur efficience économique (le prélèvement d’impôts fonciers sur des biens dont la valeur cadastrale est obsolète incite les propriétaires à rester dans des logements plus faiblement valorisés, même s’ils ne correspondent plus à leurs besoins). Le recours aux impôts sur les transactions immobilières est important, malgré le fait qu’ils risquent d’entraver la mobilité résidentielle et, dans une certaine mesure, professionnelle. La majorité des pays exonèrent totalement les plus-values réalisées sur la vente de la résidence principale ; cette approche peut se justifier à certains égards, mais il n’en reste pas moins que les exonérations non plafonnées procurent des avantages nettement plus importants aux ménages les plus riches et introduisent davantage de distorsions dans l’allocation de l’épargne en faveur des résidences principales. En outre, d’autres formes d’allègement fiscal visant les logements occupés par leurs propriétaires, en particulier la déductibilité des intérêts d’emprunt hypothécaire, s’avèrent régressives et inefficaces pour augmenter la part des propriétaires. Dans certains pays, la façon dont sont imposés les revenus locatifs et les règles applicables aux biens immobiliers en matière d’imposition des successions entraînent également une réduction de la progressivité et du potentiel de recettes. L’analyse démontre par ailleurs que si les taxes sur le logement sont considérées comme plus difficiles à éviter et à contourner que d’autres impôts, les systèmes fiscaux permettent souvent de tels comportements : l’efficience, l’équité et le montant des recettes générées par ces taxes s’en trouvent ainsi amoindris.
Ce rapport constate également que si certaines politiques fiscales relatives au logement peuvent contribuer à résoudre plusieurs difficultés actuelles sur le marché du logement, elles ne sont pas toujours l’outil le plus efficace. Les politiques fiscales peuvent servir à traiter des problématiques spécifiques au marché du logement, par exemple en réduisant sensiblement l’empreinte carbone des logements, en encourageant une utilisation plus efficace des terrains et des logements, et en stimulant l’offre de logements abordables. Toutefois, ces politiques peuvent parfois être imprécises, voire contre-productives dans certaines circonstances. Ainsi, lorsque l’allègement fiscal vise à promouvoir l’accession à la propriété, il peut parfois contribuer à augmenter les prix des logements et à opérer un transfert de richesse en faveur des propriétaires actuels si l’offre de logements est limitée. Même lorsque les politiques fiscales peuvent jouer un rôle positif (impôts sur les logements vacants, incitations fiscales en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments, par exemple), elles ne sont pas forcément aussi efficaces que d’autres instruments (réglementation, par exemple) et devront généralement s’accompagner d’autres mesures.
Le rapport recense un certain nombre d’options de réforme que les pays pourraient envisager de mettre en œuvre afin d’accroître tout à la fois l’efficience, l’équité et le potentiel de recettes des taxes sur les biens immobiliers. Le rapport passe en revue un large éventail d’options de réforme qui pourraient contribuer à améliorer la conception, le fonctionnement et l’impact des taxes sur l’immobilier, notamment :
Renforcer le rôle des impôts périodiques sur la propriété immobilière, en particulier en veillant à ce qu’ils reposent sur des valeurs cadastrales régulièrement mises à jour, tout en allégeant les impôts sur les transactions immobilières afin de rendre le marché du logement plus efficient et d’améliorer l’équité verticale et horizontale.
Envisager de plafonner l’exonération des plus-values lors de la vente d’une résidence principale pour faire en sorte que les plus-values les plus importantes soient taxées, ce qui aurait pour avantage de renforcer la progressivité et d’atténuer une partie des pressions à la hausse qui s’exercent sur les prix des logements, tout en continuant d’exonérer les plus-values réalisées sur la vente de la résidence principale pour la majorité des ménages.
Progressivement supprimer ou plafonner la déductibilité des intérêts d’emprunt hypothécaire pour les logements occupés par leurs propriétaires aurait également des effets positifs sur la progressivité, les recettes fiscales et l’accessibilité financière des logements.
Mieux cibler les incitations fiscales en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments afin que les ménages à faible revenu puissent en profiter. Cela pourrait contribuer à réduire davantage les émissions et à améliorer l’équité des incitations fiscales.
La prudence s’impose en cas de recours aux incitations fiscales pour encourager l’accession à la propriété ; le plus souvent, stimuler l’offre de logements et promouvoir un usage plus efficace du parc de logements existant au moyen de mesures fiscales et non fiscales aura probablement un plus fort impact sur l’accessibilité des logements.
Durcir les exigences déclaratives, y compris concernant les informations que les tiers doivent communiquer aux autorités fiscales et l’échange international de renseignements à des fins fiscales, est déterminant pour garantir la bonne application des taxes sur l’immobilier.
Toute évaluation des politiques fiscales relatives à l’immobilier devrait appréhender de façon globale leurs liens avec d’autres politiques fiscales et non fiscales et avec la situation sur le marché du logement. Les interactions entre différentes politiques fiscales relatives au logement devraient être soigneusement étudiées. Par exemple, la mobilité résidentielle sera directement affectée par les impôts sur les transactions immobilières et les taxes sur les plus-values, et indirectement par la conception des impôts périodiques sur la propriété immobilière. Aussi, les réformes visant à accroître la mobilité devraient prendre en compte ces trois catégories de prélèvements. En outre, l’examen attentif des interactions entre impôts peut aussi contribuer à déterminer les cas dans lesquels les pays pourraient, avant de mettre en place de nouveaux instruments fiscaux, envisager de réformer la conception des taxes existantes sur l’immobilier. Par exemple, des impôts spéciaux destinés à contrer la spéculation pourraient s’avérer moins nécessaires dès lors que les plus-values à court terme sont correctement taxées. De même, un impôt périodique sur la propriété immobilière reposant sur des valeurs cadastrales régulièrement mises à jour pourrait réduire la nécessité d’instaurer des prélèvements visant à capter les hausses de la valeur des biens résultant d’investissements publics locaux (en vue de financer des infrastructures, par exemple). Les interactions entre politiques fiscales et non fiscales ont aussi une importance décisive. Dans certains cas, les politiques non fiscales peuvent constituer une solution plus efficace et plus équitable que des mesures fiscales, surtout lorsque l’objectif est de promouvoir l’accessibilité du logement. Il se peut également que la réussite des mesures fiscales dépende d’autres paramètres de l’action publique ou de la situation sur le marché du logement.
Les réformes de la fiscalité immobilière doivent être planifiées avec soin et en tenant compte de leurs conséquences sur différentes catégories de ménages. Les réformes de la fiscalité immobilière peuvent avoir un impact important sur le prix des logements, entraînant des effets potentiellement significatifs en termes de répartition du patrimoine et des conséquences financières et économiques à plus grande échelle. Une mise en œuvre progressive des réformes peut aider à empêcher des chocs macroéconomiques négatifs tout en atténuant leurs effets délétères sur certaines catégories d’individus, du moins à court terme. Associer des réformes de la fiscalité immobilière à d’autres mesures fiscales ou redistributives peut aussi contribuer à amortir l’impact de certaines réformes sur les personnes plus vulnérables, tout en améliorant l’acceptabilité publique et la faisabilité politique des changements prévus. Les pouvoirs publics qui envisagent d’engager des réformes de la fiscalité immobilière devraient aussi tenir compte de l’évolution de l’environnement macroéconomique, et notamment des variations des taux d’intérêt et de leur impact potentiel sur le marché du logement et sur les ménages.