Ce rapport s'appuie sur les recommandations de l'examen par les pairs du droit et de la politique de la concurrence en Tunisie réalisé par l'OCDE en 2022. Il propose une vue d'ensemble sur la manière de développer des lignes directrices en matière de concurrence dans quatre domaines : le contrôle des concentrations, les sanctions pécuniaires, les programmes de clémence et les programmes de conformité. Cela comprend une analyse comparative de juridictions sélectionnées, dans le but d'aider les autorités tunisiennes à élaborer leurs propres lignes directrices. Bien que les lignes directrices en matière de concurrence puissent jouer un rôle important dans la promotion de la politique de concurrence en Tunisie, cela devrait aller de pair avec la résolution des lacunes spécifiques dans le cadre de l'application et de la promotion, telles qu'identifiées dans l'examen par les pairs.
Le rôle des lignes directrices dans la promotion de la politique de concurrence en Tunisie
Résumé
Synthèse
Le présent rapport analyse la pratique en matière de lignes directrices sur la concurrence en Tunisie. Son objectif est d’évaluer les conditions-cadres actuellement en vigueur pouvant servir à l’adoption de lignes directrices ainsi que de formuler des recommandations visant à appuyer les efforts déployés par le pays pour améliorer son cadre d’application et de promotion et renforcer la cohérence avec les meilleures pratiques au niveau international.
La Tunisie a engagé un programme ambitieux de mise en œuvre effective du droit et de la politique de la concurrence. Comme souligné lors de l’Examen par les pairs du droit et de la politique de la concurrence, réalisé par l’OCDE en 2022, les conditions permettant aux entités de la concurrence de bien se développer et de contribuer de manière significative à la mise en place de marchés concurrentiels dans le pays sont dans une large mesure en place. S’ils sont bien mis en œuvre, le droit et la politique de la concurrence pourront bénéficier aux consommateurs et aux entreprises, conduisant à une augmentation de la productivité, de l’innovation, de la croissance et de l’emploi.
Afin d’améliorer le cadre juridique et politique dans l’esprit des meilleures pratiques internationales, cette analyse suggère un certain nombre d’améliorations à apporter au cadre d’application et de promotion du droit de la concurrence, notamment par le biais de l’élaboration de lignes directrices portant sur quatre domaines juridiques particuliers : le contrôle des concentrations, la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, le programme de clémence et les programmes de conformité.
Le rapport examine le projet de lignes directrices tunisiennes sur le contrôle des concentrations et offre aux autorités du pays des indications à prendre en compte à l’occasion de l’élaboration de lignes directrices sur la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, le programme de clémence et le programme de conformité. Le présent document procède à une analyse et une évaluation comparative du cadre et de la pratique relatifs aux lignes directrices dans le domaine de la concurrence dans les quatre domaines, en menant une comparaison entre la situation observée en Tunisie et les pratiques dans plusieurs juridictions et des politiques inspirées des meilleures pratiques, telles que définies par les instruments de l’OCDE et les travaux du Comité de la Concurrence.
Principales conclusions
L’analyse de l’OCDE a permis d’identifier un certain nombre de lacunes dans le droit et la politique de la concurrence en Tunisie, au premier rang desquelles figure l’absence de lignes directrices sur la concurrence. En droit tunisien, la publication de lignes directrices par les autorités administratives ne relève pas d’une pratique courante.
Le cadre tunisien du droit de la concurrence concernant l’examen des concentrations présente une série de limitations, notamment un seuil de notification très élevé basé sur le chiffre d’affaires ainsi que l’absence d’un régime de contrôle des concentrations simplifié et en deux phases et l’absence de formulaires pour la notification des concentrations. Si les entreprises mettent en œuvre l’opération avant notification et approbation, alors que celle-ci remplit les conditions énumérées dans la loi (réalisation anticipée des opérations ou gun jumping), elles peuvent se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires en Tunisie. Si les règles tunisiennes semblent tenir compte des meilleures pratiques au niveau international, l’absence de mesures d’application s’écarte des pratiques internationales. Les autorités tunisiennes de la concurrence n’ont jamais sanctionné d’entreprises pour réalisation anticipée des opérations ou gun jumping, malgré l’identification d’opérations non notifiées remplissant les seuils de notification.
Le cadre tunisien du droit de la concurrence concernant les amendes sanctionnant des pratiques anticoncurrentielles est globalement conforme aux normes internationales. Toutefois, il n’existe pas de méthode établie pour fixer le montant des amendes. Dans de nombreuses décisions faisant état d’infractions, aucune sanction pécuniaire n’est appliquée. Si cette pratique était plus courante autrefois, on constate encore quelques affaires ne donnant lieu à aucune amende. L’effet dissuasif s’en trouve considérablement réduit, ce qui explique également que les contrevenants soient peu incités à recourir aux demandes de clémence.
Le droit tunisien de la concurrence suit les normes internationales relatives aux programmes de clémence, mais aucune demande de clémence n’a été soumise jusqu’à aujourd’hui, et ce depuis leur mise en place il y a plus de vingt ans. Pour que des programmes de clémence fonctionnent, le risque de détection et de sanctions sérieuses doit être élevé, ce qui ne semble pas être le cas en Tunisie. La répression des ententes en Tunisie est encore limitée et certaines décisions relatives aux ententes ont été rendues sans qu’aucune amende ne soit imposée, au détriment de leur effet dissuasif.
L’adoption de programmes de conformité sur la concurrence ne relève pas d’une pratique courante en Tunisie, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’application limitée de la loi, l’absence de lignes directrices et de répartition claire des rôles et des tâches entre la DGCEE et le Conseil de la concurrence en matière de sensibilisation aux règles de concurrence ne facilite pas la promotion et l’adoption de programmes de conformité par les entreprises tunisiennes.
Principales recommandations
Afin de renforcer davantage le cadre de la politique de concurrence dans l’esprit des meilleures pratiques ayant fait leurs preuves au niveau international, la présente analyse propose un certain nombre d’améliorations à apporter à la pratique relative aux lignes directrices sur la concurrence.
Un projet de lignes directrices sur les concentrations a déjà été préparé par les autorités tunisiennes de la concurrence, ce qui donne à penser que cette question devrait continuer d’être au centre de leurs préoccupations à court terme. La priorité devrait être donnée aux lignes directrices sur la méthode utilisée pour fixer le montant des amendes dans un second temps, puis aux lignes directrices sur les programmes de clémence et de conformité.
Contrôle des concentrations
Il conviendrait que la version actuelle du projet de lignes directrices sur le contrôle des concentrations prenne en compte les éléments suivants avant sa soumission pour consultation aux parties prenantes :
En l'absence de mise en œuvre de la recommandation de l’Examen par les pairs visant à transférer au Conseil de la concurrence la responsabilité du contrôle des concentrations, veiller à ce que le Conseil de la concurrence et la DGCEE adoptent une approche plus coordonnée de l'évaluation des concentrations.
Préciser les modalités d’évaluation de la concurrence en fonction de la nature de l’opération (concentrations horizontales ou non horizontales).
Fournir des éléments supplémentaires concernant la définition du marché, ce qui est particulièrement pertinent étant donné que l’un des seuils de notification est fondé sur un test basé sur les parts de marché.
Préciser la nature du test économique pertinent utilisé pour évaluer les concentrations, afin d'assurer un examen cohérent et transparent des opérations.
Détailler davantage les modalités de définition des mesures correctives, notamment au moyen d’exemples plus descriptifs.
Établir des « régimes de protection » précisant les cas qui ne sont pas susceptibles de poser des problèmes de concurrence et qui pourraient faire l’objet d’une procédure simplifiée.
Inclure des exemples supplémentaires et des renvois vers la jurisprudence applicable, en apportant des précisions sur l’analyse de fond et les procédures relatives à ces affaires.
Insérer un glossaire comportant des explications sur la terminologie pertinente.
Méthode de détermination des sanctions pécuniaires
L’élaboration d’une méthode pour fixer le montant des amendes peut aider les autorités tunisiennes de la concurrence à mettre en place une politique cohérente en matière de sanctions pécuniaires. Lors de l’élaboration de lignes directrices sur la détermination des sanctions pécuniaires, il conviendrait de tenir compte des éléments suivants :
Indiquer clairement les objectifs des amendes.
Préciser la méthode de fixation du montant des amendes, y compris le calcul du montant de base, son ajustement en fonction des circonstances aggravantes et atténuantes et les limites statutaires des amendes.
Tenir compte de la gravité et de la durée de l’infraction lors de la fixation des amendes.
La prise en compte ou non de l’absence de capacité contributive de l’entreprise et, le cas échéant, les modalités retenues.
Programmes de clémence
La publication de lignes directrices peut permettre de renforcer la promotion du programme de clémence en Tunisie. Dans cette optique, les éléments suivants devraient être pris en compte dans les lignes directrices à venir sur la clémence :
Indiquer les infractions couvertes par le programme de clémence.
Définir les critères d’éligibilité et les conditions à remplir pour demander la clémence.
Indiquer clairement les avantages du programme de clémence.
Préciser les aspects procéduraux d’une demande de clémence, y compris l’identité du point de contact de l’autorité de la concurrence auquel les parties intéressées doivent s’adresser pour présenter une demande, la possibilité de demander un marqueur et les informations et éléments de preuve qui doivent être présentés.
Expliquer de quelle manière et dans quelle mesure la confidentialité des demandes de clémence est assurée.
Indiquer les conséquences de la clémence en termes de responsabilité civile.
Fournir une liste de vérification concernant les éléments qui doivent être réunis pour que la demande soit complète, ainsi que des documents modèles.
Programmes de conformité
L’élaboration de lignes directrices peut contribuer à encourager l’adoption de programmes de conformité aux règles de concurrence en Tunisie. Il convient de tenir compte des éléments suivants lors de l’élaboration des lignes directrices sur le programme de conformité
Indiquer les avantages procurés par les programmes de conformité, y compris si leur existence est considérée comme une circonstance atténuante ou aggravante pour les besoins du calcul du montant des amendes.
Reconnaître qu’il n’existe pas d’approche unique en matière de programmes de conformité et que, par conséquent, chaque entreprise doit mettre en œuvre son propre programme en tenant compte de sa taille, de son secteur d’activité et des risques auxquels elle est confrontée dans ses opérations quotidiennes.
Souligner l’importance de l’engagement de l’équipe dirigeante, de l’évaluation des risques, de la transparence et de la documentation, de la formation, des mécanismes de notification, ainsi que de l’évaluation et de la mise à jour régulières.
Fournir aux entreprises des documents modèles pouvant servir de point de départ à l’élaboration de programmes de conformité.
S’adresser aux entreprises pour leur expliquer les obligations qui leur incombent en vertu du droit de la concurrence et promouvoir l’adoption de programmes de conformité dans tous les secteurs économiques.
Si les lignes directrices sur le droit de la concurrence peuvent jouer un rôle important de promotion de la politique de concurrence en Tunisie, il conviendrait néanmoins de remédier à des lacunes spécifiques des cadres d’application et de promotion de la concurrence. Dans cette optique, le présent rapport réitère, de son côté, les recommandations pertinentes formulées lors de l’Examen par les pairs, en fournissant des éléments supplémentaires que les pouvoirs publics tunisiens devront prendre en compte.
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