L'inflation a une incidence sur la charge fiscale des travailleurs, y compris des catégories de ménages pris en compte dans Les impôts sur les salaires. Cette section explique pourquoi, dans un système fiscal progressif, la croissance des salaires nominaux se traduit par un alourdissement de la pression fiscale et, potentiellement, par une hausse non négligeable des recettes fiscales, à travers le mécanisme du freinage fiscal (OECD, 2008[3]). Ce phénomène a suscité énormément d'intérêt dans les pays de l’OCDE en raison de la forte inflation qui a marqué 2022, mais il a une incidence sur la pression fiscale supportée par les travailleurs même lorsque l'inflation est relativement faible. Par ailleurs, il a un impact sur la répartition du revenu et les mesures incitatives qui s’adressent aux travailleurs.
Le freinage fiscal passe par plusieurs canaux. Il peut en outre être examiné en termes nominaux ou réels (Heinemann, 2001[4]). Il y a freinage fiscal « nominal » lorsque la valeur absolue des seuils et des tranches d'imposition n’est pas ajustée automatiquement en fonction de l’intégralité de l’inflation. En pareil cas, les revenus de certains travailleurs se déplacent jusqu’à un niveau plus élevé du barème fiscal lorsque leur salaire nominal augmente. Ce phénomène est particulièrement marqué lorsque le barème comporte de nombreuses tranches ou lorsque les taux d’imposition varient beaucoup d’une tranche à l'autre (Beer, Griffiths and Klemm, 2023[5]). Un contribuable peut cependant voir sa charge fiscale augmenter même s'il ne change pas de tranche, dans l’hypothèse où une plus forte proportion de son revenu imposable est imposée à un taux plus élevé.
Qualifié de glissement par le jeu des tranches d’imposition ou de progression à froid, ce phénomène se traduit mécaniquement par une augmentation des recettes fiscales nominales perçues par l’État (à taux d’emploi et nombre d’heures travaillées constants), mais cette hausse manque de transparence. Comme le soulignent (Beer, Griffiths and Klemm, 2023[5]), « relever les seuils mais dans une proportion inférieure à l’inflation (voire les geler tout en abaissant les taux d'imposition) peut être un moyen politiquement commode d'augmenter subrepticement les impôts tout en donnant l'impression de les réduire ».
L’inflation réduit la valeur réelle des abattements, des déductions fiscales forfaitaires, des crédits d'impôt et des prestations en espèces, de même que le montant des seuils à ne pas franchir pour percevoir des prestations soumises à condition de ressources lorsque ces seuils ne sont pas revalorisés parallèlement à la hausse des prix. Comme ces dispositifs ciblent les travailleurs modestes, le freinage fiscal nominal risque de pénaliser davantage les personnes situées à l’extrémité inférieure de l’échelle des revenus, d’où un risque de moindre progressivité du système fiscal et d'aggravation de la pauvreté. Myck et Trzciński font observer que les pouvoirs publics pourraient peut-être compenser cet effet négatif du freinage fiscal sur la répartition des revenus en affectant les recettes fiscales qui en résultent au financement de dépenses redistributives. Cet aspect dépasse toutefois le champ couvert par ce chapitre (2022[6]).
Le freinage fiscal a aussi une incidence sur les cotisations sociales, mais son effet s’exerce dans des directions opposées. À l’extrémité inférieure de l'échelle des revenus, il entraîne une hausse des recettes parce qu’il abaisse le revenu d'activité réel à partir duquel les cotisations sont prélevées. À l’extrémité supérieure, il réduit les recettes parce qu’il entraîne une baisse du plafond au-delà duquel les cotisations ne sont pas prélevées. Heinemann montre qu’une inflation plus forte va de pair avec une hausse des recettes tirées des cotisations de sécurité sociale dans les pays de l’OCDE et en déduit qu’il « est politiquement plus facile d'augmenter les plafonds et les taux de cotisation dans un contexte inflationniste » (2001[4]).
Quant au freinage fiscal « réel », il permet de recouvrer davantage de recettes, mais cette augmentation n’est pas la résultante directe de l’inflation et peut être observée même lorsque les systèmes fiscaux sont parfaitement indexés sur les prix. Cette forme de freinage fiscal se produit lorsque les salaires augmentent en termes réels dans l’ensemble de l’économie. Comme dans le cas du freinage nominal, la charge fiscale d'une personne s’alourdit sous l’effet de la progressivité du système fiscal. Cette hausse n’existe pas si les paramètres du système fiscal en valeur absolue s'ajustent automatiquement en fonction de la croissance des salaires réels, ce qui est en pratique très rare, comme ce chapitre le montrera.
Qu'il soit nominal ou réel, le freinage fiscal a toujours été une cause importante de hausse du ratio impôt sur PIB dans la zone OCDE, en particulier durant les années 1970, marquées par une forte inflation qui a conduit plusieurs pays de l’OCDE à mettre en place des politiques d’indexation (Heinemann, 2001[4]). Le freinage fiscal nominal a par ailleurs été une composante des politiques d'assainissement budgétaire adoptées dans le sillage de la crise financière mondiale (Avram et al., 2013[7]).
En 2022, la forte inflation et la baisse des salaires réels ont suscité un énorme regain d’intérêt pour le freinage fiscal nominal et les mesures envisageables pour l’atténuer, dont l’indexation. En cas de baisse des salaires réels, un travailleur peut avoir à supporter une charge fiscale plus élevée malgré un revenu réel plus faible, ce qui signifie qu'il est doublement pénalisé par l’inflation. C’est dans les pays où l’inflation et les taux d'imposition ont augmenté et où les seuils n’ont pas été ajustés pendant relativement longtemps que les effets du freinage fiscal risquent de se faire le plus sentir.