Ce chapitre décrit la situation des marchés et présente les projections à moyen terme relatives aux marchés mondiaux du sucre sur la période 2020-29. Il passe en revue les évolutions prévues en termes de prix, de production, de consommation et d’échanges pour le sucre de betterave, le sucre de canne, le sucre, la mélasse et l’isoglucose, et examine en conclusion les principaux risques et incertitudes susceptibles d’avoir une incidence sur les marchés mondiaux du sucre dans les dix années à venir.
Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO 2020-2029
5. Sucre
Abstract
5.1. Situation du marché1
La production de la campagne sucrière en cours (octobre 2019-septembre 2020) devrait baisser considérablement par rapport aux deux campagnes précédentes, excédentaires, qui avaient permis à l’Inde de ravir au Brésil sa place de premier producteur mondial de sucre. Toutefois, le Brésil devrait retrouver sa première place car la production de l’Inde pâtit de conditions météorologiques défavorables. Le temps sec touche également la production de l’Union européenne et de la Thaïlande, deux autres marchés sucriers importants. La seule augmentation marquée de la production de sucre concernera la Fédération de Russie, où l’on s’attend à un marché sur approvisionné suite à une récolte exceptionnelle. À l’échelle mondiale, le niveau de production de la campagne en cours sera proche du niveau moyen de la dernière décennie.
La consommation mondiale par habitant d’édulcorants caloriques continue de croître, non sans présenter des différences régionales notables. La croissance est faible voire négative dans les régions où les niveaux sont déjà élevés : pays développés, Amérique du Sud et quelques pays asiatiques producteurs de sucre. En Afrique et dans la majeure partie de l’Asie (Graphique 5.1), les niveaux de consommation sont faibles et l’on prévoit une croissance vigoureuse. La pandémie de COVID‑19 influe fortement sur la demande. La consommation hors foyer a diminué de manière significative du fait des mesures de distanciation sociale et autres restrictions prises pour limiter la propagation du virus. Il est largement admis désormais qu’un niveau élevé de consommation de sucre est un facteur de désordres et de problèmes de santé tels le diabète, la surcharge pondérale et l’obésité. Face à cela, les pays qui ont une consommation de sucre élevée prennent des mesures pour tenter de la réduire.
Avant l’apparition du coronavirus, les stocks de sucre étaient en baisse et près de la moitié de ce déstockage avait lieu en Inde. À l’heure actuelle, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur la consommation et les échanges, l’état final des stocks mondiaux est tout aussi incertain.
5.2. Principaux éléments des projections
En valeur réelle, les prix du sucre brut et du sucre blanc devraient demeurer stables sur la période de prévision, tandis qu’en valeur nominale ils devraient suivre une tendance légèrement ascendante (+2 % par an). Les projections prévoient en effet un marché mondial plus tendu (une offre plus proche de la demande) que lors de la décennie écoulée. La relativement faible surcote du sucre blanc (différence entre les prix du sucre blanc et du sucre brut) – 70 USD/t au cours de la période de référence (2017‑19) – devrait augmenter légèrement en valeur absolue, pour atteindre 83 USD/t à l’horizon 2029.
Les projections prévoient également une augmentation de la production de canne à sucre et de betterave sucrière, conséquence à la fois de l’accroissement des superficies et de l’amélioration des rendements pour les deux cultures. La croissance est plus forte pour la production de canne à sucre en raison principalement d’une extension plus rapide des surfaces. La production et la transformation de la betterave sucrière sont plus mécanisées et continueront de bénéficier de gains de productivité. La canne à sucre, cultivée essentiellement dans les pays tropicaux et subtropicaux d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, demeurera la principale culture utilisée pour produire du sucre.
Les projections indiquent que la production mondiale de sucre se redressera après le fléchissement actuel et augmentera de 15 %, passant de 176 Mt durant la période de référence à 203 Mt en 2029 ; 96 % de cette hausse viendra des pays en développement. Les hypothèses économiques sur lesquelles reposent les projections, et notamment la dépréciation du réal brésilien par rapport au dollar des États‑Unis, contribueront à une reprise des investissements dans le secteur, les prix à l’exportation du sucre brésilien étant suffisamment intéressants pour stimuler la production destinée aux marchés internationaux. À compter du 1er janvier 2020, le programme fédéral RenovaBio, qui vise à freiner les émissions de carbone, devrait donner lieu à un accroissement de la consommation d’éthanol, ce qui aura des effets favorables sur le secteur de la canne à sucre. Le Brésil devrait conserver sa place de premier producteur de sucre, atteignant 18 % environ de la production mondiale en 2029. L’Inde et la Thaïlande devraient se remettre progressivement de leur mauvaise campagne actuelle, l’Inde atteignant des niveaux proches de ceux du Brésil en 2029. Par comparaison avec la période de référence, le niveau de la production devrait surtout augmenter au Brésil (+7.0 Mt), en Inde (+4.6 Mt), en Thaïlande (+2.8 Mt) et en République populaire de Chine (ci-après « la Chine ») (+1.4 Mt). Sous l’effet de prix nominaux plus élevés et d’une consommation mondiale en hausse, le taux de croissance annuel moyen de la production sucrière devrait s’établir à un niveau légèrement supérieur à celui de la dernière décennie.
Entraînée par une expansion économique soutenue et une croissance démographique modérée, la demande de sucre en Asie devrait représenter plus de la moitié de la consommation mondiale en 2029. En valeur absolue, l’Afrique connaîtra une croissance démographique similaire à celle de l’Asie, mais la hausse de la consommation de sucre devrait y être moitié moindre (toujours en valeur absolue). La consommation par habitant devrait, quant à elle, enregistrer un léger ralentissement dans les deux régions.
Dans d’autres parties du monde, et notamment dans les pays à revenu élevé, la consommation par habitant poursuivra sa décrue, du fait de l’évolution des habitudes des consommateurs, qui tendent à réduire la part du sucre dans leur alimentation. Les projections indiquent que la consommation de l’autre grand édulcorant calorique, l’isoglucose, devrait augmenter de 1.9 Mt, pour atteindre 15 Mt en 2029, sous l’effet avant tout d’une augmentation de la demande en Chine, où les niveaux de consommation par habitant sont très faibles. La sensibilisation croissante aux effets délétères d’une forte consommation d’édulcorants caloriques sur la santé, renforcée par les mesures prises par les autorités, pèsera sur l’évolution des tendances de consommation. Le sucre et l’isoglucose continueront de représenter 90 % environ du marché des édulcorants.
Les projections reposent sur plusieurs hypothèses, parmi lesquelles l’évolution de la productivité, les conditions macroéconomiques et les politiques nationales applicables au sous-secteur du sucre. À court terme, la pandémie de COVID‑19 représente la principale source d’incertitude, compte tenu de son influence sur les conditions macroéconomiques, la consommation et les échanges. Elle pourrait avoir une incidence sur la production de 2020/21 dans les systèmes à forte densité de main-d’œuvre de l’Inde et de la Thaïlande. Outre la pandémie, l’autre grande source d’incertitude dans les projections tient à la répartition de la canne à sucre entre les productions d’éthanol et de sucre au Brésil. Les fluctuations des cours du pétrole brut et les effets du programme RenovaBio sur la production et la consommation d’éthanol pourraient avoir des conséquences notables sur le marché international du sucre en modifiant le niveau des exportations du Brésil. La production en Inde est caractérisée par de fréquentes oscillations qui pourraient influer le marché international, sachant que ce pays est aussi le premier consommateur de sucre du monde. L’Inde et la Thaïlande ont également des projets de bioéthanol qui, s’ils se concrétisaient, pourraient réduire le volume de canne à sucre disponible pour produire du sucre, avec, là encore, de lourdes conséquences sur les marchés. Les graves préoccupations que soulèvent les problèmes de santé associés à une consommation excessive d’édulcorants caloriques sont aussi source d’incertitude ; il est possible que la croissance de la demande soit plus faible que celle présentées dans ces Perspectives. Enfin, le fait que le secteur sucrier demeure fortement réglementé ajoute une strate d’incertitude aux projections.
5.3. Prix
Les prix du sucre ont baissé ces dernières années jusqu’à des niveaux que l’on n’avait pas vus depuis le milieu de la décennie précédente. Ils devraient augmenter en valeur nominale sur la période de projection. Renouant avec une plus forte rentabilité, les gros exportateurs (principalement le Brésil) reprendront leurs exportations de sucre. Sous réserve de conditions météorologiques normales, les rendements des cultures sucrières, notamment en Inde et en Thaïlande, devraient progressivement retrouver des niveaux plus conformes à la tendance des années précédentes. On prévoit que la croissance de la demande mondiale restera dans la fourchette observée durant la décennie précédente, entraînant une stabilité des prix réels du sucre sur la période de projection. En valeur absolue, les stocks mondiaux devraient se reconstituer lentement. Ils se stabiliseront en valeur relative à partir de 2022, le ratio stocks/consommation demeurant proche de 44.7 %.
À moyen terme, les projections indiquent que les prix réels du sucre resteront aux niveaux de 2019 (Graphique 5.2), c’est-à-dire au-dessous de la moyenne des 20 dernières années, quand les prix subissaient la pression à la hausse due à la concurrence des biocarburants (éthanol). En 2029, le prix mondial en valeur nominale devrait s’établir à 386 USD/t (17.5 cts/lb) pour le sucre brut et à 469 USD/t (21.3 cts/lb) pour le sucre blanc. La surcote du sucre blanc devrait croître légèrement pour atteindre 83 USD/t à la fin de la période de projection, en raison d’une demande en légère hausse.
5.4. Production
Les marchés du sucre devraient amorcer une lente reprise. Le secteur est en effet à forte intensité de capital, et la faiblesse des prix avait conduit à différer certains investissements. La production de sucre devrait se développer, en raison notamment de la capacité des sucreries à passer d’une production d’éthanol à une production de sucre et inversement, ce qui réduit les risques liés aux investissements. La canne à sucre représente 86 % environ des cultures sucrières et la betterave à sucre, le reste. La canne à sucre est une plante vivace que l’on cultive principalement dans les régions tropicales et subtropicales. Les mêmes plants peuvent être récoltés plusieurs années de suite, quoique les rendements aillent en décroissant. En plus du sucre et de l’éthanol, la canne à sucre peut être utilisée pour produire des dérivés, comme l’électricité (à partir des excédents de bagasse) et des bioplastiques. Toutefois, c’est une culture qui nécessite beaucoup d’eau. À l’inverse, la betterave à sucre est une plante annuelle cultivée principalement en zone tempérée ; elle est à l’origine d’une vaste gamme de produits incluant les aliments (sucre), les aliments pour animaux, les bioproduits destinés à l’industrie (produits pharmaceutiques, plastiques, textiles et produits chimiques) et l’éthanol.
Sur la période de projection, l’augmentation de la production de canne à sucre devrait être le fait de l’amélioration des rendements et de l’extension des superficies. Dans le cas de la betterave sucrière, la progression viendra en majeure partie d’une amélioration des rendements. Les projections indiquent que la production de canne à sucre augmentera de 1.1 % par an, soit un rythme un peu plus soutenu que durant la décennie écoulée, le Brésil, l’Inde et la Thaïlande assurant 74 % de la variation du volume mondial de production (49 %, 18 % et 6 % respectivement). Les perspectives sont moins prometteuses pour la betterave sucrière, dont la production devrait croître de 0.7 % par an, soit bien moins que les 2.1 % annuels enregistrés durant la dernière décennie (Graphique 5.3). Les projections prévoient des augmentations en Égypte (+6.9 Mt), en Ukraine (+3.3 Mt), en Turquie (+2.9 Mt) et en Chine (+2.9 Mt), mais un recul dans l’Union européenne et la Fédération de Russie (-3.7 Mt et -1.1 Mt respectivement), alors qu’au cours de la dernière décennie, ces deux dernières régions comptaient pour la moitié de la progression mondiale de betterave sucrière.
La croissance de la production en Union européenne (par rapport à 2017‑19, la période postérieure à l’abolition des quotas qui a commencé par une année sucrière record) devrait être l’une des plus basses. En Fédération de Russie, malgré une stratégie nationale vigoureuse en faveur de l’autosuffisance ces dernières années, qui a conduit à un excédent de production massif en 2019, les coûts de production devraient rester élevés et la production de sucre ne devrait pas dépasser les niveaux atteints durant la période de référence. Aux États-Unis, où les deux cultures sucrières sont pratiquées, on prévoit une amélioration des rendements ainsi qu’une augmentation du coût des intrants (liée à l’évolution des techniques de récolte) ; la croissance de la production de betterave à sucre devrait ralentir dans quelques années alors que celle de la canne à sucre devrait être plus stable, du fait de la nature pérenne de cette culture.
Sur la période de projection, les parts des cultures sucrières utilisées pour produire du sucre et de l’éthanol devraient être respectivement de 78 % (75 % pour la canne à sucre et 96 % pour la betterave sucrière) et 22 %. Le Brésil conservera son titre de premier producteur de sucre et d’éthanol issu de la canne à sucre ; en 2029, il produira en effet 39 % de la canne à sucre mondiale, à partir de laquelle il assurera respectivement 18 % et 90 % de la production mondiale de sucre et d’éthanol (contre 17 % et 91 % durant la période de référence).
À compter de 2020, la production mondiale devrait augmenter à nouveau, à un rythme moyen plus soutenu que durant la décennie écoulée (1.4 % par an au lieu de 0.8 %), en raison de la hausse des prix du sucre qu’entraînera la croissance régulière de la demande mondiale. L’essentiel de cette augmentation aura lieu dans les pays en développement, qui devraient assurer 78 % de la production mondiale en 2029 (contre 75 % dans la période de référence). L’Asie et l’Amérique latine seront les principales régions productrices. La part de l’Asie dans la production mondiale devrait passer de 41.2 % durant la période de référence à 41.6 % en 2029, et celle de l’Amérique latine, de 29.2 % à 30.2 %.
Le Brésil, premier fournisseur mondial, a connu une situation chronique d’endettement au cours des dix dernières années. Cela étant, le déficit mondial actuel, qui pousse les prix à la hausse, ainsi que la dépréciation du réal accroissent la rentabilité du secteur sucrier, ce qui attire les investissements. Il reste que le sucre brésilien demeurera en concurrence avec les biocarburants, puisque près de la moitié de la canne à sucre produite dans le pays sert à produire de l’éthanol. Le Brésil demeurera néanmoins le premier producteur et exportateur mondial de sucre pendant la période de projection, sa production devrait atteindre 37 Mt (+7 Mt par rapport à la période de référence) en 2029, d’après les projections.
Le Brésil, premier fournisseur mondial, a connu une situation chronique d’endettement au cours des dix dernières années. Cela étant, le déficit mondial actuel, qui pousse les prix à la hausse, ainsi que la dépréciation du réal accroissent la rentabilité du secteur sucrier, ce qui attire les investissements. Il reste que le sucre brésilien demeurera en concurrence avec les biocarburants, puisque près de la moitié de la canne à sucre produite dans le pays sert à produire de l’éthanol. Le Brésil demeurera néanmoins le premier producteur et exportateur mondial de sucre pendant la période de projection, sa production devrait atteindre 37 Mt (+7 Mt par rapport à la période de référence) en 2029, d’après les projections.
L’Inde est le deuxième producteur mondial de sucre. Sa production, actuellement basse, devrait repartir à la hausse et se développer progressivement, poussée en partie par les aides renouvelées des pouvoirs publics. Profitant d’une bonne rentabilité, la production de sucre devrait augmenter de 4.4 Mt ces dix prochaines années, pour atteindre 35 Mt en 2029. La Thaïlande conservera sa place de quatrième producteur mondial (l’Union européenne arrivant en troisième position), et devrait connaître une croissance annuelle moyenne similaire à celle de la décennie précédente, se remettant progressivement du léger recul de la campagne actuelle, stimulée en cela par les prix du marché mondial du sucre. En 2029, la Thaïlande devrait produire non moins de 15.8 Mt de sucre. Les projections indiquent qu’en Chine, la production de canne à sucre et de betterave sucrière devrait s’accélérer au cours des premières années de la période de projection, soutenue par le plan national 2015‑2020. On prévoit toutefois que les coûts de production demeureront élevés par rapport à ceux des pays voisins. Quelques droits de sauvegarde2 limitent également la concurrence des importations. Ces facteurs devraient continuer à protéger le secteur. En 2029, la production de sucre de la Chine devrait atteindre 12.2 Mt. Au Pakistan, les agriculteurs bénéficient d’une aide publique importante sous la forme de prix garantis ; la production devrait augmenter, mais à un rythme annuel plus faible, 2.7 % contre 3.6 % au cours de la dernière décennie, pour atteindre 7.4 Mt en 2029.
En Afrique (hors Afrique du Sud), l’augmentation des prix du sucre en valeur réelle soutiendra la croissance de la production. Cette dernière devrait ainsi progresser de 40 % par rapport à la période de référence, pour atteindre 15.8 Mt en 2029, une projection qui s’explique par le développement de la production dans les pays d’Afrique subsaharienne, consécutif aux investissements réalisés dans les exploitations et les sucreries. Malgré cette croissance, la part du continent dans la production mondiale restera modeste (8 % en 2029).
Au cours de la dernière décennie, les pays développés ont contribué pour plus d’un quart à la progression de la production mondiale de sucre, les augmentations les plus fortes ayant été enregistrées dans l’Union européenne, en Fédération de Russie, en Australie et aux États-Unis. Cette part devrait toutefois descendre à 4 % sur la période de projection (Graphique 5.4), en raison d’une croissance annuelle projetée de 0.8 % seulement (contre 1.7 % pour les pays en développement). Dans ce groupe de pays, comparé à la période de référence, seule l’Afrique du Sud devrait développer sa production de façon importante (+0.5 Mt). Les niveaux de production de l’Union européenne et de la Fédération de Russie ne devraient pas changer beaucoup sur les dix prochaines années. L’Union européenne conservera néanmoins sa place de troisième producteur mondial de sucre. Quant à la Fédération de Russie, les mesures prises ces dernières années pour parvenir à l’autosuffisance ont porté leurs fruits, mais les coûts de production du pays demeurent élevés et ses exportations ne sont pas assez compétitives pour permettre à la production de poursuivre sa progression au cours des dix prochaines années. Aucun changement significatif n’est attendu pour les États-Unis, où la filière reste très dépendante des mesures de soutien à la production intérieure : programme de prêts (Sugar Loan Program) qui garantit les prix payés aux producteurs, quotas de commercialisation du sucre (Sugar Marketing Allotments) qui contraignent ou incitent les producteurs à satisfaire 85 % de la consommation intérieure, programme de flexibilité de l’approvisionnement en matières premières (Feedstock Flexibility Program) qui vise à réorienter les excédents de sucre vers la production d’éthanol au lieu de faire jouer la clause de cession prévue par les prêts de la Commodity Credit Corporation (CCC) du ministère de l’Agriculture, et barrières commerciales à l’importation (contingents tarifaires, accords régionaux et accords de suspension des exportations de sucre du Mexique).
Après une courte période durant laquelle l’Inde continuera de contribuer à la moitié du déstockage mondial de sucre, le marché redeviendra excédentaire et les stocks mondiaux se reconstitueront à un rythme modéré, au cours de la prochaine décennie. D’après les projections, le ratio mondial stocks/consommation retrouvera un niveau proche de 45 %, sa moyenne de long terme, contre 49 % durant la période de référence.
5.5. Consommation
La consommation mondiale de sucre devrait continuer d’augmenter d’environ 1.4 % par an, pour atteindre 199 Mt en 2029, soutenue par l’accroissement de la population et la croissance des revenus. Sur la période de projection, la consommation mondiale moyenne devrait passer de 22.5 kg/habitant à 23.5 kg/habitant, mais des variations considérables sont à attendre d’une région et d’un pays à l’autre (Graphique 5.5).
Seuls les pays en développement contribueront à cette augmentation, car sur les autres marchés, plus proches de la maturité, la consommation devrait avoir tendance à décliner. La demande supplémentaire viendra principalement de l’Asie et de l’Afrique, où elle sera de 68 % et 30 % respectivement. Dans ces deux régions déficitaires en sucre, le niveau de consommation est souvent faible par rapport à d’autres régions, d’où des perspectives de croissance considérables. En Asie, le taux de croissance plus élevé découlera d’une plus forte demande de confiseries et de boissons sucrées, en zone urbaine le plus souvent, tandis qu’en Afrique, la hausse de la consommation directe sera tirée en grande partie par la croissance démographique. En Amérique latine, où les niveaux de consommation par habitant sont déjà élevés, on prévoit peu de progression (2 % sur l’ensemble de la période de projection).
Parmi les pays asiatiques, l’Inde devrait connaître la plus forte hausse de la consommation, suivie par l’Indonésie, la Chine et le Pakistan. La consommation par habitant est très faible en Chine et dans les pays les moins avancés (PMA) d’Asie, puisqu’elle n’atteint pas 13 kg par an sur la période de référence, mais sa progression en rythme annuel restera à peu près identique à celle des dix dernières années, compte tenu du peu de goût des habitants pour les produits sucrés et de la lenteur avec laquelle les habitudes alimentaires évoluent. En Afrique, les plus fortes hausses de consommation concerneront l’Égypte et plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, mais la consommation par habitant se maintiendra en deçà de 14 kg par an dans les PMA subsahariens, dont l’Éthiopie et le Nigéria.
En revanche, le niveau de consommation de sucre par personne devrait continuer de baisser dans de nombreux pays développés, où l’on redoute de plus en plus les effets délétères sur la santé d’une surconsommation de sucre : caries dentaires, mais aussi prise de poids préjudiciable, susceptible d’accroître le risque de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires. Plusieurs pays ont institué une taxe sur les produits sucrés caloriques, pour tenter d’en infléchir la consommation. Le Mexique a été le premier à adopter cette stratégie au niveau national, en 2014. Suite à ces mesures, certaines multinationales ont réduit la taille des portions, diminué la quantité d’édulcorants caloriques ou remplacé le sucre par un édulcorant de synthèse, dont le pouvoir sucrant est plus élevé, mais la valeur calorique, plus faible.
Le fléchissement de la consommation de sucre des pays développés devrait se faire particulièrement sentir au Canada, dans l’Union européenne et au Royaume-Uni. Aux États-Unis, la consommation d’édulcorants devrait rester stable, mais les projections indiquent que la part du sucre dans la consommation d’édulcorants caloriques par habitant devrait augmenter, passant de 62 % durant la dernière décennie à 64.5 % en 2029. L’idée que l’isoglucose puisse être plus nocif pour la santé que le sucre continue de faire débat. En Fédération de Russie, la demande de sucre devrait croître, poussée par la production nationale de confiseries et la fabrication artisanale d’alcool. Le débat se poursuit sur une possible taxation du sucre, mais celui-ci devrait rester une source de calories bon marché et aucun changement des habitudes de consommation n’est attendu.
Compte tenu de sa compétitivité dans la fabrication de boissons sucrées caloriques, la consommation d’isoglucose (en poids sec) devrait augmenter de 14 %, soit 1.9 Mt, à l’horizon 2029. À l’échelle mondiale, la consommation restera toutefois circonscrite à un petit nombre de pays (Graphique 5.6). Comme pour le sucre, la consommation par habitant devrait diminuer dans les pays où la consommation totale d’édulcorants caloriques est élevée. La Chine, qui fait partie de ceux où cette consommation est basse, devrait être le principal moteur de la croissance. Étant le premier producteur mondial d’amidon, elle devrait normalement augmenter son offre d’isoglucose pour répondre à une demande intérieure en hausse, mais il est probable que cette croissance sera ralentie par un manque de rentabilité. Dans l’Union européenne, la consommation d’isoglucose n’atteindra pas le rythme de croissance attendu en raison d’une concurrence plus forte que prévu du sucre. Au Mexique, la part de l’isoglucose dans la demande d’édulcorants devrait légèrement augmenter sur la période de projection car, en réaction à la taxation du sucre mise en place dans le pays, les entreprises ont tendance à l’utiliser, quoiqu’en moindre quantité, pour remplacer le sucre dans leurs boissons non alcooliques, même si les deux produits sont taxés. À l’inverse, aux États-Unis, premier producteur d’isoglucose, la demande de ce produit en pourcentage de la consommation totale d’édulcorants devrait continuer de décliner, passant de 46 % durant la période de référence à 37 % en 2029 ; cependant, le pays devrait consolider davantage sa position de premier producteur mondial au cours de la prochaine décennie, pour répondre à la demande du Canada et du Mexique.
5.6. Échanges
Au cours de la prochaine décennie, les exportations de sucre (Graphique 5.7) devraient rester très concentrées, le Brésil consolidant sa place de premier exportateur mondial (passant de 35 % des échanges mondiaux sur la période de référence à 38 % en 2029). L’affaiblissement de sa monnaie par rapport au dollar des États-Unis au cours de la période de projection attirera les investissements et améliorera la compétitivité du secteur. Néanmoins, le marché du sucre brésilien restera en concurrence avec une forte production d’éthanol. Les exportations de sucre du pays devraient augmenter de 6.3 Mt par rapport à la période de référence.
La Thaïlande, deuxième exportateur mondial de sucre, produit très peu d’éthanol directement à base de canne à sucre (moins de 2 %), utilisant plutôt la mélasse ou le manioc. Ce producteur asiatique de sucre bien établi devrait se remettre du fléchissement actuel du niveau de sa production et gagner des parts sur le marché international vers la fin de la période de projection, jusqu’à atteindre 18 % des exportations mondiales de sucre en 2029 (contre 16 % sur la période de référence), soit 12.7 Mt. En Inde, les projections indiquent que l’approvisionnement et le soutien des pouvoirs publics devraient être suffisants pour permettre au pays de maintenir le niveau de ses exportations à 4 Mt par an environ tout au long de la décennie à venir. En Australie, la culture de la canne à sucre sera limitée par les superficies irriguées disponibles ; aussi, les niveaux de production devraient-ils demeurer proches des niveaux relativement faibles de la campagne actuelle, ce qui représente néanmoins une production largement supérieure à la demande. Le pays continuera donc d’exporter environ 80 % de sa production.
En 1968, l’Union européenne avait instauré des quotas de production de sucre et d’isoglucose afin de protéger ses producteurs et de garantir les prix. Elle les a supprimés en 2017, ce qui a entraîné une baisse des prix intérieurs et a libéré les exportations, jusque-là plafonnées par les règles de l’OMC en matière d’exportations subventionnées. Sur les dix prochaines années, la production ne devrait pas augmenter, mais la demande intérieure en baisse augmentera la capacité d’exportation de sucre blanc de haute qualité, vendu à un prix plus élevé. Ces exportations seront principalement destinées aux pays déficitaires en sucre des régions Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) et Extrême-Orient ; elles seront néanmoins concurrencées par l’offre des raffineries traditionnelles de sucre de canne, en particulier dans la région MENA.
Les importations mondiales de sucre sont plus dispersées que les exportations (Graphique 5.8). D’après les projections, l’Asie et l’Afrique connaîtront la plus forte croissance de la demande de sucre, ce qui ne sera pas sans effet sur le classement des principaux importateurs. Durant la période de référence, l’Indonésie et la Chine se plaçaient au premier rang des importateurs (avec 4.8 Mt chacune), suivies par les États-Unis (2.7 Mt), la Malaisie (2.0 Mt), la Corée (1.9 Mt), l’Union européenne (1.6 Mt) et l’Inde (1.5 Mt). Sur la prochaine décennie, l’Indonésie, avec une consommation en forte croissance, devrait confirmer sa place en tête des importateurs de sucre (7.5 Mt), devant la Chine (6.3 Mt), les États-Unis (2.7 Mt), la Malaisie (2.4 Mt), la Corée (2.1 Mt) et l’Inde (1.5 Mt). En raison de l’abolition des quotas sucre, l’Union européenne a perdu de son attrait pour les pays exportateurs signataires d’accords commerciaux préférentiels ; les importations de sucre de l’Union européenne devraient donc diminuer encore pour atteindre 1.3 Mt en 2029. Les échanges d’isoglucose de l’UE demeureront plutôt stables puisque la production devrait satisfaire principalement la demande intérieure.
Aux États-Unis, pays traditionnellement déficitaire en sucre, des politiques continueront de favoriser la production intérieure et limiter les importations. Les flux d’importation seront régis par des contingents tarifaires appliqués en vertu d’accords de l’OMC ou d’accords de libre-échange et par les limites que le ministère du Commerce des États-Unis impose aux exportations du Mexique. Les prix du sucre étant relativement plus élevés aux États-Unis, le Mexique continuera néanmoins d’exporter sa production vers son voisin, principalement pour répondre aux besoins de celui-ci. En contrepartie, le Mexique devrait importer de l’isoglucose des États-Unis (+2 %, soit 250 kt, en 2029) pour satisfaire sa demande d’édulcorants.
Les importations devraient diminuer en Égypte et en Fédération de Russie. En Égypte, de grands projets d’investissement stimulent la production, ce qui devrait faire baisser les importations. Dans la Fédération de Russie, la politique d’autosuffisance a porté ses fruits et il ne devrait y avoir pratiquement aucune importation au cours des dix prochaines années.
5.7. Principales questions et incertitudes
Les projections présentées dans les présentes Perspectives partent du principe que les conditions macroéconomiques seront stables et que les conditions météorologiques resteront dans les normales, et formulent des hypothèses spécifiques d’évolution de différentes variables, comme les prix du pétrole brut, les politiques y afférentes (obligation d’utiliser de l’éthanol) ou les tendances en matière de consommation et de production. Tout événement perturbant l’une de ces variables peut entraîner d’importantes variations dans les projections, d’autant que la production et les échanges se concentrent sur un petit nombre de pays.
Il est impossible à ce stade d’évaluer en détail l’impact qu’aura la pandémie de COVID‑19. On peut toutefois dégager plusieurs mécanismes de transmission au marché du sucre, que ce soit du côté de l’offre ou de la demande. Ainsi, les mesures de confinement ont restreint la demande de sucre à l’extérieur du foyer. Il est trop tôt pour évaluer si cela aura des conséquences à long terme sur le niveau de consommation. Mis à part les effets touchant spécifiquement le sucre, l’impact de la pandémie sur les variables macroéconomiques, ainsi que sur les projections relatives aux prix du pétrole brut, pourrait faire varier les valeurs retenues comme hypothèses lors de la préparation des présentes Perspectives, en particulier sur l’année de référence, qui s’étend d’octobre 2019 à septembre 2020.
Les projections pour le Brésil sont entachées d’un certain nombre d’incertitudes liées à la consolidation financière en cours. Les présentes Perspectives s’appuient aussi sur des hypothèses de taux de change du réal brésilien par rapport au dollar des États-Unis. Toute appréciation ou dépréciation du réal influerait directement sur la compétitivité du secteur sucrier et aurait des effets importants sur le marché national et les marchés internationaux. En outre, la mise en œuvre du programme de biocarburant (RenovaBio) aura également des effets non négligeables sur les marchés du sucre, car le Brésil est en mesure d’utiliser sa canne à sucre pour produire soit du sucre, soit de l’éthanol, en passant souplement d’une production à l’autre en fonction de leur rentabilité respective.
Les résultats des projections pour la Thaïlande sont entachés d’une forte incertitude. La campagne actuelle a été plutôt rude pour le secteur, et les sucreries comme les agriculteurs ont enregistré de larges pertes, de sorte qu’il est difficile d’évaluer le temps qu’il faudra au secteur pour se redresser. D’un autre côté, le pays a bénéficié de gros investissements ces dernières années, les pluies récentes vont probablement améliorer les rendements de la campagne 2020/21 et les pouvoirs publics sont en train de prendre des mesures d’aide visant à réduire les risques dans ce secteur. En outre, on fait l’hypothèse que la Thaïlande n’allouera qu’une part réduite de sa canne à sucre à la production d’éthanol. Si le pays adoptait une stratégie différente, cela pourrait avoir une incidence significative sur le marché mondial du sucre, étant donné la large participation de la Thaïlande aux échanges de cette denrée.
Les projections relatives à l’Inde sont sujettes à de fortes incertitudes. La place de ce pays au premier rang des consommateurs et au deuxième des producteurs de sucre fait que de petites variations des tendances en matière de consommation ou de production, ou de petits changements dans les politiques y afférentes, pourraient avoir un fort impact sur les marchés mondiaux. Si par exemple, contrairement aux hypothèses retenues, le pays n’atteignait pas les objectifs ambitieux d’incorporation d’éthanol qu’il s’est fixé ou qu’il les dépassait, l’offre de sucre sur le marché national et les marchés internationaux s’en ressentirait fortement. Sans compter que la production et les exportations de l’Inde ont de tout temps été sujettes à de grands mouvements oscillatoires, qui peuvent aisément perturber les projections des présentes Perspectives.
Les distorsions commerciales sur les marchés internationaux du sucre vont persister. Les variations des prix internationaux du sucre ne sont toujours pas intégralement transférées aux producteurs et aux consommateurs nationaux, même si certains marchés mondiaux ont entrepris des réformes et des transformations structurelles (comme la levée des quotas dans l’Union européenne et en Thaïlande). De nombreux pays continuent de recourir à des instruments de politique commerciale pour protéger leur marché intérieur, comme : i) des droits hors contingent élevés en Chine ; ii) un mécanisme d’établissement d’un prix de référence fondé sur le dollar en Afrique du Sud, qui garantit un prix d’importation minimum ; iii) des modifications des contingents tarifaires de l’OMC et une limitation des exportations du Mexique (États-Unis) ; iv) des subventions au transport pour stimuler les exportations et un soutien des prix intérieurs du sucre (Pakistan, Inde) ; v) des droits de douane élevés sur les importations (Union européenne, Fédération de Russie, États-Unis) ; vi) des accords commerciaux régionaux (ALENA, accords de partenariat économique de l’Union européenne et programme Tout sauf les armes).
Devant les données qui s’accumulent sur les effets préjudiciables d’une consommation excessive de sucre pour la santé humaine, l’évolution de la demande aussi est incertaine. Des gouvernements ont d’ores et déjà instauré des taxes sur les édulcorants caloriques, afin d’en faire baisser la consommation ; ces actions pourraient s’accentuer au cours des dix prochaines années, même si les mesures préventives prises par l’industrie agroalimentaire, comme la reformulation de certains produits, l’utilisation d’autres édulcorants et la diminution de la taille des portions, sont susceptibles d’atténuer les effets de ce type de politiques.