L’intégrité publique est cruciale pour pouvoir répondre de façon résiliente à la crise liée au COVID-19, en veillant à ce que l’action publique soit au service de ceux qui en ont besoin. La crise actuelle multiplie les risques d’atteinte à l’intégrité et pourrait intensifier la fraude et la corruption, en particulier dans le contexte des marchés publics, des programmes de relance économique et des organisations publiques. L’action publique pourrait en être significativement entravée. Pour traiter ces risques, les autorités doivent prendre des mesures à court et long terme et se concentrer entre autres sur les stratégies de passation de marchés, les ressources des fonctions d’audit interne et les stratégies d’intégrité des organisations publiques. Cette synthèse examine les principaux défis en matière d’intégrité et formule des recommandations sur les mesures susceptibles d’aider les pouvoirs publics à assurer une riposte et un relèvement efficaces face à la crise du COVID‑19.
L’intégrité publique au service d’une réponse et d’un relèvement efficaces face au COVID-19
Abstract
En période de crise sanitaire et de récession économique, les atteintes à l’intégrité se multiplient
La crise du COVID-19 oblige les autorités à prendre des décisions rapides et appliquer des mesures drastiques pour protéger les populations à risque et limiter les répercussions économiques. Les crises passées ont montré que les situations d’urgence et les ripostes rapides qui s’ensuivent sont propices aux atteintes à l’intégrité, tout particulièrement à la fraude et la corruption, ce qui nuit gravement à l’efficacité de l’action des pouvoirs publics. Bien que la fraude et la corruption ne soient pas des phénomènes nouveaux, de premiers éléments démontrent leur présence dans le contexte de la crise actuelle et nous savons par expérience que leurs effets risquent de s’intensifier à brève échéance. On observe par exemple des cas de marchés concernant des équipements de protection individuelle adjugés à des entreprises suspectes ; de gonflement des prix pour des médicaments et des matériels médicaux essentiels ; de médecins constituant des réserves de traitements pour leurs amis ou leur famille ; ou divers types de fraudes en ligne, etc. (Delić et Zwitter, 2020[1] ; Babinec, 2020[2] ; Gabler, 2020[3] ; LaFraniere et Hamby, 2020[4] ; Fyfe, 2020[5] ; Steingrüber et al., 2020[6] ; Vittori, 2020[7] ; Glencorse, 2020[8]). En outre, pendant la transition entre les mesures de lutte contre la crise immédiate et les mesures visant en priorité à relancer l’économie, les atteintes à l’intégrité peuvent continuer d’augmenter et saper les efforts de relèvement. Les mesures fondamentales de sauvegarde de l’intégrité publique ne doivent donc être ni affaiblies ni négligées, que ce pendant la riposte immédiate à la crise ou, à plus long terme, durant le relèvement post-COVID. Les trois points suivants méritent une attention particulière, car ils déterminent en grande partie le succès ou l’échec des interventions actuelles et futures des pouvoirs publics :
1. défis liés à l’intégrité dans le cadre des marchés publics ;
2. responsabilisation, contrôle et surveillance en lien avec les programmes de relance économique ;
3. risques accrus d’atteintes à l’intégrité dans les organisations publiques.
1. Défis liés à l’intégrité dans le cadre des marchés publics
Fraude, corruption, gonflement des prix et gestion des fournisseurs
En ce qui concerne les marchés publics, la crise du COVID-19 pose principalement trois problèmes pour l’intégrité. Premièrement, les pouvoirs publics achètent d’importantes quantités de biens et de services (équipements hospitaliers, respirateurs, désinfectants pour les mains, masques faciaux, services médicaux, etc.) pour pourvoir aux besoins immédiats du secteur de la santé et des populations touchées. S’agissant de ce premier défi, bon nombre de gouvernements des pays de l’OCDE renforcent leurs procédures de passation de commandes publiques urgentes ou en adoptent de nouvelles ; ces procédures contiennent des dispositions autorisant ou définissant les procédures spéciales à suivre en cas d’urgence. Ces dispositions permettent aux États de se procurer des produits de première nécessité directement auprès d’une liste de fournisseurs agréés ou par leur intermédiaire, sans avoir à suivre les procédures de passation habituelles, qui sont longues. Cette façon de procéder peut accroître les risques d’atteinte à l’intégrité, avec l’achat de services et de biens non conformes aux critères de qualité ou acquis par des moyens corrompus. Bien qu’ils soient inhérents à la passation de marchés publics1, les risques de fraude et de corruption sont élevés en ce qui concerne les procédures d’urgence. Les crises sanitaires et humanitaires passées comme l’ouragan Katrina en 2005 ou l’épidémie d’Ébola en 2014‑16 ont montré que ces procédures pouvaient être détournées aux dépens de ceux qui ont le plus besoin des biens et des services achetés (Schultz et Søreide, 2008[9] ; Cray, 2005[10] ; Kupperman Thorp, 2020[11]). En l’absence de mesure appropriée de protection de l’intégrité et de la transparence,, les procédures de passation en urgence se prêtent aux abus.
La crise du COVID-19 amène à une deuxième réflexion concernant l’intégrité : l’impréparation de nombreux pays de l’OCDE en termes de constitution de stocks s’est traduite par une intensification de la concurrence mondiale pour l’acquisition des biens et services de première nécessité. Dans cette situation, les mécanismes et le pouvoir de négociation des secteurs public et privé sont inversés. Des milliers de pouvoirs adjudicateurs et d’institutions privées écument le marché à la recherche de produits qui ne sont commercialisés que par un petit nombre de fournisseurs, dont la production est de surcroît soit suspendue soit fortement freinée par les mesures de confinement. Ceci exacerbe la concurrence entre les organismes publics et débouche sur des pratiques désordonnées dessinant un « marché extrêmement chaotique » (Tanfani et Horwitz, 2020[12]). De plus, un grand nombre de pays réduisent leurs exportations pour satisfaire leur demande intérieure, réduisant d’autant l’offre de produits à l’échelle mondiale. En raison des positions dominantes sur le marché, de nombreuses transactions ne sont pas comptabilisées et les prix sont extrêmement volatils, avec des fournisseurs réclamant souvent des avances considérables (Folliot Lalliot, 2020[13]). Cela pourrait contribuer à un changement de paradigme dans les systèmes de corruption, les acheteurs risquant à présent de corrompre les vendeurs pour obtenir des biens et des services essentiels, à l’inverse de ce qui se produit normalement. Ce risque pourrait en outre se diffuser dans toute la chaîne d’approvisionnement, car bon nombre des fournitures nécessaires dépendent de matières premières rares.
Enfin, en dehors de l’achat des biens et services indispensables pour traiter directement la crise du COVID‑19, les autorités doivent également gérer les marchés publics en cours. Ils doivent identifier ceux qui présentent des risques particuliers et apporter des réponses efficaces aux fournisseurs durement touchés par la crise et son impact sur le développement économique. Les États et leurs pouvoirs adjudicateurs doivent veiller à que les fournisseurs les plus exposés soient en mesure de reprendre les livraisons contractuelles une fois l’épidémie maîtrisée. Le droit des marchés publics prévoit souvent des mesures exceptionnelles pour le paiement des contrats en cours en situation d’urgence, par exemple en autorisant des paiements anticipés spécifiques ou en exemptant les fournisseurs de sanctions en cas de mauvaise exécution des contrats. Ces dérogations aux pratiques établies qui régissent les relations contractuelles pourraient ouvrir la porte à la corruption, si elles ne faisaient pas l’objet de directives transparentes communiquées à l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs.
Certains gouvernements mettent en place des stratégies, des réglementations et des directives pour aider les pouvoirs adjudicateurs à gérer leur portefeuille de fournisseurs et veillent à ce que les relations contractuelles demeurent régies par des mécanismes justes, transparents et équitables. En Irlande, par exemple, la centrale d’achats publique a rédigé une note d’information sur les bonnes pratiques à l’intention des pouvoirs adjudicateurs pendant l’épidémie de COVID‑19 (Office of Government Procurement, 2020[14]). De même, le Ministère japonais des Affaires intérieures et des Communications a publié les « mesures relatives à la passation des marchés publics que les collectivités locales doivent prendre pour faire face au COVID-19 » (Ministre des Affaires générales et des Communications du Japon, 2020[15]). Au Royaume-Uni, le Cabinet Office a publié une note d’orientation sur les marchés publics et en particulier sur le soutien à apporter aux fournisseurs en raison du COVID‑19 (Cabinet Office, 2020[16]). En vue d’assurer la continuité des opérations et des services, cette note préconise que les autorités adjudicatrices paient tous les fournisseurs aussi vite que possible pour préserver les niveaux de trésorerie et les emplois. La note souligne aussi que les pouvoirs adjudicateurs et les fournisseurs devraient collaborer pour garantir la transparence durant cette période. Les fournisseurs bénéficiant de fonds publics sur cette base et pendant cette période doivent accepter de travailler en accord avec une politique d’ouverture totale impliquant par exemple de mettre à la disposition du pouvoir adjudicateur et à sa demande toutes les données (notamment issues du grand livre, des prévisions de flux de trésorerie, des bilans et des comptes de résultat) attestant que les paiements au fournisseur ont été effectués conformément au marché et selon les modalités prévues. Dans le même ordre d’idée, la France et l’Italie ont également formulé et mis en œuvre de nouvelles lois ou orientations relatives à la passation de marchés publics en urgence et traitant spécifiquement de la crise du COVID-19 (Denton, 2020[17] ; Brenot, Billery et Feroldi, 2020[18]).
Mesures à court terme pour garantir l’intégrité dans les procédures de passation en cours
La crise actuelle réclame que les pouvoirs publics prennent un certain nombre de mesures pour garantir l’intégrité des procédures de passation des marchés publics : il leur faut, entre autres :
tenir à jour et conserver les documents relatifs aux procédures : des obligations devraient être imposées concernant la documentation de base et la tenue des livres, y compris l’enregistrement des informations sur les procédures de passation, les écarts ou modifications éventuels par rapport aux procédures de passation normales, l’appel et la présentation des offres, la consignation des raisons du recours éventuel à une procédure non concurrentielle, les informations sur les soumissionnaires, l’évaluation des offres et l’adjudication des marchés ;
formuler des directives détaillées sur les stratégies de passation en période de crise, traitant non seulement de l’achat de produits urgents mais également des bonnes pratiques permettant de documenter la gestion des marchés ou des procédures en cours ;
mettre davantage l’accent sur la gestion contractuelle pour que les procédures établies soient appliquées et renforcent la responsabilisation et la transparence ;
favoriser les instruments collaboratifs existants tels que les accords-cadres dans la mesure du possible pour éviter d’adjuger des marchés sans aucune mise en concurrence et passer des marchés en urgence dans un cadre contractuel déjà établi ;
garantir la plus grande ouverture possible en matière d’information, y compris d’accès aux données, ainsi que la divulgation complète des mesures utilisées et de leur destination, et les enregistrer dans un endroit accessible ;
établir un système central de suivi des prix et des fournisseurs pour les produits et les services clés aidant à identifier les signaux d’alerte, la collusion, le gonflement des prix, les contrefaçons et autres comportements illégaux ;
soumettre toutes les procédures de passation en urgence à un audit et une surveillance ;
adapter les stratégies d’audit et de surveillance ainsi que les analyses de systèmes de corruption potentiels en lien avec la crise du COVID-19, où les rapports de force entre secteur public et secteur privé sont radicalement inversés, y compris les effets sur la concurrence ;
respecter les clauses-couperets qui sont en place pour les règles de passation de marchés publics en urgence et n’allonger les délais qu’après obtention des approbations applicables (contrôle parlementaire, par exemple).
Mesures à long terme pour améliorer la préparation aux situations d’urgence dans les procédures de passation des marchés publics
La crise du COVID-19 met déjà en lumière les insuffisances des plans de passation de marchés publics en urgence et le fait que certains pays n’ont pas la capacité de réagir rapidement. Les pouvoirs publics ont dû préparer dans la précipitation la législation et les politiques pertinentes pour pouvoir être sûrs d’obtenir les biens dont ils avaient besoin. De même, l’absence de stocks disponibles révèle un relatif état d’impréparation. Les problématiques sont pluridimensionnelles et ont trait notamment à l’intégrité et la transparence. Pour traiter les problèmes d’intégrité sur le long terme, une fois l’urgence immédiate passée, les autorités peuvent réfléchir aux aspects suivants :
réexamen du droit existant applicable à la commande publique en urgence pour s’assurer qu’il sera adapté aux futures urgences sanitaires mondiales et éviter ainsi de devoir créer une nouvelle législation dans des délais serrés ;
utilisation ou développement des plateformes de passation de marchés publics en ligne pour enregistrer les informations sur les transactions liées à l’achat de biens de première nécessité. Une base de données pourrait être créée pour analyser les modèles d’offres et identifier les signaux d’alerte potentiels annonciateurs de risques pour l’intégrité ;
autorisation d’accès à distance accordée aux contrôleurs et organes de surveillance pour toutes les archives des appels d’offres, afin que les vérifications puissent se poursuivre malgré les restrictions applicables aux inspections matérielles et aux contrôles sur pièces ;
mise en place d’un encadrement approprié avec des agents publics formés, disposant des compétences voulues pour engager une procédure d’urgence ;
préparation de mécanismes pour parer à de futures interruptions de la chaîne d’approvisionnement en biens et services essentiels, interruptions que la crise est en train de révéler, par exemple pour les équipements de protection individuelle. Ce type de pénurie accentue en effet le risque de corruption. L’Union européenne a d’ailleurs d’ores et déjà décidé de constituer des stocks d’équipements médicaux d’urgence (Commission européenne, 2020[19]) ;
création d’outils numériques facilement accessibles permettant au public de suivre l’ensembles des achats urgents effectués en conformité avec les mesures de passation de marchés en urgence (Salazar, 2020[20]).
2. Responsabilisation, contrôle et surveillance relatifs aux programmes de relance économique
Risques élevés et contrôles faibles
Pour atténuer la récession économique provoquée par le COVID-19, les gouvernements élaborent des programmes d’envergure afin de relancer l’économie. En la matière, les expériences passées – surtout consécutives à la crise financière mondiale de 2008 – montrent que l’étendue et la portée de ces mesures ouvrent la porte à des risques élevés de corruption, de fraude, de gaspillage et d’abus (Zagorin, 2020[21] ; Bureau du vérificateur général du Canada, 2010[22]). Paradoxalement, les pouvoirs publics assouplissent les contrôles pour permettre l’utilisation de fonds en urgence, ce qui amplifie encore ces risques ainsi que les risques stratégiques et opérationnels et peut réduire l’efficacité et l’efficience de ces programmes.
Dans ce contexte, les systèmes de gestion des finances publiques, et plus particulièrement les systèmes de contrôle interne des organisations publiques, sont mis à l’épreuve. Le rythme de mise en œuvre des programmes de relance économique impose par exemple d’adapter voire d’assouplir les contrôles de routine et les audits préalables. Il peut ainsi être nécessaire de simplifier les obligations (limiter ou différer l’établissement de rapports, par exemple) pour que les gestionnaires puissent se concentrer sur la fourniture de services au public.
À cela s’ajoutent les perturbations que subissent les institutions généralement chargées de la responsabilisation et de la surveillance au sein de l’administration, notamment les fonctions d’audit interne, les institutions supérieures de contrôle des finances publiques et les commissions de contrôle parlementaire. Dans certains cas, par exemple, ces commissions ont été suspendues pour des raisons de santé publique ou pour gagner du temps. De nombreuses institutions supérieures de contrôle (ISC) rencontrent également des difficultés pour la conduite de leurs audits et ont différé la publication des rapports correspondants.
Malgré les pressions auxquelles font face les fonctions de contrôle interne, d’audit interne et de surveillance au sein des administrations, il est essentiel de rappeler que ces acteurs jouent un rôle crucial en veillant à ce que l’intégrité du secteur public ne soit pas compromise par la gestion des programmes de relance économique et à ce que ces programmes produisent les avantages économiques escomptés.
Par exemple :
les auditeurs internes peuvent servir de filets de sécurité pour pallier d’éventuelles absences temporaires de contrôles et signaler les risques à la direction quand les contrôles et les obligations changent ; ils peuvent aussi fournir des assurances en temps réel sur la validité des transactions passées dans le cadre de mesures d’urgence, en utilisant l’appariement de données et autres méthodes analytiques ;
les ISC peuvent se tenir informées des modifications apportées aux systèmes de gestion des finances publiques, identifier les domaines porteurs de risques potentiels (Gurazada et al., 2020[23]) et adapter au besoin leurs activités habituelles d’établissement de rapports de fin d’exercice étant donné que leurs capacités sont plus sollicitées qu’à l’ordinaire ;
les fonctions d’audit interne, les ISC et autres organes de surveillance peuvent aider à promouvoir la transparence et des données ouvertes de qualité pour inciter le public à demander des comptes aux agents publics. La crise financière de 2008 et la récession qui l’a suivie fournissent de précieux exemples pour comprendre la situation actuelle et démontrent l’interdépendance entre transparence et responsabilité. Aux États-Unis, le Conseil pour la responsabilisation et la transparence de la relance qui a coordonné le travail des inspecteurs généraux chargés de suivre la mise en œuvre de la Loi de 2009 sur la relance de l’économie américaine et le réinvestissement, a créé une plateforme d’analyse capable d’identifier les anomalies au niveau des bénéficiaires et demandé à l’inspecteur général d’établir un programme particulier pour gérer ces questions. Cette initiative présentait le double avantage de prévenir la fraude et la corruption tout en renforçant les capacités des fonctions de l’inspection générale au sein des ministères opérationnels (Zagorin, 2020[21]). La plateforme publique Recovery.gov a permis aux journalistes et aux citoyens de suivre l’argent du contribuable et de voir comment l’État l’employait.
Les auditeurs internes mais aussi externes sont également bien placés pour aider les autorités à gérer les risques à court terme. Ils peuvent par exemple prodiguer de précieux conseils aux décideurs sur les risques pour l’intégrité que présentent les mesures prises en urgence (décaissements au profit des entreprises et des particuliers, par exemple).
Mesures à court terme pour garantir la responsabilisation, le contrôle et la surveillance dans la gestion des programmes de relance économique
Pour que les fonctions de contrôle et d’audit internes et de surveillance puissent assurer une responsabilisation et une surveillance efficaces dans le cadre des programmes de relance économique, un certain nombre de mesures pourraient être prises immédiatement. Il s’agit entre autres :
de veiller à ce que les ISC et les fonctions d’audit interne disposent des ressources dont elles ont besoin : le programme de relance américain, par exemple, alloue aussi des crédits au Government Accountability Office (GAO) ; l’ISC américaine peut ainsi assister le Congrès dans sa mission de surveillance des dépenses excessives liées à la crise actuelle. Si nécessaire, les pouvoirs publics peuvent donc débloquer des financements appropriés qui permettent d’effectuer en temps réel des audits des programmes de relance économique ;
de créer ou de mobiliser les commissions législatives existantes : en Nouvelle-Zélande, par exemple, une commission de contrôle parlementaire bipartisane a été constituée et chargée de superviser la riposte gouvernementale à la crise actuelle, y compris le programme de relance économique. Elle se réunit virtuellement grâce à une plateforme de visioconférence et diffuse ses réunions en ligne pour garantir la transparence ;
de créer des organes de surveillance spécialisés dotés d’un mandat clair et cohérent vis‑à‑vis des acteurs de la responsabilité : par exemple, la Commission sur la responsabilité liée à la riposte à la pandémie a été créée pour surveiller le programme de relance économique des États-Unis. Afin d’éviter les chevauchements et d’utiliser les capacités existantes, la Commission sera composée d’inspecteurs généraux indépendants qui conduiront et coordonneront des audits et des enquêtes pour assurer la responsabilisation des agents et identifier les gaspillages, les fraudes et autres abus liés aux dépenses en période de crise (Committee on Oversight and Reform, 2020[24]) ;
de définir des responsabilités et des lignes de communication claires pour que tous les agents publics soient redevables de leurs actions (NSW ICAC, 2020[25]) : comme il a été indiqué, la crise du COVID-19 et la récession économique ne sont pas sans risque pour le système de gestion des finances publiques et pour les politiques et procédures habituelles de contrôle interne et de gestion des risques. Alors que certains contrôles peuvent être assouplis pour répondre aux besoins immédiats et que les conditions de travail ont provisoirement changé en raison des mesures de distanciation sociale, les cadres demeurent une « première ligne » d’assurance essentielle. La direction du programme peut renforcer cette responsabilité individuelle et simultanément informer l’ensemble des personnels de la nécessité de rester vigilants quant à l’utilisation des deniers publics ;
de veiller à ce que les évaluations appropriées des risques pour l’intégrité soient réalisées : compte tenu de la rapidité avec laquelle ces programmes doivent être déployés, il peut être impossible de réaliser une évaluation approfondie. Les agents publics peuvent à tout le moins être encouragés à documenter et signaler l’apparition éventuelle d’obstacles et de manœuvres de contournement (NSW ICAC, 2020[25]). Ils peuvent par exemple consigner les changements qui sont apportés aux activités de contrôle pour tenir compte des objectifs à court terme ;
veiller à ce que des procédures suffisantes soient en place pour concevoir, examiner et approuver des programmes dans l’urgence : par exemple, pour garantir une mise en œuvre efficiente mais responsable du Plan d’action économique de 2008, le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor canadiens ont défini une procédure accélérée pour l’approbation des mesures financières et des politiques, et les délais ont ainsi été raccourcis de 6 à 2 mois (Bureau du vérificateur général du Canada, 2010[22]). Dans le contexte particulier de la crise du COVID-19, alors que de nombreux agents publics étaient en télétravail, des protocoles autorisant le recours aux signatures électroniques ont également pu être établis.
Mesures à long terme misant sur le rôle de la surveillance externe pour préparer le relèvement
Les organes de contrôle externes peuvent être un partenaire clé pour les gouvernements effectuant la transition entre la crise immédiate et la préparation à ses conséquences à long terme. Les auditeurs peuvent signaler en particulier les risques pour l’intégrité susceptibles d’être induits par les mesures à long terme en faveur du relèvement. Les auditeurs peuvent par exemple informer les décisionnaires des leçons apprises a posteriori, qui permettent d’améliorer l’élaboration des politiques, surtout dans la perspective de crises futures. Ils peuvent conduire des évaluations rétrospectives afin d’élargir le point de vue au-delà des simples aspects financiers et de la conformité et peuvent fournir un éclairage sur l’efficacité, l’efficience et l’économie du programme, conformément à leur obligation d’être « une source crédible d’informations indépendantes et objectives et de lignes directrices visant à soutenir le changement positif dans le secteur public (INTOSAI, 2013[26]).
Les ISC peuvent aussi opter pour une démarche axée sur les risques et sur les données, sans se cantonner à leur mission de surveillance et en proposant des conseils et une vision prospective afin de mieux gérer la crise et les retombées. Les ISC peuvent en particulier soutenir le centre du gouvernement et d’autres organisations publiques afin d’identifier et d’interpréter des éléments susceptibles de façonner les politiques et d’améliorer la capacité de l’État à réagir en temps réel, en fonction de l’évolution des enjeux et des risques.
3. Risques accrus d’atteintes à l’intégrité dans les organisations publiques
Les récessions économiques conduisent à une recrudescence de la corruption et de la fraude en entreprise
Bien que la majorité des agents du secteur public aient un haut niveau d’intégrité, les récessions précédentes montrent que la récession économique peut entraîner une augmentation des fraudes en entreprise, des malversations, de la corruption parmi les agents publics et d’autres formes de violation de l’intégrité (Association of Certified Fraud Examiners, 2016[26] ; Ivlevs et Hinks, 2015[27] ; Gugiu et Gugiu, 2016[28]). Ces risques augmentent quand les trois facteurs suivants sont réunis (ce qui est tout particulièrement le cas lors de récessions économiques soudaines) : tensions financières, opportunité et rationalisation (ACFE, s.d.[29]). Une des conséquences immédiates et à long terme du COVID-19 est que de nombreuses personnes et surtout de petites et moyennes entreprises feront face à des difficultés financières accrues qui pourraient déboucher sur des pratiques corrompues ou des fraudes. Dans le même temps, les vagues de licenciements souvent caractéristiques des périodes de récession créent des lacunes dans les systèmes de contrôle et d’audit internes des organisations, qui les rendent plus vulnérables à la fraude interne et à la corruption. En raison des pressions, certaines personnes peuvent aussi rationaliser leurs actes répréhensibles en se justifiant : « tout le monde le fait », « si je n’en profite pas, d’autres le feront », etc. (OCDE, 2018[30]).
Les affaires de corruption et les scandales qui éclatent peuvent aussi influer de manière négative sur la perception de la corruption par les citoyens et saper ainsi le soutien de l’opinion aux mesures et réformes gouvernementales. Dans le pire des cas, ils peuvent être une justification supplémentaire des actes répréhensibles (Corbacho et al., 2016[31]). À son tour, l’intensification de la corruption à divers niveaux et dans divers domaines majore le coût des transactions commerciales, diminuant la résilience des économies après la crise et faisant obstacle au relèvement économique (Ormerod, 2016[32]).
Mesures à court et long terme pour renforcer l’intégrité dans le secteur public
Pour éviter ces problèmes, les organisations du secteur public peuvent s’employer à améliorer les contrôles qui empêcheraient et détecteraient la corruption et la fraude en entreprise pendant la récession et, par exemple :
réexaminer et renforcer les systèmes d’intégrité publique existants dans les organisations publiques. Durant la récession consécutive au COVID‑19, il faudra adopter une méthode axée sur les risques pour identifier les salariés des organisations publiques susceptibles d’être plus exposés au risque et définir des mesures d’atténuation ciblées. La Recommandation de l’OCDE sur l’intégrité publique fournit de nombreuses indications sur la manière d’envisager la fraude et la corruption de façon systématique, en développant une culture de l’intégrité et en veillant à ce que les responsabilités soient effectivement assumées (OCDE, 2017[33]) ;
veiller à la mise en place des contrôles internes fondamentaux (certification par la direction des états financiers, politiques de lutte contre la fraude, audits inopinés, rotation des postes, etc.) et faire en sorte qu’ils soient adaptés aux objectifs poursuivis et portés à la connaissance du personnel (ACFE, 2018[34]) ;
exploiter et améliorer les outils numériques pour promouvoir l’intégrité et la responsabilisation, en veillant en particulier à ce que les données administratives pertinentes soient disponibles, accessibles et réutilisables, permettant ainsi un contrôle social, ou en veillant à l’efficacité des mécanismes de signalement en ligne ;
créer ou soutenir des programmes de conseil ou d’aide financière à l’intention des salariés pour les aider à faire face à l’accentuation des tensions financières et au sentiment d’impuissance que suscitent les crises économiques (ACFE, 2018[34]) ;
sensibiliser aux normes d’intégrité afin que l’ensemble des effectifs continue d’appliquer les règles et de porter haut les valeurs du secteur public.
Références
[34] ACFE (2018), Report to the Nations: 2018 Global Study on Occupational Fraud and Abuse, https://www.acfe.com/uploadedFiles/ACFE_Website/Content/rttn/2018/RTTN-Government-Edition.pdf.
[29] ACFE (s.d.), Occupational Fraud: A Study of the Impact of an Economic Recession, https://www.acfe.com/uploadedFiles/ACFE_Website/Content/documents/occupational-fraud.pdf (consulté le 14 avril 2020).
[26] Association of Certified Fraud Examiners (2016), Report to the Nations on Occupational Fraud And Abuse: 2016 Global Fraud Study, https://www.acfe.com/rttn2016/docs/2016-report-to-the-nations.pdf (consulté le 21 septembre 2017).
[2] Babinec, A. (2020), Kyiv Cancels $2.2 million Deal for Thermal Cameras, OCCRP, https://www.occrp.org/en/daily/12097-kyiv-cancels-2-2-million-deal-for-thermal-cameras (consulté le 19 avril 2020).
[18] Brenot, V., H. Billery et B. Feroldi (2020), COVID-19: Adjustment of the Rules of Public Procurement, https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1465-coronavirus-and-public-procurement-flash-2 (consulté le 14 avril 2020).
[22] Bureau du vérificateur général du Canada (2010), Automne 2010 — Rapport de la vérificatrice générale du Canada, https://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_oag_201010_01_f_34284.html (consulté le 14 avril 2020).
[16] Cabinet Office (2020), Procurement Policy Note - Supplier relief due to COVID-19, https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/874178/PPN_02_20_Supplier_Relief_due_to_Covid19.pdf.
[19] Commission européenne (2020), COVID-19: la Commission crée la toute première réserve rescEU de matériel médical, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_476 (consulté le 10 avril 2020).
[24] Committee on Oversight and Reform (2020), Coronavirus Package Includes Oversight and Accountability Measures, https://oversight.house.gov/news/press-releases/coronavirus-package-includes-oversight-and-accountability-measures (consulté le 10 avril 2020).
[31] Corbacho, A. et al. (2016), « Corruption as a Self-Fulfilling Prophecy: Evidence from a Survey Experiment in Costa Rica », American Journal of Political Science, vol. 60/4, pp. 1077-1092, http://dx.doi.org/10.1111/ajps.12244.
[10] Cray, C. (2005), « Disaster Profiteering: The Flood of Crony Contracting Following Hurricane Katrina », Multinational Monitor, vol. 26/9.
[1] Delić, A. et M. Zwitter (2020), Opaque Coronavirus Procurement Deal Hands Millions to Slovenian Gambling Mogul, OCCRP, https://www.occrp.org/en/coronavirus/opaque-coronavirus-procurement-deal-hands-millions-to-slovenian-gambling-mogul (consulté le 19 avril 2020).
[17] Denton (2020), « Italy’s « Cura Italia » decree introduces new public procurement measures », Official Gazette 70, https://www.dentons.com/en/insights/articles/2020/march/19/italys-cura-italia-decree-introduces-new-public-procurement-measures (consulté le 10 avril 2020).
[13] Folliot Lalliot, L. (2020), La concurrence entre États sur l’achat de matériel médical et sanitaire aggrave le problème, Le Monde, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/30/la-concurrence-entre-etats-dans-les-chaines-d-approvisionnement-public-aggrave-la-crise-sanitaire_6034848_3232.html (consulté le 10 avril 2020).
[5] Fyfe, W. (2020), « Coronavirus: ’Unprecedented’ number of scams linked to virus », BBC News, https://www.bbc.com/news/uk-wales-52296936 (consulté le 19 avril 2020).
[3] Gabler, E. (2020), « States Say Some Doctors Stockpile Trial Coronavirus Drugs, for Themselves », The New York Times, https://www.nytimes.com/2020/03/24/business/doctors-buying-coronavirus-drugs.html (consulté le 19 avril 2020).
[8] Glencorse, B. (2020), Why Tackling Corruption Is Crucial to the Global Coronavirus Response, WPR, https://www.worldpoliticsreview.com/articles/28689/why-tackling-corruption-is-crucial-to-the-global-coronavirus-response (consulté le 19 avril 2020).
[28] Gugiu, M. et C. Gugiu (2016), « Economic Crisis and Corruption in the European Union », Journal of Methods and Measurement in the Social Sciences, vol. 7/1, pp. 1-23.
[23] Gurazada, S. et al. (2020), « Getting government financial management systems COVID-19 ready », blogs de la Banque mondiale, https://blogs.worldbank.org/governance/getting-government-financial-management-systems-covid-19-ready (consulté le 10 avril 2020).
[35] INTOSAI (2013), ISSAI 12 - Value and Benefits of SAIs - making a difference to the life of citizens, https://www.issai.org/pronouncements/intosai-p-12-the-value-and-benefits-of-supreme-audit-institutions-making-a-difference-to-the-lives-of-citizens/ (consulté le 11 septembre 2018).
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Contact
Julio BACIO TERRACINO (✉ julio.bacioterracino@oecd.org)
Note
← 1. La plupart des cas soumis à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales sont en rapport avec la passation de marchés publics. Voir le Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale : Une analyse de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers, 2014.