Le COVID-19 constitue une menace sans précédent pour le financement du développement de l’Afrique puisqu’il fait apparaître de nouveaux risques et accroît les difficultés existantes. Au cours de la période 2010-18, le volume du financement par habitant a reculé : de 18 % pour les recettes intérieures et de 5 % pour les flux financiers externes. Entre 2019 et 2020, le ratio des recettes fiscales au produit intérieur brut (PIB) devrait diminuer d’environ 10 % pour au moins 22 pays africains ; le total de l’épargne nationale pourrait chuter de 18 %, les transferts de fonds de 25 % et les investissements directs étrangers de 40 %. Les donneurs se sont engagés à maintenir l’aide publique au développement aux niveaux antérieurs à la crise, mais leur capacité dépendra aussi de l’évolution de la conjoncture économique. Ce choc a induit une augmentation des dépenses publiques de santé et de soutien à l’activité économique, ce qui devrait entraîner un doublement des déficits budgétaires. De ce fait, la dette de l’Afrique va s’accroître pour atteindre environ 70 % du PIB en USD courants, et dépassera le seuil de 100 % du PIB pour au moins sept pays. Le moratoire du G20 sur la dette, décidé en avril 2020, accorde un répit indispensable aux pays africains, mais encore insuffisant. Une suspension du service de la dette et, dans certains cas, une restructuration de la dette pourraient être nécessaires afin de dégager les ressources indispensables à la réalisation des ambitions de l’Agenda 2063 : L’Afrique que nous voulons de l’Union africaine. Les négociations portant sur la dette devraient, autant que faire se peut, inclure le groupe grandissant des créanciers du secteur privé.
La crise liée au COVID-19 renforce l’importance de la digitalisation en tant que moyen d’accélérer la transformation productive de l’Afrique et de réaliser la vision de l’Union africaine pour le développement du continent, formalisée dans l’Agenda 2063. La transformation digitale touche aujourd’hui presque tous les secteurs économiques, à commencer par la santé où elle s’est accélérée en raison de la pandémie de COVID-19. Dans le domaine du numérique, le continent africain peut se prévaloir de plusieurs succès. La révolution des services de paiement mobile en est un exemple marquant : avec le record mondial du nombre de comptes – 300 millions −, elle bouleverse les marchés de l’emploi au niveau local, et notamment en Afrique de l’Est. Plus de 500 entreprises africaines proposent des innovations technologiques dans le domaine des services financiers (fintech). Certaines startups africaines sont aujourd’hui évaluées à plus d’un milliard de dollars. Plus de 640 pôles technologiques sont opérationnels sur l’ensemble du continent. Et pourtant, les innovations numériques doivent encore être développées bien au-delà de ces bulles de succès pour réaliser les ambitions de l’Agenda 2063 et créer des emplois en grand nombre pour les jeunes.
Quatre types de politiques complémentaires s’offrent aux pouvoirs publics pour mener la transformation digitale, et soutenir la création massive d’emplois, y compris hors du secteur numérique :
Promouvoir la dissémination des innovations numériques au-delà des grandes villes, au moyen de politiques territoriales. Pour garantir un accès universel aux technologies numériques, il est nécessaire d’améliorer la couverture, le caractère abordable et la disponibilité de contenus adaptés. L’accès à Internet s’est développé grâce à l’usage de plus en plus répandu des téléphones portables : 72 % des Africains s’en servent désormais régulièrement, le taux le plus élevé étant recensé en Afrique du Nord (82 %) et le plus faible en Afrique centrale (63 %). L’adoption des technologies numériques demeure toutefois inégale selon, entre autres, le genre et la tranche de revenus. Par exemple, au niveau continental, seuls 26 % des habitants en zone rurale utilisent régulièrement Internet, contre 47 % en zone urbaine.
Préparer la main d’œuvre africaine à la transformation digitale et garantir une protection sociale adaptée. D’ici 2040, les travailleurs indépendants et familiaux représenteront en moyenne 65 % de l’emploi si les tendances actuelles se confirment, avec un maximum de 74 % en Afrique de l’Ouest, et un minimum de 25 % en Afrique du Nord. À l’heure actuelle, 45 % des jeunes ont le sentiment que leurs compétences ne sont pas en adéquation avec leur emploi. L’émergence de nouveaux moyens de subsistance basés sur Internet impose de mettre en place des dispositifs réglementaires rigoureux et de proposer une protection sociale aux travailleurs du secteur informel qui s’appuient sur les technologies numériques.
Lever les obstacles à l’innovation qui empêchent les petites entreprises de soutenir la concurrence à l’ère du numérique. Les petites et moyennes entreprises (PME) dynamiques ont besoin d’être accompagnées afin d’adopter les outils numériques les plus adéquats pour l’innovation et les échanges commerciaux. Par exemple, il est prouvé que l’existence d’un site Internet permet d’augmenter de 5.5 % la part des exportations directes dans les ventes des entreprises. Dans le secteur formel en Afrique, seuls 31 % des entreprises ont un site Internet, contre 39 % en Asie et 48 % en Amérique latine et aux Caraïbes. Aujourd’hui, en Afrique, 17 % des entrepreneurs en phase de démarrage espèrent créer au moins six emplois, soit le pourcentage le plus faible au monde. Il est donc essentiel d’encourager le développement de ces entreprises.
Renforcer la coopération à l’échelle régionale et continentale en faveur de la transformation digitale. Les technologies numériques font apparaître de nouveaux défis pour les autorités nationales de réglementation. Une coopération supranationale peut apporter des solutions dans les domaines tels que la fiscalité numérisée, la sécurité numérique, le respect de la vie privée, la protection des données à caractère personnel et les flux transfrontaliers de données. L’harmonisation des réglementations continentales et régionales est un élément important en complément des législations nationales. À ce jour, en Afrique, seuls 28 pays sur 54 sont dotés d’un dispositif réglementaire en vigueur relatif à la protection des données personnelles, tandis que 11 d’entre eux ont adopté des lois matérielles relatives à la sécurité numérique.