La prévention et le règlement des différends sont des éléments essentiels de tout système fiscal. Ce chapitre se penche sur les deux mécanismes, et examine les stratégies mises en place par les administrations fiscales pour résoudre et prévenir les différends de manière efficiente et efficace.
Administration fiscale 2022
8. Différends
Abstract
Introduction
Les droits et obligations des contribuables sont souvent définis par la loi ou des chartes fiscales. Le tableau 8.1 présente certains des droits et obligations les plus fréquemment mentionnés. Ces droits et obligations s’appuient sur un accès effectif à des procédures permettant aux contribuables de contester le calcul de l’impôt et les décisions. De telles procédures permettent aux contribuables de faire valoir leurs droits, et de mettre œuvre des contrôles appropriés quant à l’exercice des compétences fiscales des administrations. Les administrations fiscales et les contribuables devraient néanmoins également s’efforcer de travailler ensemble afin d’éviter la survenue de différends, ce qui permettrait d’alléger à la fois la charge de travail et les incertitudes pour les deux parties.
Tableau 8.1. Droits et obligations du contribuable
Droits |
Obligations |
---|---|
Être informé, conseillé et entendu |
Être de bonne foi |
Faire appel |
Se montrer coopératif |
Ne pas payer plus que le montant dû |
Fournir des informations et des documents fiables en temps voulu |
Certitude |
Tenir des registres |
Protection de la vie privée |
Payer ses impôts dans les délais |
Confidentialité et secret |
Source : OCDE (2019), Tax Administration 2019: Comparative Information on OECD and other Advanced and Emerging Economies, https://doi.org/10.1787/74d162b6-en.
Ce chapitre examine les mécanismes de règlement et d’examen des différends en vigueur dans les juridictions couvertes par le présent rapport, ainsi que leurs performances dans ce domaine, et se penche sur les stratégies de prévention des différends qu’elles ont mis en place.
Mécanismes d’examen des règlements des différends
Les 58 juridictions couvertes dans ce rapport accordent aux contribuables le droit de contester l’établissement de l’impôt. Presque toutes les administrations déclarent disposer d’un mécanisme de contrôle interne, et une grande majorité d’entre elles offrent aux contribuables la possibilité de demander un examen indépendant par un organisme externe, un moyen qui peut contribuer à améliorer la sécurité juridique pour les contribuables, tout en évitant le risque de procédures judiciaires potentiellement longues et coûteuses. S’agissant des administrations qui proposent les deux mécanismes d’examen, environ 70 % d’entre elles imposent aux contribuables de demander un examen interne avant que leur cas ne puisse être examiné par un organisme externe (voir graphique 8.2).
Encadré 8.1. Règlement des différends fiscaux internationaux par la procédure amiable
La double imposition au titre d’une même transaction ou d’un même revenu peut avoir des conséquences économiques significatives. Les conventions fiscales, également appelées conventions de double imposition, visent généralement à éliminer la double imposition en établissant des règles convenues d’un commun accord sur la répartition des droits d’imposition applicables aux contribuables résidant dans les juridictions signataires. Elles peuvent aussi prévoir des mécanismes destinés à éviter le non-respect des obligations fiscales.
Compte tenu de la complexité des situations concernées, les parties peuvent ne pas être d’accord quant à l’application ou l’interprétation de ces règles. Pour y remédier, la grande majorité des conventions fiscales prévoient un processus formel de règlement des différends par le biais d’une procédure amiable (PA). Une telle procédure est prévue à l’article 25 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE, qui est utilisé par la plupart des juridictions comme référence pour leurs conventions fiscales. La procédure amiable est essentielle au bon fonctionnement des conventions fiscales, et contribue à réduire les risques de double imposition.
Source : OCDE (2017), Improving mutual agreement procedures, in Tax Administration 2017: Comparative Information on OECD and Other Advanced and Emerging Economies, https://doi.org/10.1787/tax_admin-2017-18-en.
Performances en matière de règlement des différends
Si les administrations fiscales ne peuvent généralement pas contrôler le calendrier des procédures judiciaires, nombre d’entre elles s’emploient à améliorer les procédures de règlement des différends afin de les accélérer. Parmi les solutions proposées, on peut citer la médiation ou d’autres mécanismes non judiciaires. L’exemple présenté dans l’encadré 8.2 illustre comment les avancées technologiques offrent aux administrations fiscales de nouvelles possibilités d’améliorer l’efficacité des procédures de règlement des différends.
Encadré 8.2. Exemples nationaux : Amélioration de l’efficacité des mécanismes de règlement des différends
Australie — Optimising Disputes through Self-Service (ODSS)
À l’heure actuelle, de nombreuses réclamations formulées auprès de l’Australian Taxation Office (ATO) sont incomplètes, incorrectes ou ne contiennent pas les informations et pièces justificatives requises. Le traitement de ces dossiers nécessite énormément de temps et de moyens, et compromet la capacité de l’ATO à résoudre les litiges rapidement et efficacement. Le projet « ODSS » de règlement optimal des litiges via des applications en libre-service visera, dans un premier temps, à fournir un formulaire de réclamation en ligne à toutes les catégories de contribuables utilisant l’un des services en ligne de l’ATO (en plus des modalités existantes au format papier ou par télécopie).
Le projet « ODSS » a également pour objectif de fournir aux contribuables des outils d’aide à la décision afin de les orienter vers la solution la plus appropriée pour résoudre leur problème. Le contenu du formulaire sera personnalisé en fonction des réponses des contribuables, et ceux-ci seront accompagnés pour s’assurer que toutes les informations essentielles sont fournies en amont. Le formulaire en ligne permet aux contribuables de formuler d’emblée des réclamations en bonne et due forme, évitant ainsi les retards involontaires et les prises de contact inutiles, et réduisant les coûts pour les contribuables comme pour l’ATO.
À plus long terme, le formulaire de réclamation en ligne contiendra également des données qui seront utilisées pour renforcer l’évaluation précoce des risques. Les données saisies par les contribuables en temps réel seront utilisées conjointement avec les données de l’ATO pour déterminer l’objet de la réclamation, et évaluer la complexité et la priorité de la demande. De cette façon, les réclamations seront traitées par le service et/ou l’agent ayant les compétences et les capacités les plus appropriées, ce qui permettra au personnel de se concentrer sur les différends présentant des risques et une complexité accrus. Le projet « ODSS » facilitera également la mise au point d’un moteur de gestion des risques qui permettra de rationaliser la prise de décision et de garantir l’exactitude et la cohérence des décisions rendues.
Brésil — Projet de règlement des litiges fondé sur l’IA
Au Brésil, quelque 140 milliards USD d’impôts sont en attente d’une décision à la suite de recours en matière fiscale introduits devant les tribunaux administratifs. Il faut environ six ans pour qu’une décision en appel soit rendue, de sorte que ce montant ne cesse d’augmenter. Dans le cadre du projet de règlement des litiges fondé sur l’IA, le Brésil a eu recours à l’apprentissage supervisé pour attribuer des lots de dossiers comparables aux mêmes agents, stratégie connue pour accélérer la prise de décision.
Les premiers essais, menés sur un échantillon de 2 000 dossiers sélectionnés manuellement, ont montré que les algorithmes supervisés peuvent atteindre une sensibilité et une spécificité de plus de 80 %. En outre, le Brésil a utilisé des algorithmes de regroupement pour compléter les fichiers en totalité ou en partie. Une application web d’aide à la rédaction de rapports, baptisée « ARiA », est aussi en cours d’élaboration afin de faciliter l’analyse des agents et de les aider à réutiliser des blocs de texte.
ARiA permet notamment de visualiser des groupes de fichiers et de paragraphes suggérés, et de mettre en évidence des phrases qui se sont avérées importantes pour le processus de regroupement. Les agents peuvent baliser les fichiers et les paragraphes, et ces informations seront utilisées pour améliorer les suggestions futures.
Source : Australie (2022) et Brésil (2022).
Pour améliorer efficacement les procédures de règlement, il est nécessaire de disposer de mécanismes fiables d’information et de suivi. De nombreuses administrations se sont employées à améliorer le niveau des informations de gestion disponibles, si bien que le présent rapport contient des informations sur les performances d’environ 90 % des administrations.
Les tableaux 8.2 et 8.3 montrent l’évolution entre 2018 et 2020 du nombre de nouveaux dossiers examinés et de dossiers non clôturés en fin d’exercice ayant fait l’objet d’une procédure de contrôle interne et externe. Entre 2019 et 2020, la majorité des administrations ont fait état d’une diminution du nombre de nouveaux dossiers et de dossiers non clôturés en fin d’exercice. S’agissant des dossiers qui font l’objet d’une procédure de contrôle interne, on note un changement par rapport à la période 2018-2019, au cours de laquelle la majorité des administrations avaient observé une augmentation du nombre de dossiers.
Tableau 8.2. Règlement des différends : variation du nombre de nouveaux dossiers
Pourcentage d’administrations ayant fait état d’une augmentation ou d’une diminution du nombre de nouveaux dossiers
Mouvement |
Nouveaux dossiers fiscaux faisant l’objet d’une procédure de contrôle interne |
Nouveaux dossiers fiscaux faisant l’objet d’un examen indépendant par un organisme externe |
||
---|---|---|---|---|
Variation entre 2018 et 2019 |
Variation entre 2019 et 2020 |
Variation entre 2018 et 2019 |
Variation entre 2019 et 2020 |
|
Augmentation |
51.0 |
39.2 |
44.4 |
27.3 |
Diminution |
49.0 |
60.8 |
55.6 |
72.7 |
Source : Tableau A.38 Règlement des différends : nombre de dossiers.
Tableau 8.3. Règlement des différends : variation du nombre de dossiers non clôturés en fin d’exercice
Pourcentage d’administrations ayant fait état d’une augmentation ou d’une diminution du nombre de dossiers non clôturés
Mouvement |
Dossiers fiscaux faisant l’objet d’une procédure de contrôle interne |
Dossiers fiscaux faisant l’objet d’un examen indépendant par un organisme externe |
||
---|---|---|---|---|
Variation entre 2018 et 2019 |
Variation entre 2019 et 2020 |
Variation entre 2018 et 2019 |
Variation entre 2019 et 2020 |
|
Augmentation |
63.3 |
44.9 |
48.8 |
34.1 |
Diminution |
36.7 |
55.1 |
51.2 |
65.9 |
Source : Tableau A.38 Règlement des différends : nombre de dossiers.
Les graphiques 8.2 et 8.3 examinent plus en détail les données au niveau des juridictions, et montrent l’évolution entre 2019 et 2020 du nombre de dossiers non clôturés en fin d’exercice ayant fait l’objet d’une procédure de contrôle interne et externe. Il est intéressant de noter l’augmentation significative du nombre de dossiers examinés signalés par quelques juridictions.
On notera par ailleurs que le volume des dossiers varie considérablement d’une juridiction à l’autre, et lorsque ce volume est très faible, il peut y avoir des fluctuations importantes d’une année sur l’autre. Le graphique 8.4 confirme cette observation, et met en lumière les différences importantes qui existent entre les juridictions quant au recours à des procédures de contrôle interne.
Il n’est pas rare que la législation fiscale donne lieu à des interprétations différentes par les contribuables et l’administration fiscale, et que cela aboutisse à des différends après que les procédures de contrôle interne et externe ont été achevées. Bien que les administrations fiscales déclarent que la plupart des différends sont résolus sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure judiciaire, le graphique 8.5 illustre les performances des administrations en ce qui concerne les dossiers jugés par les tribunaux. On constate des écarts importants dans le taux de réussite des administrations, même si, pour certaines juridictions, le nombre de dossiers jugés est très faible, ce qui signifie que les résultats peuvent fluctuer considérablement d’une année à l’autre.
Prévention des différends
Comme le règlement des différends peut mobiliser énormément de ressources, la prévention demeure la stratégie la plus efficace, et l’un des éléments clés d’un système de prévention des différends consiste à formuler des orientations et à fournir des conseils aux contribuables. Il s’agit d’une pratique courante des administrations fiscales dans le cadre de leur stratégie globale de service. Elles peuvent notamment diffuser des informations ou proposer des outils interactifs sur leur site web, publier des lignes directrices et des notes d’information destinées aux contribuables, et mettre en œuvre des initiatives éducatives et de soutien à l’intention des entreprises.
De plus, de nombreuses administrations ont mis en place des dispositifs spécifiques de prévention des différends. Par exemple, dans le chapitre intitulé Innovations in dispute resolution de l’édition 2019, l’administration fiscale australienne (Australian Taxation Office) donne des explications sur le dispositif d’examen indépendant portant sur le bien-fondé du dossier de contrôle fiscal d’un point de vue technique avant sa finalisation. L’examen vise à encourager un dialogue plus précoce afin de résoudre les différends (OCDE, 2019[1]). À l’origine, ce service n’était destiné qu’aux grandes entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 250 millions AUD. Toutefois, à l’issue d’une phase expérimentale jugée concluante, ce dispositif a été étendu aux petites entreprises, c’est-à-dire à celles dont le revenu ou le chiffre d’affaires est inférieur à 10 millions AUD (Australian Taxation Office, 2022[2]).
Décisions
Comme le montre le tableau A.120 de l’édition 2019 (OCDE, 2019[1]), conformément à leur engagement d’apporter aux contribuables des garanties quant au traitement qui leur sera appliqué, il est désormais courant que les administrations fiscales précisent comment elles interpréteront les lois qu’elles mettent en œuvre, ainsi que la législation fiscale dans des situations particulières, au moyen de décisions relevant d’une des deux catégories suivantes :
Une décision publique est une déclaration par laquelle une administration explique comment elle interprétera les dispositions de la législation fiscale dans des situations données. En règle générale, l’objectif d’une décision publique est de clarifier l’application de la loi, en particulier lorsqu’un grand nombre de contribuables peuvent être concernés par des dispositions particulières, et/ou lorsqu’une disposition est source de confusion ou d’incertitude. Une décision publique revêt généralement un caractère contraignant pour l’administration fiscale si elle s’applique au contribuable et que ce dernier s’y réfère.
Une décision privée porte sur une demande précise d’un contribuable (ou de son représentant fiscal) visant à obtenir plus de certitude quant à l’application de la loi par l’administration fiscale dans le cadre d’une ou de plusieurs transactions à l’étude ou achevées. L’objectif d’une décision privée vise à apporter aux contribuables davantage de soutien et de certitude quant aux conséquences fiscales de transactions plus complexes.
Programme de discipline fiscale coopérative
Ces dernières années, le recours aux accords de coopération pour gérer la discipline fiscale et renforcer la sécurité juridique en matière fiscale a mobilisé une attention croissante. Ces programmes passent souvent par une plus grande transparence dans la relation entre l’administration fiscale et le contribuable, et peuvent nécessiter des approches plus proactives afin de remédier aux risques fiscaux importants. Le concept de discipline fiscale coopérative a fait l’objet de plusieurs rapports rédigés par l’OCDE, dont le plus récent est intitulé Co‑operative Tax Compliance: Building Better Tax Control Frameworks (OCDE, 2016[3]).
Étant donné que les programmes de discipline fiscale coopérative mobilisent énormément de ressources en raison du niveau élevé d’engagement entre les agents de l’administration fiscale et les contribuables, ils étaient traditionnellement réservés aux grandes entreprises. Cependant, les progrès technologiques dans le domaine de l’évaluation des risques ont conduit plusieurs administrations à étendre la formule à d’autres catégories de contribuables (voir graphique 8.6).
Programme international pour le respect des obligations fiscales
Le Programme international pour le respect des obligations fiscales (ICAP) est un processus de coopération multilatérale pour l’évaluation des risques et la certitude fiscale, fondé sur une participation volontaire. Il est conçu pour donner aux groupes d’entreprises multinationales (EMN) disposés à s’engager de manière active, ouverte et parfaitement transparente, une sécurité juridique accrue en matière fiscale concernant certaines de leurs activités et transactions. Le programme ICAP ne procure pas aux EMN la sécurité juridique qui pourrait être obtenue, par exemple, par le biais d’un accord préalable en matière de prix de transfert (APP). Il leur donne cependant une certitude et une sécurité lorsque les administrations fiscales qui participent à l’évaluation des risques d’une EMN jugent que le risque considéré est faible1 (OCDE, 2021[4]).
Vérifications conjointes
Les vérifications conjointes sont un autre instrument qui peut contribuer à prévenir les différends. Les agents de deux administrations fiscales ou plus s’associent pour former une seule équipe de vérificateurs chargée d’examiner les questions ou les transactions du ou des contribuable(s) ayant des activités commerciales internationales dans lesquelles les juridictions ont un intérêt commun ou complémentaire. Grâce à cette collaboration, les administrations fiscales participantes ont la possibilité de détecter et de résoudre les désaccords ou les différends potentiels à un stade précoce (OCDE, 2019[5]).
Bibliographie
[2] Australian Taxation Office (2022), Independent review for small businesses with turnover less than $10 million, https://www.ato.gov.au/General/Dispute-or-object-to-an-ATO-decision/In-detail/Avoiding-and-resolving-disputes/Independent-review/Independent-review-for-small-businesses-with-turnover-less-than-$10-million/ (consulté le 13 May 2022).
[4] OCDE (2021), International Compliance Assurance Programme – Handbook for tax administrations and MNE, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/tax/forum-on-tax-administration/publications-and-products/international-compliance-assurance-programme-handbook-for-tax-administrations-and-mne-groups.htm (consulté le 13 May 2022).
[5] OCDE (2019), Joint Audit 2019 – Enhancing Tax Co-operation and Improving Tax Certainty: Forum on Tax Administration, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/17bfa30d-en.
[1] OCDE (2019), Tax Administration 2019: Comparative Information on OECD and other Advanced and Emerging Economies, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/74d162b6-en.
[3] OCDE (2016), Co-operative Tax Compliance: Building Better Tax Control Frameworks, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264253384-en.
Note
← 1. Voir www.oecd.org/tax/forum-on-tax-administration/international-compliance-assurance-program.htm (consulté le 13 mai 2022).