Selon l'UNICEF, plus de la moitié des personnes qui fuient l'Ukraine sont des enfants. Pour faire face à l’afflux massif d’élèves ukrainiens dans les établissements scolaires des pays d’accueil, les pouvoirs publics doivent renforcer les capacités et répondre aux besoins particuliers de ces nouveaux élèves réfugiés.
Pour réussir à l’école, ces derniers peuvent avoir besoin de services holistiques qui répondent à leurs besoins physiques et psychosociaux. Ainsi, l’aide apportée par des professionnels tels que des travailleurs sociaux et des psychologues peut être essentielle à leur bien-être.
Certains pays et organismes ont créé des ressources en ligne sous forme de liens, vidéos, webinaires et formations pour aider les enseignants locaux et ukrainiens réfugiés à répondre aux besoins des élèves ukrainiens.
Crise des réfugiés ukrainiens
Messages clés
Contexte général et principales problématiques
La crise actuelle en Ukraine entraîne le plus grand afflux de réfugiés dans les pays de l’OCDE depuis la Seconde Guerre mondiale. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie en février 2022, plus de 5.3 millions de personnes ont fui en Europe (HCR, 2022[1]). En mars 2022, les Nations Unies estimaient qu’à chaque seconde, près d’un enfant ukrainien devenait réfugié1, ce qui représentait plus de deux millions d'enfants à la fin du mois de mars. Face à cet afflux considérable, les établissements scolaires des pays d’accueil doivent relever des défis majeurs concernant des enfants qui, en plus de devoir poursuivre leur scolarité, peuvent également souffrir de traumatismes causés par la guerre. Il incombe notamment aux enseignants de soutenir ces élèves alors qu’ils n’ont pas nécessairement été formés pour gérer des enfants qui ne parlent pas leur langue et qui peuvent avoir besoin d’aide pour surmonter leurs traumatismes.
Pour définir les compétences que doivent posséder les enseignants, il est important de comprendre les besoins des élèves réfugiés. La sécurité, le logement, la nutrition et les besoins médicaux sont depuis longtemps reconnus comme des besoins essentiels des réfugiés. Pour les élèves, la poursuite de la scolarité, indispensable, peut apporter un sentiment de stabilité et de sécurité dans une période d'incertitude et de chaos. Tout aussi important, les études sont nécessaires pour offrir aux jeunes des perspectives de carrière à l’âge adulte. Ils devront dans ce domaine surmonter bien des difficultés, comme suivre des études bilingues tout en apprenant la langue d’enseignement du pays d’accueil, ou encore s’adapter à une nouvelle culture et à un nouveau programme à l’école, alors même qu’ils doivent gérer les pertes subies après la fuite de leur pays.
Souvent, le soutien scolaire ne suffit pas à apporter aux élèves réfugiés ce dont ils ont besoin pour réussir. Compte tenu des expériences très traumatisantes qu’ils ont pu vivre (OCDE, 2019[2]), les élèves réfugiés peuvent avoir besoin d’une aide psychologique mais aussi d’une prise en charge du stress post-traumatique. Les enseignants étant rares à avoir reçu une formation suffisante dans ces domaines, il est essentiel de leur proposer des possibilités de formation professionnelle et de mettre en place d’autres moyens afin qu’ils n’aient pas à répondre à des besoins pour lesquels ils n’ont pas été formés (comme l’accompagnement psychologique). Une approche globale, faisant intervenir les enseignants réguliers en classe, des enseignants spécialisés dans l’apprentissage d’une seconde langue et des psychologues, apportera un soutien solide aux élèves et à ceux qui en ont la charge. De récentes réunions d'organisations internationales et de pays accueillant des Ukrainiens déplacés ont mis en évidence le besoin pressant de psychologues parlant ukrainien pour aider les élèves. Des stratégies visant à chercher et à recruter des Ukrainiens réfugiés spécialisés dans le secteur de la santé mentale peuvent faciliter ce processus. En outre, recruter des enseignants ukrainiens réfugiés et d’autres Ukrainiens possédant les compétences requises peut aider à aplanir ces difficultés. Ce point est examiné plus en détail ci-dessous.
Les élèves réfugiés ont également besoin d’aide pour s’intégrer dans la société d’accueil, car beaucoup sont susceptibles de s’y installer durablement. Les élèves du pays d’accueil contribuent à favoriser l’intégration des réfugiés, mais ils peuvent avoir besoin de conseils. Les enseignants peuvent servir de modèles à la fois aux élèves réfugiés et aux élèves locaux pour leur apprendre à dialoguer efficacement les uns avec les autres. Cela suppose de transmettre des compétences sociales et émotionnelles en plus de l’instruction scolaire. Il existe un nombre croissant de programmes disponibles pour aider les enseignants, dont beaucoup sont accessibles en ligne et qui, pour certains, portent sur la collaboration avec les réfugiés. Le HCR propose un guide en ligne intitulé « Teaching about Refugees » dans lequel des conseils sont donnés aux enseignants travaillant auprès d’élèves réfugiés. L’UNESCO propose des cours et des formations aux enseignants sur les compétences socio-émotionnelles, par l’intermédiaire de son Institut Mahatma Gandhi d'éducation pour la paix et le développement durable (MGIEP). Le programme Step by Step de la Banque mondiale est un ensemble de cours en ligne gratuits comprenant des guides à l’intention des enseignants et des manuels scolaires en anglais et en espagnol. Save the Children propose des supports audio et radio sur les compétences socio-émotionnelles ainsi qu’un soutien aux enseignants travaillant avec des élèves de cultures différentes et qui ont besoin d'un soutien psychosocial.
Quelles sont les répercussions ?
Les dirigeants ukrainiens considèrent la situation comme temporaire, c’est pourquoi le ministère de l’Éducation et des Sciences insiste sur la nécessité pour les élèves ukrainiens de poursuivre leurs études en ukrainien et de continuer d’apprendre leur culture et leur histoire au lieu de fréquenter, ou du moins en plus de fréquenter, les écoles de leurs pays d’accueil. Si certains élèves entre 10 et 16 ans ont accès aux cours via la plateforme ukrainienne d’enseignement en ligne, qui a été rétablie mi-mars, tous n’en ont pas la possibilité. En outre, les plus jeunes n’y ont pas accès. Pour faire en sorte que les élèves puissent poursuivre leurs études en ukrainien, une possibilité consiste à compléter la semaine scolaire ordinaire par des cours en ukrainien le samedi, ces cours pouvant être dispensés par des enseignants ukrainiens réfugiés. Une autre stratégie consiste à faire travailler les enseignants ukrainiens réfugiés dans les établissements scolaires du pays d'accueil. À court terme, en particulier si ces élèves ont la possibilité de retourner chez eux dans les prochains mois, cette stratégie est rationnelle, car les enseignants réfugiés sont les mieux placés pour savoir ce que l’on attend des élèves en Ukraine et peuvent enseigner dans leur langue maternelle.
Les enseignants auront besoin d’aide pour s’adapter au mieux à l’évolution rapide de la situation et aux besoins des élèves réfugiés. Ils devront répondre à différents besoins, en fonction de l’âge des élèves réfugiés et de leur niveau scolaire. Les enseignants du primaire seront confrontés à des problèmes pédagogiques différents de ceux du deuxième cycle du secondaire, dont certains élèves souhaiteront probablement poursuivre des études supérieures par la suite. Les besoins des élèves seront par ailleurs différents selon ce qu’ils auront vécu de la guerre avant leur fuite, de la nature des pertes qu'ils auront subies et du soutien dont ils bénéficient à la maison. Il sera nécessaire que les enseignants travaillent en étroite collaboration avec les chefs d’établissement et les personnels auxiliaires afin d’apporter un soutien global aux nouveaux réfugiés, y compris en termes d’accès aux soins médicaux ou à la nourriture. La rapidité avec laquelle évolue leur travail risque de mettre les enseignants à rude épreuve. À ce titre, il est important qu’ils bénéficient du soutien et de l’espace nécessaires pour répondre à leurs propres besoins, pour leur permettre de travailler efficacement et pour éviter l’épuisement professionnel. Ils doivent pouvoir se reposer correctement, se nourrir sainement et faire des pauses pour se détendre. Ils peuvent aussi avoir besoin d'un accompagnement psychosocial. Le projet STRENGTHS, mis au point par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour apporter une aide psychologique aux réfugiés syriens, pourrait servir de base pour développer ce type de soutien. Les administrateurs scolaires peuvent veiller à ce que les enseignants reçoivent l’aide dont ils ont besoin.
Mettre en place les capacités nécessaires pour répondre aux besoins d’un nombre croissant d’élèves représente un défi majeur pour les pays d’accueil, dont beaucoup connaissaient déjà des pénuries d’enseignants avant la crise ukrainienne. À ce titre, le recrutement d’enseignants réfugiés dans les écoles du pays d’accueil, en tant qu’enseignants réguliers ou assistants, peut apporter une aide précieuse aux élèves ukrainiens et contribuer à répondre aux besoins croissants en matière de capacité. Ces enseignants peuvent donner aux élèves réfugiés un sentiment de familiarité, à la fois en termes de langue et de programme scolaire, à mesure qu’ils passent à la langue et au programme du pays d’accueil. En outre, cette stratégie peut se révéler gratifiante pour les enseignants réfugiés, qui se donneraient ainsi une nouvelle motivation tout en stabilisant leur situation financière. Toutefois, pour enseigner régulièrement en classe aux élèves ukrainiens et locaux, les enseignants devront connaître ou apprendre la langue ainsi que les programmes scolaires du pays d’accueil. Plusieurs pays créent également des passerelles pour aider les enseignants ukrainiens à trouver un emploi. Par exemple, le ministère slovaque de l’Éducation, des Sciences, de la Recherche et des Sports a créé un formulaire en ligne pour aider les enseignants et assistants d’enseignement ukrainiens à trouver un emploi.
Quelles perspectives pour les enseignants qui soutiennent les élèves ukrainiens ?
Les enseignants ont besoin de ressources pour aider les élèves réfugiés. De même qu’il peut sembler insurmontable aux élèves réfugiés d'intégrer un cadre scolaire au sein duquel la langue, les matières, l'environnement et les autres élèves ne sont pas familiers, de même aussi les enseignants peuvent-ils se sentir dépassés lorsqu'ils essaient d'accueillir et d'accompagner des élèves d’horizons divers. Il pourrait être utile d’associer les enseignants à des équipes de soutien et de programmation chargées de répondre aux besoins des élèves réfugiés. Les besoins scolaires, sociaux et psychologiques sont déterminés par : 1) des facteurs individuels, tels que le niveau en langue et la santé ; 2) des facteurs interpersonnels, tels que les liens familiaux et sociaux ; et 3) des facteurs au niveau de l’établissement, notamment la participation à l’école, les échanges avec les enseignants et la mobilisation de la famille.
Heureusement, il existe de nombreux exemples concrets pouvant donner des pistes aux pays travaillant actuellement à l'accueil des élèves réfugiés ukrainiens. On peut citer les exemples suivants :
Le ministère français de l’Éducation a créé des pages web contenant des conseils spécifiques pour aider les enseignants à accueillir les élèves ukrainiens et à parler de la guerre. On y trouve des liens vers les vidéos d'un pédopsychiatre spécialisé dans les traumatismes de guerre que les enfants peuvent subir, les signes avant-coureurs de traumatisme et comment réagir. De nombreuses vidéos sur la guerre en Ukraine qui peuvent être utilisées en classe sont citées comme sources pour aider les élèves ukrainiens à rester connectés aux études dans leur pays.
Le ministère tchèque de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports a créé une page web comprenant un rapport sur l’intégration des élèves ukrainiens dans les établissements scolaires locaux et un manuel sur la manière de parler avec les élèves d’événements d’actualité sensibles et de préserver leur santé psychique. Les ministères de l’Éducation de plusieurs pays d’accueil diffusent des informations sur leurs sites web pour aider les enseignants à enseigner en bilingue, à apprendre les bases de l’ukrainien, à travailler avec des applications de traduction et à introduire des jeux de langue en classe. Les supports comprennent des formations professionnelles et des webinaires.
Dans le cadre du programme Erasmus a été créée une page web avec des liens vers des ressources en ligne (en anglais et en ukrainien) sur l'instruction des réfugiés, les troubles psychiques, le développement professionnel et les moyens d'échanger avec d'autres enseignants d’élèves réfugiés.
Le Réseau inter-agences pour l’éducation en situations d’urgence a créé une page web pour aider les enseignants et d’autres professionnels travaillant avec des élèves traumatisés, et ajouté des liens sur l’état de santé psychologique des enseignants, aidants et autres dans des langues pertinentes pour la crise ukrainienne. D’autres organisations proposent des manuels sur la prévention des conflits en classe, la santé psychique et les discussions sur des sujets sensibles.
Le Centre d’information sur la mobilité et l’équivalence universitaires (CIMEA), en Italie, est membre du groupe de travail du Conseil de l’Europe sur la reconnaissance des diplômes des réfugiés et des personnes déplacées. Il a créé une page web pour aider les professionnels de l’enseignement supérieur à reconnaître et accélérer la validation des diplômes universitaires ukrainiens. Cette page contient un webinaire et un lien vers la base de données sur les diplômes en Ukraine.
Les enseignants ukrainiens peuvent contribuer à renforcer les capacités et à répondre aux besoins des élèves ukrainiens. Un certain nombre de pays de l’UE ont pris des mesures pour recruter des enseignants ukrainiens afin de gérer le nombre croissant d’élèves réfugiés inscrits dans les établissements scolaires du pays d’accueil. Nombre de ces mesures sont de courte durée et temporaires, notamment les méthodes de recensement des enseignants ukrainiens, de dispense ou d’ajustement des obligations d’inscription des enseignants, de reconnaissance des diplômes des enseignants ukrainiens et d’aide aux candidats ukrainiens à l’enseignement pour obtenir leurs diplômes tout en apprenant la langue du pays d’accueil. Les mesures prises varient selon les pays. Par exemple, la Lettonie a récemment adopté une loi autorisant les enseignants ukrainiens à exercer leur métier auprès de mineurs ukrainiens, mais pas dans les classes ordinaires. La Slovaquie a temporairement renoncé à l’obligation d’avoir un casier judiciaire vierge et a autorisé l’évaluation des enseignants ukrainiens par un expert en vue de leur recrutement. La Pologne a récemment assoupli les règles relatives aux diplômes d’enseignement afin de reconnaître les diplômes d’enseignement ukrainiens, et a également assoupli les conditions à remplir pour devenir assistant d’enseignement, en exigeant simplement que les Ukrainiens aient un bon niveau en polonais afin de pouvoir favoriser l’intégration des élèves ukrainiens en classe.
Quels éléments clés les pouvoirs publics doivent-ils prendre en considération ?
La mise en œuvre des politiques et l’affectation des ressources sur la base d’éléments probants tirés de stratégies éprouvées peuvent permettre de renforcer les capacités et d’apporter aux enseignants le soutien nécessaire. On peut citer les exemples suivants dans les pays de l’OCDE :
Cours obligatoires en enseignement multiculturel, apprentissage de la seconde langue et enseignement différencié dans les cursus de formation initiale des enseignants, avec des incitations à la formation professionnelle à la diversité afin de pouvoir gérer l’hétérogénéité et les aptitudes mixtes des élèves.
Mesures visant à réduire la taille des classes et à accroître les ressources des établissements accueillant un grand nombre d’élèves dont la langue maternelle n’est pas la langue d’enseignement.
Inscription d’étudiants d’origine immigrée et bilingues dans les cursus de formation initiale des enseignants ; flexibilité dans la délivrance des diplômes des enseignants issus de l’immigration par le biais de la reconnaissance de leurs diplômes.
Création d’établissements scolaires polyvalents qui répondent à des besoins supplémentaires, comme les soins médicaux, l’orientation, le soutien scolaire, la formation des adultes, l’apprentissage des langues et la garde d’enfants. Des établissements de ce type pourraient fonctionner en coopération avec les services sociaux locaux, les organismes d’aide aux immigrés/réfugiés et les organisations non gouvernementales pour apporter leur expertise dans ces domaines.
Références
[1] HCR (2022), Ukraine refugee situation, https://data.unhcr.org/fr/situations/ukraine (accessed on 21 June 2022).
[2] OCDE (2019), Prêts à aider ? : Améliorer la résilience des dispositifs d’intégration pour les réfugiés et les autres immigrés vulnérables, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/38f94002-fr.
[4] OECD (2018), Good Jobs for All in a Changing World of Work: The OECD Jobs Strategy, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264308817-en.
[5] OECD (2014), “The crisis and its aftermath: A stress test for societies and for social policies”, in Society at a Glance 2014: OECD Social Indicators, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/soc_glance-2014-5-en.
[3] OECD (2010), OECD Employment Outlook 2010: Moving beyond the Jobs Crisis, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/empl_outlook-2010-en.
Contact
Lucie CERNA (✉ lucie.cerna@oecd.org)
Jody MCBRIEN (✉ jlmcbrie@usf.edu)
Note
← 1. Les dirigeants ukrainiens préfèrent parler de « personnes temporairement déplacées » que de « réfugiés », dans l’espoir que les Ukrainiens retourneront dans leur pays une fois la guerre terminée afin de reconstruire l’Ukraine.