L’élaboration des politiques à partir de données empiriques est un principe de bonne gouvernance bien compris et bien accepté. Les politiques publiques et/ou les réglementations doivent toujours s’appuyer sur les meilleures informations, données, analyses et connaissances scientifiques disponibles, et tenir compte de l’ensemble des solutions possibles pour un problème donné. Or, lorsque les pouvoirs publics prennent des dispositions – qu’il s’agisse de politiques, de lois, de réglementations ou d’autres types de « règles » –, ils ne tiennent pas toujours compte de l’ensemble des effets qu’elles peuvent avoir. De surcroît, ces mesures ont un coût qui, dans certains cas, peut être supérieur aux avantages attendus. Il est donc fréquent que les actions gouvernementales mal conçues aient des conséquences inattendues et, à terme, des effets négatifs – qui pourraient être évités – pour les citoyens, les entreprises et la société en général. Ces effets sont souvent perçus plus durement par les membres de la société minoritaires, peu structurés, isolés, mal informés ou marginalisés. Ils sont donc préjudiciables à la mise en œuvre d’une croissance inclusive, d’un développement durable, du renforcement de la confiance et de la préservation de l’État de droit.
L’environnement dans lequel sont élaborées les politiques est, quant à lui, devenu plus complexe et connaît des changements rapides. L’émergence des économies numériques et collaboratives, les innovations industrielles, les progrès technologiques, les médias sociaux, sans oublier la transformation numérique des administrations publiques, ont compliqué l’élaboration et la préservation de cadres réglementaires de qualité ou, tout au moins, adaptés à leur usage. Ces évolutions s’inscrivent souvent dans le contexte d’une insuffisance des ressources du secteur public et d’un alourdissement de la charge qui pèse sur les administrations.
Déployée systématiquement et dans l’ensemble du secteur public, l’analyse d’impact de la réglementation (AIR) est un outil essentiel pour obtenir une action gouvernementale de meilleure qualité. Par ailleurs, le fait de présenter et de publier les données empiriques ainsi que l’analyse ayant servi de base à la conception de cette action permet d’accroître la redevabilité et la transparence des processus d’élaboration des politiques et de prise des décisions. L’AIR fournit aux décideurs des informations cruciales sur l’opportunité et la manière de réglementer dans le but de satisfaire aux objectifs de l’action publique (OCDE, 2012[1]). Il n’est pas simple pour les pouvoirs publics de prendre des mesures « appropriées » qui garantissent en outre le bien-être maximal de la société. Le rôle de l’AIR est de faciliter cette démarche en examinant de manière critique les impacts et les répercussions de différentes options possibles. L’enrichissement de la base de données empiriques utilisées par les réglementations fait de l’AIR l’un des principaux instruments de réglementation dont disposent les pouvoirs publics (OCDE, 2012[1]).1
L’AIR aide également les dirigeants à prendre la décision de ne pas intervenir sur des marchés lorsque cela s’avérerait plus coûteux qu’avantageux. Cette analyse conforte en outre les décisions des dirigeants en montrant que la réglementation a des effets bénéfiques, un aspect souvent négligé par la société et les pouvoirs publics. La mise en place d’un cadre d’anaIyse fonctionnel pourrait donc représenter une étape importante pour passer de la « déréglementation » à une plus grande généralisation de « l’amélioration » de la réglementation ou de la réglementation « intelligente ».
Dans certains pays, les motivations à déployer une AIR peuvent aussi inclure, implicitement ou explicitement, les objectifs suivants : imposer une discipline plus stricte aux régulateurs et organismes quasi indépendants jouissant de pouvoirs réglementaires, accroître la redevabilité des administrations à l’égard des opinions publiques, en finir avec les préjugés contre la réglementation (ou, plus modestement, réduire les coûts de mise en conformité pour les entreprises), ou plus simplement s’adapter à la pression internationale. Le présent document portera essentiellement sur la volonté d’élaborer des politiques à partir de données empiriques.
La mise en œuvre d’une AIR peut en outre être considérée par les fonctionnaires de l’administration comme un aspect essentiel du travail qui leur incombe, à savoir essayer de réduire l’impact de leurs inévitables biais comportementaux et erreurs commises dans les analyses et conseils qu’ils délivrent, comme par exemple :
Présentation et formulation des informations (nos conclusions sont biaisées par la façon dont le problème est présenté, ou par notre expérience récente) ;
Conformité et pensée collective (nous avons confiance dans les personnes que nous apprécions et nous tenons généralement à éviter les conflits ou à préserver la cohésion du groupe) ;
Excès de confiance et biais d’optimisme (nous ne repérons pas les déficits de connaissances et ne sommes pas attentifs aux éventuels facteurs d’échec) ;
Biais de confirmation et raisonnement motivé (nous exagérons ce qui nous convient mais ignorons ou réinterprétons ce qui ne nous convient pas).
Les données observées mettent en évidence les nombreux défis et défauts de mise en œuvre de l’AIR. Comme l’indique la publication « Politique de la réglementation : Perspectives de l’OCDE 2018 », dans de nombreux cas, « les aspects procéduraux sont devenus excessifs au sein de l’AIR, et l’AIR n’est pas ciblée sur les textes législatifs et réglementaires les plus importants, soit parce qu’il n’existe aucun système de tri, soit parce que des projets de textes dotés d’un impact important n’y sont pas soumis. De plus, les AIR qui sont menées se focalisent souvent sur des impacts économiques définis de façon étroite, tels que la charge réglementaire pesant sur les entreprises, en négligeant d’autres effets importants » (OCDE, 2018[2]).
L’OCDE a produit un large éventail de documents sur l’AIR (voir Encadré 1). Ses examens par pays de la réforme de la réglementation ainsi que ses programmes-pays promouvant la mise en œuvre de l’AIR ont contribué à une meilleure compréhension « sur le terrain » de ce qu’est cette analyse. Les perspectives de la politique de la réglementation de 2015 et 2018 ont permis d’en savoir plus sur la façon dont l’AIR est mise en œuvre, les difficultés rencontrées et les stratégies efficaces. De nouvelles données sont également disponibles concernant l’application de l’AIR à des domaines bien précis comme la croissance inclusive, les échanges, la politique environnementale et les transports (Deighton-Smith, Erbacci et Kauffmann, 2016[3]) ; (Basedow et Kauffmann, 2016[4]).