Il est indéniable que l’aide publique au développement (APD) joue un rôle indispensable pour accompagner les pays en développement sur la voie de leur développement. Néanmoins, parce que jusqu’ici, elle a été attribuée en amont, de manière éparse et non coordonnée, parce qu’elle n’a pas été portée à l’échelle requise et parce qu’elle n’a pas ciblé délibérément les causes profondes du sous-développement (parmi elles l’impératif d’une transformation structurelle et l’importance de mettre l’accent sur le pouvoir d’agir des personnes), ses retombées se sont réduites au fil du temps et elle risque de n’avoir qu’un impact limité et de perdre toute sa pertinence. Il est donc grand temps de revoir et de réinventer la façon dont l’APD est conçue et déployée.
La réelle valeur principale de l’APD réside dans sa capacité de contribuer à l’atténuation des risques engendrés par les évolutions mondiales et dans les investissements qu’elle permet dans des biens mondiaux et des biens communs que d’autres formes de financement du développement sont susceptibles d’ignorer, à savoir, notamment :
la sécurité climatique ;
la sécurité alimentaire ;
la sécurité humaine ;
les espaces qui échappent au contrôle des autorités ou souffrent de sous-investissements comme les frontières et les zones transfrontalières, et que les politiques publiques ont du mal à embrasser en raison d’une marge de manœuvre budgétaire limitée.
La réorientation de l’APD vers ces « angles morts » qui devraient être prioritaires contribuerait à accélérer, ou plutôt à favoriser, la réalisation des Objectifs de développement durable.
L’impact serait d’autant plus grand si les pays développés respectaient leur promesse de consacrer 0.7 % de leur revenu national brut (RNB) à l’APD, comme le préconisait, en 1969, le rapport Vers une action commune pour le développement du Tiers Monde de la Commission Pearson. Cet objectif a été défini en s’appuyant sur la définition de l’APD établie par le CAD en 1969, et a été repris dans une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée le 24 octobre 1970 (Assemblée générale des Nations Unies, 1970[1]).
L’APD est en perte de puissance en raison de la place croissante de l’aide humanitaire, qui sauve des vies et est plus que nécessaire, des dépenses indispensables liées à la sécurité et, dans certains cas, de la contribution à l’allégement du fardeau écrasant de la dette des pays en développement.
La réinvention de l’APD doit par conséquent se concentrer sur plusieurs fronts :
appliquer la recommandation du rapport Pearson visant à consacrer 0.7 % du RNB à l’APD ;
adopter un cadre de financement clairement établi, défini au préalable, à l’image des cadres de financement nationaux intégrés (ONU, s.d.[2]) ;
être une source de financement proactif et anticipatif plutôt qu’un simple mode de financement réactif.
Si nous voulons faire en sorte que l’APD ne soit pas seulement adaptée à l’objectif visé, mais aussi aux évolutions futures, il existe d’après moi cinq défis structurels majeurs qui méritent notre attention collective immédiate :
1. Renforcer la co-création entre partenaires, en associant les pouvoirs publics, les organisations internationales et régionales, les institutions financières internationales, la société civile et le secteur privé dès le début de la conception et de la mise en œuvre d’initiatives de longue haleine. Ces dernières devraient tirer parti des avantages comparatifs des instruments fondés sur des dons et des instruments autres que les dons pour mieux cibler le manque de capacités d’absorption des homologues nationaux, ainsi que les domaines démographiques, thématiques et géographiques négligés.
2. L’objectif de ne laisser personne de côté nécessitera d’adopter une approche globale et inclusive à l’égard des groupes marginalisés, qui réponde aux besoins de la majorité de la population vivant de la terre (60 %-80 %), notamment les éleveurs, les agriculteurs, les commerçants transfrontaliers et les pêcheurs – dont 51 % sont des femmes et 60 % des jeunes – dont les emplois (principalement informels) sont concentrés dans les segments inférieurs de la chaîne de valeur dans les secteurs agricoles à forte intensité de main-d’œuvre.
3. Pour s’attaquer aux causes profondes des crises, il faut cibler plus efficacement les domaines thématiques négligés tels que la gouvernance locale1, les micro-, petites et moyennes entreprises, l’éducation et les techniques de l’agriculture verte.
4. Mettre davantage l’accent sur les zones géographiques marginalisées, par exemple les régions transfrontalières, qui sont davantage susceptibles de connaître des conflits violents et une contagion de ceux-ci en dehors des frontières, ainsi que sur le renforcement des sources de résilience telles que les liens socio-économiques entre les pays du Sahel et les pays littoraux.
5. Passer d’une démarche de comptabilité à une démarche de redevabilité exige de réorganiser nos mécanismes actuels de collecte de données sur l’APD, comme le Système de notification des pays créanciers, qui se heurte à d’importantes limites2. Les codes-objets existants ne se concentrent pas suffisamment sur des paramètres thématiques, démographiques et géographiques importants mais relégués au second plan. Si nous voulons collectivement tirer des enseignements de nos expériences et mobiliser un ensemble plus efficace et plus diversifié d’instruments de financement, nous devons combler les lacunes en matière de données et commencer à mesurer les aspects qui nous importent le plus.
La Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel vise à remédier à ces défis structurels au Sahel. Si nous y parvenons, nous accroîtrons les apports de ressources selon une approche coordonnée, échelonnée et porteuse d’impact, transformant ainsi l’actuel ensemble désordonné que forme le système d’APD en un tout plus intégré et transcendantal, dans l’esprit d’un Vassily Kandinsky ou d’un Kalidou Kassé3. Une transcendance permettant à chacun de ressentir les effets durables de la coopération internationale pour le développement, des partenariats et de la solidarité.