« Les temps changent » était un hymne au changement du début des années 60. À l’heure où nous publions ce 60e rapport Coopération pour le développement, une grande partie du monde est en proie à des crises auxquelles la coopération pour le développement s’efforce d’apporter des solutions. La communauté internationale du développement a, elle aussi, besoin d’un hymne au changement.
Un lourd tribut a été payé au COVID‑19, en vies et en moyens de subsistance. Les niveaux d’endettement grimpent en flèche. La guerre d’agression que mène la Russie à l’encontre de l’Ukraine redessine la carte géopolitique. Conflit et fragilité s’accentuent. La pauvreté va croissant. Des personnes meurent de faim. Même les sceptiques ne peuvent ignorer les répercussions de la crise climatique, surtout sur les plus pauvres de la planète. Les libertés politiques et les droits de la personne sont mis à mal. La discrimination à l’égard des femmes et des filles perdure et s’intensifie. Les Objectifs de développement durable (ODD) sont plus légitimes que jamais, mais semblent davantage hors de portée.
Ni le système de coopération pour le développement ni l’architecture financière mondiale n’ont été conçus pour faire face à ces crises, une opinion dont se font l’écho des contributions franches à ce rapport. Le paysage du développement a changé depuis la création du Comité d’aide au développement (CAD), en 1961, au point d’être méconnaissable. Les besoins des partenaires au développement sont de plus en plus complexes. Le développement est par nature et de plus en plus politique et contesté. Le CAD continue d’évoluer, mais des changements systémiques sont nécessaires pour ce qui concerne l’éventail, la quantité et la qualité des ressources à l’appui du développement et l’architecture qui régit leur emploi. De tels changements passent nécessairement par le laborieux exercice d’établissement de consensus.
L’aide publique au développement (APD) ne peut résoudre tous les problèmes de développement. Nous attendons beaucoup trop de cette précieuse ressource. Des demandes concurrentes – du financement des biens publics mondiaux à l’adaptation à la crise climatique en passant par des besoins humanitaires sans précédent requis de toute urgence – pèsent sur les budgets d’APD jusqu’au point de rupture. Il est difficile d’aboutir à un développement efficace lorsque les ressources sont saupoudrées trop légèrement. Il est encore plus dur de rationner cette rare ressource. L’APD doit être investie aussi judicieusement que possible, dans le respect des principes de l’efficacité du développement. Le CAD prend cette question très au sérieux, mais il est frustrant que d’autres acteurs du développement ne soient pas toujours tenus aux mêmes exigences. Nous ne pourrons pas atteindre les ODD si ce déséquilibre n’est pas corrigé.
Le développement durable advient lorsque les communautés, les sociétés et leurs administrations s’approprient et poursuivent un changement aligné sur les objectifs des ODD, étayé par un environnement extérieur propice. Ce rapport nous conte des récits éloquents montrant comment la puissance de l’APD, en conjonction avec les recettes intérieures, l’investissement direct étranger et la croissance tirée par le secteur privé, peut être exploitée pour concrétiser les ODD. De très bons exemples montrent ce que l’APD permet de réaliser : donner au Bangladesh les moyens de sortir de la catégorie des pays les moins avancés, ou soutenir la Colombie afin qu’elle concrétise ses priorités nationales, entre autres. Cependant, des mises en garde salutaires se font aussi entendre, rappelant que les crises qui se superposent les unes aux autres induisent un retour en arrière par rapport aux progrès réalisés.
On entend des appels de plus en plus forts pour la réforme du système financier international à l’appui du développement de sorte qu’il fonctionne mieux au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin, allant du Pacte de Bridgetown à une refonte du financement climatique en passant par une coopération plus régionale. Il reste encore beaucoup à faire pour se mettre d’accord sur les changements nécessaires et sur la manière d’y parvenir. Étant donné que le CAD est le responsable des règles relatives à l’APD, et que ses membres sont les principaux bailleurs de fonds du système multilatéral, le Comité a un rôle essentiel à jouer. Nous devons mettre à profit notre capacité collective à parvenir à un consensus pour contribuer à façonner des solutions nouvelles pour relever les défis de portée mondiale. Nous devons prendre des mesures audacieuses pour financer les biens publics mondiaux selon des modalités qui fassent sens au XXIe siècle, sachant qu’il ne nous reste que sept ans avant 2030. Les données de l’OCDE montrent que les financements nécessaires pour aider les pays à revenu faible et intermédiaire à faire face au changement climatique et pour honorer l’engagement à fournir chaque année 100 milliards USD pourraient ponctionner les budgets alloués à d’autres priorités de développement.
Il faut veiller à ce que chaque dollar consacré à la coopération pour le développement porte autant de fruits que possible. Tous les acteurs du développement, y compris les membres du CAD, doivent faire fond sur les outils et meilleures pratiques existants, et les améliorer. On en sait beaucoup sur ce qui fonctionne ou pas. Et les contextes de fragilité se révèlent particulièrement difficiles. Dans ce rapport Coopération pour le développement, des éléments factuels issus de l’Afghanistan, du Mali et du Soudan du Sud montrent en quoi des interventions de développement dans ces contextes extrêmement fragiles ont échoué à atteindre leurs objectifs. Il est impératif d’adopter une approche plus réaliste. Nous n’avons pas besoin de repartir de zéro, mais il nous faut apprendre de nos erreurs.
Il n’y a aucun moyen de se soustraire à la nécessité de disposer de financements plus substantiels. Faisant écho à l’esprit des ODD, nous devons tous être déterminés à partager le pouvoir et céder de l’influence afin de réunir une nouvelle coalition de pays et d’autres acteurs engagés vis-à-vis du financement du développement durable. Actuellement, les membres du CAD contribuent à hauteur de 81 % au financement du système des Nations Unies pour le développement et de 89 % à la 20e reconstitution des ressources de l’IDA (IDA‑20). D’autres doivent passer à la vitesse supérieure. Des partenariats innovants entre les membres du CAD et d’autres apporteurs de développement peuvent aboutir à des résultats en matière de développement meilleurs et plus nombreux. Le présent rapport livre des exemples intéressants venus d’Inde. On prend de plus en plus conscience de la nécessité d’élargir la base de pays et d’acteurs qui soutiennent le développement. Il faut que nous améliorions la manière dont nous travaillons ensemble si nous voulons atteindre les objectifs communs.
Dans le même temps, il nous faut placer au cœur de notre approche la redevabilité vis-à-vis des populations pauvres des pays partenaires. Malgré des années de partenariat et des investissements substantiels, la confiance et les relations entre les fournisseurs de coopération pour le développement et les partenaires sont ébranlées. Des tensions géopolitiques ont exacerbé les anciennes lignes de faille et en ont créé de nouvelles. Les donneurs sont devenus plus prudents depuis la crise financière et plus réticents à prendre des risques avec l’argent public. La crise du coût de la vie met en péril le soutien du grand public en faveur de la coopération pour le développement. Nous avons besoin d’une réflexion créative afin de renouer la confiance avec les pays partenaires ainsi qu’avec les contribuables des pays donneurs. Ce rapport comporte de bons exemples de nouveaux types de partenariats mutuellement bénéfiques et montrant en quoi le système multilatéral peut les soutenir. Le financement du développement durable grâce à l’APD et par d’autres moyens est un investissement dans l’avenir de chacun.
Cette période de rupture à l’échelle mondiale offre l’occasion de modeler un nouveau contrat social pour le développement et de bâtir un meilleur système, grâce à quoi le monde pourra se trouver en bonne position pour atteindre les ODD. Nombre des contributeurs au rapport Coopération pour le développement appellent à l’action et proposent de nombreuses suggestions d’action. Il est admis que la résilience face à d’éventuels futurs chocs, d’où qu’ils proviennent, est essentielle.
Tout contrat implique des droits et des obligations de toutes parts. Il doit être conclu dans un esprit de confiance mutuelle, de compréhension et de partage des responsabilités. Pour ce faire, il faut être honnête quant à ce que nous pouvons ou ne pouvons pas faire. Cela nécessite une détermination à créer l’espace politique pour la coopération internationale et l’investissement dans les ODD, malgré les défis à relever à l’échelle internationale aussi bien que nationale. Et pour les pays partenaires, cela implique de s’engager vis-à-vis d’une nouvelle ère de transparence et de bonne gouvernance. Ce contrat porte sur bien plus que de l’APD. Il est nécessaire de définir une approche à l’échelle de l’ensemble de la société, qui utilise tous les leviers disponibles – qu’ils soient politiques ou techniques, publics ou privés – afin de créer les conditions du développement durable.
Le CAD a un rôle unique à jouer pour façonner ce nouveau contrat. En tant que défenseurs des normes et des bonnes pratiques dans le domaine du développement ainsi que de l’apprentissage au contact des pairs, des données, de la transparence et de la redevabilité, nous avons beaucoup à apporter. Nous sommes désireux de collaborer avec d’autres fournisseurs de coopération pour le développement, des partenaires et le système multilatéral afin de bâtir un meilleur avenir pour le développement inclusif et durable.
Comme le chantait Bob Dylan au début des années 60, « L’eau commence à monter [...] Admettez que, bientôt, vous serez submergés [...] Il est temps maintenant d’apprendre à nager car le monde et les temps changent ». En tant que communauté internationale, nous devons apprendre à nager avec davantage de vigueur à l’heure où la marée monte. Nous devons regrouper et réformer le modèle du développement, et renforcer le contrat social à l’échelle mondiale si nous voulons obtenir des résultats face aux réalités complexes qui sont celles de 2023.
Susanna Moorehead
Présidente, Comité d’aide au développement