Les périodes de confinement dues à la crise du COVID-19 ont mis en évidence la place importante qu’occupent souvent les immigrés dans les secteurs qui sont essentiels au bon fonctionnement de notre vie quotidienne. S’appuyant sur cette expérience, la présente note évalue dans 31 pays européens le rôle que jouent à l’échelon régional les travailleurs nés à l’étranger dans les services essentiels (appelés les travailleurs essentiels issus de l’immigration). Elle examine leur part dans les marchés du travail régionaux, leur importance dans les emplois exigeant des qualifications différentes, et les écarts selon qu’ils sont originaires ou non de l’UE. Les travailleurs immigrés contribuent grandement au secteur de la santé, 23 % des médecins et 14 % du personnel infirmier étant nés à l’étranger. Dans les métropoles comme Londres ou Bruxelles, près de la moitié du personnel médical et infirmier est issue de l’immigration. Dans l’ensemble, les régions des capitales affichent la part la plus élevée de travailleurs essentiels issus de l’immigration (20 %). De la même façon, les grandes agglomérations font davantage appel à cette catégorie de la main-d'œuvre que d’autres territoires, notamment dans les professions peu qualifiées, où la part des travailleurs immigrés s’élève à 25 %.
COVID-19 et travailleurs essentiels : Quel rôle jouent les immigrés dans votre région ?
Abstract
Principaux messages
Pendant les périodes de confinement dues à la crise du COVID-19, quelques secteurs ont joué un rôle essentiel pour le bon fonctionnement de l’économie et la prestation de services absolument nécessaires. On appelle travailleurs essentiels les personnes qui occupent des emplois dans ces secteurs.
Les immigrés contribuent grandement à la prestation des services essentiels ; leur part y est en effet de 14 % dans les régions européennes, 5 % étant originaires de pays de l’UE et 9 % de pays hors UE.
Dans la plupart des pays, les régions des capitales affichent la proportion la plus élevée de travailleurs essentiels issus de l’immigration, soit 20 % en moyenne. Dans quelques-unes de ces régions, leur part peut même être beaucoup plus importante, dépassant 50 % à Bruxelles.
Dans les grandes agglomérations, les personnes issues de l’immigration, et surtout celles qui viennent de pays hors UE, sont davantage susceptibles d’occuper des emplois essentiels peu qualifiés que les personnes nées dans le pays. Elles restent toutefois plus susceptibles d’y occuper des emplois essentiels très qualifiés que dans d’autres zones géographiques.
Les secteurs essentiels tels que la distribution, l’agroalimentaire ou la santé ont largement recours aux travailleurs immigrés, surtout dans les zones plus urbaines.
La contribution de ces derniers aux parties essentielles des systèmes de santé est encore plus grande. En effet, environ 23 % des médecins et 14 % du personnel infirmier sont issus de l’immigration. Si les personnels médical et infirmier originaires de l’UE sont répartis uniformément sur le territoire, ceux qui sont originaires de pays non membres de l’UE sont davantage susceptibles d’exercer dans les grandes agglomérations.
Les immigrés jouent un rôle déterminant pour répondre à la demande de travailleurs essentiels dans les économies régionales
Les difficultés économiques et sociales sans précédent créées par la pandémie de COVID-19 ont fait apparaître sous un jour nouveau les services desquels dépend le bon fonctionnement des économies locales. Les secteurs comme l’agroalimentaire, la livraison et la santé, que l’on considère souvent comme allant de soi, sont indispensables à la continuité des activités économiques. C’est pendant la pandémie qu’ils ont été définis comme étant « essentiels ». La crise en effet a initié une nouvelle réflexion sur les services essentiels et les personnes qui les fournissent, celles que l’on appelle les « travailleurs essentiels ». Le rôle des immigrés, qui occupent souvent des emplois peu rémunérés mais d’une importance cruciale, a en particulier été davantage reconnu dans l’ensemble de l’OCDE. La présente note évalue leur contribution en tant que travailleurs essentiels dans les grandes agglomérations et les régions de l’UE en portant un regard nuancé sur les différences entre territoires. Ce faisant, elle vient compléter les analyses menées à l’échelle nationale sur la façon dont la contribution des immigrés aux secteurs essentiels a permis aux régions de faire face à la crise.
Si les confinements forcés ont fait qu’une grande partie de la population active est restée chez elle pendant la pandémie de COVID-19, certaines fonctions essentielles ont quand même dû être assurées pour maintenir les citoyens en bonne santé et en sécurité et pour qu’ils puissent se nourrir. Les travailleurs essentiels ont par conséquent été en première ligne pendant la pandémie et les actions locales pour lutter contre le COVID-19, et ils ont bien souvent contribué au bon fonctionnement de l’économie dans le contexte de mesures de confinement qui ont été lourdes de conséquences. Les travailleurs essentiels occupent des métiers très divers, allant des plus qualifiés (médecins ou chercheurs en médecine, par exemple) aux moins qualifiés (caissiers de supermarché ou livreurs, par exemple).
Dans l’ensemble des pays européens, les immigrés représentent 14 % environ des travailleurs essentiels et contribuent à l’économie en partageant avec les personnes nées dans le pays la responsabilité et la charge que représente la fourniture des services essentiels. Sur fond de pénuries de main-d'œuvre, déjà visibles avant la crise, la demande de travailleurs immigrés dans les secteurs essentiels, toutes catégories de qualification confondues, a augmenté afin d’assurer la continuité des services de santé et de l’approvisionnement en marchandises (OCDE, 2020[1]). Dans ce contexte, les pays ont été nombreux à réagir : l’Italie a accordé des permis de travail provisoires aux sans-papiers dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, des soins de santé et des travaux domestiques1 ; le Royaume-Uni a prolongé d’une année, sans frais, les visas des agents du secteur médico-social (OECD, 2020[2]) ; et le ministère français de l’Intérieur a annoncé qu’il allait accélérer la procédure de naturalisation des étrangers ayant travaillé en première ligne de la lutte contre le coronavirus, en reconnaissance de leur dévouement à l’égard de la France.2
La présente note décrit comment les travailleurs immigrés ont contribué à faire en sorte que les services de base continuent d’être assurés dans les régions européennes pendant les périodes de confinement. Elle quantifie le rôle qu’ils jouent dans les « professions critiques » que la Commission européenne et les États membres de l’UE ont recensées, à l’aide du dernier cycle de l’Enquête européenne sur les forces de travail (voir Encadré 1 pour plus d’informations).
Encadré 1. Évaluer la part des travailleurs essentiels
Méthode et données
La présente note suit un processus en deux étapes pour évaluer la part des immigrés parmi les travailleurs essentiels dans les régions. D’abord, elle définit si un travailleur est essentiel ou non en appliquant les critères des professions critiques fondés sur la Communication de la Commission européenne relative aux Lignes directrices concernant l’exercice de la libre circulation des travailleurs pendant l’épidémie de COVID-19 (voir Fasani et Mazza (2020[3]) pour une approche analogue). Selon cette définition, il existe 45 professions critiques (sur 181 professions au total), notamment le personnel soignant, les enseignants, les agents d’accueil dans les transports, les médecins ou les métiers de l’alimentation, parmi beaucoup d’autres.
Ensuite, la part des immigrés qui exercent une profession critique à l’échelon régional est mesurée à l’aide des résultats les plus récents de l’Enquête européenne sur les forces de travail (EFT-UE), avant d’être associée à la définition des travailleurs essentiels pour chaque profession sur la base de la classification CITP à 3 chiffres. Le fait de combiner les deux sources de données permet d’évaluer le nombre d’immigrés exerçant une profession essentielle en proportion du nombre total de travailleurs essentiels dans les économies régionales.
En outre, on peut encore distinguer les travailleurs essentiels selon le niveau de qualification de l’emploi qu’ils occupent (OCDE, 2019[4]) :
Emploi peu qualifié : Personnel des services directs aux particuliers, commerçants et vendeurs, et professions élémentaires (CITP 5 et 9).
Emploi moyennement qualifié : Employés de type administratif, métiers qualifiés de l’industrie et de l’artisanat, conducteurs d’installations et de machines, et ouvriers de l’assemblage (CITP 4, 7 et 8).
Emploi très qualifié : Directeurs, cadres de direction et gérants, professions intellectuelles et scientifiques, et professions intermédiaires (CITP 1, 2 et 3).
Il est important de préciser que cette définition regroupe les travailleurs selon le niveau de qualification de l’emploi qu’ils occupent et ne correspond pas nécessairement à leur véritable niveau de compétences, tel que défini par leur formation scolaire. Comme le montrent les publications, les immigrés sont souvent déclassés sur le marché du travail, ce qui signifie qu’ils possèdent un niveau de formation supérieur à celui normalement requis pour l'emploi qu'ils occupent.
Enfin, la note examine aussi la part des immigrés dans certains secteurs qui sont essentiels pendant les mesures de confinement, à savoir la santé, la distribution et l’agroalimentaire. Dans ces secteurs, la note prend tous les travailleurs en considération étant donné que la grande majorité d’entre eux peuvent être classés dans la catégorie des travailleurs essentiels.
Échantillon
L’analyse utilise les résultats les plus récents de l’EFT-UE (2019). L’échantillon est limité aux actifs occupés âgés de 15 à 64 ans. La présente note adopte l’approche commune qui définit les immigrés comme les personnes nées dans un pays étranger, indépendamment de leur arrivée dans leur pays de résidence. Les immigrés sont ensuite classés dans deux groupes distincts en fonction de leur pays de naissance : ceux qui sont nés dans un autre pays membre de l’UE (les immigrés originaires de l’UE) et ceux qui sont nés dans un pays non membres de l’UE (les immigrés non originaires de l’UE). Les premiers sont les travailleurs qui sont nés dans un autre État membre de l’UE que celui où ils résident et travaillent actuellement. Les seconds sont les travailleurs qui sont nés en dehors de l’Union. Enfin, toute personne qui est née dans son pays de résidence est considérée comme autochtone ou non immigrée.
La part des travailleurs essentiels varie considérablement au sein des pays et entre eux
En moyenne, les immigrés représentent 14 % des travailleurs essentiels dans les régions européennes de l’OCDE3. Cette part varie toutefois beaucoup d’une région à l’autre, allant de près de 50 % à Bruxelles ou dans la Région lémanique à 1 % ou moins dans d’autres régions. Dans la plupart des régions, les immigrés sont autant susceptibles d’exercer une profession essentielle que les résidents nés dans le pays. Dans l’ensemble, la part des immigrés parmi les travailleurs essentiels est à peu près proportionnelle à leur part dans la main-d'œuvre régionale. Dans près de la moitié des régions de l’échantillon (101 sur 247), la part des immigrés parmi les travailleurs essentiels est quasiment égale à leur part dans la main-d'œuvre régionale totale (le ratio se situe entre 0.9 et 1.1). Toutefois, quelques régions et pays font exception à la règle (voir le graphique 1.A.1 en annexe). Dans l’Angleterre du Nord-Est (RU) ou à Stockholm (Suède), par exemple, les immigrés sont largement surreprésentés dans les professions essentielles, tandis qu’ailleurs, par exemple en Andalousie (Espagne), ils sont considérablement sous-représentés dans ces métiers4.
Le pays d’origine des travailleurs essentiels issus de l’immigration et leur part dans la main-d'œuvre totale varient considérablement selon les pays européens. La part des immigrés parmi les travailleurs essentiels va de 47 % au Luxembourg à moins de 2 % en Pologne et en République slovaque (Graphique 1). Dans l’ensemble, la majorité des travailleurs essentiels issus de l’immigration vient de pays non membres de l’UE. En moyenne, dans les 31 pays européens étudiés dans la présente note, les immigrés non originaires de l’UE représentent près de 9 % des travailleurs essentiels, et ceux venant d’un pays de l’UE-28 environ 5 %. En revanche, dans de rares pays où la part d’immigrés très qualifiés est relativement supérieure, comme au Luxembourg, en Suisse et en Irlande, les deux tiers ou plus des travailleurs essentiels viennent d’autres pays de l’UE.
L’importance des travailleurs essentiels issus de l’immigration varie aussi beaucoup au sein des pays. En moyenne, on constate au niveau national un écart de 13 points de pourcentage entre les régions où leur part est la plus élevée et celles où leur part est la plus faible (Graphique 3). Dans des pays comme la Belgique et le Royaume-Uni, les écarts entre les régions dépassent 30 points de pourcentage, étant donné que les capitales, Bruxelles et Londres, concentrent une forte population immigrée et des proportions très élevées de travailleurs essentiels issus de l’immigration5.
Certaines régions font davantage appel aux travailleurs essentiels originaires de l’UE, d’autres à ceux qui viennent de pays non membres de l’UE. Dans des régions comme le Luxembourg, la Région lémanique ou Zurich, les travailleurs essentiels sont plus de 28 % à venir de pays de l’UE et moins de 13 % à venir de pays hors UE. En revanche, à Londres et en Île-de-France, ils sont respectivement plus de 30 % et 20 % à ne pas être originaires de l’UE, et 13.1 % et 4.4 % à être originaires de l’UE. Il importe de noter que dans ces régions, la part des immigrés venant de pays non membres de l’UE est plus élevée parmi les travailleurs essentiels que dans la main-d'œuvre régionale totale, ce qui indique une plus grande contribution aux professions critiques.
Encadré 2. Personnels médical et infirmier issus de l’immigration dans les régions des capitales
Dans la plupart des pays de l’UE membres de l’OCDE, les régions des capitales affichent la plus forte proportion de travailleurs essentiels issus de l’immigration. En moyenne, les immigrés représentent près de 20 % de l’ensemble des travailleurs essentiels dans les régions des capitales, soit environ 6 points de pourcentage de plus que la moyenne nationale respective.
Les personnels médical et infirmier issus de l’immigration jouent un rôle particulièrement important dans les régions des capitales et leur secteur de la santé. Par exemple, à Londres, près de la moitié des médecins et les deux tiers des infirmiers sont nés à l’étranger (Graphique 4). À Bruxelles, c’est le cas d’environ 45 % d’entre eux. Plus de 20 % des médecins sont issus de l’immigration dans 9 régions capitales sur 18. Pour ce qui concerne les infirmiers, environ 30 % ou plus sont nés à l’étranger dans 5 régions des capitales sur 18.
Les travailleurs essentiels issus de l’immigration sont plus nombreux dans les grandes agglomérations que dans d’autres zones géographiques
Sans surprise, les immigrés représentent une part plus importante des travailleurs essentiels dans les grandes agglomérations, car les populations immigrées sont généralement plus nombreuses dans les zones densément peuplées. D’après le « degré d’urbanisation »6, qui distingue différents types d’habitat, 17.5 % des travailleurs essentiels sont issus de l’immigration dans les grandes agglomérations (plus de 50 000 habitants), contre 12 % dans les villes moins peuplées et les zones semi-denses et 7 % dans les zones rurales (Graphique 5).7 Ces chiffres correspondent approximativement à la répartition des immigrés dans l’ensemble des degrés d’urbanisation, ceux-ci représentant respectivement 18 %, 13 % et 7 % de la main-d’œuvre dans les grandes agglomérations, les villes moins peuplées et zones semi-denses et les zones rurales. Dans les 26 pays européens de l’OCDE, à l’exception de la Grèce, les travailleurs essentiels qui sont issus de l’immigration jouent un rôle plus important dans les grandes agglomérations que dans les zones rurales, les écarts les plus nets étant observables en Autriche, en Belgique, au Luxembourg et en Suisse (voir le graphique 1.A.3 de l’annexe pour plus de détails).
Par rapport à leurs homologues nés dans le pays, les travailleurs essentiels originaires de pays hors UE dans les grandes agglomérations sont davantage susceptibles d’occuper des emplois peu ou moyennement qualifiés
Si les travailleurs immigrés, toutes catégories de qualification confondues, jouent un rôle clé dans les secteurs essentiels, leur contribution est particulièrement importante dans les professions essentielles peu qualifiées comme les agents d’entretien dans les bureaux ou les manœuvres de l’entreposage (Graphique 6). C’est particulièrement le cas dans les grandes agglomérations. En 2019, 25 % des travailleurs essentiels peu qualifiés étaient issus de l’immigration dans les grandes agglomérations, contre 17 % et 9 % respectivement dans les villes moins peuplées et zones semi-denses et dans les zones rurales. De même, parmi les travailleurs moyennement qualifiés (par exemple, le personnel soignant, les manœuvres des transports et de l’entreposage), il existe des écarts considérables entre les grandes agglomérations et les autres territoires. En revanche, ces différences entre territoires sont généralement plus faibles pour ce qui est de la part des travailleurs immigrés occupant des emplois essentiels peu qualifiés.
Le lieu d’installation des travailleurs essentiels issus de l’immigration n’est pas le même selon qu’ils sont nés dans un pays de l’UE ou non. Les travailleurs originaires de l’UE, toutes catégories de qualification confondues, sont répartis sur l’ensemble des territoires, ce qui correspond à 3-6 % de la main-d'œuvre essentielle locale. En revanche, les travailleurs originaires de pays hors UE, surtout ceux qui sont peu qualifiés, sont concentrés dans les grandes agglomérations (Graphique 6). Ils représentent par exemple 6 % des travailleurs essentiels peu qualifiés dans les zones rurales, contre 20 % dans les grandes agglomérations. De la même façon, leur part parmi les travailleurs essentiels moyennement qualifiés va de 3 % dans les zones rurales à 11 % dans les grandes agglomérations.
Par rapport à leurs homologues nés dans le pays, les travailleurs essentiels issus de l’immigration sont davantage susceptibles d’être peu qualifiés (Graphique 7), un phénomène qui est observable dans tous les types de territoires. Deux éléments se distinguent. Si les travailleurs essentiels originaires d’autres pays de l’UE ressemblent à leurs homologues nés dans le pays en termes de niveau de qualification, ceux qui viennent de pays hors UE ont beaucoup moins de chances d’occuper des emplois très qualifiés et sont deux fois plus susceptibles d’occuper des emplois peu qualifiés. Dans tous les types de régions, les travailleurs immigrés occupent généralement des emplois moins qualifiés que les travailleurs essentiels nés dans le pays. Cet écart s’explique en partie par le fait qu’en moyenne, le niveau de formation des immigrés est inférieur à celui des personnes nées dans le pays. Mais il tient aussi au déclassement des immigrés sur le marché du travail, c’est-à-dire qu’ils possèdent un niveau de formation supérieur à celui normalement requis pour l’emploi qu’ils occupent. S’il existe de multiples raisons d’occuper un emploi exigeant un niveau de qualification inférieur à sa formation, cet effet serait plus marqué chez les personnes qui arrivent de pays non membres de l’UE étant donné qu’elles sont confrontées à des difficultés supplémentaires pour faire reconnaître leurs diplômes étrangers ou à des contraintes liées à leur permis de résidence.
Les secteurs de la distribution, de l’agroalimentaire et de la santé font largement appel aux immigrés, surtout dans les zones densément peuplées
Certains secteurs ont joué un rôle particulièrement important lors de la première période de confinement dans les pays européens et sont aujourd’hui une fois encore essentiels alors que de nombreux pays sont entrés dans une deuxième phase de confinement en octobre et en novembre 2020. Les trois secteurs que sont l’agroalimentaire, la distribution8 et la santé sont particulièrement utiles pour assurer la continuité des services essentiels pendant les périodes de confinement dues à la crise du COVID-19. La grande majorité des emplois dans ces secteurs sont occupés par des travailleurs essentiels. La présente section étudie dans quelle mesure les travailleurs immigrés contribuent à ces secteurs. De manière générale, les travailleurs immigrés représentent une part importante de la main-d'œuvre dans les trois secteurs susmentionnés.
Dans le secteur de la santé, entre 7 % (zones rurales) et 19 % (grandes agglomérations) des travailleurs sont issus de l’immigration (Graphique 8). La part importante des travailleurs immigrés qui occupent des emplois peu qualifiés signifie qu’ils sont encore plus concentrés dans les secteurs de la distribution et de l’agroalimentaire, notamment dans les grandes agglomérations mais aussi dans les villes moins peuplées et les zones semi-denses. Dans les grandes agglomérations, les travailleurs issus de l’immigration constituaient 21 % de la main-d'œuvre totale dans le secteur de la distribution et 18 % dans l’agroalimentaire. Dans les zones rurales, ils étaient moins de la moitié, avec 7 % et 6 % respectivement dans ces deux secteurs.
Si la part des travailleurs immigrés dans le secteur de la santé correspond à leur part dans la main-d’œuvre sur l’ensemble des territoires, leur contribution est disproportionnée dans les parties essentielles du système de santé. Par exemple, 23 % des médecins sont issus de l’immigration dans les grandes agglomérations, 21 % dans les villes moins peuplées et les zones semi-denses, et 23 % dans les zones rurales (Graphique 9). Alors que les médecins nés dans un pays non membre de l’UE se concentrent généralement davantage dans les grandes agglomérations (leur proportion y est de 16 %, mais elle baisse à 14 % dans les zones rurales), les médecins nés dans un pays de l’UE s’installent principalement en dehors des grandes agglomérations.
Les infirmiers et auxiliaires de vie nés à l’étranger, en particulier ceux qui viennent d’un pays non membre de l’UE, travaillent principalement dans les grandes agglomérations. Par exemple, 19 % des infirmiers et 27 % des auxiliaires de vie dans les grandes agglomérations sont issus de l’immigration, par rapport à 7 % et 9 % dans les zones rurales, respectivement. En outre, la proportion des immigrés originaires de pays hors UE parmi le personnel infirmier et les auxiliaires de vie est nettement plus élevée dans les grandes agglomérations que dans les zones rurales.
La disponibilité en nombre suffisant de professionnels de santé qualifiés et motivés est indispensable à tout système de santé pour être performant, comme l’illustre la pandémie actuelle. Non seulement la crise du COVID-19 a mis en lumière le rôle central et l’immense dévouement des professionnels de santé situés en première ligne, mais elle attire aussi l’attention sur le problème profondément ancré que constituent les pénuries de personnel, ainsi que sur la part importante des médecins et infirmiers issus de l’immigration parmi les personnels de santé dans de nombreux pays de l’OCDE (OECD, 2020[5]). Les pays qui disposaient d’un nombre de professionnels de santé relativement plus élevé par habitant avant la pandémie ont réagi plus rapidement à la forte hausse de la demande de soins de santé. (OECD/European Union, 2020[6]). Pendant la pandémie de COVID-19, de nombreux pays de l’OCDE qui étaient déjà tributaires des professionnels de santé issu de l’immigration ont pris des mesures complémentaires pour faciliter l’entrée des étrangers sur le territoire national et la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger.
Les travailleurs immigrés, quel que soit leur niveau de qualification, contribuent à la continuité des services pendant la pandémie
Environ 14 % des travailleurs essentiels dans les régions européennes sont nés à l’étranger, et cette proportion est de façon générale encore plus élevée dans certains pays, dans les grandes agglomérations et dans certains secteurs. Les travailleurs immigrés occupent une part importante des emplois peu qualifiés et peu rémunérés dans des secteurs comme la distribution ou l’agroalimentaire. En termes de professions, ils représentent plus d’un tiers des agents d’entretien et des aides ménagères, un quart des auxiliaires de vie dans le secteur de la santé et un travailleur sur cinq dans le secteur de l’agroalimentaire. Ils contribuent toutefois aussi à l’offre de main-d’œuvre dans les professions essentielles hautement qualifiées, le fait étant qu’ils peuvent représenter jusqu’à 23 % des médecins.
Ces statistiques non seulement mettent en lumière le rôle crucial que les travailleurs immigrés ont joué et sont en train de jouer en occupant des fonctions essentielles dans les économies européennes, mais elles indiquent aussi un fait important : les travailleurs immigrés, qu’ils soient peu instruits ou très instruits, sont indispensables à la bonne mise en œuvre des services essentiels dans les sociétés européennes. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre dans de nombreuses professions essentielles, allant des travailleurs agricoles aux médecins, les immigrés, en offrant une main-d'œuvre disponible supplémentaire, contribuent à atténuer le problème et à assurer la fourniture de services et de biens essentiels dans les régions européennes. La lutte contre le COVID-19 a révélé leur importance, qui au demeurant est souvent négligée dans un débat sur les migrations principalement axé sur l’immigration très qualifiée.
L’importance et les conditions de travail des travailleurs essentiels, ainsi que la contribution des immigrés aux services essentiels, sont des sujets qui vont perdurer au-delà de la crise actuelle et qui ont déjà donné lieu à un nouveau discours sur les politiques publiques visant à garantir une rémunération équitable, faciliter l’accès à l’emploi et mieux reconnaître les qualifications professionnelles étrangères. À moyen et à long termes, les pays devront, s'ils veulent tirer pleinement parti des travailleurs immigrés et de leurs compétences, faciliter l’accès de ces derniers aux professions essentielles, les obstacles étant aujourd'hui nombreux en termes de reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger, par exemple pour les médecins.
Enfin, les migrations ne sont pas la panacée de tous les problèmes que rencontrent les secteurs essentiels dans les économies européennes, et elles ont aussi des répercussions sur les pays d’origine. Dans des domaines tels que la santé, notamment, ce que gagne un pays ou une région, un autre pays ou une autre région le perd, les professionnels partant exercer, à l’issue d’une longue formation médicale, dans des endroits offrant de meilleures conditions de travail ou conditions économiques. Si les migrations offrent une source vitale de main-d’œuvre disponible pour certains emplois très utiles aux économies des pays, des régions et des villes, elles ne peuvent pas combler toutes les pénuries de main-d’œuvre dans les territoires qui accueillent des travailleurs immigrés. Si l’on veut renforcer la capacité d’adaptation des régions, la formation et la rémunération sont deux éléments clés à prendre en considération pour promouvoir les secteurs essentiels et accroître l’attractivité des professions essentielles.
Bibliographie
[3] Fasani, F. et J. Mazza (2020), « Immigrant Key Workers: Their Contribution to Europe’s COVID-19 Response », IZA Policy Papers 155, https://www.iza.org/publications/pp/155/immigrant-key-workers-their-contribution-to-europes-covid-19-response.
[1] OCDE (2020), Perspectives des migrations internationales 2020, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/6b4c9dfc-fr.
[4] OCDE (2019), Sous pression : la classe moyenne en perte de vitesse, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/2b47d7a4-fr.
[5] OECD (2020), Contribution of migrant doctors and nurses to tackling COVID-19 crisis in OECD crisis, https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/contribution-of-migrant-doctors-and-nurses-to-tackling-covid-19-crisis-in-oecd-countries-2f7bace2/.
[2] OECD (2020), Managing international migration under COVID-19, http://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/managing-international-migration-under-covid-19-6e914d57/.
[6] OECD/European Union (2020), Health at a Glance: Europe 2020 : State of Health in the EU Cycle, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/82129230-en.
Annexe 1.A. Chiffres complémentaires
Personnes à contacter
Lukas KLEINE-RUESCHKAMP (✉ lukas.kleine-rueschkamp@oecd.org)
Cem ÖZGÜZEL (✉ cem.ozguzel@oecd.org)
Notes
← 1. https://ec.europa.eu/migrant-integration/news/italian-government-adopts-targeted-regularisation-for-migrant-workers?lang=fr
← 2. https://www.theguardian.com/world/2020/sep/15/foreign-covid-workers-in-france-to-be-fast-tracked-for-nationality
← 3. L’Enquête européenne sur les forces de travail contient des informations sur les régions NUTS1 ou NUTS2, selon les pays. Ces régions correspondent au niveau 2 (TL2) du découpage territorial de l’OCDE.
← 4. Les immigrés peuvent être surreprésentés (ou sous-représentés) dans les professions essentielles si leur part dans la main-d'œuvre totale est très faible (ou très élevée).
← 5. À Londres (Royaume-Uni), la part des immigrés est encore plus élevée dans les professions essentielles que dans la main-d'œuvre régionale totale. À Bruxelles (Belgique), elle est légèrement moins élevée parmi les travailleurs essentiels que dans la main-d'œuvre totale.
← 6. Le degré d’urbanisation est une méthode permettant de distinguer les « grandes agglomérations », les « villes moins peuplées et zones semi-denses » et les « zones rurales » à des fins de comparaisons internationales. La méthode distingue trois degrés d’urbanisation pour tenir compte de l’éventail complet qui existe entre le monde urbain et le monde rural, en dépassant la dichotomie traditionnelle entre ville et campagne.
← 7. La part des travailleurs essentiels dans la main-d’œuvre locale reste à peu près constante dans l’ensemble des degrés d’urbanisation et correspond à environ 30 % de la main-d’œuvre totale. La proportion plus élevée de personnes issues de l’immigration parmi les travailleurs essentiels dans les zones urbaines par rapport aux zones rurales n’est donc pas due à une plus forte demande de cette catégorie d’emplois dans les grandes agglomérations, mais à une population immigrée plus nombreuse. Comme le montre le graphique 1.A.2 de l’annexe, la proportion de travailleurs essentiels issus de l’immigration dans la main-d'œuvre régionale totale est de 5 % dans les grandes agglomérations, par rapport à 4 % et 2 % respectivement dans les villes moins peuplées et zones semi-denses et dans les zones rurales.
← 8. Le secteur de la distribution (section H de la nomenclature NACE) correspond au transport ferroviaire, terrestre, maritime, fluvial et aérien de voyageurs et au transport ferroviaire, par conduites, routier, maritime, fluvial et aérien de fret, et à toutes les activités associées telles que la gestion des installations de terminaux et de stationnement, la manutention du fret, le stockage de marchandises, la location de matériel de transport avec chauffeur ou opérateur, ainsi que les services de poste.