L’urbanisation est l’une des transformations les plus profondes que connaîtra le continent africain au XXIe siècle. Depuis 1990, le nombre de villes y a doublé, passant de 3 300 à 7 600. Leur population cumulée a augmenté de 500 millions de personnes. Les villes africaines connaissent la croissance la plus rapide du monde ; elles sont les plus jeunes et sont en constante évolution. Au cours des prochaines décennies, leur impact sur le paysage économique, social et politique sera probablement profond. L’urbanisation induit des opportunités exceptionnelles pour accélérer les progrès vers les objectifs de développement durable de 2030 des Nations Unies et l’agenda de développement 2063 de l’Union africaine (UA). Elle peut stimuler l’intégration continentale par la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Pour les décideurs africains, la croissance urbaine représente d’importants défis de planification, de gestion et de financement, tant au niveau local qu’au niveau national. En Afrique comme ailleurs, la perception négative des externalités de l'urbanisation et de son impact sur le développement prévaut. Cette perception a entravé les processus politiques à même de faire de l’urbanisation un élément central des stratégies de développement du continent.
Sur la base de données issues de 2 600 villes de 34 pays, le rapport montre que l'urbanisation contribue à l’amélioration des performances économiques et du niveau de vie. Dans la plupart des dimensions socio-économiques, les villes africaines obtiennent des résultats nettement supérieurs aux pays au sein desquels elles se situent. En outre, l’écart entre leurs performances et les moyennes nationales est supérieur à celui de nombreuses autres régions du monde. Au cours des 30 dernières années, elles ont réussi à maintenir leurs avantages économiques par rapport aux zones rurales, tout en accueillant 500 millions d’habitants supplémentaires. Cette performance méconnue mérite d’être soulignée. Elles fournissent de meilleurs emplois ainsi qu’un meilleur accès aux services et aux infrastructures à plusieurs centaines de millions de personnes. Les retombées positives profitent également aux zones rurales qui bénéficient de la proximité des villes.
Cependant, des obstacles économiques et financiers entravent la valorisation du potentiel économique et social des villes. Beaucoup trop de personnes sont restées sur le bord du chemin. Il est urgent d’adopter de nouvelles approches adaptées aux dynamiques locales. Les défis à venir sont considérables. Le rapport souligne l’importance d’investir dans une meilleure planification des grands centres urbains. Il montre également qu’il est nécessaire de s’appuyer sur les villes petites et moyennes pour accélérer la création d’emplois, améliorer la productivité et l’accès aux services ; tout en développant la connectivité et les grappes urbaines au service de l’intégration économique. Il plaide pour des politiques urbaines plus coordonnées et pour la pleine intégration du rôle économique des villes dans la planification du développement national. Enfin, il montre que les pouvoirs locaux doivent bénéficier de plus de capacités fiscales et administratives pour jouer le rôle qui doit être le leur en matière développement économique.
Les projections des Nations Unies indiquent que les villes africaines compteront 900 millions d’habitants supplémentaires d’ici à 2050, et qu’elles accueilleront les deux tiers de la population du continent. Cette expansion induit une demande de planification, de gestion et de financement des infrastructures et services publics. Elle appelle des stratégies d’emploi, de numérisation et de technologies vertes, pour améliorer la compétitivité tout en garantissant la neutralité climatique et la durabilité. Les plans nationaux de développement doivent reconnaître le rôle important des villes en termes de croissance économique, de renforcement de la résilience, de réponse au changement climatique et de soutenabilité. Des politiques cohérentes sont nécessaires pour garantir l'efficacité des stratégies nationales au niveau local.
Cependant, relever les défis de la croissance urbaine africaine offre aussi l’opportunité d’envisager un avenir urbain qui pourrait ne pas s’inscrire dans le sillage des Amériques, de l’Asie, de l’Europe et du reste du monde. Les villes du XXIe siècle seront différentes de celles du XXe. Les villes africaines, particulièrement les petites et les moyennes, sont nettement moins ancrées dans des modèles de développement à forte intensité carbone que celles de nombreuses autres régions. Dans le même temps, d'importants investissements dans les infrastructures urbaines doivent encore être réalisés et la population des villes africaines est principalement jeune. Il s’agit là de bases importantes sur lesquelles de nouveaux modèles plus climatiquement neutres, plus inclusifs et plus vivables pourraient être construits.
Si ce rapport propose sans doute l’analyse de données la plus complète à ce jour sur les performances économiques des villes africaines, il met aussi en lumière la nécessité de disposer de données supplémentaires et d’analyses plus poussées pour étayer l’élaboration des politiques publiques. Les nouveaux défis, comme la reprise post-pandémie de COVID-19 et les nouvelles échelles d'intervention économique et politique – Zone de Libre-Échange Continentale Africaine, gouvernance urbaine, développement régional - exigeront de plus en plus une connaissance approfondie des contextes locaux. De meilleures données et des évidences sont nécessaires pour nourrir des processus décisionnels plus tournés vers l’avenir, plus transparents et plus inclusifs. Façonner l’avenir des villes africaines, donc de leurs populations, de leurs territoires, de leurs pays, est l’affaire de toutes les parties prenantes, à tous les niveaux.
Mathias Cormann
Secrétaire général,
Organisation de coopération et de développement économiques
Ibrahim Assane Mayaki
Président honoraire,
Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE
Vera Songwe
Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique
Solomon Quaynor
Vice-président, Secteur privé, infrastructure et industrialisation, Banque africaine de développement