Ce chapitre examine le rôle des politiques de développement économique local. Il souligne la nécessité de concevoir des politiques adaptées au contexte local et soutient que les gouvernements locaux devraient jouer un rôle plus important de soutien au développement économique. Il insiste sur le rôle croissant de la gouvernance métropolitaine en Afrique et aborde la planification stratégique comme un instrument indispensable à l’élaboration d’ensembles de politiques publiques cohérentes. S’il est impossible de concevoir des solutions universellement applicables, ce chapitre présente cinq principes autour desquels des politiques ciblées de développement économique local peuvent être élaborées.
Dynamiques de l'urbanisation africaine 2022
4. Le rôle des gouvernements locaux dans la politique de développement économique
Abstract
Résumé
Les villes se distinguent les unes des autres à bien des égards. Elles assument des rôles différents au sein de l’économie nationale, sont spécialisées dans des secteurs différents, ont une main-d'œuvre aux profils de compétences différents, sont desservies par des infrastructures particulières et ont des dotations naturelles différentes. C’est pourquoi il est essentiel de concevoir et d’adapter, à tous les niveaux de gouvernements, des politiques de développement économique en tenant compte de la situation de chaque ville pour en assurer l’efficacité.
Les gouvernements locaux sont des acteurs essentiels du développement économique. Idéalement, ils jouent un rôle central dans la mise en œuvre des programmes nationaux de développement économique et mènent des politiques de développement économique local permettant de renforcer la croissance. Cependant, les politiques publiques locales sont souvent plus axées sur la prestation de services que sur le développement économique. De plus, les gouvernements nationaux ne reconnaissant pas toujours la centralité des autorités locales dans la mise en œuvre des politiques économiques nationales.
Développer la capacité des gouvernements locaux et accroitre la décentralisation sont deux mesures indispensables pour accélérer et améliorer la qualité de la croissance économique. Malgré d'importants efforts de décentralisation ces dernières décennies, les capacités administratives et fiscales des gouvernements locaux africains restent faibles. En moyenne, seulement 14.1 % des dépenses de personnel dans le secteur public leurs sont allouées et ils ne sont responsables que de 11 % des investissements publics. Ces pourcentages sont inférieurs à la moitié de la moyenne mondiale. Ils sont également largement inférieurs à la moyenne des pays à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure hors Afrique. De nombreux gouvernements locaux ne disposent pas du personnel qualifié et du budget nécessaire pour mener des politiques de développement économique efficaces. Cela a un effet néfaste sur les investissements, la mobilisation des recettes publiques, la productivité et l’attrait des villes auprès des investisseurs étrangers. Les conséquences sont ressenties non seulement au niveau local mais aussi au niveau national.
La population urbaine de l'Afrique a augmenté de 4.7 % par an depuis 2000. En raison de cette croissance rapide, les villes s'étendent dans les territoires des gouvernements locaux voisins et sont de plus en plus fragmentées. Le nombre de collectivités territoriales crée des difficultés de coordination et de cohérence. Il en résulte un étalement urbain non maitrisé, des réseaux de transport inefficaces et congestionnés, des niveaux de productivité faibles. Des accords de gouvernance métropolitaine sont nécessaires afin d’assurer la coordination des politiques entre les gouvernements locaux au sein d’une même zone urbaine. Des autorités compétentes au niveau métropolitain, peuvent disposer de capacités administratives nécessaires pour assurer la planification d’infrastructures complexes, la prestation de services publics et la fourniture d’équipements collectifs.
Une planification stratégique efficace permet de coordonner les politiques entre les secteurs et assure la cohérence sur la durée. Elle permet de définir des objectifs communs entre les parties prenantes et déterminer les mesures politiques pour atteindre ces objectifs. Cependant, tous les plans stratégiques ne sont pas efficaces. Les engagements non financés sont une des principales raisons pour lesquelles les plans stratégiques ne sont pas mis en œuvre. Il est donc indispensable d’associer la planification stratégique au processus de décision budgétaire. La valeur de la planification stratégique s’étend au-delà des plans qu’elle génère. Elle permet aux administrations et aux parties prenantes externes de se former dans le domaine du soutien à l’économie locale, donc de renforcer les capacités des secteurs public et privé. Pour tirer parti de ces avantages, les administrations doivent s’efforcer de mener une planification stratégique en interne.
Les politiques de développement économique doivent trouver un juste équilibre. Elles doivent être alignées sur les priorités des politiques économiques nationales, tout en s’adaptant au contexte local. S'il est impossible de fournir un modèle de stratégies applicable à tous les contextes, cinq principes de base sont à retenir pour concevoir des politiques de développement économique local :
1. Les paquets de politiques publiques coordonnées sont plus efficaces que les initiatives isolées. Les politiques de développement économique local performantes touchent de nombreux domaines, et veillent à ce que toutes les conditions nécessaires au développement économique sont réunies. Les politiques isolées sont rarement capables de supprimer tous les goulots d’étranglement et échouent souvent.
2. La politique de développement économique local doit identifier et exploiter les avantages concurrentiels d’une ville ; en particulier pour les villes économiquement en retard. Pour attirer des activités économiques, les villes doivent identifier les spécificités qui les distinguent de leurs concurrents et les exploiter dans le cadre de leurs politiques de développement économique. Dans de nombreux cas, les avantages concurrentiels peuvent résulter de complémentarités et de synergies avec des villes voisines. Les villes doivent tenir compte de leurs forces et faiblesses, mais aussi de leur situation au sein du contexte national et régional.
3. La spécialisation permet aux villes de réaliser des économies d’échelle et d’accroître leur productivité. Elle est particulièrement importante pour les villes petites et moyennes qui n’ont pas la masse économique nécessaire pour accueillir un grand nombre d’industries d’envergure. Cependant, tous les types de spécialisation ne facilitent pas le développement économique. Se spécialiser dans des activités qui engendrent de la valeur ajoutée pour l’économie locale est important et contribue à une plus grande diversification au niveau national. Les économies nationales les plus diversifiées ne présentent pas une diversité économique spatialement uniforme. En général, elles sont composées d’un grand nombre de villes aux spécialisations uniques qui créent une économie nationale diversifiée.
4. Au niveau local, il est plus facile de stimuler le développement économique à partir d’une activité économique existante que de favoriser la création d’activités économiques entièrement nouvelles. Les stratégies qui encouragent l’innovation dans les secteurs économiques existants, et qui tendent à optimiser la valeur ajoutée de ces activités économiques, ont plus de chances de réussir que celles qui visent à attirer de nouveaux secteurs. Cette approche centrée sur l’existant nécessite de travailler avec le secteur informel qui représente une large fraction de l’activité économique des villes africaines.
5. Les universités et autres établissements d’enseignement supérieur sont des acteurs essentiels car ils créent une main-d’œuvre qualifiée et sont une source d’innovation. Beaucoup de stratégies de développement économique local réussies intègrent les contributions des universités et établissements d’enseignement supérieur.
Les gouvernements locaux jouent un rôle majeur dans le développement économique
Les gouvernements locaux sont des acteurs centraux du développement économique. Ils connaissent l’économie locale mieux que tout autre niveau de gouvernement, entretiennent des liens étroits avec les opérateurs, sont à même d’adapter les politiques aux avantages concurrentiels et aux goulots d’étranglement locaux. Toutefois, peu d’entre eux utilisent tous les outils dont ils disposent à cet effet. Ils doivent donc s’investir davantage.
Cependant, les rôles des gouvernements nationaux sont également importants et complémentaires de ceux des gouvernements locaux. Aucun des deux niveaux ne peut efficacement soutenir l’économie sans que l’autre intervienne. Ainsi, seules les autorités centrales ont la capacité de mener à bien de grands projets d’investissement, comme un aéroport international. Mais au-delà de ce type de projets transformateurs de grande envergure, le développement économique passe également par la formation de travailleurs qualifiés, la conception d’un réseau routier intra-urbain efficace ou l’attribution rationnelle de terres aux entreprises ; autant de fonctions relevant des gouvernements locaux.
De surcroît, les gouvernements nationaux s’appuient sur les gouvernementaux locaux pour mettre en œuvre de nombreux programmes nationaux de développement (éducation, infrastructures, commerce, etc.). Ainsi, un programme d’appui financier aux petites entreprises pour soutenir l'investissement en capital pourrait être mieux administré par les gouvernements locaux que par les autorités centrales. Si le programme est un succès, il peut attirer des dizaines, voire des centaines de milliers de demandes. Or une administration nationale serait bien vite dépassée si elle devait traiter et donner suite à toutes ces demandes, et il est sans doute plus efficace que les administrations locales soient chargées de les traiter. En outre, les administrations locales ont une meilleure connaissance des entreprises locales et sont donc plus à même de juger du bien-fondé d'une demande que l'administration nationale.
La plupart des pays africains sont fortement centralisés. Les niveaux de responsabilité et de ressources des gouvernements locaux y sont moins élevés que dans d’autres pays aux niveaux de revenus comparables. Cette situation restreint leur capacité à mener des politiques de développement économique et a aussi un impact négatif sur le développement. Approfondir la décentralisation est donc nécessaire à la croissance économique nationale.
Ce degré élevé de centralisation doit être pris en compte dans l'évaluation des options possibles. Si des gouvernements locaux dotés de faibles capacités essaient de faire trop de choses à la fois, ils risquent de disperser leurs ressources. Dans ce cas, il peut être préférable de se contenter de se concentrer sur peu d’activités. Avant d’entreprendre les actions abordées dans le présent chapitre, les gouvernements locaux doivent évaluer les ressources administratives et fiscales dont ils disposent et établir des priorités en conséquence.
Les gouvernements locaux peuvent soutenir le développement économique de nombreuses manières, mais toutes les interventions politiques ne sont pas appropriées dans tous les contextes. L’intention de ce chapitre n’est pas de présenter un modèle de politiques de développement économique local. Il présente plutôt des principes permettant d’élaborer des politiques de développement économique local et il en analyse la pertinence. Le secteur informel représentant une grande part de l’activité économique des villes africaines, il est essentiel d’appliquer ces principes aussi bien au secteur formel qu’au secteur informel pour pouvoir élaborer des politiques de développement économique local efficaces.
Un simple chapitre ne suffit pas à couvrir un sujet aussi vaste que celui des politiques de développement économique local. Le lecteur peut se référer en particulier à la série de formations élaborée par ONU-Habitat et EcoPlan International (2005[1]), qui contient des orientations à destination des praticiens, ou à l’enquête sur la mise en œuvre du développement économique local réalisée par CGLU Afrique (2018[2]), qui porte sur la situation actuelle de la politique de développement économique local en Afrique.
Une approche territoriale est nécessaire pour optimiser le développement économique urbain
Les villes sont différentes les unes des autres à bien des égards : secteurs d’activité, niveaux d’éducation et de compétences, qualité des d’infrastructures, interactions économiques avec d’autres villes. Certaines sont proches d’une grande métropole, tandis que d'autres sont d'importants marchés pour les hinterlands ruraux ou sont situées à proximité de ressources naturelles importantes. D’autres encore sont des centres de commerce transfrontalier à longue distance. Toutefois, ces spécificités sont susceptibles de changer. Les profils économiques des villes peuvent évoluer rapidement tant le rythme de l'urbanisation africaine est élevé.
La diversité des contextes locaux et les différentes échelles d’interactions économiques et sociales nécessitent une approche territoriale des politiques publiques. Ces dernières doivent être conçues et ciblées sur les territoires concernés par une question, allant de l’échelle d’un quartier à celle d’une métropole, d’un pays ou même du continent. Les politiques sectorielles doivent être coordonnées car leur influence dépend les unes des autres, tout autant que des caractéristiques propres à une ville ou une région. Plutôt que d’appliquer les politiques sectorielles uniformément, l’approche territoriale utilise des paquets de politiques intersectorielles à différentes échelles géographiques.
Fondée sur les enjeux spécifiques locaux, l’approche territoriale répond également au fait que les conséquences d’une politique donnée peuvent être sensiblement différentes d’un endroit à l’autre. Prenons par exemple le cas d'une politique d’amélioration de la connectivité de villes peu accessibles situées à proximité de grand centres urbains. Il se peut que deux villes, situées dans une zone métropolitaine, réunissent apparemment les conditions nécessaires pour bénéficier de ce type de politique. L’une peut abriter d'importants groupes défavorisés coupés des emplois parce difficilement accessibles, donc en proie à un cercle vicieux de privation sociale. L’autre peut abriter des résidents aisés pour qui le manque d’accessibilité ou l’isolement sont en fait perçus comme souhaitables. Dans le cas de la première ville, une accessibilité améliorée pourrait renforcer la qualité de vie, alors que dans le cas de la deuxième, elle risquerait de la dégrader. Une politique territorialement indifférenciée et qui ne prend pas en considération l’impact qu’elle peut avoir sur des villes ou régions différentes pourrait entraîner des investissements inefficaces et aggraver la situation dans certaines circonstances.
Les gouvernements locaux sont des opérateurs essentiels à la mise en œuvre de politiques territorialisées. Ils connaissent le milieu, les acteurs, les entreprises et les établissements d’enseignement locaux. En collaborant entre eux, les gouvernements locaux sont aussi en mesure d’appliquer des politiques à différentes échelles géographiques, selon la question à traiter. Ils sont souvent mieux placés que les autorités centrales pour cibler les politiques dans le contexte local, identifier les parties prenantes pertinentes et coordonner les actions entre elles. Plus la décision politique est proche des spécificités locales, plus ces avantages sont importants.
De nombreux problèmes ne peuvent être traités par les gouvernements locaux seuls. Souvent, plusieurs niveaux de gouvernance doivent s'impliquer dans la résolution des problèmes qui relèvent de leur mandat. Ainsi, une politique de formation professionnelle pourrait nécessiter une législation-cadre et un financement du gouvernement central, alors que les gouvernements locaux seraient en charge de la construction et du fonctionnement des écoles. Une gouvernance efficace à tous les échelons est indispensable aux stratégies territorialisées (OCDE, 2019[3]). Les gouvernements nationaux doivent donc mettre en place des politiques adaptées aux territoires et à leurs différences. Comme l’a rappelé le Chapitre 3, les politiques urbaines n’échappent pas à cette règle (voir aussi OCDE/ONU-Habitat (2018[4])).
Même territorialisées et différenciées, les politiques nationales ne peuvent que compléter, et non se substituer aux gouvernements locaux. Il est peu probable que les autorités centrales soient en mesure de parvenir seules à une différenciation suffisante des politiques. Il s’agit en partie d’une simple question de capacité. Les administrations nationales seraient rapidement dépassées si elles devaient élaborer des politiques spécifiques à chaque ville et région d’un pays. Les contraintes informationnelles peuvent être encore plus lourdes. Il est plus difficile pour les ministères centraux d’appréhender les contextes que pour les administrations locales. Les fonctionnaires centraux vivent dans la capitale, à distance des autres villes, ils manquent de contacts locaux, et leur travail leur commande de traiter l’ensemble des villes et régions, plutôt que de se concentrer sur un lieu spécifique.
La croissance économique locale requiert une décentralisation plus approfondie et à un renforcement des capacités
Les collectivités locales ne peuvent jouer leur rôle que si elles bénéficient de cadres juridiques et institutionnels appropriés et disposent de ressources fiscales et administratives suffisantes. Presque partout, les gouvernementaux locaux ne disposent que des pouvoirs qui leur sont explicitement accordés par le gouvernement national ou, dans certains pays fédéraux, que leur confient les gouvernements des états respectifs. Les ressources fiscales contrôlées par les gouvernements locaux, et la façon dont ils perçoivent des recettes, sont tout aussi importantes. Dans certains pays, les gouvernementaux locaux ont le pouvoir de lever des impôts, de contracter des prêts ou d’émettre des obligations. Dans beaucoup d’autres ils dépendent presque entièrement des transferts financiers du gouvernement central (OCDE/CGLU, 2019[5]). Enfin, il importe de savoir si les collectivités locales peuvent utiliser efficacement leurs pouvoirs et leurs ressources. La taille réduite de la plupart des administrations locales limite leurs capacités administratives à mener des politiques de développement économique local efficaces.
L’environnement institutionnel des gouvernements locaux d’Afrique s’améliore
Les gouvernements locaux africains œuvrent dans des environnements difficiles. Ils ne disposent que de très peu de ressources et leurs rôles et responsabilités sont mal définis. En moyenne, les pays africains pour lesquels les données sont disponibles ne consacrent que 14.1 % de leur budget aux gouvernement locaux. Au Bénin, cette part est de 3 %. La moyenne mondiale (hors Afrique) est de 29.4 % (OCDE/CGLU, 2019[5]). Les gouvernements locaux africains sont confrontés à d’autres contraintes qui pèsent sur les ressources de base et les empêchent de fonctionner efficacement. Ainsi au Nigéria, 38 % des fonctionnaires fédéraux ont accès à un ordinateur, contre 6 % pour les fonctionnaires locaux (en moyenne, les gouvernements locaux n’ont accès à l’Internet que durant 3 % des jours de travail). En Éthiopie, les pourcentages sont plus élevés mais toujours bas, et s’élèvent à 8 % et 21 %, respectivement (Mo Ibrahim Foundation, 2018[6]). Au Nigéria, 5 des 18 gouvernements locaux enquêtés par la Mo Ibrahim Foundation (2018[6]) ont signalé ne pas avoir accès à l’électricité. Cependant, le même rapport documente des exemples de décentralisation qui ont permis d’améliorer l’accès aux ressources et de bénéficier de meilleures prestations de services de la part des gouvernements locaux.
Si le manque de ressources reste critique, l'environnement institutionnel des gouvernements locaux s'est amélioré. En 2012, seuls sept pays africains avaient un environnement institutionnel favorable ou plutôt favorable aux gouvernements locaux, contre 16 pays en 2018. Néanmoins, la qualité institutionnelle reste défavorable ou plutôt défavorable dans 34 pays, et l’environnement institutionnel de certains pays a même régressé (CGLU Afrique/Cities Alliance, 2018[7]). Des améliorations ont été observées en particulier dans le domaine du renforcement des capacités, ainsi que dans l’élaboration de cadres de suivi et d’évaluation de la performance des gouvernements locaux. En revanche, le caractère favorable des cadres législatifs s’est légèrement détérioré du fait de réformes constitutionnelles moins favorables et du report de réformes planifiées pour renforcer le rôle des pouvoirs locaux.
Plus de décentralisation est nécessaire
Malgré des améliorations de l’environnement institutionnel, l’aptitude des gouvernements locaux africains à concevoir et mettre en œuvre des politiques de développement économique local est contrainte par le manque de ressources administratives et fiscales (tant au niveau des ressources propres que des transferts financiers en provenance des gouvernements centraux). Tant que les pouvoirs locaux ne disposeront pas des éléments de base d’une administration moderne (technologies de l'information et de la communication (TIC), personnel formé pour les utiliser), ils ne seront pas en mesure de mettre en place des politiques efficaces. Il est indispensable de leur fournir des ressources et de développer leurs capacités. Les administrations apprennent en agissant ; c’est pourquoi même les gouvernements à faible capacité administrative devraient tenter d’élaborer des politiques de développement économique local s’ils en ont la possibilité.
La raison pour laquelle les ressources des gouvernementaux locaux sont nettement inférieures à celles des gouvernements nationaux tient au fait que les pays les plus riches ont tendance à être plus décentralisés que les pays plus défavorisés (Bodman et Hodge, 2010[8]). Néanmoins, la plupart des pays africains ont un degré d’autonomie infranational (régional et local) exceptionnellement bas, même en comparaison avec d’autres pays ayant des niveaux de revenu analogues (OCDE/CGLU, 2019[5]). La majorité des pays d’Afrique a adopté des réformes de décentralisation dans les années 1990 et 2000 (Crawford et Hartmann, 2008[9]) ; tout en adoptant des mesures de déconcentration (Riedl et Dickovick, 2010[10])1. Malgré ces efforts, les pays africains restent fortement centralisés. Dans les 14 pays pour lesquels des données sont disponibles, les gouvernements locaux ne sont responsables que de 11 % de la totalité des investissements publics (Graphique 4.1). En revanche, les gouvernements locaux de pays à faible revenu et à revenu moyen inférieur en dehors de l’Afrique sont responsables de 34 % de l’ensemble des investissements publics, ce qui correspond à peu près à la moyenne mondiale. Cette situation peut en partie s’expliquer par le fait que la plupart des États africains n’ont acquis leur indépendance que dans les années 1950 et 1960. Il est possible que la consolidation du gouvernement national ait été un enjeu prioritaire et que la décentralisation ait été une préoccupation moins urgente.
Compte tenu de ces lacunes fiscales et administratives, de nouvelles réformes sont indispensables. Pour autant, même dans le cadre actuel, les gouvernements locaux peuvent jouer un rôle plus important. Rodríguez-Pose et Tijmstra (2007[11]) soutiennent que, malgré leurs contraintes de capacité, la plupart des administrations des grandes villes africaines réunissent les conditions nécessaires pour adopter des politiques de développement économique local. Les administrations plus petites sont confrontées à des contraintes de capacité plus sévères, mais elles peuvent souvent progresser vers des politiques de développement économique plus efficaces en faisant du développement économique un objectif politique prioritaire.
Le renforcement des capacités fiscales est l’étape la plus importante pour permettre aux gouvernements locaux de mener des politiques de développement économique plus actives. Le Chapitre 5 du présent rapport examine cette question en profondeur et fournit des exemples de la façon dont les gouvernements nationaux peuvent utiliser des fonds publics pour fournir des ressources aux gouvernements locaux.
Concevoir et mettre en œuvre des politiques à l’échelle géographique appropriée
La conception et la mise en œuvre des politiques locales à la bonne échelle géographique sont essentielles à leur réussite. S’il est naturel pour les responsables politiques et administratifs locaux de se concentrer sur la juridiction dont ils sont responsables, ce n'est souvent pas l'échelle appropriée pour une politique. Dans les grandes agglomérations, les compétences des gouvernements locaux ne couvrent souvent qu’une partie de la zone urbaine. Dans une telle situation, les limites administratives locales ne correspondent pas aux réalités quotidiennes des habitants et des entreprises. Les travailleurs se rendent tous les jours d’une juridiction à une autre et peuvent même faire leurs courses dans une autre juridiction. De même, les entreprises ont des clients et des fournisseurs et recrutent en général leurs employés dans la zone métropolitaine. Dans de tels cas, une coordination entre les gouvernements locaux est essentielle pour gouverner efficacement une zone métropolitaine.
La fragmentation administrative augmente l’importance de la coordination métropolitaine
La plupart des zones métropolitaines sont morcelées en plusieurs collectivités territoriales. En Afrique, cette fragmentation administrative augmente rapidement du fait de la croissance accélérée de la population urbaine et des zones bâties qui s’étendent jusque dans les collectivités locales voisines. L’extension des réseaux de transports publics et l’augmentation du nombre de voitures et de motos, ont également contribué à cette périurbanisation. Les villes s'étendent dans l'espace encore plus rapidement que leur population augmente ; l’étalement des agglomérations urbaines sur plusieurs collectivités territoriales s’accélère.
Accra est un exemple de ville morcelée en de nombreux gouvernements locaux. Au Ghana, les districts sont le niveau le plus important du gouvernement local. Les 250 districts, comptant en moyenne plus de 100 000 habitants, sont de taille moyenne selon les standards internationaux, et sont responsables de la planification du développement, de l’éducation, des infrastructures de base et de la réglementation de l’occupation du sol (Local Government Service of Ghana, 2016[13]). La Carte 4.1 illustre comment la zone bâtie d’Accra s’étale sur 30 districts. Les deux districts métropolitains de la ville sont, quant à eux, divisés en sous-districts (Adusei-Asante, 2012[14]) et la ville a commencé à franchir deux régions voisines, augmentant le nombre d’acteurs impliqués dans sa gouvernance.
La fragmentation administrative dans les zones métropolitaines rend la coordination des politiques importante pour plusieurs raisons. En premier lieu, de nombreuses politiques exigent que soient mises en œuvre un certain nombre de mesures dans plusieurs unités administratives. Cela concerne en particulier les infrastructures de transports et l’occupation des sols, mais également le développement économique (OCDE, 2015[15]). Par exemple, le succès d’un projet de construction de logements planifié à grande échelle ne sera assuré que si les résidents sont en mesure de trouver des emplois corrects dans un temps de trajet raisonnable. En pratique, cela peut signifier que l’emplacement du complexe résidentiel doit être coordonné avec la modernisation des routes et la création d’une liaison de transport rapide par bus, traversant plusieurs municipalités pour atteindre le centre-ville. Par ailleurs, il peut être nécessaire de limiter les activités d’un site industriel dans une municipalité voisine pour ne pas dégrader la qualité de l’environnement au sein de la nouvelle zone résidentielle.
Dans la pratique, les municipalités coordonnent le plus souvent leurs politiques dans les domaines de l’occupation des sols et de l’aménagement urbain, de la politique de développement économique et de la planification des transports. Un manque de coordination peut créer des goulets d’étranglement et des dysfonctionnements (congestion accrue, longs trajets domicile-travail, schémas d’occupation des sols inefficaces) obérant la performance économique d’une zone métropolitaine. Ces effets négatifs s’aggravent au fur et à mesure que la fragmentation administrative augmente. Pour les pays de l’OCDE, les estimations montrent que les zones métropolitaines avec un haut degré de fragmentation ont des niveaux de productivité inférieurs de 6 % en moyenne (Ahrend et al., 2014[16]).
Une deuxième raison justifiant la nécessité d’une coordination entre les gouvernements locaux, au sein des zones métropolitaines, est la création d’économies d’échelle dans les prestations de services. De nombreux services publics fournis par les collectivités locales peuvent l’être à moindre coût lorsqu'ils sont opérés à une certaine échelle. Il peut être moins coûteux pour plusieurs collectivités locales de se regrouper pour gérer les déchets ou l’approvisionnement en eau, plutôt que de développer chacune leurs propres solutions. Travailler dans un cadre stable plutôt que sur une base ponctuelle peut faciliter l’établissement d’une telle coopération. De plus, ce type de coopération peut contribuer à améliorer la qualité de l’administration locale ; des administrations locales dotées d’une capacité administrative importante, peuvent offrir des services spécialisés aux petites administrations voisines qui n’ont pas la capacité de les assumer seules. Beaucoup de pays de l’OCDE utilisent de tels modèles de prestation de services administratifs asymétriques ; ce qui explique les différences de capacités administratives entre collectivités locales.
Une troisième raison justifiant une coordination entre les municipalités réside dans la nécessité d’éviter les politiques dites « du chacun-pour-soi » de la part des gouvernements locaux. Ce terme décrit des politiques ayant pour objectif d’avantager une collectivité locale aux dépens d’une autre. Par exemple, un gouvernement local peut éventuellement tenter d’assainir un bidonville sans offrir en contrepartie à ses habitants d’autres solutions de logement. Cette décision a pour conséquence le déplacement des occupants de ce bidonville vers d’autres parties de la zone métropolitaine sans en résoudre le problème, non seulement en portant préjudice aux habitants des bidonvilles affectés, mais aussi en créant des problèmes pour les collectivités vers lesquelles ils sont déplacés. Une coopération accrue des gouvernements locaux dans une région métropolitaine réduit la probabilité qu'ils s'engagent dans de telles politiques mutuellement préjudiciables.
Encadré 4.1. Comment définir les zones urbaines fonctionnelles
L’OCDE utilise le concept de zones urbaines fonctionnelles pour proposer une définition harmonisée des zones urbaines et donner une indication de l’échelle dans laquelle la gouvernance métropolitaine a le plus d’importance. Une zone urbaine fonctionnelle se compose d’un noyau urbain et d’une zone de flux pendulaires (OCDE, 2012[17]). Le noyau urbain est une zone bâtie de manière contiguë, ayant une densité de population d’au moins 1 500 habitants par kilomètre carré et une population d’au moins 50 000 habitants. La zone intéressée par les flux pendulaires réunit toutes les municipalités environnantes, à partir desquelles au moins 15 % de la population active se déplace quotidiennement vers le noyau urbain. Bien que ces seuils soient nécessairement arbitraires, ils fournissent une bonne approximation de l’étendue de la zone urbaine économiquement intégrée.
L’application de la définition nécessite des données sur les flux de migration pendulaires, qui ne sont pas disponibles dans de nombreux pays. Dans ces cas, il est possible d’effectuer une approximation de l’étendue de zones autour d’un noyau urbain, en se basant sur des distances de mobilité pendulaire types et sur la répartition de la population autour d’un noyau urbain (Moreno-Monroy, Schiavina et Veneri, 2021[18]).
Les modèles de gouvernance métropolitaine varient sensiblement
Il n'existe pas de dispositif unique de meilleure gouvernance pour assurer la coordination des politiques entre les gouvernements locaux et les autres niveaux de gouvernement. La solution la plus simple pour remédier à la fragmentation administrative consisterait à fusionner les collectivités locales en unités plus grandes correspondant mieux à l’empreinte réelle de la zone urbaine. Cette solution peut se révéler efficace dans certains cas. L’Afrique du Sud a instauré des gouvernements métropolitains dans six villes, en fusionnant une multitude de gouvernements locaux. Cette réorganisation s’inscrivait dans le cadre d’une réforme de décentralisation ayant pour ambition d’éliminer la ségrégation spatiale dans les villes, héritage de l’Apartheid (Pieterse, 2017[19]). Cependant, de telles réformes restent rares. L’expérience montre que de nombreux pays peinent à instaurer des gouvernements métropolitains unifiés efficaces, car les fusions se heurtent à la résistance des parties prenantes, notamment des politiciens, des administrations et de la population. Dans ces cas, il est essentiel de mettre sur pied des dispositifs institutionnels en mesure de coordonner les politiques en l’absence d’une autorité métropolitaine unifiée.
Lorsque les fusions de gouvernements locaux sont impossibles ou peu souhaitables, il faut trouver d’autres solutions. Normalement, ces solutions impliquent des accords de coordination portant sur un nombre limité de domaines politiques relevant des responsabilités des gouvernements nationaux, en particulier s’agissant de politique d’aménagement du territoire et de transport (Ahrend, Gamper et Schumann, 2014[20]). À l’échelle internationale, il existe un large éventail d’accords institutionnels assurant la coordination des politiques : organes de coordination « non contraignants » servant de forums d’échange entre décideurs locaux, ou encore autorités métropolitaines prenant en charge certaines fonctions des gouvernements locaux (OCDE, 2015[15]). Les structures décisionnelles de ces organes, leurs responsabilités juridiques et leur capacité fiscale et d’investissement varient sensiblement. Comme le montrent Haas et Wani (2019[21]), toutes les approches comportent des avantages et des inconvénients. Le bon choix d’un arrangement institutionnel est subordonné à une variété de facteurs, notamment les responsabilités des gouvernements locaux, leur capacité administrative, la taille de la zone métropolitaine et sa fragmentation en plusieurs collectivités territoriales.
L’une des caractéristiques les plus importantes des dispositifs régissant la gouvernance métropolitaine est la différence entre la coopération volontaire et la coopération obligatoire. La première s’appuie sur des mécanismes qui facilitent l’échange et la coopération entre les gouvernements locaux, mais qui ne les contraignent pas à trouver une position commune. Elle est efficace lorsque tous les acteurs manifestent de l’intérêt à travailler ensemble et a l’avantage d’être une forme de coopération souple permettant de s’adapter rapidement aux nouveaux enjeux. Toutefois, la coopération volontaire n'est pas efficace si les acteurs ne sont pas disposés à coopérer, en raison d'intérêts politiques ou personnels divergents. En outre, elle laisse toutes les responsabilités juridiques entre les mains des collectivités locales et ne contribue guère à surmonter les goulets d'étranglement en matière de capacité au sein des administrations locales. Dans les domaines de politique publique où les gouvernements locaux disposent d’une capacité administrative insuffisante, il peut être plus efficace de déléguer des responsabilités à une autorité métropolitaine dédiée. Une telle décision permet de renforcer la capacité administrative nécessaire pour exécuter des fonctions avancées – une planification d’infrastructure complexe, par exemple – plus facilement que ne le feraient les gouvernements locaux (voir l’OCDE (2015[15]) pour une réflexion approfondie sur la manière de structurer des mécanismes de coopération statutaires).
Au-delà de la multitude des approches et du large éventail d’avantages et d’inconvénients associés à chacune d’entre elles, l’expérience montre qu’un certain degré de coordination au niveau métropolitain est préférable. Des études portant sur les pays de l'OCDE ont montré que les zones métropolitaines dotées d’autorités responsables de la coordination de politiques affichent des niveaux d’étalement urbains plus faibles et que les résidents y sont plus satisfaits des systèmes de transports publics d’environ 12 points de pourcentage. Les avantages d’une meilleure coordination des politiques se traduisent également par des niveaux de productivité plus élevés car l’existence d’une autorité métropolitaine réduit d’environ 50 % la « pénalité de productivité » liée à la fragmentation administrative (OCDE, 2015[22]).
Encadré 4.2. La gouvernance métropolitaine à Lomé, Togo
À Lomé, capitale du Togo, l’application d’un certain nombre de mesures institutionnelles importantes a contribué au développement cohérent de la zone métropolitaine. Depuis 2010, plusieurs documents stratégiques ont été rédigés pour orienter les politiques publiques. La Stratégie de développement urbain du Grand Lomé à l’horizon 2030 présente une vision commune du développement de la zone métropolitaine. L’intention du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) du Grand Lomé est d’orienter le développement urbain et les investissements publics. Disposant d’un budget de 177 milliards XOF (soit environ 320 millions USD), ce plan vise à améliorer le drainage dans les quartiers sujets aux inondations, à élargir les routes et à revitaliser les quartiers centraux.
En 2019, Le District Autonome du Grand Lomé a été créé par le gouvernement national. Il s’agit d’un gouvernement métropolitain qui est responsable du territoire des 13 municipalités de la zone du Grand Lomé (Carte 4.2). Sa couverture s’étend sur une superficie de 425 kilomètres carrés, qui héberge environ 2.4 millions d’habitants. L’administration récemment instaurée est responsable de l’assainissement, de la protection de l’environnement, de la planification spatiale et urbaine, du développement économique, ainsi que la construction et de la gestion des écoles.
Pour financer ses opérations, le District Autonome du Grand Lomé peut prélever des impôts (notamment des impôts fonciers) et reçoit une part des recettes provenant d’autres droits et taxes. En outre, il a le pouvoir de contracter des emprunts pour financer des investissements. Le gouverneur du District Autonome du Grand Lomé, rang de ministre, participe aux réunions du Cabinet. Il ou elle est désigné(e) par le gouvernement national, tout comme la moitié des membres du conseil municipal. Seule l’autre moitié des membres du conseil municipal est désignée par les 13 municipalités qui relèvent de sa compétence. Si cet arrangement garantit un alignement politique étroit de l'autorité métropolitaine avec le gouvernement national, il limite sa responsabilité envers la population locale.
Source : République Togolaise (2019[24]), Loi No. 2019-018 du 15/11/19 Portant attributions et fonctionnement du District Autonome du Grand Lomé; Jeune Afrique (2016[25]), Togo : le ministre de l’Urbanisme veut améliorer les conditions de vie des habitants de Lomé, https://www.jeuneafrique.com/mag/363545/politique/togo-ministre-de-lurbanisme-veut-ameliorer-conditions-de-vie-habitants-de-lome/; French China (2013[26]), Togo : un schéma directeur pour faire du Grand-Lomé un pôle d' attraction en 2030, (http://french.china.org.cn/foreign/txt/2013-12/03/content_30776701.htm); District Autonome du Grand Lomé, https://dagl.tg/.
Planification stratégique pour le développement économique local
La planification stratégique est probablement l'activité la plus importante pour développer des politiques de développement économique local performantes. Des plans stratégiques efficaces sont garants d’une cohérence politique entre les départements des gouvernements et les parties prenantes externes, et ce dans la durée (ONU-Habitat, EcoPlan International, 2005[27]). Cependant, ce n'est pas seulement le plan lui-même qui compte. Le processus de planification est tout aussi important car il donne l’occasion de définir des objectifs communs, d’apprendre à connaître l’économie locale et de mettre en relation les parties prenantes. La présente section offre un bref aperçu de l‘importance que revêt la planification stratégique pour le développement économique local.
Le développement économique est le fruit des efforts que déploient une multitude d’acteurs, dont des entreprises privées, différents niveaux de gouvernement et divers départements au sein d’un même gouvernement, d’autres organisations publiques et semi-publiques telles que des universités et des bailleurs internationaux ainsi que la société civile. Nombre des efforts de ces acteurs se complètent, ce qui signifie que les actions d’un seul acteur optimisent les actions d’un autre. Inversement, l'inaction d'un acteur peut créer un goulot d'étranglement rendant une autre politique inefficace, même si elle est par ailleurs bien conçue. Les paquets de politiques publiques sont donc plus efficaces que des initiatives politiques individuelles (voir ci-après). La planification stratégique est un outil qui peut aider à formuler et à coordonner de tels ensembles.
Son objectif est de créer une compréhension commune de la situation présente, de définir des objectifs communs à toutes les parties prenantes et de prendre les dispositions nécessaires pour atteindre ces objectifs. Pour remplir ces fonctions, la planification stratégique doit être un processus collaboratif dans lequel toutes les parties prenantes sont représentées, plutôt qu’un processus descendant dans lequel un gouvernement local présente une stratégie sans donner aux autres parties prenantes la chance de l’influencer. Il est particulièrement important d’être à l’écoute de l'économie informelle dont les représentants sont souvent sous-représentés dans le processus décisionnel malgré la place importante qu’ils occupent dans les économies des villes africaines.
Encadré 4.3. Mise en œuvre et évaluation des politiques de développement économique local au Botswana
En 2010, le Botswana a lancé le Projet de planification et de mise en œuvre du développement économique local (projet DEL). L’objectif du projet était de créer un Cadre national de développement économique local et de mettre en place les institutions nécessaires, aux niveaux national et local, pour élaborer et mettre en œuvre les politiques régissant le DEL. Le projet couvrait huit dimensions, dont le développement des capacités, la création de lignes directrices pour orienter la planification du DEL et la mise en place de systèmes permettant de financer l’application des politiques du DEL et de coordonner l’action des parties prenantes aux niveaux national et local. Les éléments du projet ont été introduits à l’échelle nationale, mais les huit dimensions du projet n’ont été généralisées que dans quatre districts.
En 2018, les résultats du projet DEL dans les quatre districts pilotes ont été évalués (Ogwang, 2018[28]). Cette évaluation a conclu que les districts pilotes avaient pour la plupart bien progressé dans la mise en place de stratégies de développement économique local. Les deux principaux goulets d'étranglement étaient l’articulation des stratégies de développement économique local avec les processus administratifs existants et leur mise en œuvre.
L’évaluation a mis en exergue le besoin de lier le processus de planification au processus d’élaboration des politiques. Les stratégies de développement économique local les mieux conçues seront inefficaces si elles ne sont pas mises en œuvre. S’assurer que les stratégies de développement économique local sont bien appliquées doit être un aspect essentiel du processus de planification. Une implication potentielle de cet argument pourrait être qu’il est préférable de limiter le champ d’application d’une stratégie de développement économique local si, de cette façon, elle a plus de chances d’être appliquée.
Source : Ogwang (2018[28]), Local Economic Development Project Evaluation. Final Report.
L’éventail de politiques que doit couvrir la planification stratégique locale dépend des responsabilités des gouvernements locaux. Dans bien des cas, la planification de l’occupation des sols et le transport font partie des politiques les plus importantes que couvrent les plans stratégiques. Il n'est pas surprenant que la planification stratégique relève souvent de la responsabilité des autorités métropolitaines et serve d’outil de coordination des politiques entre les collectivités territoriales (OCDE, 2015[15]). Cependant, d’autres politiques (développement des compétences, cadres réglementaires) peuvent être tout aussi importantes.
Outre la coordination des politiques par différents acteurs, la planification stratégique permet de garantir la cohérence des politiques dans la durée. De nombreuses années peuvent s’écouler avant que les politiques publiques produisent leurs effets. Si une ville fait le choix stratégique d'encourager la croissance économique dans un secteur donné, elle peut investir dans des infrastructures spécifiques, développer de nouveaux programmes de formation en collaboration avec des collèges techniques, construire un parc industriel et s'engager dans une promotion ciblée pour attirer les investissements directs étrangers. De telles politiques ne peuvent être mises en œuvre en une seule fois, et les initiatives ponctuelles ont toutes les chances d'échouer. Un plan stratégique qui oriente les politiques sur une période d’au moins cinq à dix ans permet de garantir une cohérence des politiques, indispensable pour mener des politiques de développement local avancées.
Le recours à cette planification stratégique à long terme permet aux entreprises de se projeter dans le futur. Dans de nombreux cas, un environnement politique prévisible est l'un des facteurs les plus importants dans les décisions d'investissement des entreprises. Une entreprise sera plus encline à investir dans un nouveau siège régional, par exemple, si elle sait que l'emplacement choisi est relié à un réseau de transports publics qui se développera progressivement au fil des ans. Un plan stratégique efficace qui guide le développement des infrastructures sur de longues périodes peut apporter cette certitude. Il peut ainsi avoir des effets économiques positifs avant même que les premières mesures qu’il prévoit ne soient amorcées. Bien entendu, cet effet positif n'apparaît que si les entreprises ont confiance dans la réalisation des mesures prévues. La confiance du public dans la volonté des gouvernements locaux à adhérer à leurs propres plans est donc indispensable.
Encadré 4.4. Coordination des politiques avec des acteurs externes en dehors du processus de planification stratégique
Au-delà du processus de planification stratégique, les gouvernements locaux disposent d’un vaste ensemble d’options pour faciliter les mesures coordonnées par plusieurs acteurs. Dans certains cas, les gouvernements locaux peuvent recourir à des mesures incitatives pour garantir la coordination et la coopération entre les parties prenantes. Les approbations de financement ou réglementaires peuvent être subordonnées à la coopération de plusieurs acteurs entre eux. Par exemple, les gouvernements locaux ne peuvent investir dans des infrastructures qui profitent principalement à une entreprise industrielle que si celle-ci s’engage à coopérer avec un collègue technique voisin dans le cadre d’un programme de formation professionnelle. Néanmoins, et ce souvent, les gouvernements locaux comptent principalement sur leur pouvoir de convocation. Ils peuvent mettre en place des plateformes pour permettre aux acteurs de dialoguer (à l’instar de tables rondes d’entreprise), organiser des auditions et des consultations et utiliser leurs contacts et relations pour présenter les acteurs les uns aux autres. Il est important de noter que la coordination des politiques est un processus à double sens. Elle peut également impliquer que les gouvernements locaux ajustent leurs politiques pour être plus en phase avec d’autres acteurs. Dans bien des cas, les gouvernements locaux doivent consulter des parties prenantes lors de l’élaboration de politiques et ajuster leurs décisions en fonction des retours d’information recueillis lors du processus de consultation.
Les plans stratégiques ne sont efficaces que s’ils sont alignés sur les décisions de financement
Quel que soit le contexte, la planification stratégique et les décisions fiscales doivent être étroitement alignées, car la plupart des politiques ne peuvent être appliquées que si un financement suffisant est disponible (OCDE, 2019[3]). Les engagements non financés dans les plans stratégiques sont une raison majeure de leur échec. Il est donc essentiel que le processus de planification stratégique et le processus décisionnel budgétaire soient liés l’un à l’autre, dans le but d’aligner la planification stratégique sur les décisions de financement.
Les décisions financières étant toujours politiques, les plans stratégiques doivent refléter les priorités des principaux bailleurs de fonds. Si ce n’est pas le cas, il est peu probable que les décisions financières correspondent aux plans stratégiques. Il est important de garder à l'esprit que la planification stratégique ne vise pas à remplacer les décisions des gouvernements. La planification stratégique a plutôt pour objectif de trouver des solutions efficaces pour mettre en œuvre les priorités politiques des gouvernements et de les aligner sur les objectifs des autres parties prenantes.
L’auto-apprentissage améliore la qualité des politiques de développement économique local
La planification stratégique contribue également à une dimension, souvent sous-estimée, du processus d’élaboration des politiques : le processus d’apprentissage de ce qui est efficace. Bien que les décideurs locaux soient en général bien informés sur tout ce qui a trait à leurs villes, il est peu probable qu’ils possèdent toutes les connaissances requises leur permettant de préparer des stratégies de développement économique local efficaces. Ils peuvent ne pas avoir conscience de toutes les facettes de l’économie de leur ville, ni de toutes les opportunités et des conditions requises pour les exploiter. Les entrepreneurs ont tendance à avoir une meilleure connaissance de ces potentialités que les agents de la fonction publique ; mais même eux ne sont souvent pas au courant des nouvelles opportunités. Hausmann et Rodrik (2003[29]) affirment que les entrepreneurs sous-investissent dans l’apprentissage économique parce qu'ils ne récoltent qu'une fraction de la valeur de la découverte d'une nouvelle opportunité économique, alors que la majeure partie de cette valeur profite à la société.
L’importance que revêt le développement de la capacité administrative sur les politiques économiques donne au processus de planification stratégique une autre valeur qui va au-delà des plans qu’il produit. Le processus de planification est l’occasion pour les décideurs politiques d'apprendre à connaître l'économie locale. Les connaissances acquises à travers ce processus sont déterminantes pour bien d’autres décisions politiques autres que celles directement associées au plan stratégique. Aussi, les gouvernements locaux doivent tendre à produire des plans stratégiques en interne et faire appel le moins possible à une expertise extérieure. En externalisant la préparation des plans à des consultants, on renonce à bon nombre d’opportunités d’apprentissage.
Maximiser la valeur de l’apprentissage associé au processus de planification stratégique est une autre raison d’impliquer largement les parties prenantes externes, telles que les entreprises et les universités. Ceci aidera non seulement les responsables locaux à recueillir plus d’informations sur l’économie locale, mais créera également une opportunité d'apprentissage pour les parties prenantes. Cela peut par exemple donner à des entreprises la possibilité d’anticiper avec plus de précision les priorités politiques, d’en savoir plus au sujet de la recherche appliquée que mène une université de proximité ou de collaborer avec des entreprises d’autres secteurs. Chacune de ces activités peut déboucher sur de nouveaux partenariats ou des innovations dont la valeur commerciale renforcera l'économie locale.
Le contenu des politiques de développement économique local
Les politiques de développement économique local ont deux rôles majeurs. D’une part, la participation des gouvernements locaux est essentielle à la mise en œuvre des programmes nationaux de développement économique. Les administrations nationales ne disposent pas de la capacité suffisante pour piloter des programmes dans l’ensemble du pays ; elles doivent s’appuyer sur les collectivités locales pour concrétiser un grand nombre de mesures incluses dans les programmes nationaux. Par exemple, le niveau local peut être responsabilisé pour traiter des demandes d’aide ciblée à de petites entreprises. En raison du nombre potentiellement élevé de demandes, l’administration nationale serait rapidement surchargée si elle devait donner suite à toutes les demandes.
D’autre part, les gouvernements locaux doivent mettre en œuvre leurs propres politiques complémentaires de développement économique local. Si ces politiques doivent être en phase avec les politiques nationales, elles doivent aussi tenir compte des circonstances locales, notamment des compétences de la main-d’œuvre locale, de la disponibilité de l’infrastructure, des rôles et des responsabilités des différents niveaux de gouvernement ainsi que de leurs capacités administratives et fiscales.
En raison de cette complexité, il est impossible de définir des schémas directeurs standards de politiques de développement économique local susceptibles d’être adoptées partout. Plus les politiques répondent de près aux priorités nationales et aux opportunités et enjeux locaux spécifiques, plus elles ont de chances de réussir. La présente section présente cinq principes pouvant orienter ces politiques.
Les paquets de mesures politiques coordonnées sont plus efficaces que les mesures ponctuelles
Le développement économique nécessite des conditions favorables dans de nombreux domaines. De bonnes infrastructures, des institutions performantes, une main d’œuvre suffisamment qualifiée et un réservoir de clients et de fournisseurs sont autant de conditions essentielles. L'absence d'un seul de ces facteurs peut créer un goulet d'étranglement. Mais les gouvernements n'ont pas de solution miracle. Dans la plupart des cas, un investissement ponctuel dans l’un des facteurs n’aura que peu d’impact, car il subsistera des goulets d'étranglement dans d'autres dimensions. En d’autres termes, « de bonnes routes mais pas d’électricité ne rendent pas un territoire attrayant pour les investisseurs privés » (Duranton et Venables, 2018[30]).
Les politiques de développement économique local doivent donc être multidimensionnelles. Au lieu de prendre des mesures isolées, les responsables doivent adopter des paquets de politiques publiques coordonnées.
Un paquet est un ensemble de mesures dans plusieurs domaines de politiques publiques ayant un objectif commun. Prenons l’exemple d’un gouvernement local désireux d’attirer une industrie donnée dans un secteur spécifique. La première pourrait être d’attribuer des terrains où construire une nouvelle zone industrielle ; or, sans routes et sans d’électricité dans la zone concernée il est presque certain que le projet serait voué à l’échec. En outre, même un parc industriel correctement desservi ne peut attirer des entreprises que si d’autres conditions sont réunies pour accroître les chances de réussite du projet. Selon le contexte, les gouvernements peuvent éventuellement faire de la publicité pour cette zone industrielle auprès d’investisseurs internationaux ; ils peuvent instaurer un point de contact au sein de l’administration locale pour aider des sociétés à consulter les procédures administratives pour obtenir les permis nécessaires. Si le manque de main-d'œuvre qualifiée est un goulot d'étranglement, un gouvernement local pourrait organiser un programme de formation dans un collège professionnel, en collaboration avec les sociétés qui ont l’intention de s’installer dans le parc industriel.
Les paquets de politiques publiques coordonnées sont précieux car leur impact est susceptible d'être plus important que la somme des effets des mesures isolées. Mais le fait est que, dans la pratique, les politiques de développement économique local reposent sur des mesures isolées et non coordonnées. Cela s’explique en partie par les intérêts concurrents des politiciens et responsables locaux, qui rendent difficile l'adoption d'un ensemble commun d'objectifs politiques sur lesquels s’aligner. C’est aussi en partie parce qu’il est plus difficile dans la pratique d’élaborer des paquets de politiques publiques coordonnées que dans l’exemple simplifié présenté plus haut. Cependant, dans de nombreux cas, c’est l'absence de planification stratégique, telle qu'évoquée dans la section précédente, qui explique ces lacunes.
Contrairement à d’autres domaines, les gouvernements locaux dotés d’une capacité administrative plus faible ne sont pas nécessairement désavantagés pour ce qui concerne les paquets de politiques publiques coordonnées. Il est plus facile de coordonner des administrations de petite taille, dont les activités sont réduites, qu’une administration plus grande engagée dans une multitude de tâches complexes. En outre, la définition de priorités est essentiellement un acte politique, contrairement à la mise en œuvre des politiques.
Encadré 4.5. Les zones économiques spéciales en tant qu’outils pour des interventions politiques multidimensionnelles
Les zones économiques spéciales (ZES) sont un outil pour mettre en œuvre des paquets de politiques publiques coordonnées dans des zones géographiquement limitées. Ces dernières bénéficient de conditions juridiques économiques plus favorables que le reste du pays, disposent d’une infrastructure modernisée et sont gouvernées par une administration performante. Les ZES attirent des investissements et facilitent l’émergence de clusters économiques. Bien que particulièrement populaires en Asie, où plus de 4 000 d’entre elles ont été créées, des rapports de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED (2019[31]) font état de l’implantation de seulement 237 ZES en Afrique, principalement concentrées au Kenya, en Éthiopie et au Nigéria.
Bien que la législation cadre pour les ZES doive être établie par les gouvernements nationaux, une ZES peut être un instrument précieux pour les gouvernements locaux. En Chine, le pays qui utilise le plus de ZES, c’est le gouvernement national qui autorise les municipalités au niveau préfectoral à créer une ZES. Un gouvernement local désigne un comité administratif, qui gère la ZES en son nom, par exemple, en fournissant de l’infrastructure et en réglementant l’utilisation des terres. Ces ZES, gérées localement, ont largement contribué au développement économique au tout début de la transition économique de la Chine dans les années 1990, même si leur impact s’est affaibli au cours des décennies suivantes (Wang, 2013[32]).
La performance des ZES en Afrique est plus mitigée. Dans son analyse détaillée sur les ZES en Afrique, Farole (2011[33]) souligne un facteur de réussite qui revêt une importance particulière d’un point de vue infranational. De nombreuses ZES ont échoué parce qu'elles étaient situées loin des infrastructures existantes ou ciblaient des industries pour lesquelles la base de compétences nécessaire n'était pas disponible. Pour éviter ces lacunes, le lieu d’implantation des ZES doit être décidé non pas en fonction de considérations politiques mais de l’endroit où elles sont susceptibles de compléter les avantages économiques existants.
Encourager le développement économique local en valorisant les avantages concurrentiels des villes
Dans tous les pays, la répartition géographique de l’activité économique est un facteur important du développement des avantages concurrentiels. Toutefois, au niveau infranational, les avantages absolus jouent un rôle encore plus important. L’idée de l’avantage comparatif est un concept central du commerce international, pour la première fois décrit par Ricardo il y a plus de 200 ans (Ricardo, 2014[34]). Il implique que, pour développer une industrie prospère, un pays n’est pas nécessairement le producteur le plus efficace d'un produit donné. Son industrie doit être relativement plus efficace dans la production du produit (par rapport à la production d'autres produits) que l'industrie des autres pays. La distinction avec les avantages absolus est essentielle car on suppose que chaque pays dispose d’avantages comparatifs sur la base desquels il peut développer des industries.
Cela dit, le concept de l’avantage comparatif n’est pas facilement transposable au niveau infranational car le mécanisme d’ajustement des prix – essentiel dans les théories des avantages comparatifs – est imparfait à l’intérieur des frontières nationales. Les variations de taux de change et de salaires réels déterminent les ajustements de prix respectifs entre pays. En revanche, des régions d’un même pays partagent la même monnaie et souvent les salaires ne sont pas suffisamment flexibles pour compenser les faiblesses des régions en difficulté. Dans une telle situation, des avantages comparatifs ne sauraient émerger, de sorte que le manque d’attractivité de la capacité de production des villes peu développées est permanent (Duranton et Venables, 2018[30]). Ceci explique pourquoi, dans un même pays, certaines économies locales sont constamment déprimées, alors que d’autres sont florissantes.
Pour les responsables locaux, les politiques de développement économique local ne peuvent donc pas s’appuyer exclusivement sur les avantages comparatifs. Il est essentiel d’identifier et de valoriser les avantages concurrentiels absolus. Si souvent l’identification des avantages absolus des villes en plein essor (dont la main-d’œuvre est hautement qualifiée, par exemple) ne pose pas de problème, les avantages absolus des villes en difficulté ne sont pas aussi évidents, car ils ne sont généralement pas exploités. Ces avantages absolus cachés sont souvent spécifiques et ne peuvent être facilement reproduits par d’autres villes du même pays. Un emplacement stratégique sur un grand corridor commercial peut constituer un avantage absolu ; de même que des compétences de main-d'œuvre. Par exemple, il se peut que la population d’une ville donnée possède des compétences linguistiques qui facilitent les échanges commerciaux avec les pays limitrophes et permettent à la ville de servir de passerelle transnationale. Une centrale hydroélectrique générant une alimentation énergétique fiable peut constituer une autre source d’avantages absolus. Il en est de même pour la proximité de ressources naturelles, telles que des produits agricoles périssables, pour développer une industrie de transformation alimentaire. Des sites naturels remarquables peuvent également constituer un avantage absolu et soutenir un secteur touristique florissant (Encadré 4.6).
Encadré 4.6. La boîte à outils sud-africaine de planification du tourisme à l’intention des gouvernements locaux
L’industrie du tourisme est particulièrement tributaire des avantages absolus, car la plupart des touristes recherchent des expériences inédites que nulle autre partie du monde est en mesure de leur offrir. Le ministère du Tourisme sud-africain a publié un guide à l’intention des gouvernements locaux leur expliquant comment développer une industrie touristique (Department of Tourism, 2010[35]). Ce document décrit le rôle important des gouvernements locaux dans le développement du tourisme, et les encourage à davantage s’investir dans son expansion. En particulier dans la coordination des actions publiques et privées et la planification stratégique. Le document guide également les gouvernements locaux en matière de fourniture d’infrastructures, d’élaboration d’une stratégie de marque pour valoriser et promouvoir le territoire, ainsi que de gestion du capital naturel.
Source: Department of Tourism (2010[35]), The South African Tourism Planning Toolkit for Local Government, https://tkp.tourism.gov.za/Documents/Tourism%20Planning%20Toolkit%20for%20Local%20Government.pdf.
Les politiques doivent s'attacher à soutenir le bon type de spécialisation locale
Les économies africaines sont particulièrement dépendantes des activités extractives, ce qui les rend vulnérables aux chocs extérieurs et limite le potentiel de croissance à valeur ajoutée. C’est pourquoi l’Union africaine souligne l’importance de la diversification dans ses priorités stratégiques (AUDA-NEPAD, 2021[36]). Cette politique est étayée par des évidences montrant qu’à des niveaux de revenus faibles et moyens les pays dont les exportations sont plus diversifiées sont plus avancés (Cadot, Carrère et Strauss-Kahn, 2012[37]).
En revanche, au niveau infrarégional, les évidences empiriques suggèrent que la spécialisation locale est associée à une meilleure performance économique (Kemeny et Storper, 2014[38] ; Hidalgo, 2021[39]). Ceci est particulièrement vrai pour les villes moyennes qui n’ont la masse économique nécessaire pour soutenir une gamme diversifiée d’activités dans une multitude de clusters. Sans spécialisation, ces villes ne peuvent pas réaliser les économies de localisation qui découlent de la concentration d’un grand nombre d’entreprises œuvrant dans des activités de même type et situées à proximité les unes des autres. À l’inverse, les grandes villes sont plus à même de soutenir des secteurs multiples de taille suffisante et sont donc moins tributaires de la spécialisation.
Toutefois, toutes les formes de spécialisation locale ne sont pas avantageuses. Les villes spécialisées dans une seule activité économique, comme l'extraction de ressources, sont exposées à des chocs importants si la demande diminue. De plus, elles peinent souvent à se développer car l’activité économique dominante évince toutes les autres. Une forme extrême de ces spécialisations est ce que l’on appelle les « monovilles », organisées autour d’un unique employeur, comme une grande mine.2
Les spécialistes du développement régional préconisent généralement la spécialisation dans une gamme d’activités bénéficiant de leur proximité sans pour autant nécessairement dépendre exclusivement les unes des autres. Ainsi, un cluster d’entreprises produisant des emballages pour des aliments transformés peut bénéficier de la proximité d’un cluster de transformation alimentaire implanté dans la même ville, tout en ayant d’autres clients que ces entreprises. Une spécialisation à plusieurs niveaux d’une chaîne de valeur permet à une ville d’acquérir une plus grande part de la valeur ajoutée d’un secteur qu’une spécialisation dans une seule activité. En outre, la diversité des activités connexes permet à une ville de d’adapter plus facilement son économie aux aléas économiques.
Il est important que les villes établissent leurs propres profils économiques. En se concentrant sur les avantages concurrentiels spécifiques qui les distinguent des autres villes (voir ci-avant), elles peuvent éviter d’entrer en concurrence avec d’autres villes du même pays. Si différentes villes se spécialisent dans des activités différentes, la spécialisation locale peut contribuer à la diversification nationale. En fait, il est rare de trouver un pays « uniformément diversifié ». Les pays dont l’économie nationale est diversifiée sont généralement diversifiés parce que beaucoup de leurs villes ont des spécialisations distinctes.
Encadré 4.7. Les incubateurs d’entreprises en Afrique, hors Afrique du Nord
Les incubateurs d’entreprises sont des organisations qui aident les startups à relever les défis associés à la création d’une entreprise. En général, ils fournissent des bureaux et des services administratifs, tels que des services de secrétariat et comptabilité. Souvent, ils proposent également des formations sur les aspects essentiels de la gestion d’une entreprise et facilitent les liens avec les universités pour soutenir le développement de produits. Dans certains cas, les incubateurs fournissent également un financement initial de démarrage.
Au cours des dernières années, un nombre croissant d’incubateurs d’entreprises se sont installés en Afrique subsaharienne. En 2018, David-West, Umukoro et Onuoha (2018[40]) recensaient 196 incubateurs d’entreprises dans toute l’Afrique subsaharienne. Des preuves anecdotiques suggèrent que depuis le nombre d’incubateurs continue d’augmenter (Tibaingana, 2019[41]).
À l’échelle mondiale, les incubateurs d’entreprises sont principalement gérés par les gouvernements en tant qu’instruments de développement économique local. En Afrique, en revanche, la plupart des incubateurs d’entreprise sont gérés par des organismes privés. Seuls 6 % des incubateurs identifiés par David-West, Umukoro et Onuoha (2018[40]) sont des initiatives du secteur public, et environ deux-tiers sont gérés par le secteur privé. L'inconvénient de cette initiative privée, par ailleurs précieuse, est que la plupart des incubateurs se concentrent exclusivement sur la fourniture de bureaux. Moins de 10 % d’entre eux offrent aux startups d’autres formes de soutien que l’on rencontre fréquemment dans les incubateurs dans d’autres parties du monde. Pour faire des incubateurs existants des outils plus efficaces de développement économique local, les gouvernements locaux pourraient travailler avec les opérateurs privés d'incubateurs d'entreprises afin d'améliorer l'éventail de soutien offert aux jeunes entreprises. La forte augmentation des incubateurs d’entreprises administrés par des organismes privés indique à quel point la demande est importante.
Source : David-West, Umukoro et Onuoha (2018[40]), Platforms in Sub-Saharan Africa: startup models and the role of business incubation.
Les économies locales sont susceptibles de se développer grâce à la production de « variétés reliées »
De nombreuses politiques de développement économique local, en Chine, dans l’Union européenne et au Mexique, par exemple, encouragent l’émergence de ce que l’on appelle des « variétés reliées ». Ces activités économiques requièrent des capacités (en particulier en termes de connaissances) similaires à celles des activités économiques existantes (Asheim, Boschma et Cooke, 2011[42]). Un secteur économique a beaucoup plus de chances de s'étendre progressivement à des activités qui lui sont connexes que d'émerger dans un domaine totalement différent. Il est facile pour une entreprise de se diversifier en utilisant des méthodes de production existantes et sans recours important à l’innovation. A l’inverse, se lancer dans une activité totalement nouvelle nécessite d’acquérir des compétences, de constituer un nouveau réseau de fournisseurs et de consentir d'importants investissements en capital. Les entreprises ont souvent du mal à opérer de tels changements. C’est pourquoi, des politiques de développement économique local qui encouragent l’émergence de variétés reliées d’activités économiques ont plus de chances de réussir que les politiques qui tentent d’attirer des secteurs économiques totalement nouveaux.
Pour identifier des « variétés reliées » susceptibles de recueillir un soutien public, les gouvernements locaux peuvent recourir à l’approche d’auto-apprentissage décrite plus haut. Ils pourront – en concertation avec les entreprises, les universités et autres parties prenantes - identifier des potentiels susceptibles d’être valorisés en s’appuyant sur les structures économiques existantes. Ensemble, ils pourront définir des politiques, décider de mesures – relevant d’acteurs publics et privés – pour aider les entreprises à se lancer dans la production de ces « variétés reliées ».
Se focaliser sur les « variétés reliées » limite le champ des possibles des politiques de développement local. Une ville ou région faiblement développée peut avoir un nombre très limité de champs d’activité reliés dans lesquels son économie peut se développer. Pour que les villes puissent se développer rapidement, elles doivent se lancer dans des activités économiques sans rapport avec leurs activités actuelles. Cependant, comme cela est plus difficile à réaliser, les gouvernements locaux ont rarement les ressources et la capacité de gérer seuls une telle transition. Pour y parvenir, un effort concerté entre les gouvernements nationaux et les gouvernements locaux – impliquant une série de mesures politiques coordonnées – s’impose.
Encadré 4.8. « L’Espace Produit » des économies africaines
Les politiques de développement économique local, axées sur les variétés reliées, sont influencées par la théorie de la complexité économique et l’approche de l’ « Espace Produit » (Product Space en anglais) (Hidalgo, 2021[39]). Cette approche mesure la parenté des produits à partir de données qui permettent d’identifier le pourcentage de probabilité qu’ils proviennent de la même économie (Hidalgo et al., 2007[43]). Si deux produits sont généralement produits par la même économie, ils sont reliés l’un à l’autre. À l’inverse, si deux produits ne proviennent pas de la même économie, ils sont indépendants l’un de l’autre. L’approche « Espace Produit » permet également de mesurer le degré de diversification de l’économie locale. En combinant ce paramètre à une mesure rendant compte à quel point les produits fabriqués par l'économie locale sont « communs », il est possible d’obtenir une mesure de la complexité économique, directement associée au taux de croissance prévu de son Produit intérieur brut (PIB) (Hidalgo et Hausmann, 2009[44]). Plus la diversité et la rareté des produits fabriqués par une économie locale sont grandes, plus son économie est complexe et plus la croissance attendue de son PIB est élevée.
Par conséquent, la théorie de la complexité économique quantifie deux indicateurs de l’activité économique, essentiels à toute politique de développement économique local. La parenté mesure la probabilité qu’une activité économique soit bien établie dans une ville, alors que la complexité indique dans quelle mesure ladite activité économique contribuera au développement économique de la ville. Des chercheurs universitaires ont consacré beaucoup de temps et d’efforts à mesurer la complexité et la diversité de « l’Espace Produit » des villes, des régions et des pays. Ces travaux ont permis d’élaborer des méthodes cherchant à déterminer les gammes de produits les plus favorables à l’expansion des économies de production (CNUCED, 2015[45]). Cependant, ces approches demandent d’être étayées par des données détaillées, et l’applicabilité des résultats obtenus à un processus décisionnel concret doit encore être validée. À l’heure actuelle, les processus d'auto-apprentissage économique sont susceptibles de produire des solutions politiques plus efficaces que les approches quantitatives.
« L’Espace Produit » est une méthode de visualisation de la parenté des produits provenant d’une économie. Il s’agit d’une représentation en réseau de tous les produits fabriqués à l’échelle mondiale, où les produits qui proviennent généralement de la même économie sont reliés les uns aux autres. En superposant les produits provenant d’une économie sur l’univers mondial des produits, il est possible de visualiser le degré de diversification d’une économie et de montrer son potentiel d’expansion dans la production de produits reliés. L’exemple ci-après (Graphique 4.4) est une illustration de l’« Espace Produit » global. Chaque point représente une catégorie de produits, ceux qui sont principalement exportés par le Maroc apparaissant en couleur. Les deux classes de produits les plus communément exportés par le Maroc sont les textiles (en vert) et les produits agricoles (en jaune). Les catégories de produits qui sont couramment produites par le même pays sont reliées entre elles. En général, un pays a tendance à élargir ses activités dans la production de catégories de produits reliés à certaines des catégories de produits qu’il produit déjà.
Un grand nombre d’études ont porté sur « l’Espace Produit » des économies africaines ces dix dernières années, pour identifier les opportunités de diversification et de développement économique. En voici quelques exemples : Hidalgo (2011[47]), Abdon et Felipe (2011[48]), Ulimwengu et Badibanga (2012[49]), Hausmann et al. (2014[50]), Bam et De Bruyne (2018[51]), El-Haddad (2020[52]), Goldstein (2020[53]). La plupart d’entre elles confirment que l’agriculture et l’exploitation minière sont les deux principales catégories de produits. Lorsque des opportunités de diversification existent, elles ont tendance à être liées à ces deux secteurs. Et pourtant, dans la plupart des pays africains, « l‘Espace Produit » présente un faible niveau de complexité économique et les produits manufacturés ont tendance à ne pas être reliés, ce qui limite les possibilités de diversification fondées sur les capacités de production existantes.
En raison de l'ampleur des données requises, il n’existe aucune étude sur « l’Espace Produit » sur les villes africaines. Toutefois, il est probable que la complexité et la diversité des économies urbaines soient supérieures à celles des zones rurales. Balland et al. (2020[54]) démontrent qu'aux États-Unis, la complexité économique a été plus élevée dans les villes que dans les zones rurales au cours des 150 dernières années. Il est probable que la complexité et le potentiel de diversification des zones urbaines soient supérieurs à la moyenne nationale.
Les établissements d’études supérieures sont des moteurs essentiels du développement économique local
Outre les entreprises et les gouvernements, les universités et autres établissements d’études supérieures sont les acteurs externes les plus importants dans les processus de développement économique local. En contribuant à la formation d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, ils peuvent représenter une source importante d’innovation (Encadré 4.9). Toutefois cette influence vertueuse n’est pas automatique. Pour avoir un impact positif, les universités doivent transférer des compétences utiles à l’économie locale et mener des recherches en rapport avec les activités des entreprises locales. Ce point est crucial si l’on considère l’inadéquation des compétences en Afrique subsaharienne ; en particulier chez les jeunes travailleurs. D’après Bandara (2018[55]), seuls 10 % des jeunes possèdent des qualifications correspondant au travail qu’ils exercent, 55 % d’entre eux étant surqualifiés et 34 % n’ayant pas reçu une formation suffisante.
Encadré 4.9. Coopération à « triple hélice » émergente en Algérie
Depuis le début des années 2000, l’Algérie renforce les liens entre ses universités et ses entreprises. Les universités ont étudié la possibilité de collaborer avec les entreprises dans le cadre d'ateliers et de conférences et ont mis davantage l'accent sur l'enseignement des compétences entrepreneuriales. Traditionnellement, les universités algériennes n’ont jamais participé à de telles activités, ce qui constitue un changement de paradigme.
Ce processus a été impulsé par le gouvernement national. Bien que les établissements d’enseignement supérieur soient disséminés à travers le pays, ils agissent principalement au nom du gouvernement national et ne s’engagent que très rarement avec les acteurs locaux. Cette stratégie contraste avec celle des économies en développement et émergentes telles que l’Inde, l’Indonésie et la Malaisie, où les établissements d’enseignement supérieur agissent plus souvent au nom des gouvernements locaux et jouissent généralement d’une plus grande autonomie. Les universités algériennes coopèrent davantage avec les grandes sociétés qu’avec les petites et moyennes entreprises (PME), alors que ces dernières occupent une place prépondérante dans de nombreux contextes locaux.
Pour renforcer les liens entre les universités et les économies locales, les activités d'enseignement et de recherche doivent être davantage en phase avec les besoins des entreprises locales. Pour cela, il faut que les universités disposent d'une plus grande autonomie pour initier une coopération avec le secteur privé, et que les gouvernements locaux coordonnent davantage leurs actions.
Source : Saad, Zawdie et Malairaja (2008[56]), The triple helix strategy for universities in developing countries: the experiences in Malaysia and Algeria; Saad et al. (2010[57]), Mapping the diverse roles of universities in supporting innovation: Opportunities and challenges for Algeria, Indonesia, Malaysia and India; Baaziz (2019[58]), Towards a new paradigm of “coopetitiveness” in emerging countries: Case of the Algerian Entrepreneurial Ecosystems.
Valoriser les universités pour le développement économique local, tel est l’objectif du modèle « triple hélice » qui a vu le jour au milieu des années 1990 (Etzkowitz et Leydesdorff, 1995[59]). Les systèmes d’innovation classiques sont linéaires, les universités étant responsables de la recherche de base, commercialisée ensuite par les entreprises. Selon le modèle classique, les systèmes d’innovation sont nationaux, et les interactions entre les universités et les entreprises limitées. À l’inverse, le modèle triple hélice favorise les interactions continues entre les universités et les entreprises au niveau infranational. Les universités collaborent plus étroitement avec les entreprises et mènent des recherches ciblées sur les besoins de ces dernières. Parallèlement, elles s’impliquent davantage dans la commercialisation de leurs inventions et les subventions accordées par les entreprises locales viennent renflouer leurs ressources financières.
Les gouvernements locaux et régionaux servent d’intermédiaires entre les entreprises et les universités, favorisant une plus étroite collaboration entre ces deux entités. Ils offrent des incitations, octroient des subventions à la recherche et créent des postes universitaires dédiés au transfert de technologies. En outre, ils construisent et gèrent des infrastructures, telles que des incubateurs d’entreprises rattachés aux universités. Les gouvernements peuvent aussi recourir à des mesures coercitives pour imposer la coopération. Ces mesures peuvent consister à conditionner un financement à une coopération entre les universités et les entreprises ou à n'autoriser certaines activités commerciales que si elles incluent un volet recherche.
Alors que l’approche triple hélice a fait son chemin en Afrique du Nord (voir l'Encadré 4.9), elle reste rare en Afrique subsaharienne. D’après Saad et Zawdie (2011[60]), la mise en œuvre réussie du modèle triple hélice en Afrique subsaharienne est entravée par le manque général d’interactions entre les acteurs. Les intérêts des gouvernements étant bien trop éloignés des activités de recherche des universités, le rôle de ces dernières dans le développement économique est sous-estimé, et les entreprises préfèrent s'approvisionner en technologie et en services de conseil auprès d'acteurs étrangers plutôt que d'universités nationales. Un changement de paradigme, reconnaissant la valeur de telles interactions, s’impose. En outre, les gouvernements, les universités et les entreprises doivent mettre en place une capacité institutionnelle pour renforcer les liens nécessaires à de véritables collaborations.
Encadré 4.10. Le rôle de l’Université de Stanford dans la création de la Silicon Valley, 1940-60
La Silicon Valley en Californie est le pôle de compétitivité le plus célèbre au monde. Et pourtant, dans les années 1930, rien ne laissait entrevoir son importance à venir. La région abritait plusieurs sociétés d’électronique relativement insignifiantes, et l’Université de Stanford était une université de taille moyenne qui menait un programme de recherche en ingénierie électrique tout aussi insignifiant. L’histoire de son émergence démontre le rôle déterminant que peuvent jouer les universités dans le développement économique local.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’armée a largement financé l’Université de Stanford pour qu’elle intensifie son programme de recherche en électronique. Néanmoins, ce n’est pas l’apport de financements supplémentaires, mais une nouvelle forme de coopération entre l’université et les entreprises qui a joué un rôle crucial dans l’émergence de la Silicon Valley. Frederick Terman, doyen du département d’ingénierie et, par la suite, vice-recteur de l’Université de Stanford, disait de l’université et de l’industrie locale qu’elles formaient une « communauté d’intérêts » (Saxenian, 1978[61]). Il encourageait la faculté à « être sensible aux activités créatives des industries environnantes » (Saxenian, 1978[61]), allant jusqu’à utiliser ses contacts professionnels pour attirer de nouvelles sociétés dans la région. En retour, l’université a commencé à recevoir d’importantes donations et des contrats de recherche provenant de sociétés voisines, qui compensaient le déclin du financement public à la fin de la guerre de Corée et au début des années 1950. C’est à cette époque que fut créé le parc industriel de Stanford – l’un des premiers parcs industriels des États-Unis – sur un terrain voisin de l’Université. L’Université de Stanford en gérait scrupuleusement l’accès. Les baux immobiliers étaient accordés à des conditions financières très favorables, mais uniquement aux sociétés considérées comme étant profitables aux activités de l’université. En 1961, le parc industriel rassemblait 11 000 employés et son succès en a fait un modèle pour les générations suivantes d’incubateurs d’entreprises et de parcs industriels dans le monde entier.
Au fur et à mesure que le nombre de sociétés d’électronique augmentait autour de l’Université de Stanford, cette dernière formait de plus en plus de diplômés. Entre le début des années 1950 et le début des années 1960, le nombre de doctorats en génie électrique avait presque triplé, passant d’une moyenne de 13 à 37 par an. À la fin des années 1950, Stanford avait également mis en place un programme de cours du soir pour former les employés des sociétés locales après leur journée de travail. Ce programme était extrêmement précieux pour les petites et moyennes entreprises qui ne disposaient pas de ressources suffisantes pour instaurer leur propre programme de formation dans une industrie qui se caractérisait par la rapidité de son évolution technologique. En retour, Stanford utilisait l’accès à son programme comme un outil pour attirer plus de sociétés dans la région.
À la fin des années 1950, la région était déjà devenue le principal site de l'industrie de l'électronique et des semi-conducteurs. La disponibilité de travailleurs qualifiés dans le domaine du génie électrique dépassait celle de toutes les autres régions. Ce n’était pas uniquement l’Université de Stanford, mais tout le système d’enseignement supérieur de la région, y compris de nombreux collèges moins prestigieux, qui consacraient leurs efforts pédagogiques au secteur. Alors que le réseau de fournisseurs et de clients gagnait en complexité et que l’industrie du capital-risque naissait, les avantages à opérer dans la région augmentaient. À l’époque, les spin-offs d’entreprises établies prenaient de l’amplitude, renforçant davantage la dynamique positive des créations d’entreprises.
Les avantages d’une telle agglomération ont créé un cycle vertueux qui a perduré pendant plusieurs dizaines d’années. La région reste l’un des endroits les plus productifs au monde. Bien que l’Université de Stanford ne soit pas l’unique facteur de cette belle réussite, la Silicon Valley n’aurait pas existé sans le solide appui que l’université a apporté au développement économique local. C’est en se focalisant sur les liens université-industrie, jugeant le succès des entreprises alentour comme indispensable à son propre succès, que l’Université de Stanford a contribué à créer l’un des exemples les plus remarquables de développement économique local (Adams, 2009[62]).
Source : Adams (2009[62]), Follow the Money: Engineering at Stanford and UC Berkeley During the Rise of Silicon Valley, http://dx.doi.org/10.1007/s11024-009-9138-y; Saxenian (1978[61]), The Genesis of Silicon Valley.
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Notes
← 1. Le terme « déconcentration » décrit la distribution des pouvoirs aux administrations locales qui restent sous le contrôle du gouvernement central plutôt que sous celui de gouvernements élus à l’échelon local.
← 2. Le terme « monoville » est né des économies à planification centralisée de l’ex-Union soviétique, où les villes étaient construites autour d’un seul complexe industriel.