Partout dans le monde, les systèmes éducatifs s’attachent à améliorer leur niveau d’équité. Certaines caractéristiques individuelles des élèves, sur lesquelles ils n’ont aucune prise, comme la profession de leurs parents, la langue qu’ils parlent à la maison ou encore leur lieu de naissance, restent en effet d’importants facteurs prédictifs de leurs résultats scolaires. Des analyses basées sur les données de l’enquête PISA ont en outre montré à plusieurs reprises que si de nombreux élèves défavorisés réussissent à l’école, ceux issus de familles aisées tendent toutefois à obtenir de meilleurs résultats, et ce dans toutes les matières.
La pandémie de COVID-19 et les perturbations scolaires qu’elle a entraînées dans son sillage ont fait ressortir les inégalités des systèmes éducatifs. Les fermetures d’établissements ont ainsi pénalisé plus lourdement dans leurs apprentissages les élèves moins favorisés sur le plan socio-économique, ceux des zones rurales et ceux rencontrant des difficultés d’apprentissage. La pandémie a en outre illustré comment les élèves issus de milieux marginalisés peuvent, pour diverses raisons, perdre pied : ils ont en général un accès plus limité aux ressources d’apprentissage numériques à la maison, reçoivent souvent moins d’aide de la part de leurs parents, et peuvent tout simplement être moins motivés pour apprendre seuls. Fait plus méconnu encore, les élèves dont les enseignants sont parvenus à surmonter les bouleversements causés par les fermetures d’établissements ont eu des expériences d’apprentissage tout à fait différentes de celles de leurs pairs dont les professeurs se sont trouvés plus en difficulté.
Parmi toutes les variables sur lesquelles l’école peut jouer pour renforcer les compétences cognitives et socio-émotionnelles des élèves, la qualité des enseignants est de loin la plus importante. Les recherches montrent ainsi que les enfants obtiennent souvent des résultats scolaires très différents selon l’enseignant qui les prend en charge. Il semble donc que la répartition des enseignants chevronnés peut jouer un rôle crucial dans l’amélioration du niveau d’équité des systèmes éducatifs, et qu’une reprise réellement pérenne après la pandémie passe par l’affectation de ces enseignants auprès des élèves qui ont le plus souffert de la crise sanitaire.
La plupart des systèmes éducatifs tendent toutefois à compenser les désavantages socio-économiques par des mesures davantage axées sur la quantité que sur la qualité, celle-ci étant en général bien plus difficile à mesurer. Le plus souvent, les investissements en faveur des élèves défavorisés ciblent ainsi des indicateurs visibles et mesurables, comme la réduction des effectifs d’élèves en classe et/ou l’augmentation des taux d’encadrement. Mais malheureusement, quantité ne rime pas toujours avec qualité.
Ce rapport s’intéresse donc plus spécifiquement à la question de la qualité des enseignants. Il met en évidence la concentration des enseignants présentant certaines caractéristiques et pratiques dans certains types d’établissements, mais aussi les disparités d’accès des élèves aux enseignants chevronnés selon le milieu socio-économique dont ils sont issus. Il se propose de poursuivre les travaux antérieurs de l’OCDE sur l’équité en explorant un éventail plus large de caractéristiques et pratiques des enseignants et des établissements.
S’appuyant sur l’Enquête internationale de l’OCDE sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS) et les meilleurs résultats de recherche disponibles, il met au jour les caractéristiques et pratiques des enseignants associées à un enseignement efficace et une meilleure réussite chez les élèves. TALIS est la plus grande enquête internationale menée à intervalles réguliers auprès des enseignants et des chefs d’établissement sur leurs conditions de travail et les environnements d’apprentissage.
Les résultats de notre étude sont mitigés. Les inégalités de répartition sont évidentes pour certaines caractéristiques associées à un enseignement efficace, comme l’ancienneté des enseignants et le temps qu’ils consacrent à l’enseignement proprement dit. Le plus souvent, les enseignants expérimentés et ceux parvenant à maximiser leur temps d’enseignement sont ainsi surreprésentés dans les établissements favorisés sur le plan socio-économique. Un constat qui n’a rien d’anodin, puisque le niveau de compétences en compréhension de l’écrit des élèves défavorisés tend à être supérieur dans les systèmes éducatifs où la répartition des enseignants expérimentés est plus uniforme entre les établissements. En revanche, sur une note plus positive, la répartition des enseignants selon d’autres caractéristiques et pratiques également associées à un enseignement efficace, comme le contenu de leur formation initiale, leur sentiment d’efficacité personnelle, ou encore l’adoption de pratiques axées sur l’activation cognitive et la clarté de l’enseignement, est moins inégale.
Le rapport s’intéresse par ailleurs tout particulièrement à l’accès des élèves à l’apprentissage numérique à l’école. La pandémie a en effet accéléré l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), accentuant ce qui n’est que le début de la transformation numérique de l’éducation. La technologie peut certes améliorer l’enseignement et l’apprentissage, aider les élèves à élargir l’éventail de leurs compétences et renforcer l’équité. Mais lorsque l’infrastructure TIC est inadéquate ou que les enseignants ne sont pas à l’aise avec les outils numériques, elle peut au contraire creuser les inégalités. Sur ce plan, la pandémie nous rappelle avec force les défis que doivent relever les systèmes éducatifs pour lutter contre les inégalités en matière d’apprentissage numérique. Ce rapport, basé sur les données de TALIS 2018 (recueillies avant la pandémie) fournira, nous l’espérons, de précieuses indications sur la nature et l’ampleur des fractures numériques.
Il examine pour ce faire les types d’établissements (et d’élèves) les plus susceptibles de bénéficier des ressources nécessaires à un apprentissage numérique efficace. Il met ainsi en évidence la plus forte probabilité pour les établissements défavorisés sur le plan socio-économique et les établissements publics de voir leur offre d’un enseignement de qualité entravée par un accès insuffisant et/ou inadéquat à Internet et aux technologies numériques. Il pointe en outre la surreprésentation des enseignants ayant un sentiment d’efficacité personnelle élevé pour l’utilisation des TIC dans les établissements privés. Là encore, nous constatons un lien entre les modalités de répartition des enseignants et les résultats des élèves : les possibilités d’acquérir des compétences numériques sont ainsi plus équitables lorsque la répartition des enseignants ayant un sentiment d’efficacité personnelle élevé pour l’utilisation des TIC est plus uniforme entre les établissements.
En résumé, ce rapport semble indiquer que les enseignants efficaces ne travaillent pas nécessairement dans les établissements qui en ont le plus besoin et qu’il peut en résulter des inégalités socio-économiques dans les performances des élèves. D’où la nécessité de politiques visant à garantir une répartition plus équitable des enseignants. L’adéquation entre enseignants et besoins des établissements pourrait, par exemple, être améliorée dans la plupart des systèmes éducatifs. Mais bien sûr, ces aspirations sont toujours plus faciles à théoriser qu’à mettre en pratique. Il s’agit en effet de trouver la bonne formule d’action, qui tienne compte du contexte spécifique du système éducatif de chaque pays. L’affectation des enseignants touche à diverses questions, de l’autonomie des établissements en matière de personnel, aux préférences et incitations côté enseignants. Les critères et processus régissant le recrutement des enseignants et l’affectation des financements jouent, à l’évidence, un rôle central.
Une répartition plus équitable des enseignants permettrait d’améliorer les possibilités d’apprentissage des élèves les plus défavorisés. Et les bénéfices qui en découleraient en termes d’éducation sont incommensurables. Une plus grande équité, c’est la promesse d’une utilisation plus efficace des ressources, du développement des connaissances et compétences de tous les élèves, et pas seulement de quelques privilégiés, et d’un pas de plus vers la justice sociale – autant de composantes essentielles de notre cohésion et de notre développement économique et social, qui méritent donc de déployer tous les efforts nécessaires pour les réaliser.
Andreas Schleicher
Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences
Conseiller spécial du Secrétaire général de l’OCDE, chargé des politiques d’éducation