Ce chapitre propose des orientations pour l’évaluation de la pertinence et de l’adéquation des programmes existants de protection sociale au vu des risques et vulnérabilités mis au jour dans le Module 1. Il suggère une analyse en trois étapes, avec tout d’abord une évaluation du cadre institutionnel, politique et législatif dans lequel s’inscrit la protection sociale, puis une cartographie du système de protection sociale à l’aide d’un inventaire détaillé des programmes en place, et enfin, le recoupement des prestations existantes et de la demande en matière de protection sociale afin d’identifier les éventuelles lacunes de couverture.
Examen des systèmes de protection sociale
Chapitre 3. Évaluation de la couverture (Module 2)
Abstract
Dimensions analytiques
Le Module 2 passe en revue l’offre existante de protection sociale et évalue dans quelle mesure elle répond aux besoins actuels et à venir du pays. Il utilise pour ce faire une méthodologie en trois étapes : analyse du cadre institutionnel, politique et législatif dans lequel s’inscrit la protection sociale ; recensement des programmes existants ; et identification des lacunes du système au vu des facteurs de demande de protection sociale mis au jour dans le Module 1.
L’analyse du cadre législatif, institutionnel et politique de la protection sociale indique dans quelle mesure il existe un environnement propice à l’établissement d’un système de protection sociale. Idéalement, le pays disposerait d’une stratégie globale pour ce secteur, posant son engagement politique ferme à établir un système de protection sociale avant de se lancer dans le projet à long terme de sa réalisation. Un cadre législatif solide en matière de protection sociale – généralement fondé sur les droits individuels inscrits dans la Constitution – est en outre nécessaire à la mise en œuvre de ce type de stratégie.
Le recensement des instruments de protection sociale dans toute leur diversité s’avère souvent une tâche complexe. En l’absence d’un système bien défini, la mise en œuvre de la protection sociale est en général assurée par de multiples institutions gouvernementales, suivant divers impératifs législatifs et politiques, sans prise en compte des lacunes ou doublons éventuels entre les programmes. Les dispositifs évoluent à différents moments en réponse à différents besoins, avec un niveau minimum de coordination ou de partage des informations. Le gouvernement doit comprendre les caractéristiques essentielles de l’ensemble des programmes existants qui peuvent (ou vont) constituer la base d’un nouveau système de protection sociale.
Une fois cet exercice de recensement achevé, l’ESPS procède au recoupement de l’offre existante avec la demande de protection sociale mise au jour dans le Module 1. Ce faisant, il identifie les groupes bénéficiant d’une protection et ceux n’en bénéficiant pas, ainsi que le degré de couverture des différents risques. Fort de ces informations, le gouvernement peut alors décider de l’opportunité de réformer les programmes existants ou d’en introduire de nouveaux (voir l’Encadré 3.2 pour mieux comprendre la couverture dans le contexte de l’informalité à l’échelle des individus et des ménages).
Indicateurs et sources de données
Ce module nécessite un examen approfondi de documents législatifs et stratégiques, qui doivent être facilement accessibles. Il est essentiel de procéder à des consultations auprès des décideurs politiques et des responsables en charge de la conception et de la mise en œuvre de la protection sociale afin de s’assurer de l’inclusion de l’ensemble des documents requis dans l’examen et de comprendre les éventuelles discordances entre la mise en œuvre et le cadre législatif. Une évaluation de la disponibilité des données et des éventuelles lacunes en la matière est par ailleurs menée à cette étape, afin de s’assurer de la possibilité de réaliser une analyse complète (Encadré 3.1). Dans l’ensemble, les indicateurs de performance de la protection sociale peuvent être obtenus auprès d’institutions régionales, telles que la Banque asiatique de développement, mais aussi auprès d’institutions internationales, notamment l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Banque mondiale (Tableau 3.1).
Tableau 3.1. Principaux indicateurs et sources de données du Module 2
Indicateurs |
Sources potentielles de données |
---|---|
Cadre législatif |
Constitution, législation, politiques, réglementations |
Stratégie |
Gouvernement |
Dépenses |
Banque asiatique de développement (BAsD), Fonds monétaire international (FMI), Indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale |
Niveaux des prestations, objectifs, populations cibles |
Ministères, administration/agences en charge des programmes de protection sociale |
Performance globale du système |
Indice de protection sociale (BAsD), ASPIRE (Banque mondiale), Organisation internationale du travail (ILO) |
Méthodologie
Une première étape de l’évaluation de l’état actuel de l’offre de protection sociale consiste à analyser les politiques et stratégies y afférentes, ainsi que les réformes récentes et le cadre législatif de la protection sociale. Cette analyse approfondie inclura également des statistiques nationales et des données collectées par différentes organisations internationales afin de donner un aperçu de la performance du système et de permettre des comparaisons internationales avec les pays de référence identifiés dans le Module 1, par exemple sur le plan des dépenses globales (Graphique 3.1).
L’étape suivante consiste en un inventaire détaillé des programmes de protection sociale et de leurs caractéristiques pour chacun des piliers du système de protection sociale. Sont ici incluses les principales informations sur les programmes, telles que leur cadre législatif, leur type de transferts, leurs critères d’éligibilité, leur couverture, et l’agence ou l’institution en charge de leur mise en œuvre. Cet inventaire peut être inclus sous forme d’annexe au format présenté dans le Tableau 3.2.
Tableau 3.2. Inventaire des programmes de protection sociale
Exemple de format de présentation de l’inventaire des programmes de protection sociale du Module 2
Programme |
Type de transferts |
Critères d’éligibilité |
Couverture (population couverte, en nombre et en %) |
Ministère/agence responsable |
Cadre législatif |
---|---|---|---|---|---|
Il est ici important, chaque fois que possible, de faire la distinction entre les indicateurs de couverture de jure et de facto : la couverture de jure correspond à celle établie en vertu des dispositions législatives, réglementaires ou contractuelles, tandis que celle de facto correspond à la réalité des pratiques administratives. Les décalages entre ces deux types de couverture peuvent résulter de la non-application de la législation ou de la réglementation, ou encore de leur mauvaise application, que ce soit pour cause de corruption, de faible taux de sollicitation ou d’autres raisons.
Il est en outre intéressant de recueillir des données sur différentes années afin d’analyser les tendances de l’évolution des programmes de protection sociale. Au Kirghizistan, par exemple, l’analyse dans le temps de l’allocation mensuelle aux familles pauvres (AMFP) révèle une diminution du nombre de bénéficiaires, mais une augmentation du montant de l’allocation (Graphique 3.2).
La troisième étape consiste à évaluer la pertinence et l’adéquation de l’offre existante de protection sociale au vu des risques et vulnérabilités préalablement identifiés. Cette analyse permettra par exemple de déterminer si certains groupes vulnérables sont exclus de la protection sociale, si certains régimes de protection sociale ne correspondent pas au profil de risque et de vulnérabilité du pays, ou si l’affectation des ressources est optimale au sein du secteur de la protection sociale. Pour ce faire, il conviendra de croiser l’analyse avec les groupes vulnérables identifiés dans le Module 1.
Encadré 3.1. Disponibilité et lacunes des données
La disponibilité et les lacunes des données sont d’autres composantes couvertes par le Module 2. L’évaluation doit notamment fournir des informations sur les mécanismes d’identification utilisés au niveau opérationnel, par le biais de registres uniques ou sociaux par exemple. L’analyse doit identifier toute lacune du système d’information, en examinant notamment différentes dimensions, du type admissions et inscriptions, évaluation des besoins et conditions, décisions d’inscription, montant des prestations ou packs de prestations, et gestion dynamique des cas (suivi, règlement des différends, etc.). Il est essentiel d’évaluer le degré de partage des informations entre les différents ministères et agences en charge de l’administration des programmes de protection sociale, un élément pouvant s’avérer capital pour l’établissement ou le développement d’un système de protection sociale.
Par ailleurs, l’ESPS s’appuie souvent sur des micro-simulations et des statistiques descriptives, sur la base de données d’enquêtes auprès des ménages. Malheureusement, ces enquêtes peuvent ne pas inclure beaucoup d’informations sur les programmes de protection sociale (en particulier sur l’affiliation, les cotisations ou les prestations), et la collecte des données ne pas être aussi fréquente que nécessaire, offrant ainsi un tableau obsolète et incomplet du système de protection sociale. Il est important de contourner ces limites ; pour ce faire, on dispose de deux options :
1. Trouver d’autres données d’enquêtes susceptibles de fournir des informations sur les programmes de protection sociale. Il est par exemple important d’étudier les enquêtes Emploi ou les modules des enquêtes sur la démographie et la santé pouvant être pertinents pour l’ESPS. Au Cambodge, l’équipe de l’ESPS a travaillé en coordination avec le ministère de la Planification pour accéder à plusieurs vagues d’IDPoor – la base de données du registre social utilisée pour le ciblage et l’inscription des bénéficiaires du Heath Equity Fund (fonds de financement de la santé) – afin d’analyser la précision du ciblage, ainsi que les flux d’entrée et de sortie des ménages de la pauvreté. Au Kirghizistan, l’équipe a complété les données de l’Enquête kirghize intégrée auprès des ménages par des informations tirées de l’étude longitudinale « Life in Kyrgyzstan » (Vivre au Kirghizistan).
2. Modéliser, chaque fois que possible, les informations manquantes, par exemple en simulant une procédure d’évaluation des ressources ou en imputant des données. En Indonésie, l’enquête Survei Sosial Ekonomi Nasional (SUSENAS) ne rendait pas correctement compte des inscriptions des ménages au programme « Keluarga Harapan » (PKH) (programme de transferts conditionnels en espèces), sous-estimant ainsi de moitié environ sa couverture. On a donc effectué une régression probit, avec la réception de l’allocation comme variable dépendante et une série de facteurs déterminant cette réception comme prédicteurs. Les facteurs déterminants, notamment les caractéristiques des ménages, la réception d’autres allocations, et différentes variables démographiques et économiques, ont été sélectionnés afin de maximiser le pouvoir explicatif et la qualité de l’ajustement de la régression. Un seuil de probabilité au-delà duquel les ménages sont supposés bénéficier du PKH a ensuite été choisi et calibré afin d’atteindre le nombre total de bénéficiaires communiqué par le gouvernement. Pour encore plus de fiabilité, on a ensuite comparé le taux de pauvreté (classique, mais aussi extrême et alimentaire) parmi les ménages bénéficiant effectivement de l’allocation et ceux identifiés sur la base de la régression probit.
Encadré 3.2. Comprendre les dynamiques de l’informalité : la base de données KIIbIH
La base de données des Indicateurs clés de l’informalité à l’échelle des individus et des ménages (Key Indicators of Informality based on Individuals and their Household [KIIbIH]) s’appuie sur les enquêtes auprès des ménages de 27 pays afin de proposer des indicateurs comparables et des données harmonisées sur l’emploi informel à l’échelle des individus et des ménages dans différents pays.
En ciblant à la fois les individus et leur ménage, et en couvrant un large éventail de dimensions de l’économie informelle, telles que l’emploi, les caractéristiques démographiques, la vulnérabilité et la protection sociale, cette base de données saisit bien l’hétérogénéité des travailleurs de l’économie informelle et tient compte de leur contexte au sens plus large, permettant ainsi un suivi complet.
Contrairement à d’autres statistiques harmonisées et accessibles au public sur l’informalité, la base de données KIIbIH ne se fonde pas sur des enquêtes Emploi. Ce faisant, elle a une portée plus vaste et fournit un éventail bien plus large d’informations concernant les ménages des travailleurs et leur situation sur le plan socio-démographique et économique. Elle donne ainsi des indications sur le degré d’informalité, permettant la classification des ménages en trois catégories : totalement informels ; totalement formels ; ou mixtes. Elle permet donc le suivi de la façon dont la vulnérabilité des travailleurs de l’économie informelle se transfère à d’autres segments de la population, et vient enrichir l’analyse et la compréhension des différents canaux à travers lesquels la protection sociale peut atteindre les travailleurs informels.
Dans l’ensemble, cette base de données fournit aux décideurs politiques des informations utiles pour la conception et l’évaluation de leur système de protection sociale. Elle facilite par exemple l’estimation du nombre d’individus susceptibles de bénéficier de programmes d’assurance sociale en tant que personne à charge d’un ménage comprenant au moins un travailleur du secteur formel. Ces informations peuvent être encore ventilées pour identifier le nombre d’enfants, d’adultes en âge de travailler et/ou de personnes âgées vivant dans chaque type de ménage. La base de données fournit en outre des informations détaillées sur la consommation des ménages et la composition des revenus, qui constituent une base utile pour l’évaluation de la capacité contributive des différents types de ménages et l’identification des profils de travailleurs susceptibles d’être en mesure de cotiser, en fonction de leur localisation, de la composition de leur ménage, ainsi que du type et du secteur de leur emploi.
Référence
BAsD (2013), Indice de protection sociale, Banque asiatique de développement, Manille, http://hdl.handle.net/11540/79. [2]
CNS (2015), Enquête kirghize intégrée auprès des ménages (base de données), Comité national de statistique de la République kirghize, Bichkek, http://stat.kg/en (consulté le 1er juin 2017). [3]
OCDE (2018), Social Protection System Review of Kyrgyzstan, OECD Development Pathways, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264302273-en. [1]