Alors que les pays redoublent d'efforts pour lutter contre la dégradation de l'environnement, la pollution et le changement climatique, le concept de justice environnementale peut nous éclairer sur la manière de garantir l'équité dans les processus d'élaboration des politiques environnementales et leurs résultats. Ce rapport explore la pluralité du concept de justice environnementale, examine ses piliers conceptuels sous-jacents et retrace la manière dont il a émergé dans différents contextes à travers le monde. S’appuyant sur les réponses reçues à l’enquête menée par l’OCDE sur la justice environnementale ainsi que sur les résultats d’analyses documentaires complémentaires conduites sur un éventail plus large de pays, il dresse également le premier état des lieux de la façon dont les pays de la zone OCDE et au-delà s’efforcent de répondre aux préoccupations de justice environnementale.
Bien qu'il n'existe pas de définition universelle du concept, la justice environnementale cherche à remédier à toute une série de problématiques récurrentes qui touchent certains groupes et certaines communautés. Son champ d’action s’étend en particulier aux inégalités d’exposition aux risques environnementaux, avec les effets néfastes sur la santé qui en découlent, aux inégalités dans l’accès aux aménagements environnementaux et aux préoccupations entourant la répartition des effets des politiques environnementales. Ces préoccupations peuvent se voir exacerbées par l'absence de participation véritable et de voies de recours judiciaire pour les communautés touchées.
L'évolution et le mode d’expression des mouvements de justice environnementale sont profondément ancrées dans leurs contextes historiques et régionaux. Bien souvent, l’attention portée au sujet de la justice environnementale l’a été sous l’impulsion de mouvements populaires, comme ce fut le cas aux États-Unis, par exemple, avec les manifestations organisées contre le déversement illégal de déchets toxiques dans des quartiers à prédominance afro-américaine et à bas revenus. Par ailleurs, des approches descendantes se sont également déployées en Europe et en Amérique latine avec la mise en place d'instruments internationaux tels que, par exemple, la Convention d'Aarhus et l'Accord d'Escazú, qui ont fait de l'accès à l'information, à la participation et à la justice des « droits d'accès ». Le mouvement pour la justice environnementale en Afrique du Sud est né à la fin des années 1980 dans le contexte plus large des luttes pour la démocratie qu’a connu le pays. Ailleurs en Afrique, les préoccupations autour de l'impact des industries extractives et des déchets électroniques sur la santé et l'environnement ont été les principaux catalyseurs du mouvement. Le concept est moins courant dans la région Asie-Pacifique, bien que la Corée du Sud mettre explicitement l'accent sur le sujet de la justice environnementale dans sa politique de l’environnement. En Nouvelle-Zélande, l'approche culturellement éclairée de l’action publique reconnaît les impacts disparates de la politique environnementale et climatique sur les populations indigènes.
La recherche documentant les expositions disproportionnées aux risques naturels et anthropiques attestent du caractère persistant de ces préoccupations. Les exemples abondent, qu'il s'agisse de populations immigrées installées dans des régions industrielles et supportant des charges environnementales plus lourdes ou de communautés autochtones souffrant de manière disproportionnée de la pollution atmosphérique causée par des incendies de forêt de plus en plus fréquents du fait du changement climatique. La qualité disparate de l'environnement, aggravée par des voies d'exposition négligées et une capacité d'adaptation inégale, peut amplifier les inégalités existantes en matière de santé à l'intersection de l’origine raciale, du genre et des caractéristiques socio-économiques. Une exposition plus importante aux risques environnementaux peut encore accroître la vulnérabilité et entraîner des effets sanitaires différenciés. De même, les aménagements environnementaux telles que les espaces verts et l'eau potable sont aussi inégalement accessibles. Par ailleurs, la littérature sur la justice environnementale élargit aujourd’hui progressivement son champ d’investigation en prenant en compte les accès différenciés à un ensemble plus large d’aménagements environnementaux, comme par exemple l'infrastructure de recharge des véhicules électriques.
Les inégalités d'exposition aux risques environnementaux reposent sur des dynamiques complexes qui varient dans l'espace et dans le temps. On trouve par exemple des cas de décisions d'implantation d’entreprises motivées par des considérations raciales, expliquées par le risque moindre de rencontrer une résistance de la part de la communauté concernée, mais les choix de localisation peuvent aussi être arrêtés sur la base de critères de coûts, sans intention discriminatoire. Au fil du temps, la proximité d’installations et de risques peut faire baisser le coût du logement, incitant les ménages défavorisés sur le plan socio-économique à résider dans les zones environnantes.
Les coûts et les bénéfices des politiques environnementales sont aussi distribués sur le plan socio-spatial au travers de canaux tels que les effets sur les marchés du travail et le revenu. Les politiques environnementales peuvent inciter les entreprises à remplacer le travail par des technologies (génératrices d’économies de main-d’œuvre), ce qui défavorise de manière disproportionnée les travailleurs peu rémunérés dont les compétences sont moins transférables. Les protestations contre l’impact des coûts de la politique environnementale dans le contexte des crises interdépendantes que créent les turbulences sur les marchés de l’énergie et les tensions géopolitiques témoignent de l'importance d'une prise en compte adéquate de la répartition de ses effets pour mobiliser et conserver le soutien du public en faveur de mesures environnementales ambitieuses.
L'enquête menée par l'OCDE montre que le terme « justice environnementale » n'est pas d’usage courant dans les administrations nationales, malgré l'omniprésence des considérations d'équité dans les politiques de l’environnement. Du concept de « racisme environnemental » au Canada à celui d'« inégalité environnementale » en France, des termes différents sont souvent utilisés pour désigner en définitive un ensemble similaire de questions. Si l'utilisation explicite du terme révèle une approche plus directe pour répondre aux préoccupations persistantes et historiquement marquantes de justice environnementale, les pays qui n'utilisent pas ce terme les abordent souvent néanmoins indirectement par d'autres moyens.
Les pays déploient des approches différentes pour promouvoir la justice environnementale. Les approches directes de la justice environnementale peuvent s’appuyer sur des décrets ou des lois (États-Unis et Corée du Sud), la règle du précédent judiciaire (Colombie) ou encore des politiques et initiatives (Allemagne). Quant aux approches indirectes, elles fondent souvent la justice environnementale sur la garantie de droits tels que celui de jouir d'un environnement sain (Croatie) ou la fourniture d'une protection supplémentaire aux groupes vulnérables par des lois antidiscriminatoires ou la mise en œuvre d'évaluations d'impact détaillées (Royaume-Uni). Ces approches peuvent être cumulatives ; des mesures plus ciblées peuvent s'appuyer sur des approches fondées sur les droits. Toutefois, l'analyse montre que les pays qui ont fait le choix d’approches purement fondées sur les droits abordent les questions de fond de la justice environnementale de manière moins détaillée que ceux ayant adopté des mesures plus ciblées.
La réduction des obstacles à la participation à la prise de décision en matière environnementale fait l'objet d'une large attention. Bien que les approches mises en œuvre dans les faits soient souvent orientées « grand public », des pratiques d’engagement ciblé et adapté émergent. Au Costa Rica, par exemple, des représentants des communautés sont impliqués en tant que « médiateurs culturels » pour faciliter les consultations des populations autochtones ; et au Chili, des ateliers sont organisés avec les enfants afin de mieux comprendre et répondre à leurs besoins spécifiques. Les pays vont par ailleurs au-delà de la simple mise à disposition de l’information environnementale, ils développent également des moyens adaptés au niveau local de la diffuser de manière active.
Parallèlement, la prise en compte des impacts disproportionnés des politiques environnementales semble souffrir d’une négligence relative et de plus en plus critique dans tous les pays. Bien que les pays prennent en compte la répartition des effets des politiques environnementales, l'accent tend à être mis sur des niveaux relativement agrégés, tels que les impacts sectoriels des mesures climatiques. Ceci souligne l’intérêt de l'application d’un prisme de justice environnementale à l'analyse des effets différenciés des politiques, afin d'identifier et de traiter les incidences moins visibles et les vulnérabilités distinctes.
Des défis communs sous-tendent la nécessité de s'attaquer aux disparités environnementales persistantes tout en mettant en œuvre des mesures pour la transition vers des économies plus durables du point de vue de l'environnement. La plupart des pays sont confrontés à des contraintes sur le plan des données et de leurs capacités administratives et financières pour concevoir des mesures efficaces de protection des communautés vulnérables. Par exemple, le manque de données suffisamment granulaires peut entraver les analyses et dissimuler l'ampleur véritable de l'exposition aux risques environnementaux ou de leurs effets néfastes sur la santé.
La diversité des approches et des solutions mises en œuvre pour promouvoir la justice environnementale suggère que l'apprentissage mutuel peut être précieux pour faire avancer les choses. Plusieurs approches, y compris des outils et des méthodologies de détection, sont développées dans différentes juridictions pour prendre en compte les multiples facettes de la vulnérabilité. Par exemple, les orientations en matière d'évaluation d'impact pourraient être élargies ou les données préexistantes des indicateurs de qualité de l'environnement, géographiques et socio-économiques pourraient être superposées. Des signes d'influence mutuelle sont d’ores et déjà observés, comme le montre par exemple la reprise dans une décision judiciaire colombienne de la définition adoptée par l'Agence américaine pour la protection de l'environnement. À l’heure où les pays sont confrontés à l'objectif fédérateur et impérieux de relever les défis environnementaux, une approche comparative et le partage des meilleures pratiques ont le potentiel d’aider à mieux combler les déficits de connaissances.