Le présent chapitre étudie ce qui fait le bien-fondé de la formation en alternance. Il cherche à montrer quels avantages universels sont attachés à l’initiation pratique en entreprise qui caractérise l’alternance, et révèle l’extrême diversité de ses formules d’un pays à un autre. On y met en évidence des éléments concourant dans une mesure importante à acclimater l’alternance à la situation qui prévaut dans tel ou tel pays, tel ou tel secteur ou telle ou telle profession, à savoir la vigueur du partenariat social, la nature de la concurrence avec les autres cursus et le cadre réglementaire régissant l’accès aux professions. Sont décrits par ailleurs les aménagements permettant d’adapter les dispositifs aux différents contextes ci-dessus. Enfin, l’on s’intéresse aux coûts et aux avantages de l’alternance, à la manière dont ils peuvent être modulés pour séduire employeurs et alternants potentiels et aux outils méthodologiques qui rendent possible leur évaluation pour aider à définir la politique à suivre.
L'apprentissage et l'alternance en sept questions
Chapitre 1. L’alternance est-elle une option avantageuse dans tout pays ?
Abstract
Les données statistiques concernant Israël sont fournies par et sous la responsabilité des autorités israéliennes compétentes. L’utilisation de ces données par l’OCDE est sans préjudice du statut des hauteurs du Golan, de Jérusalem Est et des colonies de peuplement israéliennes en Cisjordanie aux termes du droit international.
Problématiques et défis
L’alternance, une formation qualifiante qui a ses avantages propres
L’alternance contribue à rendre les formations proposées par le système d’éducation et de formation professionnelles (EFP) plus conformes aux attentes du marché du travail, le nombre d’alternants que les entreprises sont disposées à accueillir signalant assez nettement l’ampleur des besoins de personnel dans une profession donnée. Elle met à profit, d’autre part, l’environnement si propice à l’acquisition de connaissances qu’offre le milieu professionnel. Les alternants peuvent en effet se former au contact de salariés rompus à l’utilisation d’équipements de pointe et maîtrisant les techniques les plus modernes. Les compétences non techniques, ou compétences comportementales, d’une importance considérable dans de nombreuses professions, s’acquièrent elles aussi bien mieux sur le terrain que dans une salle de classe ou dans un environnement factice (OCDE, 2010[1]). Du point de vue des alternants, ce qui fait l’attrait de la formation en alternance, c’est la possibilité d’accroître ses compétences en conditions réelles, d’apprendre un métier et de préparer sa carrière professionnelle.
Le recours à l’alternance est très inégal d’un pays à l’autre
La formation en alternance est dans certains pays une voie d’accès bien connue à l’emploi qualifié tandis qu’elle a un caractère plus confidentiel dans d’autres, où les employeurs lui préfèrent d’autres moyens de former leurs salariés ou d’en développer les compétences. Le graphique 1.1 permet de visualiser les différences qui existent au niveau des inscriptions en alternance dans le cas de formations du deuxième cycle du secondaire et post‑secondaires de cycle court sanctionnées par un diplôme.
Le potentiel de l’alternance est souvent sous-exploité vis-à-vis des emplois de demain
Dans l’imaginaire collectif, l’alternant se prépare généralement à exercer un métier qualifié de l’artisanat ou de l’industrie, dans le secteur du bâtiment ou des activités manufacturières par exemple. Cette image correspond trait pour trait à ce que l’on peut observer dans bon nombre de pays, où la plupart des alternants se forment à des professions relevant des deux secteurs susmentionnés, à moins qu’ils ne se préparent au métier d’ingénieur. C’est ainsi qu’aux États‑Unis, la moitié environ des contrats d’alternance sont conclus dans le secteur du bâtiment et un quart dans celui de la défense (DOL, 2018[3]). Or du fait qu’elle se cantonne à ces métiers qualifiés de l’artisanat ou de l’industrie, la formation en alternance ne couvre qu’une part restreinte du marché du travail. Depuis quelques décennies, les pays de l’OCDE assistent à un déplacement de l’emploi depuis les activités manufacturières vers les activités de services, lesquelles représentent aujourd’hui en moyenne plus des deux tiers de l’emploi total (OCDE, 2017[4]). Limiter l’alternance aux « secteurs traditionnels » revient à priver de ses avantages potentiels des pans de l’économie qui concentreront demain l’essentiel des emplois.
Les pays dotés d’un système de formation en alternance de grande envergure l’ont étendu à des professions étrangères à l’artisanat et à l’industrie. En Australie, il se conclut désormais davantage de contrats d’alternance en-dehors de ces secteurs qu’en leur sein. En Suisse, les trois principaux domaines de formation en alternance sont le commerce et l’administration, la vente en gros et au détail, la construction et le génie civil (Office fédéral de la statistique (OFS), 2018[5]), tandis qu’en Allemagne, ce sont la gestion et la vente au détail qui arrivent en tête (BIBB, 2017[6]). En Autriche, les emplois de bureau, du commerce et de la finance forment le deuxième groupe de professions concernées par l’alternance, talonnant les constructions mécaniques et la métallurgie pour le nombre de personnes en cours de formation (Wirtschaftskammer Österreich (WKO) , 2018[7]). Au Royaume-Uni, il est possible de suivre en alternance une formation de conseiller dans la fonction publique (GOV.UK, 2016[8]).
La primauté des métiers traditionnels est un frein à la formation des femmes en entreprise
Les métiers qualifiés de l’industrie et l’artisanat sont souvent perçus comme des métiers « masculins » où l’élément féminin n’a guère sa place. Il s’ensuit que les femmes qui préparent un diplôme professionnel le font, pour la majorité d’entre elles, dans un cadre exclusivement scolaire, sans pouvoir profiter des bienfaits de l’alternance. Ainsi, aux États‑Unis, elles ne représentent qu’un cinquième des alternants (DOL, 2018[3]). En Irlande, les formations en alternance étaient de même essentiellement axées sur les métiers du bâtiment jusqu’aux réformes introduites récemment. En 2004, les femmes représentaient moins de 1 % des nouveaux alternants, mais constituaient les trois quarts des effectifs de l’EFP scolaire (Watson, McCoy et Gorby, 2006[9]). L’un des moyens d’introduire plus de mixité dans les filières « traditionnelles » de formation en alternance consiste à encourager les femmes à opter pour un métier réputé être un métier d’homme. Divers pays ont pris des dispositions en ce sens, mais hommes et femmes continuent de faire des choix professionnels très différents. Cela donne à penser que, pour parvenir à davantage d’égalité entre les sexes, il faut aussi mettre en place des programmes de formation en alternance dans les domaines qui suscitent de nombreuses vocations féminines.
Les observations faites au niveau international montrent que la formation en alternance peut trouver sa place dans des domaines non traditionnels
Depuis quelques décennies, de nombreux pays cherchent à implanter l’alternance dans de nouveaux secteurs, ayant bien conscience qu’elle peut donner accès à un large éventail d’emplois qualifiés. L’Australie a ainsi mis en place des formations en alternance en dehors de l’artisanat et de l’industrie1, à partir des années 1980, qui accueillent aujourd’hui la majorité des alternants (Hargreaves, Stanwick et Skujins, 2017[10]). En Angleterre (Royaume-Uni) et en Irlande, les métiers quaifiés de l’industrie et de l’artisanat prédominent encore, mais la formation en alternance connaît une forte progression dans le secteur des services depuis les années 1990 en Angleterre (Lanning, 2011[11]), tandis que l’Irlande a mis en place des programmes de formation dans ce même secteur ainsi que dans celui du commerce au lendemain de la crise économique (Condon et Mcnaboe, 2016[12]).
Il existe maintes manières d’organiser les formations en alternance
Les modalités de la formation en alternance, définies en droit par des accords auxquels sont associés les employeurs et parfois les représentants syndicaux et consacrées par l’usage, ne sont pas identiques d’un pays à un autre. Les plages de formation en entreprise et de formation en école, par exemple, ne se succèdent pas avec la même périodicité : en Allemagne, en Autriche et en Suisse, les alternants passent de l’une à l’autre au cours de la semaine ; en Irlande chaque séquence s’étend sur plusieurs semaines ; en Norvège, deux années de formation en école sont suivies de deux années en immersion professionnelle. La rémunération des alternants elle aussi varie considérablement, représentant une infime fraction du salaire d’un travailleur qualifié dans certains pays quand elle sera autrement élevée ailleurs (tableau 3.1, chapitre 3). Le statut des alternants n’est pas non plus homogène : en Allemagne, en Norvège et en Suisse, il est régi par un contrat spécial dont la rupture met un terme à la relation d’emploi alors qu’en Angleterre (Royaume-Uni), l’alternant, considéré comme un salarié à part entière, signe un accord de formation qui vient s’ajouter à un contrat de travail classique.
La difficulté, pour les pouvoirs publics, est de concevoir des programmes de formation adaptés à un contexte donné
Les différences de conception relevées à l’échelon international ont une incidence sur l’intérêt que l’alternance présente pour les alternants potentiels et les employeurs de même que sur son coût pour les finances publiques. Toute la difficulté, pour les autorités, consiste à définir des dispositifs qui soient fonctionnels dans le contexte d’un pays, d’un secteur et d’une profession donnés. Cela suppose de regarder de plus près les coûts et avantages des formations en alternance, ce qui est d’ailleurs l’objet de l’argument n° 1 ci-après. Les chapitres 2 à 6 sont consacrés à différentes questions que la définition de programmes de formation en alternance amène à se poser.
Les problèmes rencontrés lors de la mise en place de formations en alternance dépendent du contexte
L’alternance assume un rôle très différent d’un pays à un autre. Nombreux sont ceux qui cherchent à l’encourager pour faciliter le passage de l’école à la vie active ou permettre aux adultes de recycler et d’améliorer leurs compétences. La développer dans les pays où elle n’est pas courante ou l’introduire dans des secteurs habitués à d’autres types de formations est un pari osé que l’observation de quelques principes simples permet néanmoins de tenir.
Les partenaires sociaux, à commencer par les organismes professionnels, doivent être associés à la définition et à la mise en œuvre des programmes de formation en alternance. Il s’agit là d’une condition essentielle à leur implication dans la formation, qui garantit des programmes adaptés à leurs besoins et à la capacité d’accueil des employeurs.
La concurrence entre la formation en alternance et les autres cursus (par exemple, les formations en école, l’enseignement post-secondaire ou l’enseignement supérieur) doit être équitable.
Les formations en alternance se mettent en place plus facilement quand la possession d’un titre ou d’un diplôme officiel procure des avantages appréciables.
Les facteurs contextuels ont une incidence sur l’intérêt que l’alternance pourra présenter pour les employeurs et les alternants potentiels. Ils ne sont pas étrangers non plus au degré de difficulté, ou de facilité, que présentera la mise en œuvre des programmes de formation, notamment lorsqu’il s’agira de convenir du contenu et des modalités d’application de chacun d’eux et de veiller à ce que la qualité soit satisfaisante. Certains des facteurs inventoriés tiennent à la situation qui prévaut au niveau national, tandis que les autres sont propres aux secteurs d’activités ou aux professions.
Argument n° 1 : un partenariat social robuste facilite la mise en œuvre des formations en alternance
L’investissement des partenaires sociaux aide à déterminer le tronc commun des programmes de formation
Bien placés pour voir si les certifications et contenus d’enseignement répondent aux besoins immédiats du marché du travail, les employeurs sont aussi en mesure d’en guider l’adaptation en réponse à l’évolution des attentes. Les formations en alternance, à la différences de nombreuses autres formations assurées par les employeurs, préparent à un métier et à une carrière. Elles doivent pour cela comprendre un tronc commun d’enseignement solide et substantiel et pourvoir à l’acquisition des compétences propres à la profession et au secteur d’activité visés. La tâche est plus simple lorsque les employeurs (et, bien souvent, les syndicats) sont bien représentés et organisés (l’encadré 1.1 fournit à cet égard plusieurs exemples). Le tronc commun d’enseignement de chaque programme de formation en alternance doit être défini en tenant compte de la pluralité des opinions parmi les employeurs. Des mécanismes de consultation ponctuels risquent d’accorder une influence indue à quelques entreprises prises au hasard (les plus grandes en règle générale) (OCDE, 2010[1]). D’un autre côté, les employeurs sont parfois tentés de créer des formations en alternance très pointues pour un secteur très étroit. Quoiqu’elles puissent servir leurs intérêts, ces formations peuvent aussi faire artificiellement obstacle à la mobilité de la main-d’œuvre faute d’expliciter les compétences réutilisables dans d’autres professions ou de les développer suffisamment (Kuczera et Field, 2018[13]). Les organisations syndicales peuvent faire opportunément contrepoids à l’influence des employeurs et promouvoir l’acquisition de compétences transférables. Dans certains dispositifs d’alternance, ce sont elles qui pilotent la définition et la mise en œuvre de formations (c’est par exemple le cas aux États-Unis avec les union apprenticeships).
Encadré 1.1. Les partenaires sociaux dans l’élaboration de la politique relative à l’alternance
Norvège
Les partenaires sociaux (employeurs et syndicats) contribuent très activement à la définition des orientations aux niveaux national, régional (comtés) et sectoriel. Le Conseil national pour l’EFP formule des avis à l’intention du ministère de l’Éducation au sujet du cadre général du système d’EFP national. Des Conseils consultatifs sur l’EFP, associés aux neufs filières d’enseignement professionnel ouvertes au deuxième cycle du secondaire, donnent leur avis aux autorités nationales à propos du contenu des programmes et des compétences dont on aura besoin dans l’avenir. Les commissions sur la formation professionnelle, en place dans chaque comté, ont quant à elles compétence pour les questions touchant à la qualité, à l’offre de formation, à l’orientation professionnelle et au développement local.
Source : Kuczera, M. et al. (2008[14]), OECD Reviews of Vocational Education and Training: A Learning for Jobs Review of Norway 2008, http://dx.doi.org/10.1787/9789264113947-en.
Suisse
Le système de formation en alternance est géré au niveau national par la Confédération, les cantons et les organisations professionnelles (employeurs, associations patronales et organisations syndicales) comme le veut la législation. La Confédération, garante de la qualité, se charge aussi de la planification stratégique et de la définition des programmes de formation en alternance dont l’application et la supervision incombent à 26 agences cantonales. Les organisations professionnelles, pour leur part, définissent les contenus d’enseignement, les certifications et les modalités d’examen, en plus de jouer un rôle important auprès des employeurs, qu’elles encouragent à proposer des places de formation en alternance.
Source : Hoeckel, K., S. Field and W. Grubb (2009[15]), OECD Reviews of Vocational Education and Training: A Learning for Jobs Review of Switzerland 2009, http://dx.doi.org/10.1787/9789264113985-en.
Le partenariat social est propice à une formation de qualité élevée
Dans les secteurs où de solides partenariats sociaux ont été noués, les entreprises ont accès à un savoir-faire pédagogique et à un soutien structuré que n’ont pas leurs homologues d’autres secteurs. Ainsi, les bureaux de formation que l’on trouve en Norvège sont gérés collectivement par les entreprises et concourent à l’offre de formation en créant de nouvelles places de formation en alternance, en formant les tuteurs et en organisant des cours théoriques pour les alternants (Kuczera et al., 2008[14]). En Allemagne, les chambres de commerce ouvrent des centres de formation interentreprises ayant pour rôle de compléter la formation dispensée à l’école et en entreprise (BIBB, 2018[16]). De même, en Suisse, les organisations professionnelles dispensent des cours au sein de centres de formation indépendants – il en existe pour la plupart des professions – en plus de définir les contenus d’enseignement et les plans de formation (DEFR, 2008[17]).
Argument n° 2 : l’alternance est en concurrence avec d’autres voies d’accès à l’emploi qualifié
L’alternance est souvent concurrencée par les formations en école
L’alternance n’est généralement qu’une voie offerte parmi d’autres pour acquérir des compétences et accéder à l’emploi qualifié. Lorsqu’elle est proposée au deuxième cycle du secondaire, les jeunes peuvent choisir à la place une formation générale ou une formation professionnelle en école. Des recherches ont ainsi montré qu’en Autriche, elle entre en rivalité avec les filières professionnelles scolaires (ce qui maintient les salaires des alternants à un niveau élevé, comme on le verra au chapitre 3). En Suisse au contraire, les formations professionnelles en milieu scolaire étant moins nombreuses, le système d’alternance ne connaît pas de concurrence sérieuse (Moretti et al., 2017[18]). En revanche, les programmes de formation en alternance accessibles aux termes des études secondaires doivent compter avec ceux des formations post-secondaires et des filières d’enseignement supérieur.
La nature de la concurrence dépend du contexte national
Dans certains systèmes éducatifs, l’orientation des jeunes se décide sur la base de leurs résultats scolaires, de sorte que le choix du type de programme d’alternance est parfois restreint. À l’opposé, dans des pays comme Israël, la formation en alternance se présente dans les faits comme une seconde chance laissée à ceux qui ont abandonné l’école plutôt que comme une option à part entière pour les jeunes (Kuczera, Bastianić et Field, 2018[19]). La formation en alternance peut se révéler avantageuse financièrement parlant là où l’enseignement post-secondaire et les études supérieures s’accompagnent de frais de scolarité particulièrement élevés (c’est le cas en Angleterre [Royaume-Uni] et aux États-Unis, par exemple). Tenir la balance égale entre l’alternance et les autres options ouvertes s’avère parfois délicat. Lorsque les alternants ne peuvent prétendre au même soutien financier que ceux qui se sont engagés sur une autre voie, la concurrence se trouve faussée. À titre d’exemple, dans une récente étude portant sur l’Angleterre (Royaume-Uni), l’OCDE a relevé que les jeunes alternants étaient assimilés à des salariés et, à ce titre, privés des prestations sociales prévues pour ceux qui suivent une formation en école.
Pour les employeurs également, l’alternance est une option parmi d’autres
Pour les employeurs aussi, l’alternance n’est souvent qu’un moyen parmi plusieurs autres de former et recruter des travailleurs qualifiés. Il est possible que les entreprises ne voient guère de raisons d’offrir des contrats d’alternance si les filières d’enseignement professionnel à financement public leur procurent cette main-d’œuvre qualifiée. On peut imaginer qu’elles préfèrent embaucher des travailleurs peu qualifiés et les former sur le tas ou bien recruter des diplômés ayant suivi un cursus professionnel en établissement dont elles complèteront la formation.
L’alternance doit être d’une qualité élevée pour faire le poids face aux autres filières
Au-delà des considérations financières immédiates, les choix individuels (et les préférences parentales) dépendent de l’avenir que l’on escompte avec tel ou tel parcours. Les préférences de chacun, employeurs compris, peuvent s’inscrire dans un cercle vicieux – ou vertueux. Si, en effet, la formation en alternance est de piètre qualité, les débouchés professionnels des alternants ayant obtenu leur diplôme seront à l’avenant. Dans ce cas, l’alternance deviendra, pour les jeunes, un pis-aller, et ceux qui le pourront prendront une autre voie. Ne pouvant considérer qu’une formation médiocre saurait faire acquérir de solides compétences professionnelles, les employeurs préféreront en bonne logique les jeunes issus de formations en établissement ou les titulaires d’un diplôme post-secondaire ou d’études supérieures. Le mouvement peut aussi aller en sens inverse : une formation de qualité dote les alternants de compétences utiles en milieu professionnel, certifiées de manière crédible et ouvrant de bonnes perspectives d’emploi. Pour les individus qui soupèsent différents options, l’alternance prend alors un aspect engageant tandis que les employeurs y voient de leur côté un excellent moyen de recruter du personnel qualifié. Les chapitres 2 à 6 sont consacrés plus particulièrement aux difficultés que présentent la conception et la mise en œuvre de formations en alternance de qualité élevée et aux moyens à prendre pour y remédier.
Encadré 1.2. L’apprentissage de qualité selon l’Union européenne
Le Conseil de l’Union européenne a adopté une Recommandation relative à un cadre européen pour un apprentissage efficace et de qualité (EFQEA) le 15 mars 2018.
La recommandation a pour objectif général « d’améliorer l’employabilité et le développement personnel des apprentis ainsi que de contribuer à la mise en place d’une main-d’œuvre hautement compétente et qualifiée, capable de s’adapter aux besoins du marché du travail », son objectif spécifique étant quant à lui de « fournir un cadre cohérent pour l’apprentissage sur la base d’une interprétation commune de ce qui en détermine la qualité et l’efficacité, compte tenu de la diversité et des traditions au niveau des systèmes d’enseignement et de formation professionnels et des priorités stratégiques dans les différents États membres ».
Le cadre européen comprend 14 critères relatifs à un apprentissage efficace et de qualité, dont 7 concernent la formation et les conditions de travail et 7 autres les conditions générales.
Les États membres ont trois ans pour mettre en œuvre ce cadre.
Source : EUR-Lex (2018[20]), Recommandation du Conseil du 15 mars 2018 relative à un cadre européen pour un apprentissage efficace et de qualité, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32018H0502%2801%29.
Argument n° 3 : une réglementation professionnelle sévère et une protection de l’emploi stricte confèrent un surcroît de valeur aux certifications
L’alternance se distingue des multiples modes de formation en milieu professionnel en ceci qu’elle prépare à une certification reconnue. La possession d’une telle certification est plus ou moins déterminante selon le métier considéré et son caractère réglementé ou non : l’exercice d’une profession réglementée (ou soumise à un agrément) n’est autorisé qu’aux seuls détenteurs d’un titre ou diplôme spécifique.
L’alternance est plus facile à mettre en place dans les professions réglementées
Dans le cadre d’une profession réglementée, la certification délivrée au terme de la formation en alternance revêt une importance primordiale aussi bien pour les individus en quête d’une formation qualifiante que pour les employeurs à la recherche de recrues aptes. Sans certification en effet, le savoir-faire acquis en milieu professionnel serait de peu d’utilité puisqu’une personne compétente mais dépourvue de titre ou diplôme ne sera pas admise à exercer son métier. Dans les professions non réglementées, en revanche, d’autres types de formations en milieu professionnel pourront convenir et aux étudiants et aux employeurs – un débutant non qualifié aura la possibilité de se former sur le tas, l’expérience professionnelle pertinente pourra être une preuve de compétence suffisante et permettre de faire carrière.
Autre facteur favorisant la mise en place de l’alternance : le titre ou diplôme auquel doit se préparer un alternant pour exercer une profession réglementée indique clairement ce que l’on attend d’un travailleur qualifié dans cette profession. Lorsqu’il existe déjà à cet égard des normes professionnelles, convenues de manière explicite ou implicite, sur le marché du travail, les programmes de formation en alternance peuvent prendre appui sur elles. L’éventail des compétences communément admises comme essentielles est au cœur de ces programmes – garantissant, par exemple, que tous les apprentislogisticiens en contrat d’alternance acquièrent le même socle de compétences quelle que soit l’entreprise qui les forme.
La liste des professions réglementées est plus ou moins longue selon le pays
Il existe entre les pays (voire parfois entre les régions d’un même pays) de sensibles différences quant aux professions dont l’exercice est réservé aux détenteurs d’un titre ou d’un diplôme particulier (Koumenta et al., 2014[21]). Si les métiers mettant en jeu la sécurité et la santé (électricien, professions de soins, par exemple) font généralement l’objet d’une réglementation, certains pays encadrent aussi l’accès à la profession de mécanicien automobile, de fleuriste ou de manucure, ce que d’autres ne font pas.
Les conventions collectives créent parfois des exigences en matière de certifications
Il arrive parfois que les conventions collectives conclues entre les partenaires sociaux établissent les conditions d’accès ou les critères d’avancement applicables à un emploi, rendant la détention d’un titre ou diplôme spécifique nécessaire à toute évolution professionnelle. Les conséquences concrètes sont identiques à celles de la réglementation professionnelle : il faudra détenir une certification bien précise pour faire librement carrière dans la profession considérée.
Les employeurs tendent à regarder davantage aux certifications quand il est difficile de licencier
Une législation de protection de l’emploi contraignante rend le recrutement de débutants plus risqué pour les employeurs car il leur sera difficile, ou coûteux, de se séparer de ceux qui ne feront pas l’affaire. Une réglementation protégeant tout particulièrement les emplois permanents les incitera à se montrer très exigeants à l’embauche. Des recherches laissent penser qu’une réglementation contraignante amène les entreprises à durcir leurs exigences (Blanchard et Landier, 2002[22] ; Kahn, 2016[23]) si bien qu’elles attendront souvent des candidats qui possèdent un titre ou un diplôme précis (Breen, 2005[24]). Il semblerait également que les certifications soient un marqueur de compétences essentiel dans les pays dotés de systèmes d’EFP de grande envergure, de même que là où établissements d’enseignement et entreprises entretiennent des liens étroits (Breen, 2005[24]).
La formation en alternance est adaptable au contexte
Il existe maintes manières d’organiser la formation en alternance, le tout étant que le dispositif trouvé convienne à la fois aux employeurs et aux alternants. Le contexte national a son importance, au même titre que les caractéristiques propres aux secteurs et aux entreprises, en particulier la taille de ces dernières. Les paramètres optimums (par exemple en termes de salaires, de durée de formation et de financement) varieront souvent en fonction de ces facteurs.
Il est possible de jouer sur les paramètres de la formation en alternance pour gagner à elle les employeurs et les alternants potentiels.
L’analyse des coûts et des avantages de l’alternance peut éclairer l’organisation de nouveaux programmes et la réforme des programmes existants. Les enquêtes visant à quantifier ces coûts et avantages pour les employeurs sont susceptibles de fournir des données empiriques propres à guider l’action des pouvoirs publics.
Argument n° 1 : les employeurs proposeront des formations en alternance si les avantages l’emportent sur les coûts
Les employeurs peuvent retirer des avantages durant la formation des alternants
Les employeurs proposeront en principe des places de formation en alternance s’ils sont convaincus que les avantages à en retirer sont supérieurs aux coûts à prendre en charge, ou à défaut que les uns et les autres s’équilibrent (on a présenté dans le tableau 1.1 les principales catégories de coûts et avantages pour les entreprises). Les avantages peuvent se matérialiser de deux manières. Premièrement, pendant la durée de sa formation, l’alternant sera à même de contribuer à la production, accomplissant dans un premier temps des tâches simples puis de plus en plus complexes. Son employeur y trouve un avantage dans la mesure où le coût du travail de l’alternant est inférieur à celui d’un salarié ordinaire.
Au cours de la formation d’un alternant, l’employeur doit prendre différents coûts à sa charge
Les salaires des alternants représentent en règle générale l’essentiel des coûts supportés par les employeurs (le chapitre 3 revient plus particulièrement sur la rémunération des alternants). S’y ajoutent d’autres dépenses connexes, comme les cotisations de sécurité sociale et le remboursement des frais de déplacement. Le deuxième élément de coût par ordre d’importance concerne généralement les tuteurs, ces employés qualifiés qui s’absentent du travail pour former et accompagner les alternants. Il est ressorti d’un projet de recherche de petite envergure mené en Flandre (Belgique) que les tuteurs principaux dédiaient ainsi un tiers de leur temps de travail (De Rick, 2008[25]). Les coûts afférents aux tuteurs représentent 38 % du total en Suisse et 23 % en Allemagne (Strupler, Wolter et Moser, 2012[26]). D’autres dépenses encore doivent être engagées pour faire l’acquisition d’outils et d’équipements à l’usage des alternants. L’accueil d’alternants entraîne également des coûts administratifs.
À terme, les employeurs peuvent embaucher les alternants et recueillir ainsi les fruits de la formation dispensée
Les avantages potentiels peuvent aussi se matérialiser sous la forme de retombées ultérieures. À l’issue de la formation, les employeurs sont en effet libres de choisir des alternants diplômés, à la productivité éprouvée, plutôt que d’embaucher des salariés à l’extérieur. En s’attachant d’anciens alternants, l’entreprise économise les coûts d’un recrutement classique, puisqu’elle n’a pas à engager de dépenses pour publier une offre d’emploi ou organiser des entretiens, à quoi s’ajoute que les nouvelles recrues ayant appris leur métier dans ses murs peuvent se passer d’une bonne partie de la formation d’intégration qu’il faudrait assurer à des recrues de l’extérieur (Mühlemann et Leiser, 2015[27]). Conserver un ancien alternant en tant qu’employé qualifié réduit en outre le risque de faire un mauvais recrutement, puisque l’employeur sait déjà de quoi la personne est capable – ce qui est plus difficile à jauger avec des candidatures externes. Au surplus, lorsqu’elle recrute un ancien alternant, l’entreprise peut choisir de le rémunérer légèrement en-deçà de sa productivité, ayant une connaissance privilégiée de celle-ci (Acemoglu et Pischke, 1999[28]). Ces avantages en matière de recrutement constituent l’un des principaux facteurs qui, dans de nombreux domaines professionnels et pays, incitent les entreprises à accueillir des alternants.
Tableau 1.1. Types de coûts et d’avantages pour les entreprises
Coûts |
Avantages |
---|---|
Salaires des alternants et coûts annexes (p. ex. frais de déplacement, indemnité de repas) |
Contribution des alternants à la production via l’exécution de tâches simples |
Coûts afférents au tuteur |
Contribution des alternants à la production via l’exécution de tâches complexes |
Supports et infrastructures de formation, fournitures (p. ex. outils, logiciels, livres) |
Avantages sur le plan du recrutement (p. ex. économies sur les coûts de recrutement, moindre rotation du personnel) |
Recrutement et coûts administratifs |
Meilleure réputation, responsabilité sociale |
Source : Adapté de Mühlemann, S. (2016[29]), « The cost and benefits of work-based learning », Documents de travail de l’OCDE sur l’éducation, n° 143, https://doi.org/10.1787/5jlpl4s6g0zv-en.
Argument n° 2 : les paramètres des programmes de formation en alternance peuvent être ajustés pour un meilleur rapport coûts-avantages
Plusieurs facteurs influant sur le rapport coûts-avantages pour les employeurs peuvent laisser prise à l’action des pouvoirs publics
Nous reviendrons plus longuement dans les chapitres 2 à 6 sur les facteurs ci-après et leur influence sur l’offre de formations en alternance, pour livrer à leur sujet des messages à l’intention des pouvoirs publics :
La durée de la formation en alternance : dans un premier temps, les alternants contribuent relativement peu à l’activité productive et coûtent souvent plus qu’ils ne rapportent. Cependant, en fin de formation, ils peuvent mettre leurs compétences au service de l’entreprise pour un coût inférieur à celui des travailleurs qualifiés, d’où la possibilité pour les employeurs de dégager un avantage net.
Les modalités d’organisation de la formation en alternance : quand ils ne sont pas présents dans l’entreprise, les apprentis développent leurs compétences professionnelles mais ne participent pas à l’activité productive. La nature précise de ce qu’ils font en entreprise a aussi son importance : le travail productif est toujours à l’avantage de l’employeur tandis que les activités didactiques portent leurs fruits à un stade ultérieur, lorsque l’alternant mettra en application ce qu’il aura appris depuis peu. En usant de précaution, il est souvent possible d’intégrer la formation au travail productif, pour le plus grand avantage des entreprises.
Les mesures d’incitation : les entreprises qui accueillent un alternant peuvent recevoir des subventions ou bénéficier de déductions d’impôts. Il existe également quelques incitations non financières, comme l’adjudication de marchés publics subordonnée à l’ouverture de places de formation en alternance.
Les salaires des alternants : les modalités de détermination et le niveau des salaires pèsent d’un poids considérable dans le rapport coûts-avantages, la rémunération des alternants représentant l’essentiel des coûts à la charge des employeurs. Si ce ne sont généralement pas eux qui fixent le montant des salaires, les pouvoirs publics ont cependant à leur disposition certains mécanismes permettant d’exercer une influence.
Le profil des alternants : les alternants les plus capables se montreront plus productifs que les autres durant leur formation et serviront donc mieux les intérêts de l’employeur.
La conception des programmes de formation peut être adaptée aux facteurs contextuels
Un petit nombre de facteurs dépendent de la situation générale et ne sont pas directement influencés par la politique de formation en alternance. Ils interviennent eux aussi dans le rapport coûts-avantages pour les employeurs et demandent à être pris en considération au moment de paramétrer les programmes de formation. Ces facteurs sont entre autres ceux énumérés ci-après.
Le contexte salarial : l’alternance sera plus intéressante, au point de vue financier, pour les employeurs s’il existe un large écart entre les salaires des alternants et ceux des travailleurs qualifiés. La législation relative au salaire minimum et les conventions collectives jouent souvent un rôle déterminant de par leur incidence sur le coût salarial des travailleurs et sur celui des alternants.
Les caractéristiques du marché du travail : l’alternance sera d’autant plus avantageuse sur le plan des recrutements que ceux-ci seront difficiles et onéreux sur le marché extérieur. C’est le cas lorsque le marché du travail est tendu, autrement dit qu’il y a de nombreux emplois à pourvoir et relativement peu de candidats (Mühlemann et Leiser, 2015[27]). La protection de l’emploi y a aussi sa part : lorsque se séparer d’une recrue ne donnant pas satisfaction serait onéreux, l’alternance peut être un bon moyen d’éviter les erreurs de recrutement.
La profession considérée : le temps qu’il faut à un alternant pour posséder son métier dépend du métier en question, tout comme le prix des équipements nécessaires, ce qui fait que le rapport coûts-avantages de la formation en alternance est variable. Les possibles avantages liés au recrutement le sont également : les coûts de recrutement ont tendance à être plus élevés dans le cas d’emplois requérant des compétences techniques pointues (Mühlemann et Leiser, 2015[27]).
La taille des entreprises : le rapport coûts-avantages de la formation en alternance dépend aussi de la taille des entreprises : les grandes structures tirent parti d’économies d’échelles (en formant plusieurs alternants à l’aide des mêmes équipements, par exemple) et sont parfois mieux à même de former les alternants tout en les faisant participer à la production. D’un autre côté, ces entreprises privilégient davantage les formations techniques (plus onéreuses) que ne le font les petites entreprises, qui accueillent souvent des alternants dans le secteur artisanal. Les grandes entreprises profitent plus souvent que les autres des avantages liés au recrutement puisque leurs coûts de recrutement sont relativement élevés et qu’elles recrutent assez facilement leurs apprentis à des postes qualifiés (Mühlemann, 2016[29]).
L’intérêt de la formation en alternance pour les alternants potentiels est tributaire de différents facteurs
Le salaire offert aux alternants et les débouchés professionnels jouent sur l’attrait que l’alternance exerce sur les jeunes ou les adultes qui passent en revue les possibilités de formation. Plus la formation en alternance est séduisante, plus les employeurs disposeront d’un vivier fourni de candidats aptes et qualifiés et moins ils s’exposeront à des défections coûteuses.
Argument n° 3 : les données tirées de l’observation des coûts et des avantages peuvent déterminer les choix stratégiques
Les données révèlent une extrême variabilité du rapport coûts-avantages de l’alternance pour les employeurs
Des données empiriques montrent que le rapport coûts-avantages varie d’un pays à un autre, mais aussi entre les entreprises, selon leur type, et entre les professions à l’intérieur même d’un pays. Des enquêtes conduites en Allemagne en Suisse, et plus récemment en Autriche (encadré 1.2), ont mis en lumière l’existence d’écarts substantiels entre ces trois pays où la formation en alternance existe de longue date. À titre d’exemple, l’entreprise suisse moyenne retirera un bénéfice net de l’accueil d’alternants, ce qui n’est pas le cas de ses homologues allemandes et autrichiennes pour qui la formation en alternance entraîne au contraire une perte nette (Dionisius et al., 2008[30] ; Moretti et al., 2017[18]). En ce qui concerne la compensation des investissements consentis durant la formation, c’est en Allemagne et en Autriche que les entreprises ont le plus de chances de conserver leurs alternants en tant que travailleurs qualifiés et de profiter par conséquent d’avantages en matière de recrutement (Mühlemann, 2016[29] ; Moretti et al., 2017[18]). Les entreprises autrichiennes reçoivent par ailleurs des subventions. À l’intérieur des pays, on observe que le rapport coûts-avantages varie en fonction du type d’entreprise et de la profession (on se reportera par exemple au graphique 2.1 du chapitre 2).
Encadré 1.3. Enquêtes sur les coûts et les avantages de l’alternance
Des enquêtes sur les coûts et les avantages de l’alternance ne sont réalisées que dans de rares pays. Une première méthodologie a été proposée dans les années 1970, en Allemagne. La première enquête portait exclusivement sur les coûts, les avantages retirés pendant la période de formation, puis ceux obtenus ultérieurement, ayant été pris en considération par la suite. La Suisse a procédé à sa première étude représentative en 2000 en adoptant un cadre méthodologique assez semblable à celui de l’Allemagne. Deux autres études ont été réalisées, en 2004 et 2009. En Autriche, après une étude des coûts et avantages effectuée en 1997 à l’aide d’une méthodologie différente, la dernière enquête en date, menée en 2016, adopte la même démarche que les études allemande et suisse.
Estimer les avantages reçus au cours de la formation en alternance
Les tuteurs qui travaillent au quotidien avec les alternants sont invités à estimer quelle fraction de leur temps ceux-ci emploient à des tâches simples ou complexes. L’avantage que l’entreprise retire de l’exécution de tâches simples est calculé comme le nombre d’heures que l’alternant y consacre multiplié par la rémunération horaire d’un employé non qualifié dans l’entreprise. On procède de même pour les tâches complexes, cependant le profit pour l’entreprise est ajusté à la productivité relative de l’alternant (ainsi, s’il lui faut deux heures pour effectuer un travail qu’un employé qualifié réaliserait en une, sa productivité relative sera de 50 %).
Estimer les coûts
Le principal élément de coût est formé du salaire et des frais annexes (primes, treizième mois, indemnité de repas, etc.). Viennent ensuite les coûts salariaux des tuteurs : il a été demandé aux entreprises d’indiquer le nombre d’heures, dédiées à l’instruction, pendant lesquelles les tuteurs ne pouvaient être à leur tâche habituelle sur leur lieu de travail. Des instructeurs extérieurs sont parfois engagés pour assurer, au sein de l’entreprise, le développement de certaines compétences, auquel cas les coûts induits sont également pris en compte. Parmi les autres coûts que l’on cherche à évaluer au moyen des enquêtes, on citera celui des équipements ou du matériel destinés exclusivement à la formation des alternants, ainsi que divers frais, tels que les frais d’inscription à des cours dispensés en externe, et les achats de livres ou de logiciels didactiques.
Source : Moretti, L. et al. (2017[18]), So Similar and yet So Different: A Comparative Analysis of a Firm’s Cost and Benefits of Apprenticeship Training in Austria and Switzerland, http://ftp.iza.org/dp11081.pdf ; Mühlemann, S. (2016[29]), « The cost and benefits of work-based learning », Documents de travail de l’OCDE sur l’éducation, n° 143, https://doi.org/10.1787/5jlpl4s6g0zv-en.
Les données fournies par l’observation peuvent aider à apprécier les répercussions des choix politiques
Les données de terrain peuvent servir à simuler différents scénarios et justifier la modification de certains paramètres des programmes d’alternance, par exemple une revalorisation ou une diminution de la rémunération des alternants ou une modification du temps passé en entreprise ou des tâches confiées aux alternants. Moretti et al. (2017[18]), parmi d’autres auteurs, soutiennent que si les salaires des alternants étaient fixés de la même manière en Autriche qu’en Suisse et si les alternants autrichiens passaient autant de temps en entreprise que leurs homologues suisses, alors l’entreprise autrichienne type retirerait des avantages supérieurs aux coûts durant la formation en alternance.
Certaines études ont repris les données sur la formation en alternance de pays où des enquêtes sur les coûts et les avantages avaient été réalisées pour les combiner avec les données contextuelles d’un autre pays (salaires des travailleurs qualifiés et des travailleurs non qualifiés, par exemple). Il est ainsi ressorti d’une étude sur l’EFP en Espagne (Wolter et Mühlemann, 2015[31]) reprenant des informations concernant la Suisse que les programmes de formation en trois ans étaient plus avantageux pour les employeurs que ceux de durée inférieure et que la plupart des contrats d’alternance pouvaient être assortis d’un salaire élevé sans cesser d’être profitables pour les entreprises. De même Wolter et Joho (2018[32]), s’appuyant eux aussi sur des données suisses, ont simulé les coûts et avantages de l’alternance et son rendement pour les individus en Angleterre (Royaume-Uni) dans différents cas de figure. L’analyse a révélé, par exemple, que ce sont les formations d’une durée minimale de trois ans à laquelle prennent part de jeunes alternants qui présentent le meilleur rapport coûts-avantages pour les entreprises.
Conclusion
L’objet du présent chapitre était de voir si l’alternance pouvait avoir son utilité dans tout pays, et il apparaît que, dans la zone OCDE, elle est proposée comme voie d’accès à un nombre toujours plus grand de professions. Elle n’est plus réservée aux métiers qualifiés de l’industrie et de l’artisanat, ni l’apanage du secteur privé. Ses atouts propres en tant que mode de formation possèdent un caractère universel : la participation active des employeurs témoigne d’une réelle demande, sur le marché du travail, à l’égard des compétences transmises, et l’initiation en entreprise est garante de l’entière pertinence, en milieu professionnel, des savoir-faire et des savoir-être acquis. Cela étant, le contexte national (ou régional) a des chances d’avoir une incidence sur son attractivité, tandis que la situation particulière des pays, des secteurs et des professions laisse pressentir des difficultés qu’il revient aux pouvoirs publics d’aplanir.
Une formation en alternance de qualité élevée concilie les besoins de l’employeur, ceux de son secteur d’activité et ceux de l’alternant (celle-ci étant généralement dispensée dans le cadre d’un partenariat social) et il est pris garde qu’aucune entrave artificielle ne vienne la déprécier par rapport aux autres parcours de formation. Dans les pays où l’on introduit de tels programmes, il convient de savoir que la mise en place de formations en alternance se trouve facilitée quand la possession d’un titre ou d’un diplôme officiel procure des avantages appréciables, comme c’est le cas dans les professions réglementées.
Il existe maintes manières d’organiser la formation en alternance. Il n’y a pas de solution unique. Le tout est que le dispositif trouvé convienne à la fois aux employeurs et aux alternants. Il faut s’attendre à ce que les caractéristiques de conception des programmes de formation (par exemple en termes de salaires, de durée de formation et de financement) varient en fonction du contexte national et sectoriel pour que l’alternance séduise à la fois les employeurs et les alternants potentiels. Des méthodes éprouvées permettent aujourd’hui aux pouvoirs publics d’analyser les coûts et les avantages des formations en alternance. Des outils d’enquête peuvent apporter les éléments concrets qui aideront les responsables à trouver un bon compromis entre les premiers et les seconds.
Références
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Note
← 1. Appelées traineeships pour les distinguer des apprenticeships.