La plupart des pays appliquent, sous une forme ou une autre, un traitement fiscal préférentiel à la philanthropie. Les organismes à vocation philanthropique se voient accorder directement des allégements fiscaux au titre de leurs activités tandis que leurs bienfaiteurs, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers, bénéficient généralement de mesures d’incitation fiscale qui permettent d’abaisser le coût de leurs dons. Ce rapport présente un examen détaillé de la fiscalité des organismes et des dons à caractère philanthropique dans 38 pays membres et participants de l’OCDE, et à partir de cette analyse, met en lumière un éventail de mesures envisageables par les pouvoirs publics.
Les auteurs passent en revue dans un premier temps les différents arguments pour et contre ces allégements fiscaux, en soulignant qu’aucun principe généralement admis ne justifie à lui seul l’application d’un traitement fiscal préférentiel à la philanthropie. La théorie économique par exemple propose dans une certaine mesure une légitimation d’un traitement fiscal préférentiel lorsque l’offre d’un bien public est insuffisante ou lorsque des externalités positives sont associées à l’activité philanthropique. On peut en outre arguer que l’excédent dégagé par un organisme philanthropique est par nature différent d’un bénéfice (et en conséquence hors du champ d’application de l’assiette de l’impôt sur le revenu), et que les dons à caractère philanthropique renforcent la société civile et doivent pour cette raison être encouragés. A contrario, ceux qui plaident contre les allégements fiscaux mettent notamment en avant leur coût budgétaire ainsi que les craintes qu’ils soulèvent sur le plan de la redistribution et de la démocratie. Les contribuables les plus riches, en particulier, bénéficient souvent d’incitations fiscales plus généreuses que les plus pauvres. Parallèlement, dans la mesure où les incitations fiscales se traduisent dans les faits par un redéploiement des recettes fiscales au bénéfice de l’entité philanthropique ainsi favorisée, les contribuables les plus riches qui versent les dons les plus généreux peuvent exercer une influence disproportionnée sur l’affectation des ressources publiques.
Les auteurs du rapport se penchent ensuite sur le traitement fiscal des organismes philanthropiques et des dons dont ils sont bénéficiaires, avant de s’intéresser aux problèmes qui se posent dans un contexte transfrontalier. Pour qu’un organisme soit qualifié de philanthropique et que les avantages fiscaux associés à cette qualification soient accordés, il doit généralement répondre à certains critères, comme exercer une activité « à but non lucratif », servir « une noble cause » et être reconnue « d’intérêt général » ; il doit également être soumis à d’autres obligations administratives et exigences en matière de surveillance. Les obligations inhérentes à l’exercice d’une activité à but non lucratif visent à éviter toute forme de distribution de bénéfices. Le critère de la défense d’une noble cause permet de préciser les catégories d’activités ouvrant droit à un soutien : protection sociale, éducation, recherche scientifique et santé. Enfin, le critère de la mission d’intérêt général fait généralement référence au fait que l’avantage doit être accessible à un cercle suffisamment étendu de bénéficiaires.
La plupart des pays étudiés accordent, dans la cadre de leur régime d’imposition des revenus, un traitement de faveur aux organismes philanthropiques reconnus. Le rapport décrit deux approches couramment adoptées : la première consiste à exonérer tous les revenus (ou certains revenus spécifiques), et la seconde à prendre en compte toutes les catégories de revenus imposables, mais en autorisant toutefois les organismes à réduire leur assiette en réinvestissant (immédiatement ou ultérieurement) ces revenus dans l’objectif de servir la cause qu’ils défendent. Les pays qui suivent la première approche excluent généralement de la base d’imposition les revenus non commerciaux (dons ou subventions reçus). Les modalités de traitement des activités commerciales et des revenus provenant de ces activités divergent toutefois. Il est fréquent que les revenus commerciaux liés à la noble cause poursuivie par l’organisme soient exonérés, et que les revenus commerciaux sans rapport avec cette cause soient imposés. Un certain nombre de pays accordent également aux organismes philanthropiques un traitement préférentiel en matière de TVA ainsi que des allégements au titre d’autres impôts (impôts sur le patrimoine, par exemple).
Tous les pays objet du présent rapport mettent également en place, sous une forme ou une autre, des incitations fiscales destinées à encourager les dons à caractère philanthropique au profit d’entités éligibles, même si la générosité et la conception de ces mesures varient. Dans la grande majorité des pays étudiés, les dons sont déductibles du revenu imposable des particuliers. D’autres pays préfèrent opter pour des crédits d’impôt et, dans certains cas, les dons des particuliers sont abondés par l’État. De plus, la plupart des pays considèrent les sommes versées à des organismes philanthropiques dans le cadre d’un mécénat d’entreprise comme des charges déductibles dès lors qu’un lien suffisant peut être établi avec les activités ayant généré les recettes. En outre, la plupart de ceux qui prélèvent des droits de mutation ou de succession prévoient généralement un dispositif d’allégement fiscal préférentiel pour les legs à caractère philanthropique. Il est courant que des restrictions limitent le montant des incitations fiscales accordées au titre des dons et celles-ci varient d’un pays à l’autre. Certains d’entre eux plafonnent les incitations à un montant fixe tandis que d’autres adoptent un plafond exprimé en pourcentage du revenu du donateur ou de l’impôt dont il est redevable, et que d’autres encore combinent les deux systèmes. Afin de limiter le coût des systèmes d'abondement, les pays concernés fixent le taux de l’allégement fiscal auquel peut prétendre l’entité philanthropique bénéficiaire. Enfin, la majorité des pays qui favorisent les dons en espèces de la part de particuliers encouragent également les dons non monétaires.
En ce qui concerne la philanthropie transfrontalière, le rapport révèle qu’en dehors de l’Union européenne, les aides fiscales octroyées au titre de dons transfrontaliers sont rares. Hors des frontières de l’Union européenne, la plupart des pays n’accordent pas d’allégements fiscaux aux organismes philanthropiques étrangers qui exercent leur activité sur leur territoire. Cependant, de nombreux pays autorisent les organismes nationaux à exercer leur activité à l’étranger sans perdre le bénéfice des avantages fiscaux que leur confère leur statut, bien qu’ils puissent être soumis à des restrictions ou à des obligations déclaratives supplémentaires.
En prenant appui sur l’analyse exposée précédemment, les auteurs du rapport mettent en lumière un certain nombre de problématiques clés auxquelles sont confrontés les pays lorsqu’ils conçoivent les règles fiscales applicables à la philanthropie. Premièrement, ils soulignent que les pays doivent veiller à ce que la conception des incitations fiscales en faveur des dons à caractère philanthropique soit cohérente avec les objectifs de politique publique sous-jacents. Par exemple, les pays qui souhaitent tout particulièrement restreindre leur soutien aux seuls domaines jugés prioritaires par les pouvoirs publics peuvent envisager de resserrer les critères d’éligibilité. Ceux qui sont particulièrement attachés aux effets redistributifs des incitations fiscales peuvent envisager d’accorder un crédit d’impôt, qui permettra de garantir que tous les contribuables bénéficient proportionnellement des mêmes avantages fiscaux, indépendamment de leur niveau de revenu. À l’inverse, les pays dont le régime d’imposition du revenu des personnes physiques est progressif et qui souhaitent renforcer les incitations en faveur des donateurs les plus riches afin de maximiser le montant total des dons peuvent mettre en place une déduction d’impôt.
Deuxièmement, il est précisé dans le rapport que les pays doivent reconsidérer l’intérêt d’accorder des exonérations fiscales au titre des revenus commerciaux des organismes philanthropiques, tout au moins dans la mesure où ces revenus ne sont pas liés à la cause défendue par l’organisme concerné. Il y a lieu de tenir compte alors des difficultés supplémentaires liées à la nécessité d’opérer une distinction entre les revenus imposables (c’est-à-dire sans lien avec la mission de l’organisme) et les revenus exonérés, et de mettre en balance les coûts de conformité et la charge administrative supplémentaires avec la recherche de la neutralité concurrentielle. En outre, les pays qui accordent actuellement une exonération devraient envisager d’assujettir pleinement à la TVA les organismes philanthropiques.
Troisièmement, ce rapport recense un certain nombre de solutions qui permettraient aux pays de réduire la complexité tout en améliorant la surveillance des régimes fiscaux en faveur de la philanthropie. Celles-ci pourraient notamment consister à : appliquer les mêmes critères d’éligibilité aux organismes philanthropiques et aux dons à caractère philanthropique ; fixer un seuil de valeur minimum en-deçà duquel les dons non monétaires n’ouvriraient pas droit aux incitations fiscales ; constituer et mettre à la disposition du public un registre d’organismes reconnus ; introduire une obligation déclarative annuelle ; mettre en œuvre une stratégie de surveillance conjointe (administration fiscale et commission indépendante, par exemple) ; établir une distinction claire entre les dons et le mécénat d’entreprise ; améliorer le recueil de données et l’information sur les dépenses fiscales ; mettre en place des plafonds de dépenses pour la collecte de fonds ; définir des règles limitant certaines catégories de dépenses de fonctionnement pour les organismes philanthropiques ; et plafonner la rémunération du personnel, des responsables et des membres du conseil d’administration des organismes philanthropiques.
Enfin, la dimension de plus en plus mondiale de nombreux enjeux de politique publique – comme les préoccupations environnementales et les problèmes de santé publique (y compris la pandémie de COVID-19) – pourrait nécessiter une coopération internationale entre pays et institutions. Dans ce contexte, les pays auraient intérêt à s’interroger sur l’éventuelle nécessité d’appliquer un traitement fiscal équivalent à la philanthropie nationale et internationale. Afin de répondre aux inquiétudes en matière de surveillance, les pays pourraient imposer des obligations équivalentes à celles en vigueur sur leur territoire, ou exiger des vérifications supplémentaires avant d’accorder un traitement fiscal avantageux.