Ce chapitre examine dans quelle mesure la capacité d’adaptation aux changements sera essentielle pour assurer la prospérité et la cohésion sociale au cours des deux prochaines décennies. Dans une première partie, on s’intéressera à l’intérêt que présente la prospective stratégique pour gérer les risques internationaux et intergénérationnels liés aux mégatendances et aux chocs, et pour préparer l’avenir au niveau des politiques de développement régional. La deuxième partie propose trois scénarios possibles pour les pays et les régions de l’OCDE à l’horizon 2045 et esquisse ce que pourraient être les effets de ces différentes trajectoires sur les inégalités et les politiques régionales. La dernière partie évoque les moyens à mettre en œuvre pour préparer le développement régional aux défis de demain.
Perspectives régionales de l'OCDE 2023
4. Les différents visages de l’avenir des régions de l’OCDE : scénarios à l’horizon 2045
Abstract
En bref
Partout dans le monde sont apparues des mégatendances – changement climatique, démographique et technologique – de nature à provoquer une transformation en profondeur de nos sociétés au cours des prochaines décennies. Face à ces mégatendances, les régions adopteront des trajectoires très différentes qui entraîneront des besoins d’investissement différents, feront naître des défis et des opportunités divers et mettront en évidence tout l’intérêt de la prospective territoriale et l’importance des mesures territorialisées.
Les crises récentes – de la pandémie de COVID-19 à la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine – ont attiré l’attention sur les points de vulnérabilité face aux chocs et sur la nécessité de renforcer la capacité de réaction et la résilience. Gérer les conséquences de crises qui s’enchaînent de plus en plus rapidement engendre des coûts importants qui imposent aux systèmes mondiaux, nationaux et régionaux de mieux anticiper, mieux cerner et mieux évaluer les risques – qu’il s’agisse de ceux associés aux mégatendances à l’œuvre, mais aussi des nouveaux risques potentiels, comme l’intelligence artificielle.
La prospective stratégique est un outil primordial pour étudier les changements susceptibles de se produire demain et leurs implications pour les décisions à prendre aujourd’hui. Son application à la réflexion territoriale est particulièrement utile pour gérer les risques asymétriques de chocs et les effets des mégatendances, et pour adapter l’action publique en matière de développement régional aux défis futurs.
Faisant fond sur un exercice participatif de prospective, ce chapitre propose trois scénarios à l’horizon 2045. Le scénario de la « région disparue » imagine l’émergence d’un pouvoir totalement centralisé dans les pays de l’OCDE, caractérisé par une prise de décision verticale, des citoyens moins impliqués et une défiance grandissante. Dans le scénario de la « région hyper connectée », les autorités régionales et nationales collaborent activement entre elles et avec les citoyens pour élaborer des solutions efficaces face aux défis immédiats. Un troisième scénario prévoit une situation où, par le jeu du transfert de compétences, se forment des « régions-États », entités quasi-indépendantes dotées chacune de leur propre écosystème et se disputant les richesses et les ressources.
Il existe deux axes d’action prioritaires pour préparer l’avenir du développement régional au niveau des politiques publiques et gagner en résilience au cours des vingt prochaines années : i) aborder les systèmes budgétaires et les structures de gouvernance de manière systémique et stratégique ; et ii) développer les capacités de prospective stratégique des décideurs aux niveaux national et infranational. Les scénarios proposés s’accompagnent par ailleurs de considérations stratégiques permettant de cerner dans quelle mesure il faudra adapter à l’avenir la finalité première de l’action publique en matière de développement régional.
Introduction
Les pays de l’OCDE et leurs régions sont actuellement soumis à des mutations rapides qui influent sur les modes de vie, de travail, de communication, de création, de production, de consommation, d’échange, de réflexion et de décision. Les forces sociales, technologiques, économiques, environnementales, politiques et géopolitiques qui sont en train de s’exercer, avec une rapidité que l’on peut qualifier d’inédite, bouleversent les rapports entre les membres de la société, entre les territoires et avec l’environnement naturel. Il est donc crucial d’avoir conscience de ces forces et de leurs répercussions sur les sociétés et les économies.
Ces mutations étant vastes et s’inscrivant dans le long terme, il existe inévitablement une grande part d’incertitude quant à leurs conséquences sur les régions et sur les inégalités régionales, et il n’est pas facile pour les responsables publics de réfléchir dès aujourd’hui aux défis et aux possibilités que de telles transformations pourraient entraîner. Néanmoins, un point est déjà clair : ces mutations ne relèvent pas d’un avenir lointain. Elles sont déjà en cours, et elles sont en train de définir une nouvelle géographie des possibles. En outre, les répercussions de ces mégatendances seront différentes d’une région à l’autre, et risquent donc d’accentuer les disparités régionales déjà vastes et persistantes évoquées aux chapitres 2 et 3. Face à cette réalité, les sociétés et les pouvoirs publics ne peuvent pas se permettre de faire preuve de passivité ou de complaisance. Pour être efficace, l’action publique doit tenir compte de cette diversité géographique, et faire face à ces risques dès aujourd’hui.
Le COVID-19 et la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine l’ont montré : la vie de nos sociétés peut se trouver bouleversée presque du jour au lendemain, comme on l’a vu au chapitre 1. Ainsi, la pratique du télétravail et le recours au commerce électronique et à un large éventail d’outils numériques existaient déjà, mais ils se sont spectaculairement accélérés pendant les premières semaines de la pandémie. De même, les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales provoquées par le COVID-19 puis exacerbées par la guerre en Ukraine ont relancé la piste de la relocalisation et de la délocalisation à proximité comme solution pour rendre les économies plus résilientes grâce au raccourcissement des chaînes d’approvisionnement. Cependant, avant même la pandémie, des transitions plus vastes telles que l’urbanisation, l’évolution technologique et le vieillissement de la population se déployaient à un rythme soutenu.
À l’heure où l’existence d’incertitudes majeures devient la « nouvelle norme », les régions des pays de l’OCDE doivent plus que jamais apprendre à mieux anticiper différentes crises, s’y préparer et s’en relever. Pour bâtir des économies régionales plus résilientes, il sera crucial de relever les défis soulevés par les chocs récents, en plus des défis apparus avant eux, tels que la persistance des inégalités et la dégradation de l’environnement. S’il y a une leçon à retenir du passé, c’est que les économies que l’on réalise à court terme en évitant d’anticiper ne font souvent pas le poids face au coût des mesures réparatrices qui s’imposent par la suite.
Il existe une prise de conscience du fait qu’il est important de se projeter dans l’avenir dans le cadre de l’action publique. Toutefois, il serait possible de mieux aider les responsables publics, surtout à l’échelon régional et local, à réfléchir à plus long terme et à se montrer volontaristes. Le fait de réfléchir activement aux différents futurs possibles permet de repérer les nouvelles menaces et les nouvelles possibilités, y compris celles qui découlent d’incidences qui n’ont pas encore été envisagées, et d’en tirer des leçons afin de décider des actions à mener dans le temps présent. C’est particulièrement vrai à l’échelon régional, où une interaction et une coordination entre les différents niveaux d’administration sont nécessaires pour que les actions aboutissent. Pour aider les responsables publics dans cette entreprise, le présent chapitre fait le point sur les évolutions mondiales et territoriales qui vont influer sur l’avenir. Il évoque le rôle essentiel de la prospective territoriale au service d’une prise de décision adaptée à l’avenir dans le domaine du développement régional. Il présente trois scénarios à l’horizon 2045 et leurs implications pour la politique de développement régional, y compris les mesures à prendre dès aujourd’hui pour gagner en résilience et en adaptabilité face à tout ce que l’avenir pourra nous réserver.
Pourquoi réfléchir aux différents visages de l’avenir ?
Les régions face à des mutations planétaires
Plusieurs tendances à l’œuvre dans le monde entier pourraient entraîner pour la société des transformations imprévisibles mais profondes dans les décennies à venir. On le constate au niveau des plus importantes de ces tendances, dites « mégatendances ». Cette expression désigne des transformations qui sont en cours dans un certain nombre de pays du monde entier et qui peuvent placer l’économie et la société, à l’échelle mondiale, sur des trajectoires particulières au cours des prochaines années. Les mégatendances sont susceptibles d’entraîner des changements importants et durables qui auront des répercussions sur le plan social, économique, politique, environnemental et technologique. Malgré ce fort impact potentiel, elles se déploient souvent lentement, et suivent des trajectoires relativement stables sur plusieurs décennies.
Parmi les mégatendances dont l’impact va probablement se faire sentir dans le monde entier, on peut citer l’évolution démographique (y compris les migrations), l’interconnexion des économies, le changement climatique, la transformation numérique et l’urbanisation, entre autres. En parallèle aux mégatendances, des signaux « faibles » d’autres changements et évolutions commencent à apparaître et pourraient s’intensifier avec le temps, y compris au niveau des rôles respectifs des États et des marchés ou de l’influence des acteurs non étatiques (OCDE, 2021[1]). Conjugués à la survenance d’évènements ou de chocs potentiellement imprévisibles, ces signaux faibles pourraient eux aussi avoir des répercussions importantes sur l’avenir des sociétés et sur l’ordre mondial.
Les mégatendances entraînent, dans le domaine des investissements publics, des besoins, des défis et des possibilités qui diffèrent d’une région à l’autre du même pays. Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, il faudra déployer plus largement les mesures et les investissements, et les adapter aux besoins et aux réalités des différentes localités et régions, étant donné que les problèmes posés et les perspectives ouvertes par l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ce phénomène diffèrent considérablement d’un territoire à l’autre (OCDE, 2017[2]). L’évolution démographique, et tout particulièrement les phénomènes de vieillissement et de déclin de la population, touchera particulièrement les régions isolées et rurales de l’ensemble de la zone OCDE. De plus, des fractures numériques apparaissent entre les régions, ce qui limite l’accès aux bénéfices de la transition numérique tout en enracinant et en accentuant les disparités à mesure que le rythme de la transformation numérique s’accélère. Enfin, les régions présentent des niveaux divers d’intégration dans les chaînes de valeur mondiales et dans les schémas migratoires, si bien que certains territoires sont plus exposés que d’autres aux chocs économiques mondiaux (tels que les goulets d’étranglement créés par le COVID-19 au niveau des chaînes d’approvisionnement), ce qui peut exiger une remise à plat de leur stratégie régionale. Le tableau 4.1 présente les principales projections relatives à ces mégatendances et à leurs répercussions sur les régions.
Tableau 4.1. Principales projections relatives aux mégatendances et à leurs répercussions sur les régions
Mégatendances |
Principales projections au niveau mondial |
Répercussions sur les régions |
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Changement climatique, gestion et disponibilité des ressources |
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Évolutions démographiques et urbanisation |
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Transformation numérique et automatisation |
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Des tendances spécifiques sont en train d’influer sur l’avenir des régions
Comme l’illustre le tableau 4.1, les mégatendances ne touchent pas toutes les régions d’un même pays de façon égale. De plus, elles se conjuguent à des tendances spécifiques qui interviennent à l’échelon régional (illustrées par le graphique 4.1). Ces dernières tendances se caractérisent par des effets très territorialisés, qui entraîneront des différences extrêmement marquées au niveau des trajectoires suivies et des réponses apportées selon les régions. En d’autres termes, toutes les régions et tous les territoires ne seront pas touchés de la même façon, et il y aura également une asymétrie au niveau de leurs capacités à concevoir des solutions collectives.
De nouvelles formes de mobilité : avec la raréfaction des combustibles fossiles et la montée en puissance des subventions vertes, les coûts du transport quotidien vont continuer d’augmenter. Tout comme l’accès aisé à des modes de transport individuel peu coûteux a eu une influence importante sur les régions par le passé, les nouvelles formes de mobilité vont y produire des effets décisifs à court terme, car les individus vont adapter leur quotidien, et à long terme, avec l’émergence de nouvelles approches fonctionnelles fondées sur des distances plus courtes.
La transformation du système productif : on s’attend à ce que trois grandes tendances transforment les secteurs productifs : i) l’émergence de l’Industrie 5.0 et de vastes transformations numériques et techniques des procédés de production (automatisation, robotisation, etc.) ; ii) la mise en place de cycles de production et de consommation plus circulaires et sobres en carbone ; et iii) une main-d’œuvre moins nombreuse et vieillissante, dont la relation au travail est appelée à évoluer (télétravail, quête de sens, etc.).
L’avènement de réseaux territorialisés et décarbonés pour l’approvisionnement énergétique et alimentaire : cette transition, qui est déjà en cours dans de nombreuses régions, va probablement s’accélérer sous l’effet d’une relocalisation croissante des stratégies d’approvisionnement énergétique et alimentaire. Le développement de réseaux locaux pour cet approvisionnement se traduira par des dynamiques très différentes selon les territoires, en fonction de leurs choix stratégiques et de leurs capacités d’action.
Un nouvel équilibre entre les modes d’occupation des sols et la transformation du rapport des habitants à la nature : les modes d’occupation des sols vont évoluer de façon importante dans les décennies à venir, et des arbitrages seront nécessaires entre les différents besoins, qu’il s’agisse par exemple de conserver des terres agricoles pour pouvoir produire de l’alimentation tout en développant les énergies renouvelables, de mettre en valeur les ressources sylvestres tout en renforçant les capacités de stockage de carbone des forêts ou d’appuyer les stratégies de réindustrialisation tout en prévenant de nouvelles pertes de terres (liées, par exemple, à l’étalement urbain ou aux usages commerciaux). Dans le même temps, le rapport des habitants à la nature et à l’espace va poursuivre son évolution, car ils vont continuer de rechercher une meilleure qualité de vie, un accès accru à la nature et davantage de proximité dans leur vie de tous les jours.
Pauvreté et nouveaux modèles de solidarité : la répétition des crises va avoir des répercussions importantes sur le revenu disponible, ce qui va entraîner une augmentation constante du nombre de personnes en situation de précarité. Dans le même temps, dans un contexte de budgets publics de plus en plus serrés, on peut s’attendre à ce que de nouveaux modèles, mécanismes et réseaux de solidarité apparaissent à l’échelon régional et local.
Pour préparer et adapter les régions, il sera crucial de bien comprendre ces tendances à l’échelon régional. De telles transitions exigeront sans doute des transformations structurelles des modes de croissance des régions et de la façon dont elles fournissent de l’énergie, assurent des services essentiels, mènent leurs activités économiques et occupent les sols. Pour continuer de prospérer, les régions vont aussi devoir développer leur savoir-faire technique et leurs compétences humaines et sociales. Il sera tout aussi important de sensibiliser et de convaincre ceux qui seront les plus touchés par les choix stratégiques qui seront ainsi effectués. On verra à la section ci-dessous comment la prospective stratégique territoriale peut être mise à profit pour hiérarchiser les défis, mobiliser les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux et définir une feuille de route collective en vue d’endosser un rôle actif, et non passif, dans ce qui sera l’avenir des régions.
La prospective territoriale au service d’une politique régionale adaptée à l’avenir
La prospective stratégique, gage d’une meilleure préparation face à un avenir incertain
La prospective stratégique est une approche qui vise à étudier de façon structurée les changements susceptibles de se produire et leurs implications pour les décisions à prendre dès aujourd’hui. Elle repose sur le principe que l’on ne peut pas prédire l’avenir, mais que l’on peut s’y préparer. Elle consiste à exercer une activité de vigie à l’égard des nouveaux faits et des tendances émergentes, à élaborer différents scénarios quant aux évolutions susceptibles d’intervenir à l’avenir et à concevoir des stratégies tournées vers l’avenir au service d’un certain nombre de valeurs et d’objectifs face à un large éventail de circonstances possibles (OCDE, 2021[1]). La prospective permet d’éviter de prendre de mauvaises décisions basées sur des hypothèses d’avenir insuffisamment analysées. La pratiquer permet de repérer les nouveaux défis plus tôt, afin de ne pas être pris au dépourvu, et de percevoir une gamme plus vaste de possibilités. L’encadré 4.1 présente certains des principaux concepts et avantages de la prospective stratégique.
Encadré 4.1. Principaux concepts et avantages de la prospective stratégique
L’OCDE définit la prospective stratégique comme une approche visant à étudier de façon structurée et systématique différents scénarios d’avenir plausibles ainsi que les possibilités et les défis qu’ils recèlent, et à s’appuyer sur ces éclairages pour prendre de meilleures décisions et agir dans le temps présent. La prospective peut constituer un appui à l’action publique, essentiellement par les moyens suivants :
Une meilleure anticipation : pour mieux anticiper les évolutions susceptibles de se produire à l’avenir.
Une action publique innovante : pour mettre en évidence des pistes d’expérimentation fondées sur des approches innovantes.
Une préparation face à l’avenir : pour mettre à l’épreuve des stratégies et politiques existantes ou à l’état de projet.
La prospective stratégique n’est pas la prévision. Elle n’a pas pour objet de formuler des réponses définitives quant à ce que l’avenir réserve. La prospective considère l’avenir comme une entité émergente qui n’est encore que partiellement visible dans le temps présent, et non pas comme un destin prédéterminé qui peut être pleinement connu à l’avance (prévu). Il n’existe pas de certitudes quant à l’avenir, et les données dont on dispose sont toujours incomplètes. L’objectif n’est pas de « connaître l’avenir », mais d’élargir et de redimensionner l’éventail des évolutions plausibles qui doivent être prises en compte. L’un des principaux apports de la prospective est de donner un sens à l’avenir et d’aider les acteurs à mieux comprendre sa complexité.
La prospective stratégique n’est pas non plus la planification stratégique. La prospective stratégique ne produit pas, à elle seule, de stratégie ou de plan. La tâche consistant à élaborer des stratégies et des plans est enrichie et facilitée, mais non remplacée, par le processus qui consiste à examiner de multiples scénarios futurs possibles et leurs implications. La prospective stratégique vise à poser les questions essentielles qui risqueraient, en son absence, de ne pas être soulevées dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie, et à faire apparaître et remettre en cause les hypothèses et attentes potentiellement fatales intégrées aux politiques et plans existants.
Source : OCDE (s.d.[18]), Prospective stratégique, https://www.oecd.org/strategic-foresight/ourwork/.
Au cours de la dernière décennie, la prospective est devenue une méthode employée de façon très visible et répandue pour éclairer les processus de décision et de planification dans le domaine de l’action publique. Elle permet de débattre de façon plus systématique des perspectives et des souhaits pour l’avenir, afin d’en tenir compte pour les décisions et actions présentes. Elle est particulièrement utile pour tirer parti des connaissances d’un large éventail d’acteurs sur les dernières évolutions ainsi que sur les besoins de la société et des entreprises. Les « résultats » tangibles et intangibles de la prospective sont reconnus comme des contributions précieuses pour la fixation des priorités des initiatives publiques et/ou privées, pour l’élaboration d’une vision stratégique, pour la formation de réseaux et pour la sensibilisation et l’information des acteurs concernés, et notamment des décideurs publics.
Dans l’ensemble de la zone OCDE, les pouvoirs publics sont de plus en plus nombreux à recourir à des instruments de prévision et de prospective stratégique pour préparer la politique régionale face à l’avenir. Les réponses à une enquête de 2018 de l’OCDE ont montré que plus des deux tiers des pays de l’échantillon s’étaient dotés d’un service national chargé de la planification à long terme ou de la prospective stratégique au sein du centre de gouvernement, et que près des deux tiers des pays recouraient à la fois à la prévision et à la prospective stratégique dans le cadre des processus régionaux de planification (OCDE, 2019[9]). On trouvera à l’encadré 4.2 des exemples de recours à la prospective stratégique dans l’action publique et dans la planification stratégique au Canada, en France et en Suisse.
Les sceptiques pourraient objecter que des méthodes et des processus suffisants de stratégie et de planification sont déjà bien implantés à tous les échelons de l’action publique. Cependant, les règles du jeu sont en train de changer rapidement et radicalement, érodant ainsi l’intérêt d’une planification plus rationnelle et des méthodes linéaires d’élaboration des politiques, et rendant plus nécessaires les approches interactives et plus immédiates qui caractérisent la prospective. Les méthodes traditionnelles de planification reposent en grande partie sur l’existence de longues périodes de relative stabilité, et ces approches sont actuellement remises en cause par l’accélération des évolutions environnementales et technologiques, entre autres. La prévalence de méthodes d’analyse et d’étude interactives et participatives constitue ce qu’on pourrait qualifier de nouveau paradigme. Ces méthodes ne sont pas « nouvelles » au sens le plus strict, puisqu’elles sont pratiquées et affinées depuis plusieurs décennies. Elles n’ont pas non plus vocation à se substituer aux formes plus traditionnelles de planification ou à une recherche académique rigoureuse. Toutefois, elles présentent un intérêt croissant et constituent, de plus en plus, un élément décisif dans le cadre des exercices de planification. Les méthodes de prospective relèvent d’une démarche de planification beaucoup plus « émergente » et en temps réel.
Encadré 4.2. Le recours à la prospective pour élaborer des politiques et des programmes tournés vers l’avenir à l’échelon national : expériences menées au Canada, en France et en Suisse
Canada
Horizons de politiques Canada est un organisme fédéral qui pratique la prospective pour aider l’exécutif canadien à élaborer des politiques et des programmes tournés vers l’avenir plus robustes et résilients face aux ruptures susceptibles de se produire. Pour remplir sa mission, Horizons de politiques Canada analyse le paysage stratégique émergent, les défis qui se profilent et les possibilités qui s’ouvrent, dialogue avec les agents publics et les citoyens autour de travaux de recherche tournés vers l’avenir pour enrichir leurs connaissances et éclairer leurs décisions et renforce la sensibilisation à la prospective et les capacités dans ce domaine à travers l’ensemble du secteur public.
En 2017-18, Horizons de politiques Canada a mené à bien, en collaboration avec le Bureau du Conseil privé, le programme « Canada au-delà de 150 », qui avait pour objectifs : de perfectionner le leadership d’un groupe diversifié de fonctionnaires ; d’essayer de nouvelles méthodes pour appuyer l’élaboration de politiques ouvertes ; d’acquérir les compétences requises et d’encourager un changement culturel pour une fonction publique plus ouverte, plus innovatrice et plus collaborative ; et de faire participer les partenaires externes à l’élaboration d’analyses à plus long terme et d’idées novatrices qui appuieraient l’élaboration des futures politiques. Ce programme rassemblait des agents de la fonction publique fédérale issus de tout le territoire canadien qui ont ainsi été formés à l’analyse prospective, à la réflexion conceptuelle et à la mobilisation et qui ont étudié cinq thèmes — la réconciliation, le gouvernement féministe, les Objectifs de développement durable, le gouvernement ouvert et transparent et l’inclusion socio-économique — dans le cadre desquels ont été abordées des questions relatives à l’avenir du travail, au capital et à la dette ainsi qu’à l’avenir du bien-être. Le programme a débouché sur la publication de sept rapports thématiques présentant, pour ces différents thèmes, les principales difficultés, possibilités et problématiques d’action en présence ainsi que les solutions et stratégies possibles.
France
Conformément aux engagements qu’elle a souscrits dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat, la France a lancé deux stratégies nationales initiales de réduction des émissions de carbone. Ces stratégies impliqueront d’importantes transformations systémiques qui mobiliseront l’ensemble des parties prenantes et qui exigeront d’importantes innovations techniques, institutionnelles et sociales. En 2022, pour éclairer les décisions du gouvernement français à cet égard, l’Agence de la transition écologique (ADEME) a produit quatre scénarios qui proposent des options économiques, techniques et sociales très différentes pour parvenir à la neutralité carbone. Un rapport intitulé Transition(s) 2050 présente ces scénarios en détail, propose un bilan comparé des différents scénarios en fonction de considérations liées à l’énergie, au climat et aux ressources et tire des enseignements sectoriels dans des domaines tels que l’aménagement du territoire, l’habitat, la mobilité, l’agriculture, la gestion des déchets et la production industrielle.
Suisse
Depuis plus de dix ans, le Projet de territoire Suisse énonce la stratégie commune de la Confédération, des cantons et des communes pour le développement régional du pays. Il propose une vision stratégique de l’avenir de la Suisse et depuis sa première édition, en 2012, constitue un outil important de planification pour les décideurs. En 2023, les trois niveaux d’administration ont décidé d’actualiser le Projet de territoire afin qu’il tienne compte de la montée en puissance de défis récents tels que, notamment, le changement climatique, la production énergétique et la transformation numérique. Le processus reposera sur une réflexion menée à tous les échelons et dans toutes les composantes de l’administration sur le visage que pourrait avoir la Suisse en 2050, dans le cadre d’une collaboration entre tous les grands partenaires institutionnels. Des ateliers seront organisés avec des experts de la prospective sur des thèmes comme le climat, l’économie, l’énergie et la cohésion, et une conférence des jeunes sera organisée, le tout afin de produire une version actualisée du Projet de territoire d’ici 2025.
Source : Gouvernement du Canada (s.d.[19]), Horizons de politiques Canada, https://horizons.gc.ca/fr/accueil/ (consulté le 3 février 2023) ; Gouvernement du Canada (s.d.[20]), Canada au-delà de 150, http://www.canadaaudela150.ca/ (consulté le 3 février 2023) ; ADEME (2022[21]), Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat, https://transitions2050.ademe.fr/ ; Projet de territoire Suisse (s.d.[22]), Page d’accueil, https://projet-de-territoire-suisse.ch/ (consulté le 12 avril 2023).
La logique de la prospective s’applique dans la même mesure à tous les échelons territoriaux. Toutefois, les problématiques et les priorités d’une région peuvent être très différentes de celles d’un pays tout entier, en raison de la proximité immédiate de ses différentes composantes socioéconomiques et des fortes différences qui existent d’une région à l’autre, y compris sur le plan des responsabilités diverses qui sont confiées aux administrations infranationales selon les pays mais aussi au sein d’un même pays. Cela signifie que la prospective territoriale est, à bien des égards, différente de la prospective nationale, même s’il existe d’importantes similitudes et synergies. La section qui suit examine de près les spécificités de la prospective territoriale et la contribution qu’elle peut apporter pour préparer la politique de développement régional face à l’avenir.
Prospective territoriale : objectifs et approches
La prospective territoriale présente des caractéristiques particulières. Premièrement, elle est intrinsèquement multi-dimensionnelle dans la mesure où elle tient compte des dimensions économiques, sociales, environnementales et politiques qui composent les économies et écosystèmes régionaux. Deuxièmement, les exercices de prospective territoriale ne se limitent pas aux frontières administratives, mais prennent en compte les multiples connexions qu’une région a avec les régions voisines et les autres parties du monde. Troisièmement, la prospective territoriale est un outil permettant de concilier les perspectives et priorités des différents acteurs d’une même région en fournissant à ces derniers un espace de dialogue (ateliers, groupes de réflexion, forums, etc.) où ils peuvent confronter leurs points de vue quant à ce qui est possible et souhaitable à l’avenir et aux risques et opportunités qu’ils doivent anticiper, ce qui a ensuite pour effet de favoriser l’apprentissage mutuel et la planification stratégique.
Lors d’un exercice de prospective territoriale, les acteurs régionaux se penchent sur des questions clés impliquant diverses hypothèses, partis pris et arbitrages, par exemple : une région doit-elle donner la priorité aux changements technologiques ou comportementaux pour faire face au dérèglement climatique ? Une région doit-elle spécialiser ou diversifier son économie ? Une région doit-elle se concentrer sur le développement de ses ressources et compétences endogènes ou sur l’établissement de liens et de partenariats avec les régions voisines ? En fonction des réponses à ces questions, une région peut prendre différents aiguillages. L’encadré 4.3 présente des exemples de mise en application de la prospective territoriale dans certains pays de l’OCDE.
Encadré 4.3. Expériences de prospective territoriale dans la zone OCDE
En Australie, les organismes publics de la Nouvelle-Galles du Sud ont mis sur pied une équipe dédiée à la prospective et aux perspectives, pour donner aux décideurs du secteur la capacité de surmonter l’incertitude quant à l’avenir et d’anticiper les défis et opportunités qui se dessinent à l’horizon. Cette équipe a mis au point une plateforme numérique – the Trend Atlas – accessible à tous les organismes publics de la Nouvelle-Galles du Sud, qui constitue un banc d’essai pour l’intégration de l’intelligence collaborative dans les systèmes publics. The Trend Atlas fournit des informations concernant plus de 275 tendances locales et mondiales, avec pour chacune une analyse détaillée mettant en évidence les déterminants, les effets et les évolutions potentielles. De multiples taxonomies relatives à la prospective et à la gestion des risques sont en outre appliquées aux tendances afin de permettre aux utilisateurs de s’y retrouver efficacement et d’en tirer des conclusions. Une base de données explorant plus de 3 500 articles donne aux utilisateurs des indications même sur les signaux faibles du changement. Cette plateforme facilite l’intégration de l’analyse prospective dans la décision publique, la planification stratégique, l’élaboration des politiques et la reconfiguration des services.
En Finlande, compte tenu de la polarisation croissante de la structure régionale et dans le cadre des efforts de planification futurs, le ministère de l’Économie et de l’Emploi a commandé une étude sur les scénarios de développement régional à l’horizon 2040. Ceux-ci doivent servir de base de discussion sur les options possibles pour l’avenir des régions. Les cinquante questions clés à traiter dans ces scénarios portent sur les moyens de mobiliser des connaissances de premier plan au niveau mondial pour trouver le rôle le plus approprié pour chaque région, mais aussi d’assurer une adaptation intelligente et de bonnes conditions de vie, y compris dans les zones situées en dehors des régions les plus performantes.
En France, le Parc naturel régional de Brière a lancé en 2019 une campagne de prospective territoriale sur les effets du changement climatique, de la croissance démographique et du tourisme sur son avenir. Au cours de trois ateliers prospectifs, une bonne centaine de parties prenantes ont exploré différents futurs possibles sur une période de 40 ans afin de décrire un avenir souhaitable pour le parc. Ce processus a permis de constater que le parc n’est pas encore armé pour faire face aux défis et aux risques qui l’attendent et a montré la nécessité de repenser l’aménagement du territoire, la gestion environnementale et les stratégies touristiques. Il a mené à la création de trois « laboratoires de transition » chargés d’inventer de nouvelles façons, pour les acteurs locaux, de travailler ensemble et de chercher des solutions collectives. L’un de ces laboratoires d’innovation s’est penché sur l’avenir de l’urbanisme et s’est demandé comment concevoir un aménagement « zéro artificialisation nette » dans une zone très exposée aux inondations tout en préservant les écosystèmes. Il a réuni des urbanistes, des citoyens et des spécialistes de l’occupation des sols afin qu’ils conçoivent une nouvelle charte d’urbanisme pour le parc.
Le Government Office for Science du Royaume-Uni a mené une évaluation prospective à partir d’un scénario plausible (Futures of Cities) pour constituer un socle de connaissances sur l’avenir des villes du pays (défis et opportunités à l’horizon 2065) et, ainsi, éclairer les décideurs aux niveaux national et municipal. Cette étude, à laquelle plus de 25 villes du Royaume-Uni ont participé, a été réalisée en commandant des documents de travail et des études et en organisant des ateliers interactifs. En combinant analyse des mégatendances et planification par scénarios, l’étude a « produit » un avenir plausible composé de chocs climatiques importants présentant des défis majeurs pour les villes d’ici à 2065, par exemple des étés plus secs et des vagues de chaleur touchant les villes du sud du pays, et des niveaux élevés de précipitations touchant les villes de l’ouest pendant l’hiver.
Aux États-Unis, l’État du Kansas a testé un nouveau cadre, Our Tomorrows, visant à adapter les politiques et les pratiques aux besoins des familles. Ce cadre poursuivait trois objectifs : i) recueillir des récits de familles du Kansas sur leur épanouissement et leur survie en utilisant une méthode de recherche narrative fondée sur la complexité appelée SenseMaker ; ii) donner un sens aux schémas qui se dégagent des récits grâce à des ateliers communautaires SenseMaker réunissant des parties prenantes à différents niveaux du système ; et iii) agir et permettre un changement inspiré du terrain grâce à des laboratoires d’action locaux. Our Tomorrows a sensibilisé les décideurs de l’État à l’innovation anticipative, tout en offrant des possibilités d’associer directement la population locale. Il est actuellement en cours de déploiement dans tout le Kansas.
Source : Gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud (s.d.[23]), Case Study : New South Wales (NSW) Trend Atlas, https://data.nsw.gov.au/nsw-government-data-strategy/case-studies/case-study-new-south-wales-nsw-trend-atlas ; Futuribles (s.d.[24]), Prospective Parc naturel régional de Brière 2060, https://www.futuribles.com/la-prospective/etapes-de-la-demarche/exemples-de-demarches/prospective-parc-naturel-regional-de-briere-2060/ ; Gouvernement du Royaume-Uni (2016[25]), Future of Cities : Foresight for Cities, https://www.gov.uk/government/collections/future-of-cities.
La prospective territoriale peut prendre de nombreuses formes et viser différents objectifs, qu’il s’agisse d’ateliers ponctuels ou d’un processus pluriannuel, et associer un plus ou moins grand nombre de parties prenantes (voir encadré 4.4). En outre, différentes méthodes peuvent être utilisées pour explorer l’avenir, parmi lesquelles :
Le contexte prospectif : cette méthode consiste à résumer les principaux changements et facteurs d’incertitude aux niveaux mondial, national et régional. Les acteurs de la région sont invités à sélectionner les changements qui semblent avoir les effets les plus marquants sur leur territoire et à les classer par ordre de priorité, puis à réfléchir à leurs implications potentielles pour leur région. Une méthode qui nourrit la réflexion stratégique, en particulier sur la vulnérabilité de la région et les mesures de résilience à prendre en conséquence.
La prospective normative : il s’agit d’une approche fondée sur un objectif commun pour l’avenir de la région. Cet objectif peut prendre la forme d’un récit ou d’images pour représenter le plus concrètement possible ce qui constituerait un horizon souhaitable et unificateur. Il est généralement défini par un ou plusieurs acteurs clés de la région (élus, entrepreneurs, citoyens) et fait l’objet d’un consensus. L’exercice de prospective consiste alors à déterminer la trajectoire la plus appropriée pour atteindre l’objectif visé.
Les scénarios exploratoires : le but de cette méthode est d’établir une représentation simplifiée des futurs possibles d’une région. Une méthodologie rigoureuse permet d’identifier les principales composantes (ou variables) de la région, d’étudier leurs dynamiques et de formuler des hypothèses sur leur évolution potentielle. Ces hypothèses sont ensuite combinées pour bâtir des scénarios. Pour les parties prenantes, cette méthode fournit une occasion de travailler ensemble et de se forger une représentation commune de la région et de ses priorités pour l’avenir.
Encadré 4.4. Comment utiliser la prospective territoriale : Des approches différentes pour des finalités différentes
Les régions et les territoires présentent des caractéristiques, des défis et des contextes stratégiques variés. Par conséquent, les démarches de prospective territoriale s’adaptent à cette diversité et peuvent avoir des formes et des objectifs différents, comme illustré ci-dessous.
La prospective territoriale pour remettre en cause les idées préconçues sur l’avenir
Un exercice de prospective peut être bref et constitué de séquences courtes, par exemple des entretiens avec des acteurs régionaux ou locaux, un pré-diagnostic prospectif et quelques ateliers. Ce type d’approche fournit une occasion de discuter avec ces acteurs de leurs points de vue et représentations concernant l’avenir et de les amener à esquisser les contours d’une réflexion prospective. Elle est utile pour remettre en cause les idées préconçues, soulever de nouvelles questions ou mettre en évidence de nouveaux défis, et donner envie d’aller plus loin. Malgré sa brièveté, cette approche nécessite une préparation minutieuse pour définir le cadre de la discussion dans le contexte spécifique de la région concernée. Elle sert généralement de première étape ou de prélude à un processus prospectif plus structuré et à long terme.
La prospective territoriale pour faire face à l’incertitude et renforcer la résilience
Dans une période caractérisée par des changements rapides et imprévisibles, les acteurs régionaux et locaux doivent repérer et anticiper ces changements pour s’y préparer. La prospective territoriale peut être utilisée afin de mieux comprendre les changements en cours et à venir, de déterminer les implications potentielles pour une région ou un territoire du point de vue de son exposition et de sa vulnérabilité à ces changements, et d’élaborer une stratégie de résilience. Cette stratégie sert à gérer les risques et à s’adapter à un environnement en mutation. Ce type d’approche prospective apporte une importante contribution aux stratégies de résilience régionales, qui sont souvent fondées uniquement sur une interprétation des risques passés et présents.
La prospective territoriale pour définir une ligne d’action porteuse de transformation
La prospective territoriale peut être utilisée par une région pour se préparer aux transformations majeures, telles que la transition industrielle. Il s’agit d’approches stratégiques plus complexes, où la prospective apporte du sens et de la cohérence, ainsi qu’une exploration de l’avenir qui enrichit la réflexion collective et la planification stratégique. En général, ces approches sont structurées en trois grandes étapes : i) établir un diagnostic des atouts et défis majeurs de la région et de son environnement ; ii) élaborer des scénarios exploratoires pour identifier les futurs possibles et jeter les bases d’une vision de l’avenir de la région ; et iii) concevoir la vision d’avenir et la trajectoire future de la région.
Source : informations fournies par Futuribles.
Scénarios pour les régions de l’OCDE à l’horizon 2045
Pour mieux comprendre les défis auxquels les régions des pays de l’OCDE sont susceptibles d’être confrontées dans les prochaines décennies, cette section explore plusieurs futurs plausibles en utilisant la planification par scénarios. Cette approche remet en question les hypothèses actuelles sur la trajectoire que les régions pourraient prendre. Quant aux scénarios, ils sont pensés comme une première contribution à la réflexion et à la prise de décision au sujet du développement régional dans les années à venir.
Les scénarios ne sont ni prescriptifs ni prédictifs, pas plus qu’ils ne sont exhaustifs ou mutuellement exclusifs. Il s’agit de contextes futurs imaginés, conçus pour envisager ce que l’avenir pourrait nous réserver en repoussant les limites du plausible. Les scénarios donnent à voir des bouleversements futurs potentiels qui pourraient donner lieu à des réflexions stratégiques importantes en ce qui concerne les disparités territoriales et les politiques de développement régional. Ils ne visent pas à refléter pleinement les diverses réalités des régions de l’OCDE, mais cherchent plutôt un dénominateur commun en décrivant les évolutions possibles de manière générale, l’accent étant mis sur des questions d’intérêt mutuel pour l’ensemble des pays de l’OCDE.
Processus d’élaboration des scénarios et vue d’ensemble
Les scénarios sont construits à la lumière des nouvelles conclusions de l’OCDE concernant les effets des mégatendances et des transitions sur les régions. Ils ont été élaborés avec les délégations auprès du Comité des politiques de développement régional (RDPC) de l’OCDE lors d’une série d’ateliers collaboratifs organisés en 2022 et 2023 pour repérer les principaux moteurs de changement dans les régions, réfléchir à différents futurs possibles et explorer ce qu’ils impliquent pour les politiques de développement régional (encadré 4.5).
Encadré 4.5. L’exercice de prospective des Perspectives régionales 2023
Les scénarios décrits dans ce chapitre sont le fruit d’une étroite collaboration avec les délégations auprès du RDPC. Le processus prospectif a consisté en deux ateliers collaboratifs organisés entre novembre 2022 et mars 2023, auxquels 30 à 40 représentants de pays membres et non membres ont participé.
Le premier atelier, intitulé « A Day in 2045: What’s driving the future(s) of OECD regions? » (Une journée en 2045 : qu’est-ce qui détermine le(s) futur(s) des régions de l’OCDE ?), a été l’occasion pour les délégations d’échanger et de formuler des idées sur les principaux moteurs de changement à venir pour les régions de l’OCDE. Répartis en sous-groupes, les participants ont tout d’abord imaginé une journée type de la vie d’habitants des différentes régions de l’OCDE en 2045. Chaque sous-groupe a décrit la journée de personnes vivant dans une région d’un pays de l’OCDE, en tenant compte de leur emploi et de leur niveau d’études, de leur mobilité, de leur accès à internet, de leur alimentation, de leur environnement, de leur vie sociale, de leur culture, etc., et examiné des principaux facteurs de changement qui modifieront l’avenir de ces personnes, qu’il s’agisse d’un migrant de 19 ans étudiant à l’université et vivant dans une région métropolitaine densément peuplée, d’une personne de 55 ans ayant trois enfants, gérant une petite et moyenne entreprise (PME) et habitant dans une région moyennement peuplée, ou encore d’un ou une trentenaire, médecin, vivant dans une région faiblement peuplée. Les participants ont ensuite réfléchi aux facteurs qui influenceront ou modifieront les modes de vie, de travail, de consommation et les interactions de ces personnes, en s’interrogeant notamment sur les points suivants :
Qu’est-ce qu’il ressort de la vie future de la personne en question, et quels en sont les aspects marquants ?
Quelles sont les hypothèses qu’ils formulent à propos de l’avenir ?
De quoi ont-ils pris conscience face à cet avenir qu’ils imaginent ?
Lors du second atelier, intitulé « Building forward-looking scenarios for OECD regions » (Élaborer des scénarios prospectifs pour les régions de l’OCDE), les participants se sont livrés à des exercices conçus pour les aider à imaginer les différentes trajectoires que les régions pourraient emprunter au cours des 20 prochaines années sous l’influence de transformations majeures, ainsi que les choix politiques et les interventions nécessaires pour se préparer et s’adapter à ces futurs possibles. Les participants se sont d’abord vu présenter trois ébauches de scénarios et les ont approfondies, notamment pour s’assurer de leur cohérence, de leur plausibilité et de leur clarté. Ils ont ensuite imaginé que ces scénarios se concrétisaient aujourd’hui pour étudier les questions suivantes :
Que faut-il faire pour s’adapter à ces nouvelles réalités ? Quelles actions concrètes peuvent être menées aujourd’hui ?
Quelles politiques ou solutions doivent être inventées pour améliorer la vie des gens à l’avenir ?
Qu’est-ce qui pourrait changer, en bien ou en mal, et qui empêcherait cette réalité de se concrétiser ?
Parmi les moteurs de changement identifiés dans le cadre des ateliers de prospective, qui comprenaient des facteurs sociétaux, économiques, technologiques ou environnementaux, l’état de la gouvernance pluri-niveaux a été retenu comme celui ayant les effets les plus marqués et les plus incertains sur les réalités régionales futures dans la zone OCDE. La gouvernance pluri-niveaux désigne généralement les interactions entre et au sein des niveaux d’administration, qui sont interdépendants, et avec un large éventail de parties prenantes non gouvernementales, y compris des acteurs privés et des citoyens, lors de la conception et de la mise en œuvre de politiques publiques ayant des effets à l’échelon infranational (OCDE, 2023[26]). Les discussions menées dans le cadre des ateliers de prospective ont mis en évidence le rôle essentiel des systèmes de gouvernance pluri-niveaux pour apporter des réponses aux nombreux défis et transitions auxquels les différentes régions seront confrontées, ainsi que le caractère décisif de l’évolution de ces systèmes dans les années à venir pour le développement futur des régions.
En utilisant la gouvernance pluri-niveaux comme principal vecteur de changement, trois scénarios émergent à l’horizon 2045. Ils sont résumés dans le tableau 4.2 et développés dans les sections suivantes. Ces scénarios prennent en compte les différents degrés de coopération ou d’autonomie nationales et régionales dans les pays de l’OCDE – depuis une action publique très centralisée jusqu’à des niveaux d’autonomie régionale très élevés, en passant par une coopération efficace et équilibrée entre niveaux d’administration. Chacun des trois scénarios tient aussi compte de l’évolution d’autres moteurs de changement identifiés lors des ateliers (changement climatique, disponibilité des ressources naturelles, technologie, infrastructure, etc.). Afin d’illustrer les différents avenirs possibles, les contrastes entre les scénarios ont été quelque peu exagérés.
Le scénario de la « région disparue » envisage une situation où le pouvoir est totalement centralisé et le processus décisionnel parfaitement vertical dans les pays de l’OCDE, où l’engagement citoyen est moindre et la défiance croissante. Celui de la « région hyper connectée » voit les autorités régionales et nationales collaborer activement entre elles et avec les citoyens pour mettre au point des solutions efficaces aux problèmes urgents. Enfin, celui de la « région-État » imagine un transfert de compétences à l’issue duquel les régions se transforment en entités distinctes, presque indépendantes, chacune opérant dans son propre écosystème et rivalisant avec les autres pour les richesses et les ressources.
Tableau 4.2. Vue d’ensemble des scénarios
Scénario de la « région disparue » |
Scénario de la « région hyper connectée » |
Scénario de la « région-État » |
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Description |
Les autorités régionales ont pratiquement disparu à mesure que les administrations nationales (re)centralisaient tous les pouvoirs de décision et les compétences publiques. L’absence d’approche pluri-niveaux pour gérer les transitions a rendu les effets des mégatendances encore plus asymétriques à l’intérieur des pays, et les disparités territoriales intenables entre les régions les plus touchées et celles qui le sont le moins. |
Il existe une coordination et une collaboration étroites entre les administrations nationales et régionales, y compris au-delà des frontières. Les transitions sont gérées de manière intégrée et en réseau. Les communautés et les citoyens jouent un rôle actif et s’engagent presque exclusivement dans le métavers. Alors que les inégalités au sein des pays se réduisent, celles entre les pays se creusent. |
Les pays de l’OCDE sont fragmentés, car les régions sont devenues (plus) autonomes et ont adopté des modèles économiques et des conceptions de la valeur sociale très différents, ce qui se traduit par une explosion des inégalités territoriales. Il y a un manque de coordination sur les défis mondiaux tels que le dérèglement climatique. Les administrations nationales sont reléguées au rôle de régulateur et doivent arbitrer la concurrence et les tensions croissantes entre les régions. |
Événements qui y ont mené |
Après la pandémie de COVID-19, les catastrophes et les crises se sont poursuivies et ont conduit les pays de l’OCDE à centraliser et à concentrer la prise de décision afin de faire face au changement climatique et de contrôler la durabilité, principalement à l’aide de solutions techniques. |
Craignant de nouvelles pandémies et des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et dévastatrices, les citoyens ont exigé une plus grande collaboration entre les administrations nationales et régionales pour mener à bien la transition écologique. |
Le rôle proactif joué par les administrations infranationales pendant et après la pandémie de COVID-19 a renforcé le soutien de la population en faveur d’une plus grande autonomie régionale, conduisant à la création de régions-États dotées de leurs propres compétences. |
Hypothèses remises en question |
Que le paradigme du développement régional a été largement adopté et soutenu, et que les pays s’appuient sur la gouvernance pluri-niveaux et la décentralisation pour renforcer leur résilience face aux mégatendances. |
Qu’une coordination efficace entre les administrations nationales et infranationales serait difficile à réaliser et qu’il n’y a pas de valeur ajoutée à collaborer avec le niveau central. |
Que l’État-nation et la souveraineté nationale resteraient le modèle dominant dans l’ordre mondial. |
Scénario de la « région disparue »
Principaux éléments du scénario
En 2045, les pays de l’OCDE estiment que la lutte contre le dérèglement climatique est plus efficace si elle est menée au niveau national, et les centres de gouvernement concentrent désormais tous les pouvoirs de décision. Par conséquent, les régions et les administrations régionales ont pratiquement disparu. Depuis plusieurs années, pour gérer la transition écologique, les administrations nationales abordent l’innovation de manière verticale, avec une orientation précise ; elles misent tout sur les nouvelles technologies vertes, telles que l’énergie verte durable et la biotechnologie. La protection de l’environnement est considérée comme une nécessité pour préserver la croissance, et non comme une fin en soi. Le modèle de développement dominant repose toujours sur l’exploitation des ressources, malgré l’importance accrue accordée à la durabilité. Les administrations nationales contrôlent les infrastructures essentielles et collaborent étroitement avec les grandes entreprises technologiques. Les citoyens s’inquiètent du faible nombre de canaux par lesquels ils peuvent influer sur la nouvelle politique centralisée, et la confiance dans les pouvoirs publics s’est effondrée, provoquant l’émergence de mouvements antidémocratiques.
Événements qui y ont mené
Après la pandémie de COVID-19, les crises et les catastrophes se sont poursuivies. L’élévation spectaculaire du niveau de la mer dans les années 2020 et 2030 a contraint les populations à abandonner les zones côtières dans les pays de l’OCDE. Le changement climatique a aussi entraîné la résurgence d’anciens agents pathogènes. Pour éviter une véritable catastrophe climatique, les administrations nationales des pays de l’OCDE prennent en charge le programme de développement durable. La gouvernance pluri-niveaux, la décentralisation et l’engagement des parties prenantes sont considérés comme des obstacles qui prennent du temps et qui détournent l’attention d’une action verticale cohérente et décisive pour lutter contre la crise climatique. Progressivement, les administrations nationales (re)centralisent les pouvoirs de décision et s’arrogent des compétences clés dans les grandes infrastructures (énergie, eau, transports) pour être « plus efficaces », sans tenir aucun compte du rôle des régions et des autorités infranationales. Dans le même temps, les administrations nationales ont privilégié le développement technologique à la modification des modes de consommation pour relever les défis environnementaux et ont mis en œuvre des politiques fortes pour promouvoir la décarbonisation des économies, dans un contexte de concurrence internationale et de mondialisation des échanges. Le modèle vertical, non territorialisé, a conduit à favoriser la concentration et la densité dans de grandes villes dynamiques dans les années 2020 et 2030.
À l’horizon 2045…
Les régions et les administrations régionales ont pratiquement disparu. Les administrations nationales ont pleinement adopté une approche descendante et uniforme de l’élaboration des politiques et de la durabilité. Les politiques dominantes reposent sur la conviction que la prise de décisions centralisée est plus efficace, et que les considérations régionales et territoriales sont secondaires et inefficaces. Ces stratégies nationales considèrent qu’une bonne gestion macroéconomique et de solides politiques nationales sont les facteurs les plus importants pour lutter contre le changement climatique et préserver la croissance.
La nature est considérée comme un ensemble de ressources à exploiter au profit de l’humanité, dans une relation de croissance mutuelle entre les écosystèmes naturels et une activité humaine intense dans tous les secteurs économiques. Les technologies sont des moyens de comprendre, de surveiller et de réguler les effets du changement climatique. Les solutions technologiques offrent aussi de nouvelles flexibilités et capacités d’adaptation (agriculture de précision, dessalement de l’eau de mer, domotique, etc.). Ainsi, les modes de vie, de déplacement et de travail sont très semblables à ceux des années 2020 et 2030, avec quelques différences toutefois. Par exemple, les régimes alimentaires contiennent moins de viande et la mobilité individuelle est toujours répandue, mais avec des véhicules plus légers et électriques. La focalisation sur les technologies vertes ou décarbonées entraîne une maîtrise insuffisante des risques liés à la consommation d’énergie et de matériaux. L’énergie verte est un marché important, y compris pour les PME.
Les meilleures technologies sont largement déployées et accessibles à ceux qui peuvent se les offrir, notamment les grandes villes et les zones rurales qui se sont spécialisées, par exemple, dans les technologies vertes ou l’extraction de ressources qui contribuent à une autonomie stratégique. Les systèmes de transport centralisés se concentrent sur l’interconnexion des villes et des équipements. Pendant ce temps, les régions pauvres s’appauvrissent encore et risquent de ne pas avoir accès aux équipements de base (hôpitaux, transports publics, etc.) et de perdre leur population jeune et qualifiée. Les inégalités au sein des pays n’ont jamais été aussi importantes.
En dehors d’initiatives isolées, les citoyens sont moins impliqués dans les décisions politiques. Comme les citoyens se sentent déconnectés des pouvoirs publics et des élus, ils vivent repliés sur eux-mêmes et de manière plus individualiste. La concentration des pouvoirs sape les fondements de la démocratie. La confiance dans les pouvoirs publics et la cohésion sociale s’érodent considérablement, laissant derrière elles un vide de plus en plus souvent comblé par de grandes entreprises technologiques. La frontière entre les pouvoirs publics et les entreprises est floue. La baisse de la confiance sociale coïncide aussi avec un repli sur des formes virtuelles d’engagement et une mésinformation galopante.
Réflexions issues de ce scénario concernant l’évolution de l’action publique en matière de développement régional
Comment l’action publique en matière de développement régional pourrait-elle gérer les tensions entre la réalisation des objectifs de durabilité et le recours à l’innovation technologique dans les différents territoires ?
Comment pourrait-elle contribuer davantage à l’établissement de cadres et de normes pour le bien-être et la qualité de vie au niveau régional dans un environnement beaucoup plus centralisé ?
Scénario de la « région hyper connectée »
Principaux éléments du scénario
Nous sommes en 2045 et la transition écologique est le fil conducteur qui relie toutes les régions entre elles et avec leurs administrations nationales. Les pays de l’OCDE sont en passe d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. Forts du succès rencontré par le Programme international pour l’action sur le climat (IPAC) et le Forum inclusif sur les approches d’atténuation des émissions de carbone (IFCMA), qui ont aidé à remplir les objectifs de l’Accord de Paris au début des années 2030, les pays membres ont investi massivement dans les technologies de la transition écologique et numérique et ont ouvert la voie au soutien de structures de gouvernance davantage axées sur les réseaux et la coopération. Dans ce nouveau système, les régions sont des rouages essentiels dans la mesure où elles collaborent avec les administrations nationales pour atteindre les objectifs sociétaux. Toutes les décisions prises sont le fruit d’un consensus et de compromis. Pour faciliter cette hyper-connexion, la plupart des interactions, que ce soit entre les différents niveaux d’administration ou avec les citoyens, se déroulent désormais dans le métavers. Les principaux canaux d’interaction avec les pouvoirs publics sont des applications ciblées et des réseaux sociaux utilisant une nouvelle génération de technologies portables. La diplomatie est plus complexe que jamais, car les relations entre les administrations nationales, les autorités infranationales, les sociétés de plateformes et les citoyens doivent être gérées avec délicatesse.
Événements qui y ont mené
Alors que la dégradation de l’environnement atteignait des niveaux dangereux à la fin des années 2020, des initiatives mondiales telles que l’IPAC et l’IFCMA, lancées par l’OCDE, ont permis de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre au début des années 2030 et ont convaincu les pays que des efforts coopératifs et coordonnés étaient essentiels à la sauvegarde de l’humanité et devaient être intégrés dans tous les aspects de l’action publique et à tous les niveaux d’administration. La croissance constante de la démocratie délibérative, de l’engagement citoyen et de la co-création, renforcée par les tendances à plus de transparence et de responsabilité, a transformé la société. Dans un cadre de gouvernance partagée et de coopération régionale, les institutions publiques, le secteur privé, les organisations non gouvernementales et la société civile ont trouvé des moyens pragmatiques de coopérer et de préserver le tissu social tout en protégeant la planète.
À l’horizon 2045…
Pour atteindre la neutralité carbone, la société s’appuie sur un changement progressif, mais continu du système économique grâce à une trajectoire durable combinant autonomie et efficacité. La consommation de biens devient mesurée et responsable, et le partage se généralise. Le logement se transforme (par exemple habitat partagé/communautaire, interdiction des logements vacants) ; les habitudes de travail, l’alimentation et les déplacements changent. La nature et la biodiversité sont appréciées pour leur valeur intrinsèque. L’évolution des valeurs de la société permet d’investir massivement dans l’efficacité et les énergies renouvelables, ainsi que dans le renouvellement et la modernisation des infrastructures. Des politiques de réindustrialisation sont mises en œuvre dans certains secteurs. Ces investissements sont encouragés par des incitations financières, elles-mêmes définies par des politiques et des réglementations fondées sur des critères sociaux et environnementaux. Les effets se font sentir dans tous les pays de l’OCDE avec la mise en place d’un système mondial de certification des infrastructures et produits écologiques, l’instauration de règles strictes sur les importations de marchandises à forte intensité de carbone et le ralentissement des échanges internationaux afin de réduire les émissions de carbone.
Les régions et les administrations régionales sont des acteurs essentiels de la transition écologique, aux côtés des administrations nationales et de la société civile. La coordination de la transition écologique entre les différents niveaux d’administration est cruciale pour les systèmes de gouvernance, et toutes les décisions prises par les pouvoirs publics sont le fruit d’un compromis entre les diverses parties prenantes, rendu possible par un degré de confiance plus élevé. L’élaboration de politiques pluri-niveaux intégrées signifie que les stratégies de durabilité environnementale sont mises en avant dans tous les domaines de l’administration.
Cependant, comme les administrations nationales et infranationales s’efforcent de progresser simultanément sur de nombreux fronts de l’action publique, la recherche d’un consensus entre toutes les parties prenantes demande du temps et ralentit la transformation des systèmes de production et des modes de vie. D’autres conséquences de la généralisation de la coordination deviennent problématiques, notamment la difficulté de se mettre d’accord sur des réformes politiques majeures, la paralysie décisionnelle, l’expansion du secteur public avec de nouveaux organes de coordination, les lourdeurs administratives entourant les décisions et la perte d’agilité et de réactivité en temps de crise.
Les avancées majeures opérées dans les technologies numériques, telles que la blockchain, la téléprésence et la réalité augmentée, permettent un accès immédiat et permanent aux informations pertinentes et facilitent la participation à la prise de décisions à tous les niveaux, ainsi qu’une mise en œuvre locale sur mesure. L’internet des objets et les systèmes d’IA fournissent des éléments probants pour l’élaboration des politiques. Par ailleurs, les algorithmes influencent la vie politique au quotidien. Ils sont utilisés pour personnaliser des messages adressés à différents groupes, évaluer les chances de succès d’une proposition de loi, et endiguer ou diffuser de fausses nouvelles. Une grande partie de la vie quotidienne et civique se déroule désormais dans le métavers. L’espace numérique est préféré à l’espace physique, notamment pour limiter les émissions de carbone, la plupart des services publics s’appuient sur le numérique, et la vie économique prend de nouvelles formes en ligne. Ces technologies contribuent aussi à une plus large répartition démographique et à des disparités moins fortes entre villes et campagnes, car elles multiplient les lieux où il fait bon vivre.
Les États et les régions coopèrent de plus en plus, les décisions sont prises à l’échelle locale et en tenant compte des questions territoriales, et les disparités régionales se sont atténuées. Si les inégalités à l’intérieur des pays ont diminué, celles entre les pays se creusent. C’est dans le métavers qu’a lieu la majeure partie de l’activité économique et sociale, et un petit groupe de géants de la technologie fournit le matériel nécessaire pour y accéder. L’infrastructure numérique détermine donc l’inégalité entre les pays, qui n’ont pas tous la même capacité de la mettre la disposition de leur population. Certains pays comptant une forte proportion de jeunes connaissent une croissance massive, tandis que d’autres vieillissent rapidement et que leur population âgée peine à s’adapter aux technologies de pointe et aux nouvelles réalités socio-économiques. Le processus de convergence qui s’est opéré au sein de l’OCDE dans les années 2000 à 2020 s’inverse avec le creusement de la fracture numérique, qui s’accompagne d’une montée des tensions sociales. La cybersécurité est une préoccupation majeure des pouvoirs publics à tous les niveaux. L’interconnexion fait que les vulnérabilités peuvent toucher de nombreux acteurs. Les coûts élevés de la cybersécurité constituent un obstacle pour de nombreux pays qui tentent de réduire la fracture numérique.
Réflexions issues de ce scénario concernant l’évolution de l’action publique en matière de développement régional
Quelles sont les nouvelles relations ou connexions que les responsables des politiques de développement régional doivent favoriser dans un monde de plus en plus interconnecté (entreprises technologiques mondiales, mouvements communautaires locaux, etc.) ?
Comment l’action publique en matière de développement régional peut-elle inciter les régions hyper connectées à continuer de travailler ensemble plutôt que de renforcer leur pouvoir et leur influence ?
Scénario de la « région-État »
Principaux éléments du scénario
En 2045, les pays de l’OCDE sont devenus des patchworks de régions. Dans ce scénario, les régions-États disposent d’une autorité accrue et fonctionnent comme des entités individuelles avec des normes et des modèles économiques et sociaux différents. Les régions prospères négocient directement avec des entreprises du monde entier. Dans ce contexte, elles sont plus enclines à conserver les richesses qu’elles génèrent et à rivaliser pour la légitimité nationale et internationale. La force limitée des administrations nationales réside dans leur capacité à réglementer et à arbitrer la concurrence et les tensions croissantes entre les régions. La capacité à suivre un programme coordonné de développement durable est réduite en raison de l’éparpillement et de la déconnexion des programmes. Les inégalités régionales s’intensifient à mesure que l’écart se creuse entre les régions pauvres et les régions riches.
Événements qui y ont mené
L’opinion publique estimant que les administrations régionales, en première ligne face à la pandémie de COVID-19, ont mieux géré la reprise que les administrations nationales, les appels en faveur d’une plus grande autonomie se sont multipliés et ont favorisé l’essor de mouvements indépendantistes et d’une décentralisation radicale dans les pays de l’OCDE. Parallèlement, les années 2020 et 2030 ont été marquées par un mécontentement croissant à l’égard du modèle redistributif en vigueur dans la plupart des pays de l’OCDE. Les régions les plus performantes se sont lassées de soutenir les régions à la traîne et ont précipité l’effondrement de la confiance du public à l’égard des institutions nationales. À la suite de cet effondrement, les régions ont commencé à se détacher les unes des autres pour poursuivre des modèles et des dispositifs économiques très différents au sein d’un même pays.
À l’horizon 2045…
Les pays de l’OCDE sont fragmentés, de nombreuses régions étant devenues indépendantes ou ayant gagné en autodétermination. Les régions mettent à profit leur autonomie pour s’orienter dans différentes directions en fonction de leurs propres intérêts. Les différents niveaux d’administration rivalisent pour asseoir leur légitimité et la cohésion sociale est faible. La responsabilité est diluée et il est facile de rejeter la faute sur les autres. Pendant ce temps, les administrations nationales utilisent le peu de pouvoir qu’il leur reste pour arbitrer les conflits internes entre les régions.
Certaines régions se maintiennent grâce à des relations gratifiantes avec des « mécènes » internationaux et fondent leurs économies sur des affiliations externes solides avec des acteurs économiques mondiaux, tandis que les régions moins prospères se débattent avec la dette publique et doivent se montrer plus économes. Comme les régions plus fortes partagent moins de ressources budgétaires avec les régions moins performantes, la péréquation fiscale est rompue. Par conséquent, les régions prospères deviennent plus attrayantes, mais moins ouvertes aux migrations issues des régions plus pauvres, ce qui provoque des conflits territoriaux. Les inégalités régionales extrêmes et le chômage structurel augmentent dans de nombreux pays.
Certaines régions mènent la transition écologique et tentent de contrôler leur environnement local pour assurer le bien-être de leurs citoyens, tandis que d’autres ont des liens limités avec la nature et ne tiennent pas compte de ces préoccupations. L’éparpillement des efforts et des financements en matière de climat occasionne des incohérences, des tensions et des divisions. Quelques superpuissances régionales du renouvelable émergent, mais elles reposent sur des avantages économiques et non environnementaux, et il n’y a pas de politique cohérente ou de mécanisme permettant de redistribuer l’énergie renouvelable. Les systèmes énergétiques régionaux se sont multipliés au coup par coup et sont difficiles à unifier. L’incapacité à coordonner l’action climatique a compromis des services écosystémiques essentiels, tels que l’approvisionnement en eau potable.
Certaines régions autonomes ont choisi de tout miser sur leurs avantages comparatifs et se sont surspécialisées : de nombreuses régions rurales s’accrochent à leurs ressources naturelles et intensifient l’automatisation de l’agriculture (usines agricoles, par exemple), de la sylviculture (arbres issus de la bio‑ingénierie) et de la production d’énergie renouvelable. La plupart des exploitations agricoles automatisées sont détenues et gérées par des entreprises qui mêlent transformation des aliments et produits biosourcés. Les habitants de ces régions rurales sont contraints de vendre leurs terres et de s’installer en ville. Les grandes régions métropolitaines s’agrandissent et sont devenues des centres de haute technologie, mais elles souffrent de la détérioration de la qualité de l’air, des embouteillages et de l’insécurité. Les catégories à hauts revenus se sont installées en banlieue pour bénéficier de meilleures conditions de vie, tandis que les populations à faibles revenus sont restées dans les centres-villes, créant ainsi de nouveaux ghettos urbains.
Réflexions issues de ce scénario concernant l’évolution de l’action publique en matière de développement régional
Quel nouveau système de collaboration les politiques de développement régional peuvent-elles préconiser pour parvenir à une coordination efficace entre les régions-États et relever les défis mondiaux ?
Comment les politiques de développement régional peuvent-elles soutenir la diversité régionale tout en garantissant un niveau minimal de cohésion sociale ?
Considérations stratégiques pour mieux préparer l’avenir au niveau des politiques de développement régional
Les scénarios donnent à voir à quel point le monde pourrait être fondamentalement différent à l’horizon 2045 en fonction des trajectoires empruntées. À cet égard, ils servent à élargir les perspectives quant à ce qu’il faut faire en matière de développement régional pour affronter l’avenir et à ce que cela pourrait impliquer pour les politiques de développement régional. Comment l’action publique et les décideurs en matière de développement régional peuvent-ils commencer à se préparer aux défis et aux opportunités que représentent ces futurs plausibles – bien que par définition incertains – et aux défis mondiaux qui continueront à prendre de l’ampleur au cours des prochaines décennies ?
Comment adapter les politiques de développement régional aux défis de demain
Les scénarios servent à montrer dans quelle mesure les évolutions politiques, sociales et technologiques peuvent remettre en cause les systèmes institutionnels et budgétaires fondés sur des hypothèses immuables. Mais les décennies à venir pourraient être très imprévisibles, marquées par des changements systémiques complexes et non linéaires et entraînant une accélération des défis importants. Deux priorités, en particulier, se dégagent pour préparer et adapter les politiques de développement régional et renforcer la résilience dans les 20 prochaines années : aborder les systèmes budgétaires, les stratégies d’investissement public et les structures de gouvernance de manière systémique et stratégique afin de résister à des chocs inconnus et de réagir aux situations nouvelles, et développer une capacité de prospective stratégique aux niveaux national et infranational.
Bâtir des systèmes budgétaires, des stratégies d’investissement public et des structures de gouvernance résilients et adaptables
Renforcer la solidité budgétaire au niveau infranational, notamment en assurant la viabilité de la dette et en augmentant les recettes infranationales, constitue le premier axe d’action important pour bâtir des politiques de développement régional plus résilientes. De nombreuses tendances évoquées dans ce chapitre influeront sur les systèmes budgétaires infranationaux. Certaines régions et villes pourraient voir leur assiette fiscale profondément modifiée par les transformations démographiques, des changements sur le marché du travail et au niveau des revenus des entreprises, ainsi que par des évolutions de la valeur du foncier et des prix des logements. Cela pourrait accentuer les disparités en matière de capacité budgétaire entre les régions.
Les pouvoirs publics ont ainsi la lourde tâche de poursuivre un double objectif. Il s’agit d’une part, de maintenir la dette publique à des niveaux viables dans des scénarios qui tiennent compte des effets budgétaires à long terme des mégatendances (comme le vieillissement de la population) et des effets à plus court terme des risques mondiaux sur les finances publiques, et, d’autre part, de dégager des ressources pour investir dans les domaines prioritaires (comme l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets), les améliorations nécessaires de l’infrastructure numérique et d’autres infrastructures essentielles, la réduction du risque de chocs futurs comme les pandémies, et une gestion plus efficace de leurs conséquences lorsque ces risques se matérialisent (de Mello et Ter-Minassian, 2022[27]).
Dans les pays fédéraux de l’OCDE, les administrations nationales peuvent favoriser la viabilité budgétaire au niveau infranational, par exemple en concluant des accords avec les administrations régionales ou en créant des incitations pour que ces administrations adoptent et mettent en œuvre des cadres de responsabilité budgétaire ou des règles budgétaires adaptées. Parallèlement, dans la plupart des pays unitaires, les administrations nationales sont en mesure de réglementer l’accès des administrations régionales ou locales à l’emprunt et peuvent choisir de le faire de différentes manières (contrôles administratifs, règles budgétaires permanentes ou accords périodiques). En outre, compte tenu de l’incidence accrue de chocs exogènes imprévus, tels que les catastrophes naturelles, les administrations nationales et régionales peuvent être amenées à prendre des mesures préventives, comme la souscription d’assurances et le maintien (ou l’augmentation) de leurs réserves de précaution, y compris les fonds de prévoyance.
Pour élargir la marge de manœuvre budgétaire afin de répondre aux besoins de dépenses futurs tout en respectant les exigences des cadres de responsabilité budgétaire solides, la plupart des administrations infranationales des pays de l’OCDE devront à la fois augmenter leurs recettes dans un souci d’efficacité et d’équité, et rationaliser les dépenses existantes (de Mello et Ter-Minassian, 2022[27]) :
Les administrations nationales peuvent soutenir les efforts des administrations infranationales soucieuses de mobiliser des recettes propres soit par des échanges systématiques d’informations avec les services fiscaux infranationaux, soit par des audits conjoints ou une assistance technique, en soutenant financièrement leurs efforts de modernisation et de numérisation, ou encore par des mesures appropriées incitant les administrations infranationales à exploiter davantage leur potentiel de collecte de recettes.
Les administrations infranationales disposent d’un certain nombre d’options pour accroître leurs recettes propres, parmi lesquelles : élargir l’assiette des impôts propres existants en réduisant ou supprimant les exonérations et autres traitements préférentiels tout en atténuant les effets des changements sur les groupes à faible revenu par des transferts ciblés, si nécessaire ; renforcer et moderniser la gestion des impôts propres, comme les taxes foncières ; et adopter ou augmenter progressivement des impôts et des taxes « verts ».
Le deuxième axe d’action important pour parvenir à un développement régional plus résilient consiste à mieux préparer l’avenir au niveau des stratégies d’investissement public. Les investissements dans les infrastructures devront anticiper les chocs tout en évitant la « gentrification verte » des villes et des régions, un phénomène qui renchérit le coût de la vie pour les populations vulnérables au nom du développement durable (OCDE, 2022[6]). Optimiser les actifs d’infrastructure existants et les rendre plus résilients doit aussi faire partie des stratégies d’investissement à long terme dans les infrastructures. La modernisation des actifs d’infrastructures offre une solution pour le stock d’actifs existant en le rendant plus efficace, plus pérenne et plus rentable (OCDE, 2021[28]).
Par ailleurs, la palette d’investissements doit être équilibrée et différenciée selon les territoires afin de réagir de manière adaptée aux mégatendances et de réduire les inégalités régionales. La solution d’investissement retenue variera nécessairement selon qu’on sera en présence d’une région urbaine, rurale ou mixte, afin de tenir compte des spécificités et des atouts des différents territoires. En outre, les mégatendances auront des effets différents sur les régions et détermineront donc leurs besoins en matière d’investissement. Les défis liés aux mégatendances, tels que les inondations localisées et les vagues de chaleur urbaines, sont eux aussi spécifiques à un territoire. Cela signifie non seulement qu’il faut adapter la palette d’investissements à chaque territoire, mais également qu’il faut équilibrer les investissements dans les infrastructures matérielles et les investissements dans le capital humain pour maximiser le potentiel de croissance à long terme et poursuivre l’amélioration continue du niveau de vie, de la qualité de l’environnement et du bien-être (OCDE, 2022[6]).
Rendre une structure de gouvernance pluri-niveaux plus adaptable est un troisième axe d’action à retenir pour renforcer la résilience des politiques de développement régional. Pour gérer les disparités en matière d’autonomie, de compétences ou de capacités au niveau infranational, la gouvernance expérimentale, qui intègre des processus d’apprentissage par la pratique et par essais successifs dans l’élaboration des politiques, peut aider les pouvoirs publics à mettre au point des approches plus efficaces pour répondre aux différents besoins locaux. La volonté et la capacité d’expérimenter des méthodes d’action – en les testant, en les ajustant et en les testant à nouveau – sont particulièrement pertinentes en cas d’incertitude, sachant que les mégatendances peuvent évoluer radicalement et des chocs peuvent se produire, prenant les décideurs au dépourvu et exigeant une réponse rapide.
Ces approches peuvent être combinées à une décentralisation asymétrique – vers laquelle de nombreux pays de l’OCDE se sont orientés ces dernières années. Les dispositifs de décentralisation asymétrique peuvent aider les régions, les villes et les zones rurales particulièrement touchées par les changements mondiaux à mieux faire face aux défis et saisir les opportunités. Ces types de dispositifs permettent aux administrations infranationales d’adopter des cadres institutionnels et budgétaires plus adaptés aux capacités locales et peuvent leur permettre de mieux répondre aux besoins locaux. Cette tendance, qui devrait se poursuivre, peut contribuer à mieux adapter la gouvernance aux différents contextes et capacités régionales, métropolitaines et locales (OCDE, 2019[9]).
Développer la capacité de prospective stratégique chez les décideurs aux niveaux national et infranational
Pour déceler aujourd’hui les conceptions qui émergent au sujet de changements à venir, leur donner du sens et agir en conséquence, il est essentiel de développer la capacité de prospective stratégique des décideurs. Cela peut les aider à envisager de nouvelles solutions, à tester les plans pour les rendre plus robustes, à mettre au point des systèmes d’alerte précoce pour les menaces et les opportunités, et à faire progresser les objectifs des politiques de développement régional dans des conditions de changement permanent.
Les pouvoirs publics se heurtent à des obstacles pour développer et utiliser efficacement la prospective stratégique dans une culture encore largement dominée une planification des politiques fondée sur les prévisions. En conséquence, la prospective de haute qualité axée sur les politiques publiques est sous-utilisée. Investir dans les capacités de prospective pour élaborer des politiques de développement régional nécessite aussi de surmonter les difficultés ordinaires (par exemple des compétences sous-financées) et d’adopter une vision à long terme.
Au niveau national, il existe plusieurs pistes possibles pour développer ou renforcer des capacités de prospective stratégique au service des politiques de développement régional :
Exploiter les données territoriales pour éclairer la prospective : S’orienter vers une action publique plus proactive nécessite d’intégrer la prospective et la planification stratégiques dans l’ensemble des secteurs et domaines de compétence. À une époque où les données et indicateurs territoriaux orientent de plus en plus les décisions publiques en matière de développement régional, la capacité à tirer parti de ces données et à leur donner un sens dans le cadre d’approches de prospective territoriale gagne encore en importance. Les décideurs doivent veiller à disposer des capacités nécessaires pour prendre des décisions fondées sur des données soit s’assurer que d’autres services dotés de ces capacités sont pleinement informés des grandes tendances et des enjeux majeurs ayant des effets sur les régions pour pouvoir jouer un rôle de soutien.
Promouvoir une culture de l’innovation et de la gestion du changement : Les pouvoirs publics peuvent être mis en difficulté par le rythme auquel se produisent les changements et les évolutions. Promouvoir une culture de l’innovation au sein des administrations sera essentiel pour faire en sorte que le processus décisionnel tienne dûment compte des mégatendances à l’œuvre. Le recours à des laboratoires de prospective et à des exercices de planification par scénarios, qui abordent les questions d’avenir en dialoguant avec diverses parties prenantes selon des méthodes faisant la part belle à l’imagination, est une des façons possibles de promouvoir une culture de l’adaptation, de l’amélioration continue et de la réflexion sur l’avenir. Le fait de privilégier une réflexion sur l’avenir dans un format collaboratif impliquant des personnes confrontées à un problème commun peut contribuer à une meilleure appropriation du sujet en question et des conséquences territoriales possibles et donner des pistes pour l’action publique.
Assurer une veille prospective sur le long terme : Disposer d’un système permettant d’identifier les signaux de changement même faibles est une approche utile pour anticiper les possibilités futures et concevoir des scénarios prospectifs. Ces approches de planification à long terme devraient rassembler des experts de différents domaines en lien avec le développement régional. Les stratégies et les processus décisionnels devraient par ailleurs bénéficier des éclairages des acteurs de terrain, c’est-à-dire les autorités infranationales, les acteurs privés et les citoyens.
Au niveau infranational, les pistes possibles pour développer ou renforcer des capacités de prospective stratégique sont notamment les suivantes :
Optimiser les travaux de prospective existants : De plus en plus de régions et de villes utilisent la prospective pour éclairer l’action publique, mais ces initiatives sont souvent dispersées. La diffusion des travaux de prospective existants, qu’ils concernent des secteurs précis (par exemple le dérèglement climatique, la mobilité future) ou des territoires donnés, fournirait aux acteurs régionaux une base de connaissances et d’expériences considérable. De même, la mise en commun des méthodes et outils de prospective permettrait d’armer ces acteurs et de s’assurer que les méthodes de prospective qu’ils ont adoptées ont été mises à l’épreuve.
S’appuyer sur des réseaux de praticiens de la prospective : Le développement d’une communauté de pratique sur la prospective au niveau infranational faciliterait la diffusion de bonnes pratiques et aiderait les décideurs à renforcer les capacités et les compétences à ce même niveau. Ces réseaux pourraient soutenir l’apprentissage entre pairs (par exemple entre élus, entre responsables de la prospective), essentiel pour assurer le transfert de savoir-faire et de compétences. Rassembler les éclairages et les connaissances d’un large éventail de praticiens permet d’aborder les aspects complexes et incertains quand aucune information quantitative sur l’avenir n’est disponible.
Former les fonctionnaires infranationaux pour qu’ils acquièrent une meilleure connaissance de l’avenir : La sensibilisation aux disciplines transversales et le renforcement des connaissances en la matière peuvent permettre aux fonctionnaires régionaux et locaux de mieux comprendre les grandes transformations systémiques à l’œuvre, notamment les transitions écologique, numérique et énergétique. La capacité à travailler en équipe et par projets devrait faire partie de cette formation. Le renforcement des capacités d’ingénierie régionales et locales est une nécessité pour que les acteurs infranationaux puissent se préparer aux défis futurs plutôt que d’y réagir. Il s’agit notamment de renforcer les équipes techniques au sein des administrations régionales et locales, en particulier leur capacité à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies collectives. Enfin, la formation à la prospective devrait aussi cibler les élus pour qu’ils puissent mieux articuler leur vision politique avec une action efficace sur le terrain.
Quelle orientation donner à l’action publique en matière de développement régional ?
Pris ensemble, les trois scénarios présentés dans ce chapitre font apparaître plusieurs considérations stratégiques pour l’avenir de l’action publique en matière de développement régional. Ces considérations sont le résultat d’activités de recherche d’idées (brainstorming) réalisées au cours de l’exercice de prospective. Elles ne sont pas exhaustives, mais visent à stimuler la réflexion et peuvent servir de socle pour de futures réflexions prospectives sur le développement régional.
Dans quelle mesure faudrait-il adapter à l’avenir la finalité première de l’action publique en matière de développement régional ?
Les scénarios montrent que le monde pourrait évoluer dans différentes directions au cours des deux prochaines décennies, avec chacune des implications différentes pour l’action publique en matière de développement régional. Par exemple, la transition numérique pourrait créer un clivage entre les régions qui ont à y gagner et celles qui ont à y perdre, et pourrait contraindre les responsables du développement régional à concentrer les investissements sur un sous-ensemble de régions qui risquent de rater le virage du numérique. Alors que les effets des mégatendances sur les territoires continuent d’évoluer, quels sont les nouveaux objectifs que les responsables du développement régional devraient être en mesure de concrétiser à l’avenir ? Il pourrait s’agir de :
Renforcer les capacités de prospective au niveau infranational (par exemple en créant des centres de compétences régionaux/locaux dans ce domaine).
Définir des exigences en matière de durabilité et de numérique au niveau infranational (par exemple des normes régionales de durabilité et de cybersécurité).
Développer la coopération interrégionale, intercommunale et transfrontière et optimiser les possibilités d’apprentissage entre pairs afin de mieux comprendre les changements mondiaux et y faire face.
Soutenir des systèmes de production et des activités de fabrication plus localisés et plus propres.
Quelle mission resterait au cœur des politiques de développement régional ?
Les scénarios donnent à voir quelle pourrait être l’évolution des valeurs et des priorités des administrations centrales et infranationales. Différents modèles et normes économiques et sociaux pourraient s’imposer dans les pays et la polarisation pourrait s’accentuer. Les valeurs défendues de longue date dans les politiques de développement régional (différenciation territoriale, gouvernance pluri-niveaux, approche territorialisée, etc.) pourraient être de plus en plus contestées. Dans ce contexte, quelle devrait être la mission centrale de l’action publique en matière de développement régional ?
Il pourrait s’agir de :
Préserver le bien-être régional dans un monde de plus en plus virtuel.
Apporter un soutien ciblé et territorialisé pour lutter contre l’aggravation des fractures écologique et numérique au niveau des territoires.
Placer la connaissance du contexte local au cœur des stratégies d’adaptation aux changements mondiaux.
Assurer des liens et des canaux de communication permanents entre les niveaux d’administration et entre les régions.
Références
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[3] GIEC (2023), Sixth Assessment Report - Climate Change 2023, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle/.
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