Le secteur agroalimentaire de l’UE doit s’adapter à un contexte économique et politique en constante évolution. L’élargissement de l’Union européenne a porté le nombre de ses membres à 27 et a renforcé sa position d’acteur mondial de premier plan dans le domaine de l’agroalimentaire. Le triple défi auquel sont confrontés les systèmes alimentaires est plus difficile à relever dans le contexte politique actuel, où les enjeux environnementaux vont en s’accroissant et où les crises mondiales se succèdent. Malgré les arbitrages devant peut-être être opérés avec d’autres objectifs, l’urgence de la situation climatique et environnementale signifie que la transition des systèmes agricoles et alimentaires de l’UE ne saurait être remise à plus tard. Le choc systémique dû à la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et ses conséquences sur la sécurité alimentaire, ainsi que la nécessité de stopper et d’inverser la perte de services écosystémiques et de s’adapter au changement climatique rendent l’amélioration de la résilience aux chocs imprévus et de la durabilité environnementale d’autant plus urgente.
La croissance de la productivité a été modérée et n’a pas toujours coïncidé avec une amélioration de la durabilité. Au cours des 60 dernières années, l’UE a vu sa production agricole augmenter et le secteur passer du modèle de l’intensification à celui de la croissance de la productivité, rendue possible par la technologie et les gains d’efficience. Cela dit, l’augmentation de la productivité agricole sur le long terme a été plus faible dans l’Union européenne que dans d’autres pays de l’OCDE. Dans de nombreux pays de l’UE, une perte de biodiversité est observée, les émissions continuent de s’accroître et les ressources en eau sont toujours sous pression. Malgré l’intensification des efforts – de nouvelles mesures plus ciblées et un financement accru –, les performances environnementales n’ont pas été à la hauteur des attentes.
Le pacte vert pour l’Europe, la stratégie « De la ferme à la table » et celle en faveur de la biodiversité offrent un nouveau cadre à la Politique agricole commune (PAC). Représentant environ un tiers du budget de l’UE, la PAC est de plus en plus supposée contribuer à la réalisation d’objectifs dépassant la seule portée du secteur agricole. Bien qu’assurant la sécurité alimentaire de l’Union européenne et en partie celle de la population mondiale, le secteur agroalimentaire de l’UE devrait également permettre à l’Europe d’atteindre la neutralité carbone, de protéger ses divers habitats naturels et de transformer son économie en conformité avec les objectifs de durabilité.
La principale difficulté pour la PAC est de se départir de sa dépendance au sentier et d’évoluer vers une politique plus radicale et des systèmes alimentaires davantage tournés vers l’avenir. Les récentes réformes de la PAC ont certes modifié le mode de mise en œuvre du soutien mais n’ont abouti qu’à des progrès minimes. Bien que la PAC 2023-27 adopte une approche fondée sur la performance, avec une mise en œuvre plus flexible au niveau des États membres, il reste encore beaucoup à faire pour que le secteur agricole devienne véritablement durable. Un débat de haut niveau sur la finalité de la PAC, les droits et les devoirs des exploitants agricoles, ainsi que le poids financier accordé à l’aide au revenu par rapport aux autres objectifs (notamment environnementaux) doit être engagé à l’échelle de l’UE.
Concernant l’avenir, le ciblage des paiements directs devrait être amélioré en tenant compte des objectifs ambitieux des pouvoirs publics. Les paiements directs constituent le principal instrument de soutien à l’agriculture au sein de l’UE, et des efforts ont été accomplis pour améliorer l’équité et mieux distribuer les paiements. Les paiements directs peuvent cependant avoir pour conséquences de maintenir certains producteurs dans des activités non compétitives, de faire obstacle à l’innovation ainsi que de ralentir les changements structurels et générationnels, et pourraient à long terme affaiblir la résilience. Sur le court terme, les objectifs de l’aide au revenu devraient être atteints en versant des paiements ciblés, non seulement pour obtenir une meilleure efficacité mais aussi pour pouvoir allouer plus de fonds pour les paiements facultatifs versés en contrepartie de services environnementaux, ainsi que pour investir dans l’innovation et la résilience. Sur le long terme, il conviendrait de redéfinir le rôle de la politique agricole et des politiques sociales au sens large.
Il existe aujourd’hui un décalage entre les ambitions des pouvoirs publics en matière de durabilité environnementale et les résultats observables. L’absence de progrès à ce jour est dû davantage à la conception et la mise en œuvre des mesures qu’au manque d’ambition ou de ressources. La longueur excessive du processus de réforme de la politique a souvent débouché sur une marge de manœuvre excessive pour les États membres et réduit les incitations à adopter des mesures ayant des effets évidents en matière de durabilité environnementale. Cette marge de manœuvre a en fait permis aux pays de choisir les options les moins coûteuses procurant des avantages limités en termes de durabilité. Si la PAC doit être réorientée davantage vers la durabilité environnementale, cela nécessitera, lors de la prochaine période de programmation, de ré-instrumentaliser les aides de façon à améliorer les incitations réglementaires et économiques poussant les exploitants agricoles et les décideurs publics des États membres à sortir du statu quo.
La recherche et l’innovation sont les principaux moteurs de la transition vers des systèmes alimentaires plus durables, mais elles n’occupaient qu’une place marginale dans la PAC 2014-20. Les ressources consacrées aux systèmes de connaissances et d’innovation agricoles ‒ au travers du programme Horizon Europe et de la PAC ‒ sont limitées par rapport au soutien total au secteur. Bien que le partenariat européen d’innovation pour la productivité et le développement durable de l’agriculture soit une initiative importante et que l’investissement dans les systèmes de connaissances et d’innovation agricoles et dans les technologies numériques puisse très sûrement rendre l’augmentation de la productivité et la durabilité environnementale mutuellement compatibles, investir dans l’innovation et adopter ses résultats demeure un défi. Par ailleurs, comme indiqué précédemment, les incitations créées par l’élargissement du cadre politique et réglementaire applicables à l’agriculture risquent de ralentir l’innovation qui est nécessaire pour assurer la durabilité à long terme.