Le secteur agroalimentaire hétérogène de l’Union européenne se trouve à un moment charnière où il doit faire face au changement climatique et à des crises successives comme le choc systémique dû à la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine, tout en étant confronté au triple défi que rencontrent les systèmes alimentaires, à savoir : garantir la sécurité alimentaire et la nutrition, fournir des moyens d’existence aux acteurs de la chaîne alimentaire et améliorer la durabilité environnementale.
S’appuyant sur le cadre d’analyse de la productivité, de la durabilité et de la résilience agroalimentaires de l’OCDE, le présent examen tire des leçons de la période 2014-22 et montre que dans le contexte économique et politique en constante évolution que nous connaissons, le système agroalimentaire de l’UE a apporté la preuve de sa résilience et a permis de maintenir la productivité à la hausse – en particulier dans les États devenus membres après 2004 –, de réduire l’intensité des émissions de GES et de favoriser la collaboration entre les pays en matière d’innovation.
Ces dernières années, cependant, la productivité de l’agriculture a progressé plus lentement que dans d’autres pays de l’OCDE alors que la performance du secteur sur le plan de la durabilité environnementale a été inférieure aux attentes. Cette absence de progrès n’est pas due à un manque d’ambition ou de ressources, mais plutôt à la conception et la mise en œuvre des politiques publiques.
La Politique agricole commune (PAC) 2023-27, qui représente environ un tiers du budget de l’UE, inclut de nouvelles approches prometteuses et de nouvelles priorités. La PAC est considérée comme stratégique pour la réalisation du pacte vert pour l’Europe car elle peut apporter une réponse face aux préoccupations environnementales et devrait de plus en plus permettre aux systèmes alimentaires d’atteindre des objectifs plus généraux, dépassant la seule portée du secteur agricole.
La transition que doivent opérer les systèmes alimentaires de l’UE appelle à une transformation générale dans laquelle l’innovation sera essentielle pour assurer la croissance durable de la productivité. La réalisation des objectifs ambitieux du pacte vert pour l’Europe nécessitera des réformes plus poussées, avec la refonte des stratégies relatives aux paiements, aux règlements, à l’innovation et aux données, ainsi que l’adoption d’approches nouvelles à l’égard des services environnementaux.
Paiements. Repenser les paiements de la PAC en dissociant les mesures d’aide au revenu de celles axées sur la durabilité environnementale, et aligner les dépenses de la PAC sur les priorités climatiques et environnementales. Mettre en place des mécanismes spécifiques pour inciter les États membres à améliorer leurs performances, réduire le montant total de l’aide au revenu découplée et mettre progressivement fin au soutien couplé.
Règlements. Combler le retard de mise en œuvre des objectifs de durabilité, améliorer la conception des règlements et surmonter les obstacles éventuels à l’innovation.
Innovation. Amener l’innovation au centre de la stratégie de l’UE en matière de politique agricole afin qu’elle aide effectivement le secteur à devenir plus productif, plus durable et plus résilient.
Données. Renforcer la stratégie de l’UE en ce qui concerne la collecte de données agroalimentaires et accroître le passage au numérique pour assurer le suivi des mesures, améliorer la sensibilisation, faciliter le partage de connaissances et trouver des solutions innovantes.
Services environnementaux. Progresser lorsque c’est possible dans la mise en place de paiements pluriannuels basés sur les résultats et d’une action collective pour promouvoir la fourniture de services environnementaux, et instaurer un système de notification des résultats.
Politiques au service de l’agriculture et de l’alimentation de demain dans l’Union européenne (version abrégée)
Synthèse
Messages clés
Le secteur agroalimentaire de l’UE doit s’adapter à un contexte économique et politique en constante évolution. L’élargissement de l’Union européenne a porté le nombre de ses membres à 27 et a renforcé sa position d’acteur mondial de premier plan dans le domaine de l’agroalimentaire. Le triple défi auquel sont confrontés les systèmes alimentaires est plus difficile à relever dans le contexte politique actuel, où les enjeux environnementaux vont en s’accroissant et où les crises mondiales se succèdent. Malgré les arbitrages devant peut-être être opérés avec d’autres objectifs, l’urgence de la situation climatique et environnementale signifie que la transition des systèmes agricoles et alimentaires de l’UE ne saurait être remise à plus tard. Le choc systémique dû à la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et ses conséquences sur la sécurité alimentaire, ainsi que la nécessité de stopper et d’inverser la perte de services écosystémiques et de s’adapter au changement climatique rendent l’amélioration de la résilience aux chocs imprévus et de la durabilité environnementale d’autant plus urgente.
La croissance de la productivité a été modérée et n’a pas toujours coïncidé avec une amélioration de la durabilité. Au cours des 60 dernières années, l’UE a vu sa production agricole augmenter et le secteur passer du modèle de l’intensification à celui de la croissance de la productivité, rendue possible par la technologie et les gains d’efficience. Cela dit, l’augmentation de la productivité agricole sur le long terme a été plus faible dans l’Union européenne que dans d’autres pays de l’OCDE. Dans de nombreux pays de l’UE, une perte de biodiversité est observée, les émissions continuent de s’accroître et les ressources en eau sont toujours sous pression. Malgré l’intensification des efforts – de nouvelles mesures plus ciblées et un financement accru –, les performances environnementales n’ont pas été à la hauteur des attentes.
Le pacte vert pour l’Europe, la stratégie « De la ferme à la table » et celle en faveur de la biodiversité offrent un nouveau cadre à la Politique agricole commune (PAC). Représentant environ un tiers du budget de l’UE, la PAC est de plus en plus supposée contribuer à la réalisation d’objectifs dépassant la seule portée du secteur agricole. Bien qu’assurant la sécurité alimentaire de l’Union européenne et en partie celle de la population mondiale, le secteur agroalimentaire de l’UE devrait également permettre à l’Europe d’atteindre la neutralité carbone, de protéger ses divers habitats naturels et de transformer son économie en conformité avec les objectifs de durabilité.
La principale difficulté pour la PAC est de se départir de sa dépendance au sentier et d’évoluer vers une politique plus radicale et des systèmes alimentaires davantage tournés vers l’avenir. Les récentes réformes de la PAC ont certes modifié le mode de mise en œuvre du soutien mais n’ont abouti qu’à des progrès minimes. Bien que la PAC 2023-27 adopte une approche fondée sur la performance, avec une mise en œuvre plus flexible au niveau des États membres, il reste encore beaucoup à faire pour que le secteur agricole devienne véritablement durable. Un débat de haut niveau sur la finalité de la PAC, les droits et les devoirs des exploitants agricoles, ainsi que le poids financier accordé à l’aide au revenu par rapport aux autres objectifs (notamment environnementaux) doit être engagé à l’échelle de l’UE.
Concernant l’avenir, le ciblage des paiements directs devrait être amélioré en tenant compte des objectifs ambitieux des pouvoirs publics. Les paiements directs constituent le principal instrument de soutien à l’agriculture au sein de l’UE, et des efforts ont été accomplis pour améliorer l’équité et mieux distribuer les paiements. Les paiements directs peuvent cependant avoir pour conséquences de maintenir certains producteurs dans des activités non compétitives, de faire obstacle à l’innovation ainsi que de ralentir les changements structurels et générationnels, et pourraient à long terme affaiblir la résilience. Sur le court terme, les objectifs de l’aide au revenu devraient être atteints en versant des paiements ciblés, non seulement pour obtenir une meilleure efficacité mais aussi pour pouvoir allouer plus de fonds pour les paiements facultatifs versés en contrepartie de services environnementaux, ainsi que pour investir dans l’innovation et la résilience. Sur le long terme, il conviendrait de redéfinir le rôle de la politique agricole et des politiques sociales au sens large.
Il existe aujourd’hui un décalage entre les ambitions des pouvoirs publics en matière de durabilité environnementale et les résultats observables. L’absence de progrès à ce jour est dû davantage à la conception et la mise en œuvre des mesures qu’au manque d’ambition ou de ressources. La longueur excessive du processus de réforme de la politique a souvent débouché sur une marge de manœuvre excessive pour les États membres et réduit les incitations à adopter des mesures ayant des effets évidents en matière de durabilité environnementale. Cette marge de manœuvre a en fait permis aux pays de choisir les options les moins coûteuses procurant des avantages limités en termes de durabilité. Si la PAC doit être réorientée davantage vers la durabilité environnementale, cela nécessitera, lors de la prochaine période de programmation, de ré-instrumentaliser les aides de façon à améliorer les incitations réglementaires et économiques poussant les exploitants agricoles et les décideurs publics des États membres à sortir du statu quo.
La recherche et l’innovation sont les principaux moteurs de la transition vers des systèmes alimentaires plus durables, mais elles n’occupaient qu’une place marginale dans la PAC 2014-20. Les ressources consacrées aux systèmes de connaissances et d’innovation agricoles ‒ au travers du programme Horizon Europe et de la PAC ‒ sont limitées par rapport au soutien total au secteur. Bien que le partenariat européen d’innovation pour la productivité et le développement durable de l’agriculture soit une initiative importante et que l’investissement dans les systèmes de connaissances et d’innovation agricoles et dans les technologies numériques puisse très sûrement rendre l’augmentation de la productivité et la durabilité environnementale mutuellement compatibles, investir dans l’innovation et adopter ses résultats demeure un défi. Par ailleurs, comme indiqué précédemment, les incitations créées par l’élargissement du cadre politique et réglementaire applicables à l’agriculture risquent de ralentir l’innovation qui est nécessaire pour assurer la durabilité à long terme.
Recommandations pour l’amélioration de la politique de l’Union européenne
L’absence de progrès n’est pas due à un manque d’ambition ou de ressources, mais plutôt à la conception et la mise en œuvre des orientations politiques. La réalisation des objectifs ambitieux du pacte vert pour l’Europe nécessitera la refonte des stratégies relatives aux paiements, aux règlements, à l’innovation et aux données, ainsi que l’adoption d’approches nouvelles à l’égard des services environnementaux.
Paiements. Réformer la structure et la conception de la PAC afin qu’elle reflète mieux les priorités énoncées et qu’elle s’aligne sur les objectifs du pacte vert pour l’Europe.
Renforcer le lien entre les dotations budgétaires et les performances.
Modifier l’orientation stratégique de la PAC et le rôle des paiements directs en dissociant et en ciblant les mesures – d’un côté celles axées sur l’aide au revenu, et de l’autre celles visant la durabilité environnementale –, puis en établissant un lien avec leurs résultats et en s’assurant qu’elles ne font pas obstacle à l’innovation ou au renouvellement des générations.
Accélérer la transition vers une aide au revenu ciblant les ménages agricoles à bas revenu.
Accroître la part des dépenses consacrées à l’innovation, à l’information, à la formation et au conseil.
Abandonner progressivement le soutien des prix du marché et les paiements qui risquent de nuire à l’environnement et de fausser les marchés et les échanges.
Règlements. Combler le retard de mise en œuvre des objectifs de durabilité et s’attaquer aux obstacles à l’innovation en instaurant des règlements SMART (spécifiques, mesurables, réalisables, pertinents et ciblés). Revoir le rôle et la portée des mécanismes de conditionnalité afin d’accroître leur rentabilité. Concevoir des règlements axés sur les résultats qui n’empêchent pas l’innovation, en énonçant clairement leurs objectifs et en contrôlant leurs résultats afin de s’assurer qu’ils promeuvent la durabilité.
Innovation. Faire de l’innovation, des conseils et des compétences dans le domaine agroalimentaire les pierres angulaires d’une nouvelle conception durable des systèmes alimentaires. Accroître les synergies entre les différentes orientations idéologiques de l’action publique de manière à orienter les efforts d’innovation de l’agriculture vers la durabilité environnementale. Promouvoir l’innovation, les compétences et les outils numériques en encourageant les États membres de l’UE à améliorer leur système de connaissances et d’innovation agricoles et à élaborer leurs propres stratégies d’innovation dans le domaine agroalimentaire. Élaborer une stratégie en matière de compétences et accroître la capacité des services de conseil à orienter la transformation de l’agriculture sur la voie de l’innovation et de la durabilité (en améliorant leur efficacité à cet égard).
Données. Mettre l’accent sur l’utilisation de données pour concevoir, évaluer et suivre la mise en œuvre des orientations politiques. Élargir la stratégie de l’UE en ce qui concerne la collecte de données agroalimentaires pour relever le triple défi auquel sont confrontés les systèmes alimentaires. Consacrer le budget de la PAC à des investissements permettant de répondre aux besoins de données des producteurs, des acteurs de la chaîne alimentaire et des décideurs publics. Adopter et promouvoir le passage au numérique comme moyen d’assurer le suivi des mesures, d’améliorer la sensibilisation, de faciliter le partage de connaissances et de trouver des solutions innovantes conduisant à une croissance durable de la productivité. Consacrer une partie des mesures de la PAC à l’adoption de technologies numériques innovantes afin d’apporter une réponse aux principaux défis et besoins que rencontrent les exploitants, et faciliter l’offre et l’utilisation de ces technologies par la fourniture de services de conseil.
Services environnementaux. Mettre en place lorsque c’est possible des paiements basés sur les résultats et une action collective pour promouvoir les services environnementaux, et instaurer un système de notification des résultats. Transformer les dispositifs facultatifs en paiements pluriannuels basés sur les résultats et versés en contrepartie des services environnementaux, de manière à améliorer les effets des mesures et à fournir aux producteurs une source de revenu supplémentaire. Recourir à l’expérimentation pour déployer une action collective et envisager la mise en place d’incitations collectives. Exiger de la part des bénéficiaires des paiements au titre des services environnementaux la communication de leurs résultats.