Au cours des dernières années, les risques d’ingérences étrangères en France se sont imposés comme une problématique d’actualité majeure. Si la France dispose d’ores et déjà d’un cadre juridique et institutionnel solide pour appréhender ces risques, notamment par les services de renseignement et les agences qui leur viennent en appui, il apparait pertinent de compléter ce dispositif avec des outils de gouvernance publique visant à renforcer la transparence et l’intégrité de la vie publique. Ce rapport s’intéresse ainsi à la mise en œuvre d’un cadre de transparence sur les liens d’intérêts des personnes physiques ou morales évoluant dans l’espace public et conduisant des activités de lobbying et d’influence au nom d’acteurs étatiques étrangers, ainsi que le renforcement du contrôle des mobilités public-privé.
Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France
Résumé
Principaux constats
La France a développé de nombreux outils de politiques publiques pour lutter contre les risques d’ingérences étrangères sous différents angles, notamment à travers le dispositif pénal de répression des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, les outils réglementaires dédiés au financement de la vie politique, à l’encadrement des activités de lobbying (définies par le terme « représentation d’intérêts » dans le cadre légal en France), à la lutte contre la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, ainsi que les dispositifs administratifs de contrôle des investissements étrangers ou de lutte contre les ingérences numériques étrangères. Ce dispositif demeure toutefois incomplet, comme souligné dans différents rapports parlementaires, qui identifient notamment la transparence et l’intégrité de la vie publique comme des domaines prioritaires d’action pour renforcer la résilience de la France face au risque croissant d’ingérence dans ses processus démocratiques.
Par exemple, la France dispose, depuis l’adoption de la Loi Sapin II en 2016, d’un dispositif d’encadrement du lobbying. Au même titre que les entreprises françaises, les sociétés étrangères doivent ainsi s’inscrire sur le répertoire des représentants d’intérêts et déclarer leurs activités de représentation d’intérêts ainsi que les moyens alloués à celles-ci. Depuis octobre 2023 et l’entrée en vigueur des nouvelles lignes directrices de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) les États tiers doivent aussi être déclarés comme clients de cabinets de conseil le cas échéant. Toutefois, ce dispositif n’a pas été spécifiquement conçu pour cibler les activités d’influence étrangère et présente plusieurs limites, notamment dans son champ d’application. Par exemple, l’influence de l’opinion publique comme moyen indirect d’influence sur les décisions publiques et les processus démocratiques n’est pas couverte, alors qu’une part croissante des activités d’influence étrangère vise l’opinion publique directement, afin que celle-ci influence le cours des décisions publiques. De même, ce dispositif ne semble pas suffisamment clarifier si certaines entités liées à un État étranger et agissant conformément aux orientations ou aux instructions d'un gouvernement étranger, qu’elles agissent en tant que bénéficiaires ou en tant qu’intermédiaires des activités de lobbying et d’influence, sont incluses dans le champ d’application.
Au-delà d’un dispositif de transparence de l’influence étrangère, lutter contre le risque d’ingérence étrangère requiert de prendre en compte ce risque dans les politiques relatives à l’intégrité des responsables publics. Depuis sa création, la HATVP contrôle la mobilité professionnelle des anciens ministres, Présidents d’exécutifs locaux et membres des autorités administratives indépendantes de l’État. La loi de transformation de la fonction publique de 2019 lui a également confié de nouvelles missions en matière de contrôle de la mobilité de certains agents publics. Toutefois, concernant la reconversion d’anciens responsables et agents publics au sein d’entités étrangères, le dispositif français ne permet pas aujourd’hui d’encadrer les mobilités au-delà de trois ans et n’inclut pas de disposition particulière sur la représentation d’intérêts étrangers. Si de nouveaux dispositifs ont permis de renforcer les obligations en ce qui concerne les anciens militaires, ce n’est pas encore le cas pour les autres responsables et agents publics.
Principales recommandations
À l’image des dispositifs existants en Australie, aux États-Unis et au Royaume-Uni, la France pourrait adopter un dispositif spécifique sur l’encadrement des activités de lobbying et d’influence effectuées au nom d’États ou d’organisations étatiques étrangers. Un tel dispositif pourrait ainsi renforcer la transparence des activités d’influence étrangère, permettant aux citoyens et décideurs publics d’être pleinement informés de l’origine des tentatives d’influer sur les processus démocratiques. Par ailleurs, ceci pourrait contribuer aux objectifs stratégiques de la France en matière de lutte contre les ingérences étrangères et de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, en permettant de détecter et de sanctionner les activités non-déclarées. Un tel dispositif devrait inclure les principaux éléments suivants :
Prévoir une couverture large des intérêts bénéficiaires des activités ainsi que des acteurs de l’influence étrangère soumis à des obligations de transparence, notamment les acteurs qui agissent de facto au service ou sous le contrôle de puissances étrangères ou d’entités qui leur sont liées.
Intégrer dans le champ du dispositif non seulement l’influence sur les processus décisionnels, mais également les activités cherchant à influencer le débat public.
Inclure une liste d’exemptions légitimes, afin de garantir les libertés fondamentales ainsi que des relations d’État à État fluides. Il est par exemple essentiel d’exclure les activités diplomatiques, consulaires et similaires ainsi que les activités de conseils juridiques.
Demander des informations précises et régulières dans les obligations déclaratives, permettant de mettre en lumière les détails clés des activités d’influence, notamment les objectifs poursuivis.
Prévoir un régime gradué de sanctions en cas de non-respect des obligations, incluant des sanctions administratives et pénales, avec comme premier objectif la dissuasion de conduire des activités d’influence non-déclarées.
Concevoir un cadre institutionnel équilibré et effectif en charge de l’administration du dispositif, du contrôle, et des sanctions. Parmi les différents scénarios envisagés, la mise en place d’un nouveau registre dédié à l’influence étrangère administré par la HATVP en parallèle du répertoire des représentants d’intérêts dont elle a déjà la charge a fait l’objet d’un consensus auprès des acteurs institutionnels interrogés.
Au-delà de la transparence des activités d’influence étrangère, lutter contre les risques d’ingérences requiert également de renforcer l’intégrité publique. La France pourrait à ce titre :
Renforcer les obligations déontologiques à la fois pour les acteurs de l’influence étrangère soumis aux obligations déclaratives comme pour les responsables publics.
Renforcer le pouvoir de contrôle de la HATVP sur les nouvelles carrières professionnelles d’anciens responsables et agents publics au sein d’entités liées à des puissances étrangères. Ce contrôle pourrait être étendu au-delà de trois ans pour les activités de représentation d’intérêts, ou plus largement d’influence, effectuées pour le compte d’intérêts étrangers.