Ce chapitre analyse le cadre législatif et institutionnel à mettre en place en France pour renforcer la transparence et répondre aux préoccupations liées aux activités d’influence étrangère. Il examine les éléments essentiels d’un champ d’application approprié et adapté aux influences étrangères.
Renforcer la transparence et l’intégrité des activités d’influence étrangère en France
3. Renforcer la transparence des actions d’influence étrangère en France à travers un dispositif dédié
Abstract
3.1. Introduction
3.1.1. Renforcer l’intégrité publique par une transparence accrue
L'une des façons dont les pays peuvent renforcer leur résilience face à l'ingérence étrangère est de mettre en place des cadres de transparence solides qui couvrent les activités de lobbying et d’influence effectuées au nom de gouvernements étrangers et autres entités étrangères. L'expérience des pays de l'OCDE en matière de transparence des activités de lobbying, qu’elles soient domestiques ou viennent de l’étranger, montre qu'une réglementation efficace devrait offrir un degré de transparence suffisant sur les activités visant à influencer les processus décisionnels des gouvernements ou susceptibles de le faire (OCDE, 2010[1]).
La transparence est la divulgation et l'accessibilité ultérieure des données et informations gouvernementales pertinentes (OCDE, 2017[2]). Appliquée aux activités d’influence étrangère, il s'agit d'un outil qui permet au public de mieux contrôler le processus de prise de décision publique (OCDE, 2021[3]). Ainsi, l’obligation de transparence n’a pas pour but de restreindre, de dissuader, de criminaliser ou de punir des activités d’influence étrangère légales. La transparence vise au contraire à mettre en évidence les activités légales menées au profit d'intérêts étrangers, et ainsi éviter toute opacité ou risque d’ingérence.
Mais si la divulgation de la bonne quantité et des bons types d'informations est essentielle pour atteindre des niveaux de transparence adéquats, il n'est pas toujours aisé de déterminer ce qui constitue la « bonne » information. Pour que les responsables publics et les citoyens puissent obtenir des informations suffisantes sur les activités d’influence effectuées au nom d’entités étrangères, il est recommandé que les informations divulguées portent sur les personnes morales qui font du lobbying ou qui influencent le gouvernement – ou l’opinion publique – et au nom de qui, sur les personnes qui sont la cible de ces activités et sur la décision publique ou question politique spécifique qui a fait l’objet de ces activités (OCDE, 2021[3]).
3.1.2. L’expérience française d’encadrement du lobbying
Depuis l’adoption de la loi Sapin II en 2016, la France dispose d’un dispositif d’encadrement du lobbying en ligne avec les meilleures pratiques internationales, et qui peut servir de source d’inspiration pour renforcer la transparence de l’influence étrangère. Ce dispositif a constitué une avancée décisive puisqu’il établit une reconnaissance juridique de la représentation d’intérêts, tout en répondant aux risques liés au lobbying à travers l’inscription obligatoire de ces activités dans un registre unique rendu public, administré et contrôlé par la HATVP.
Les sociétés étrangères qui remplissent les critères énoncés par l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique doivent ainsi s’inscrire sur le répertoire des représentants d’intérêts et déclarer annuellement leurs activités de représentation d’intérêts ainsi que les moyens alloués à celles-ci, au même titre que les entreprises françaises. Depuis octobre 2023 et l’entrée en vigueur des nouvelles lignes directrices de la HATVP, les États tiers doivent être déclarés comme clients de cabinets de conseil ou d’avocats le cas échéant, à l’instar de ce qui est fait au niveau européen (Registre de transparence de l’Union européenne) et au Canada (Registre des lobbyistes), et comme précisé dans la section 1.5 du chapitre 1.
Toutefois, le dispositif actuel présente plusieurs limites. Tout d’abord, le répertoire des représentants d’intérêts ne couvre qu’une partie limitée des acteurs effectuant des activités d’influence au nom de gouvernements étrangers et d’organisations étatiques étrangères. Par exemple, le registre ne permet pas d’identifier clairement si les activités de représentation d’intérêts d’une entreprise contrôlée majoritairement ou directement par un État étranger sont menées pour le compte de l’entreprise pour la défense de ses intérêts commerciaux, ou au nom de l’État étranger pour la défense d’intérêts étatiques. De même, certaines entités liées à un État étranger et qui agissent de facto au nom de cet État étranger pour mener des activités d’influence, sans toutefois qu’il n’existe d’accord écrit entre ces entités et l’État étranger, ne sont pas couvertes par le dispositif. Or, les activités d’influence étrangère sont souvent caractérisées par l’utilisation d’intermédiaires, sans toutefois que le lien entre l’intermédiaire et la puissance étrangère soit toujours clairement établi. L’intérêt de créer un dispositif spécifique permettrait donc d’inclure des acteurs qui ont un lien direct avec un État étranger ou qui agissent de facto sous le contrôle d’un État étranger.
Deuxièmement, les activités d’influence étrangère, notamment lorsqu’elles ont un objectif malveillant, ont des objectifs distincts, notamment sur leurs cibles, comme expliqué dans le chapitre introductif. Par exemple, une activité d’influence étrangère peut avoir comme objectif d’influencer l’opinion publique lors d’un processus électoral en utilisant des laboratoires d’idées, des organisations de la société civile ou des campagnes de désinformation. Or, l’influence de l’opinion publique et des processus électoraux n’est dans la plupart des cas pas incluse dans la liste des décisions ou processus démocratiques couverts par des réglementations sur le lobbying. C’est par exemple le cas du dispositif français de représentation d’intérêts.
3.1.3. Mettre en place un encadrement dédié à la transparence de l’influence étrangère
Plusieurs pays, dont les États-Unis, l’Australie et, plus récemment, le Royaume-Uni ont fait le choix de mettre en œuvre un cadre légal et un registre des activités d’influence étrangère distinct de leur registre existant sur les activités de lobbying. Aux États-Unis par exemple, le registre mis en place dans le cadre du Foreign Agents Registration Act (FARA) couvre les activités d’influence effectuées pour le compte d’un gouvernement d’un pays étranger, d’un parti politique étranger, de personnes et d’entreprises étrangères, tandis que les activités de lobbying et d’influence domestiques sont couvertes par le Lobbying Disclosure Act (LDA). Le gouvernement du Canada envisage également l’adoption d’un cadre spécifique et a ainsi lancé une consultation publique sur le sujet en 2023, soulignant les limites du régime canadien d’encadrement du lobbying (Encadré 3.9).
À l’image des dispositifs existants aux États-Unis et en Australie, et des initiatives menées au Royaume-Uni et au Canada, le législateur français pourrait adopter un dispositif sur l’encadrement des activités d’influence étrangères effectuées au nom d’États ou d’organisations étatiques étrangers. Toutefois, pour déterminer si un régime distinct de celui existant pour les activités de représentation d’intérêts ou si une adaptation de ce dernier serait l’approche la plus pertinente, il est important de s’intéresser à l’ensemble des fonctions nécessaires au bon fonctionnement du dispositif, notamment les fonctions de contrôle, et au cadre légal et institutionnel existant en France, ainsi que des leçons tirées de la mise en œuvre de dispositifs similaires à l’international.
Ainsi, pour répondre efficacement aux risques énoncés dans le chapitre 2, le renforcement de la transparence des activités d’influence étrangères en France doit avant tout bien définir un champ d’application précis, c’est à dire les acteurs et les activités couvertes (section 3.2) et les cibles de l’influence (section 3.3). Un second élément important à couvrir dans une réflexion sur le sujet est celui du régime de divulgation : quelle information doit être demandée, à quelle fréquence, et sous quel format (section 3.4). Le régime de sanctions, administratives ou pénales, est un autre point clé pour un mécanisme de transparence efficace (section 3.5). Sur le plan institutionnel enfin, il est important que les rôles et responsabilités des administrations en charge de la gestion du dispositif, du contrôle, des enquêtes et de l’application des sanctions soient bien définis au sein du système institutionnel français (section 3.6).
3.2. Définir les acteurs et les activités d’influence étrangère couverts par le dispositif de transparence
3.2.1. Une transparence adéquate des activités d’influence étrangère devrait avoir une couverture large des intérêts qui pourraient en être bénéficiaires
Un dispositif français sur la transparence des activités d’influence et de représentation d’intérêts étrangères devra clarifier quels sont les bénéficiaires au nom de qui l’activité d’influence étrangère est effectuée.
Le registre actuel des représentants d’intérêts administré par la HATVP couvre toute personne morale (cabinets de conseil, cabinet d’avocats, entreprises, groupements professionnels, organisations non gouvernementales, organismes de réflexion et de recherche) ou physique (consultants agissant en qualité d’indépendant) qui prend l’initiative de contacter un responsable public pour influer sur une décision publique, couvrant ainsi les activités pour défendre un intérêt économique ou non économique. Cette définition des représentants d’intérêts est établie de façon claire dans la loi Sapin II.
Depuis sa création, le registre couvre ainsi déjà les entités étrangères telles que les entreprises ou les organisations de la société civile étrangères. Cependant, la transparence ne concernait pas à l’origine les personnes morales tierces employées par des gouvernements étrangers ou des personnes/organismes affiliés à des gouvernements étrangers (partis politiques, personnalités politiques, médias d’État). Depuis la publication et l’entrée en vigueur des nouvelles lignes directrices de la HATVP en octobre 2023, les États tiers doivent être déclarés comme clients dans le registre, ce qui constitue un premier pas vers une meilleure transparence des bénéficiaires de certaines activités d’influence étrangère (Encadré 3.1).
Encadré 3.1. L’identité des tiers pour le compte desquels des actions de représentation d’intérêts sont effectuées dans les nouvelles lignes directrices de la HATVP
Sont concernés les représentants d’intérêts qui exercent cette activité en tout ou partie pour le compte de tiers. Doit être déclarée comme un tiers toute personne morale différente de celle qui mène l’action de représentation d’intérêts et pour le compte de laquelle celle-ci est menée, que cette personne remplisse ou non le critère organique posé à l’article 18-2 de la loi. Il peut donc s’agir d’administrations publiques nationales mais également d’autorités publiques étrangères lorsque l’action de représentation d’intérêts est menée auprès des responsables publics nationaux visés par la loi.
Source : (HATVP, 2023[4])
Une part importante des acteurs de l’influence étrangère sont donc déjà couverts par le registre, à l’instar de ce qui est fait au niveau des institutions européennes et au Canada. Selon la loi canadienne sur le lobbying, les lobbyistes-conseils doivent notamment divulguer des renseignements concernant l’identité de leur client (qui peut être un gouvernement étranger ou national) lorsque, contre rémunération, le consultant communique avec un titulaire d’une charge publique concernant certains objets décrits dans la Loi (OCDE, 2021[3]). De même, le registre européen, couvre les activités de représentation d’intérêts menées au nom des « autorités publiques de pays tiers, y compris leurs missions diplomatiques et ambassades » lorsque ces autorités sont représentées par des entités juridiques, des bureaux ou des réseaux sans statut diplomatique ou sont représentées par un intermédiaire (EUR-Lex, 2021[5]).
Toutefois, le cadre légal et les lignes directrices ne semblent pas suffisamment clarifier si certaines entités liées à un État étranger (par exemple celles qui sont contrôlées par un État étranger ou qui agissent de facto à la demande d’un État étranger, ou des partis ou personnalités politiques étrangers), qu’elles agissent en tant que bénéficiaires ou en tant qu’intermédiaires agissant pour le compte d’autorités publiques étrangères, sont incluses dans le champ d’application (Encadré 3.2).
Encadré 3.2. Cartographie des acteurs de l’influence étrangère
Lobbying et influence étrangers – intérêts privés commerciaux ou non commerciaux
Si une entreprise ou une entité représentant des intérêts privés commerciaux ou non commerciaux dans un pays A influence un processus décisionnel public dans un pays B, cela peut être considéré comme une activité d’influence et de lobbying venue de l’étranger mais qui n'est pas liée à une puissance étrangère.
Dans la plupart des pays qui ont une réglementation sur le lobbying, le lobbying et l’influence exercés par des groupes d'intérêts commerciaux étrangers, des organisations de la société civile étrangères ou des lobbyistes consultants représentant des intérêts commerciaux ou des entités privées étrangers est généralement couvert par la réglementation.
Lobbying et influence étrangers – intérêts politiques et étatiques
Si un gouvernement ou une entité gouvernementale d'un pays A influence le gouvernement d'un pays B par les voies diplomatiques et consulaires traditionnelles, il s'agit de diplomatie et non de lobbying. Toutefois, certaines activités menées directement par des gouvernements étrangers peuvent toujours comporter des risques d'ingérence étrangère (par ex. coercion économique, attaques cyber, choix d’investissements stratégiques). Ces acteurs et activités n’ont toutefois pas vocation à être couvertes par un dispositif sur l’encadrement de l’influence étrangère.
Lorsque le gouvernement ou une entité gouvernementale d'un pays A choisit d'influencer le gouvernement d'un pays B en dehors des canaux et processus diplomatiques traditionnels et formels, on peut retrouver les mêmes acteurs / pratiques que pour le lobbying au nom d’intérêts privés. Cela signifie que des entités gouvernementales étrangères influencent via des entités et des personnes sans statut diplomatique qui peuvent agir en tant « qu'agents étrangers » ou représentants d’intérêts du pays (par ex. cabinets de conseil ou d’avocats mandatés par des gouvernements étrangers). Cela peut être considéré comme une activité d’influence et de lobbying au nom d'une puissance étrangère. Certaines de ces activités sont légales et peuvent être considérées comme légitimes, mais elles doivent être rendues transparentes pour éviter tout risque d'ingérence.
Zones grises de l’influence étrangère
Lorsque les intérêts privés et gouvernementaux étrangers sont entremêlés, certaines activités peuvent être considérées comme une zone grise à l'intersection du soft power diplomatique et du lobbying auprès des gouvernements étrangers. Ce type d'influence se produit lorsque le gouvernement d'un pays A influence le gouvernement d'un pays B par l'intermédiaire d'entités contrôlées par le gouvernement du pays A ou agissant sous sa direction.
Ces activités comportent aussi des risques importants d'ingérence étrangère, car les gouvernements étrangers peuvent utiliser les affiliations avec des entités qu’ils contrôlent ou détiennent comme canaux d'influence :
Entreprises publiques / entreprises d’État.
Médias détenus, financés et contrôlés par l'État.
Instituts culturels (par exemple, Instituts Confucius).
Institutions religieuses.
Organisations de la société civile créées ou contrôlées par un État étranger.
Ces organisations peuvent agir aussi bien en tant que « mandant » (par ex. lorsqu’en tant qu’entités liées à un gouvernement étranger, elles passent elles-mêmes par des intermédiaires comme des cabinets de lobbying) ou en tant qu’intermédiaire agissant pour le compte d’un État tiers. Ces activités peuvent aussi être considérées comme des activités d’influence et de lobbying au nom d'une puissance étrangère.
Source : élaboration de l’auteur.
Pour une couverture plus exhaustive des bénéficiaires étrangers, le législateur français pourrait s’appuyer sur les définitions en vigueur aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni, qui utilisent le terme de « foreign principal », qui peut être traduit en français par « mandant étranger », « donneur d’ordre étranger » ou « commettant étranger ».
Aux États-Unis par exemple, le terme « foreign principal » / « mandant étranger » du FARA comprend :
Un gouvernement d’un pays étranger et un parti politique étranger.
Une personne (individu, partenariat, association, société, organisation ou toute autre combinaison d'individus) en dehors des États-Unis.
Une société de personnes, une association, une société, une organisation ou toute autre combinaison de personnes organisée selon les lois d'un pays étranger ou ayant son principal lieu d'activité dans un pays étranger.
Les deuxième et troisième catégories sont exemptées d’obligation de transparence si les activités de lobbying sont effectuées en leur nom propre et si ces entités s’enregistrent dans le cadre du Lobbying Disclosure Act. Toutefois, l'exemption ne s'applique pas aux agents des gouvernements étrangers et des partis politiques étrangers (première catégorie), ou lorsqu'un gouvernement étranger ou un parti politique étranger est le principal bénéficiaire des activités de lobbying des acteurs spécifiés dans les deuxième et troisième catégories.
Le FITS australien couvre quant à lui quatre grandes catégories de mandant étranger, qui sont explicitées en détail dans l’Annexe B :
Un gouvernement étranger, y compris une autorité du gouvernement ou d’une partie du gouvernement d’un pays étranger.
Une organisation politique étrangère, y compris un parti politique étranger et une organisation étrangère qui existe principalement pour poursuivre des objectifs politiques.
Une entité liée à un gouvernement étranger.
Une personne liée à une gouvernement étranger, c’est-à-dire qui est soumise à une obligation (formelle ou informelle) d'agir conformément aux directives, instructions ou souhaits du gouvernement étranger, de l'entité liée au gouvernement étranger ou de l'organisation politique étrangère.
De son côté, le document de consultation du gouvernement canadien sur l’opportunité de mettre en place un registre dédié à l’influence étrangère qualifie de « commettant étranger », toute « entité qui est détenue ou dirigée, en droit ou en pratique, par un gouvernement étranger. Il peut s’agir, entre autres, d’une puissance étrangère, d’une entité économique étrangère, d’une organisation politique étrangère ou encore d’une personne ou d’un groupe ayant des liens avec un gouvernement étranger » (Sécurité publique Canada, 2023[6]). Enfin au niveau européen, la proposition de la Commission prévue dans le cadre du Paquet pour la défense de la démocratie mentionne de son côté des « entités de pays tiers », incluant également les acteurs publics ou privés contrôlés directement ou indirectement par des puissances étrangères extra-européennes (Commission européenne, 2023[7]).
3.2.2. Pour une transparence adéquate des activités d’influence étrangère, le dispositif devrait clarifier ce que signifie « agir pour le compte d'un mandant étranger » et les entités ou personnes qui sont susceptibles d’effectuer ces activités
Un autre aspect crucial que le dispositif français devrait clarifier concerne la signification « d’effectuer des activités d’influence / de représentation d’intérêts pour le compte d’un mandant étranger » et les entités ou personnes qui sont susceptibles d’effectuer ces activités, et donc de s’enregistrer au répertoire.
Les systèmes américain, australien et britannique adoptent une définition relativement large du terme de « foreign agent » pour désigner les agents qui sont considérés comme agissant au nom d’un mandant étranger. En effet, l'existence d'un contrat écrit entre un agent et un gouvernement étranger ou le paiement de frais ne sont pas nécessaires pour établir l'obligation d'enregistrement. Aux États-Unis, un agent qui facilite l'organisation de réunions avec des représentants du gouvernement américain en réponse à une simple « demande » d'un mandant étranger suffit à déclencher l'obligation de s'inscrire au registre FARA. De même, la fourniture de conseils à un mandant étranger sur la meilleure façon d'influencer la politique ou l'opinion publique peut entraîner l'obligation de s'enregistrer.
Par exemple, le FITS australien exige qu'une personne physique ou morale s'enregistre si elle entreprend des activités d’influence étrangère pour le compte d'un mandant étranger ou dans le cadre d'un accord enregistrable (« registrable arrangement ») (Ministère du procureur général australien, 2019[8]). Ce terme inclut ainsi les activités d’influence étrangère qui sont effectuées :
Dans le cadre d'un accord avec le mandant étranger. Il est précisé qu’un « accord » entre l’agent et le mandant étranger peut être formel ou informel, écrit ou verbal. Il peut s'agir d'un contrat, d'une entente ou d'un accord de quelque nature que ce soit. Il n'est pas nécessaire qu'il ait été conclu en Australie pour qu'il puisse être enregistré. Il n'est pas non plus nécessaire que le mandant étranger paie l’agent pour qu'il entreprenne l'activité, ni qu'il lui fournisse un autre avantage.
Au service du mandant étranger.
Sur l'ordre ou à la demande du mandant étranger.
Sous la direction du mandant étranger.
Quelle que soit la nature de la relation entre l’agent et le mandant étranger, ils doivent avoir eu l’intention ou s’attendre à ce que l’agent puisse ou doive entreprendre les activités d’influence pour le compte du mandant étranger. Si une personne ou une entité entreprend une activité sans que le mandant étranger le sache ou s'y attende, il n'y a pas d'obligation d'enregistrement dans le cadre du FITS. Dans ce cas, les activités de l’agent et les intérêts du mandant étranger ne sont que des coïncidences (Ministère du procureur général australien, 2019[8]).
Le FARA adopte une approche similaire (Annexe A) tandis que le document de consultation sur la mise en place d’un dispositif similaire au Canada, privilégie le terme « d’entente », alignée sur les conditions du FITS australiens (Sécurité Publique Canada, 2023[9]).
Cette approche large permet de couvrir les acteurs clés de l’influence étrangère, notamment ceux de la « zone grise » décrit dans l’Encadré 3.2, et en particulier les acteurs qui agissent de facto au service ou sous le contrôle de puissances étrangères de façon dissimulée, comme cela semble être pratiqué dans le cas des opérations d’influence russes et chinoises (Charon et Jeangène Vilmer, 2021[10]). Dans tous les cas, il parait important, dans le cas d’un dispositif sur l’encadrement de l’influence étrangère, de ne pas limiter la relation entre un « mandant étranger » et les personnes physiques ou morales qui conduisent des activités d’influence en son nom, à une relation financière (c.-à-d., contre rémunération) ou contractuelle.
Il est par ailleurs à souligner que dans les cas américain comme australien, le fait de recevoir un financement d'un gouvernement étranger ou d'une organisation politique étrangère ne constitue pas un critère suffisant pour être considéré comme un « agent étranger » ou comme une entité agissant au nom d’un « mandant étranger ». Si le financement est le seul lien entre l'entité et le gouvernement étranger ou l'organisation politique étrangère, l'entité ne sera ainsi pas considérée comme un « agent de l’étranger » (« foreign agent »). Cette clarification est importante, car elle a été récemment source de confusion et de nombreuses erreurs d’interprétation dans le débat public, notamment dans le cadre des discussions sur le Paquet européen pour la défense de la démocratie. L’élément crucial ici est la notion « d’entente » ou de « service » (« agency relation » dans le cas du FARA) qui lie d’une part un mandant étranger, et d’autre part une personne physique ou morale qui effectue des activités d’influence en son nom. Cela permet également de distinguer ces systèmes de ceux en vigueur dans des contextes autoritaires où le simple fait de recevoir des financements de l’étranger peut entrainer une qualification d’agent étranger avec des conséquences pour ces entités et leurs agents souvent graves.
Afin d’éviter toute lacune, un dispositif français en matière de transparence de l’influence étrangère pourrait adopter une approche similaire de définition large du champ d’application du registre de transparence. Il est toutefois important de noter que de telles approches ont également été sources de défis aux États-Unis et en Australie, tant elles rendent le champ d’application large et la relation entre mandant et agent étrangers difficile à établir et à prouver dans le cas où une entité agit sur simple « demande » du mandant étranger. En particulier, l’allocation de moyens d’enquête et d’investigation relativement larges est nécessaire à la mise en œuvre, afin que l’administration en charge de l’application du dispositif puisse détecter l’existence d’une entente, même informelle, entre un mandant et un agent étranger. Cet aspect est discuté plus en détail dans la section 3.6.
3.2.3. Les activités d’influence étrangères rentrant dans le champ du dispositif devront prendre en compte non seulement l’influence sur les processus décisionnels, mais aussi sur le débat public
Une fois la relation entre un mandant étranger et un agent étranger établie, un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère nécessite une liste claire d’activités précises qui entraînent l’obligation d’inscription. Comme évoqué au chapitre 2, une partie croissante des activités d’influence étrangère ne vise pas à influencer directement les responsables publics, mais plutôt l’opinion publique, afin que celle-ci influence le cours des décisions publiques.
En ce sens, la définition actuelle d’une activité de représentation d’intérêts en France semble trop restrictive pour un dispositif encadrant l’influence étrangère car elle se limite à une entrée en communication avec un responsable public dans le but d’influencer une décision publique. Le choix du législateur français en matière d’encadrement du lobbying a en effet été de circonscrire la représentation d’intérêts au lobbying direct, en excluant explicitement du champ d’application l’influence sur l’opinion publique (Encadré 3.3). Dans le cadre d’un dispositif encadrant l’influence étrangère, une telle définition ne couvrirait donc pas un champ important d’activités d’influence, ce qui constituerait un obstacle à une transparence adéquate des activités d’influence étrangère, dont un pan non négligeable resterait en dehors des obligations de transparence.
Pour une transparence adéquate des activités d’influence étrangères, la prise en compte de ces activités d'influence indirectes, parfois appelées « grassroots communications », semble devenue incontournable. Le champ d’application du dispositif sur l’influence étrangère devrait donc être étendu pour couvrir non seulement les activités de représentation d'intérêts « classiques » d’entrée en communication avec un responsable public, mais également les activités d’influence plus larges et notamment l’influence exercée via des intermédiaires comme des laboratoires d’idées ou autres organismes de la société civile.
Ceci peut aussi permettre au dispositif de contribuer aux objectifs stratégiques de la France en matière de lutte contre les ingérences étrangères et de protection des intérêts fondamentaux de la Nation, en agissant par exemple comme une source potentielle de détections de cas d’opérations de manipulations de l’information d’origine étrangère, qu’elles soient menées à travers les médias locaux ou communautaires, les médias grand public ou les réseaux sociaux. Les dispositifs en place aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni couvrent ce type d’activités (pour une description détaillée des activités et leurs définitions, voir Annexes A, B et C). La Directive proposée dans le cadre du Paquet européen pour la Défense de la Démocratie inclut également ces activités (Annexe D).
Encadré 3.3. Les entrées en communication qui relèvent de la représentation d’intérêts dans le dispositif actuel ne sont pas suffisamment adaptées à l’influence étrangère
Dans le dispositif actuel d’encadrement des activités de représentation d’intérêts, plusieurs types d’actions sont considérés comme des entrées en communication susceptibles de constituer des actions de représentation d’intérêts :
Une rencontre physique, quel que soit le contexte dans lequel elle se déroule (rendez-vous dédié, déjeuner professionnel, visite d’un salon professionnel, réunion d’un club, etc.).
Une conversation téléphonique, par vidéo-conférence ou par l’intermédiaire d’un service de communication électronique.
L’envoi d’un courrier, d’un courrier électronique ou d’un message privé par l’intermédiaire d’un service de communication électronique.
L’interpellation directe et nominative d’un responsable public sur un réseau social.
En revanche, sont exclues :
Les campagnes de sensibilisation de l’opinion ou les manifestations sur la voie publique.
Les activités de veille de l’actualité législative et réglementaire.
La préparation de notes, dossiers, éléments de langage, en amont d’une communication.
Les lettres d’information, dès lors qu’elles ne portent pas sur une décision publique et ne sont pas adressées spécifiquement à des responsables publics.
Source: HATVP (2024[11]), “Représentation d'intérêts”, https://www.hatvp.fr/espacedeclarant/representation-dinterets/ressources/#post_14593.
Aux États-Unis par exemple, les activités considérées comme des activités d’influence étrangère incluent les « activités politiques », c’est-à-dire « toute activité dont la personne qui s'y livre pense qu'elle influencera, ou qu'elle a l'intention d'influencer, de quelque manière que ce soit, toute agence ou tout fonctionnaire du gouvernement des États-Unis ou toute partie du public aux États-Unis en ce qui concerne la formulation, l'adoption ou la modification des politiques intérieures ou étrangères des États-Unis ou en ce qui concerne les intérêts politiques ou publics, les politiques ou les relations d'un gouvernement d'un pays étranger ou d'un parti politique étranger ». Cette définition inclut donc également les activités qui cherchent à promouvoir une image positive d’un gouvernement étranger au sein de la société américaine. D'autres types d'activités couvertes, comme le fait d'agir en tant qu'agent de publicité, employé d'un service d'information ou conseiller en relations publiques, couvrent également expressément la gestion de la perception et de l’image d’un mandant étranger.
Comme aux États-Unis, le dispositif australien couvre aussi bien les activités d’influence directe, comme par exemple le lobbying auprès des membres du Parlement, que les activités entreprises dans le but d'exercer une influence sur le débat public, par exemple la promotion d'information ou de matériel informationnel visant à influencer le vote du public lors d'une élection fédérale. Le FITS australien adopte une classification précise et claire des activités d’influence, sur laquelle pourrait s’appuyer le législateur français (Tableau 3.1).
Tableau 3.1. Activités d’influence étrangère couvertes par le FITS australien
Catégorie d’activités |
Type d’activités |
---|---|
|
Le lobbying comprend la communication dans le but d'influencer les processus, les décisions ou les résultats ainsi que la représentation des intérêts d'une autre personne dans un processus quelconque. Les activités de lobbying sont réputées avoir pour but d'exercer une influence politique ou gouvernementale si elles sont entreprises dans le but principal ou substantiel d'influencer :
Les activités de lobbying parlementaire pour le compte d'un gouvernement étranger sont enregistrables, qu'elles soient ou non entreprises dans un but politique ou gouvernemental. Le lobbying parlementaire pour le compte d'autres types de mandants étrangers n'est enregistrable que si l'objectif est d'exercer une influence politique ou gouvernementale. |
Activités de communication |
L'activité de communication couvre toutes les circonstances dans lesquelles des informations ou du matériel informationnel sont diffusés, publiés, décaissés, partagés ou mis à la disposition du public. Les informations et le matériel informationnel peuvent prendre n’importe quelle forme, notamment interpersonnelle, visuelle, graphique, écrite, électronique, numérique et picturale. Une activité de communication doit être enregistrée si elle est entreprise à des fins d’influence politique ou gouvernementale (voir ci-dessus). De telles activités peuvent influencer les points de vue et les opinions des personnes impliquées dans les processus politiques et gouvernementaux. |
Activités de décaissement |
L'activité de décaissement comprend la distribution d'argent ou d'objets de valeur pour le compte d'un mandant étranger. Cette activité doit être enregistrée si la personne, ou le bénéficiaire du décaissement, n'est pas tenu de divulguer l'activité (par exemple dans le cadre de lois sur la divulgation du financement des partis politiques) et que l'activité est entreprise à des fins d'influence politique ou gouvernementale. |
Le champ d’application du dispositif français pourrait aussi s’appuyer sur le Registre canadien des lobbyistes et le registre de transparence des institutions de l’Union européenne (UE), qui ont chacun adopté une définition certes plus restrictive mais qui va au-delà de la simple communication orale ou écrite entre un représentant d’intérêt et un responsable public :
Au niveau de l’Union européenne, les activités couvertes comprennent entre autres: la « mise sur pied de campagnes de communication, de plateformes, de réseaux et d’initiatives de terrain », ainsi que « l’élaboration ou la commande de documents d’orientation et de prises de position, d’amendements, de sondages et d’enquêtes d’opinion, de lettres ouvertes ou d’autres matériels de communication ou d’information, ainsi que la commande et la réalisation de travaux de recherche » (EUR-Lex, 2021[5]).
Au Canada, en plus de communications orales et écrites, la loi sur le lobbying couvre les « appels au grand public » (« grassroots communications »), définis comme étant « un appel au grand public, directement ou au moyen d’un média à grande diffusion, pour persuader celui-ci de communiquer directement avec le titulaire d’une charge publique en vue de faire pression sur lui afin qu’il appuie un certain point de vue » (Encadré 3.4).
Ces deux registres n’incluent toutefois pas des obligations de déclarations étendues concernant ce type d’activités, c’est-à-dire des informations détaillées sur toutes les campagnes de communication effectuées dans le cadre d’activités d’influence soutenant un objectif précis. Toutefois, l’inclusion de ce type d’activités dans le champ d’application a permis un premier pas vers davantage de transparence sur l’influence indirecte. Par exemple, le registre européen de transparence inclut une section spécifique consacrée aux actions menées, y compris les principales propositions législatives de l’UE visées et les « activités de communication (événements, campagnes, publications, etc.) liées aux propositions susmentionnées ».
Encadré 3.4. Bulletin d’interprétation du Commissariat au Lobbying du Canada sur l’application de la Loi sur le lobbying aux appels au grand public
Dans son bulletin d’interprétation d’août 2017, le Commissariat au Lobbying du Canada a clarifié les moyens utilisés aux fins de l’appel au grand public, qui peuvent comprendre le publipostage et les campagnes de communication électronique, les publicités, les sites Web, les billets dans les médias sociaux et des plateformes telles que Facebook, Twitter, LinkedIn, Snapchat, YouTube, etc.
Le Commissariat a également indiqué que la participation aux activités stratégiques et opérationnelles d’un appel au grand public (approbation des éléments, prestation de conseils, réalisation de recherches et d’analyses, rédaction de messages, préparation de contenu, diffusion de contenu, interaction avec les membres du public) exige également l’enregistrement.
Source : Commissaire au Lobbying du Canada (2017[13]), « Application de la Loi sur le lobbying aux appels au grand public », https://lobbycanada.gc.ca/fr/regles/la-loi-sur-le-lobbying/avis-et-interpretation-loi-sur-le-lobbying/application-de-la-loi-sur-le-lobbying-aux-appels-au-grand-public/
Si cette recommandation (un dispositif couvrant un spectre d’activités plus large que le système actuel encadrant les activités de représentation d’intérêts) venait à être privilégiée par le législateur français, un terme différent de celui de « représentation d’intérêts » pourrait être utilisé pour le dispositif spécifique sur l’influence étrangère. En effet, la HATVP a souligné que l’utilisation du même terme pour deux registres différents pourrait porter à confusion, dans la mesure où les activités couvertes ne seraient pas exactement les mêmes dans les deux registres. À contrario, le terme de « représentation d’intérêts » pourrait être utilisé si un alignement entre les dispositifs est choisi.
3.2.4. Afin de garantir les libertés fondamentales ainsi que des relations d’État à État fluides, le dispositif français sur la transparence des activités d’influence étrangère pourra inclure une liste d’exemptions légitimes
À l’image de certaines exemptions légitimes qui sont incluses dans les dispositifs d’encadrement de lobbying existants dans les pays de l’OCDE, les définitions des activités couvertes par un dispositif d’encadrement des activités d’influence étrangère devraient préciser clairement le type de communications qui ne sont pas couvertes par le dispositif. Il en est ainsi, par exemple, des communications qui ont déjà été rendues publiques, notamment les présentations officielles devant les commissions parlementaires, les auditions publiques et les mécanismes de consultation établis (OCDE, 2010[1]).
Plus spécifiquement, les définitions doivent clairement préciser le type d’activités qui ne sont pas considérées comme des activités d’influence nécessitant une meilleure transparence (exclusion), ou qui pourraient bénéficier d’une exemption légitime. En matière d’exclusions, il est essentiel dans un régime d’encadrement des activités d’influence étrangère d’exclure les activités diplomatiques, consulaires et similaires lorsque celles-ci sont exercées par un agent diplomatique ou consulaire. Il s’agit en effet d’activités diplomatiques classiques, pleinement légitimes et essentielles pour les relations internationales. De même, il est pertinent d’exclure les employés d’un gouvernement étranger du dispositif, étant donné la nécessité de coopérer au plan international dans de nombreux champs de politiques publiques dans un monde globalisé. Les activités de conseils juridiques et la représentation en justice (c.-à-d. lorsque l’activité en question est principalement liée à la prestation de conseils juridiques dans le cadre de processus judiciaires ou en découle) peuvent également être légitimement exclues.
S’agissant des exemptions, un équilibre doit être trouvé afin que la liste d’exemptions ne soit pas utilisée par des puissances étrangères pour tenter d’influencer secrètement les processus décisionnels et ainsi éviter l’obligation d’inscription au registre.
Les régimes australien et américain proposent une liste détaillée d’exemptions, mais qui sont toutefois, selon les autorités en charge de l’application du FARA et du FITS, trop larges (pour une description exhaustive des exemptions, se référer aux annexes). Aux États-Unis par exemple, les objectifs de transparence du FARA pourraient se voir entravés par certaines exemptions relatives aux activités privées et non politiques, ainsi qu'aux activités universitaires, qui sont susceptibles d’être exploitées pour éviter les exigences de divulgation du FARA.
En France, les travaux de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les ingérences étrangères ont abordé ainsi le cas des associations cultuelles, exclues actuellement du champ d’application du dispositif d’encadrement des activités de représentation d’intérêts. Plusieurs responsables auditionnés dans le cadre de cette Commission ont cependant fait état de progrès en la matière, notamment depuis la mise en application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Les entretiens de l’OCDE avec Tracfin pour le compte de ce rapport ont pu confirmer que la loi a obtenu des résultats positifs, avec une forte diminution des financements reçus par les associations cultuelles de l’étranger. Toutefois, le critère du financement n’étant pas toujours le plus pertinent pour caractériser le lien entre un mandant et un agent étranger, comme expliqué plus haut (section 3.2.3), il parait souhaitable de ne pas exclure les organisations cultuelles du champ d’application d’un dispositif sur l’encadrement de l’influence étrangère.
3.3. Définir les cibles des activités d’influence étrangère dans le dispositif
3.3.1. Les personnes susceptibles d’être visées par une action d’influence étrangère doivent être bien précisées et pourraient intégrer les partis politiques et candidats aux élections
En France, la définition du terme « représentation d’intérêts » couvre déjà les activités menées auprès des ministères, au Parlement, et dans les administrations nationales et décentralisées. Le champ des décideurs publics susceptibles d’être visés par des actions de lobbying englobe ainsi, depuis 2022, environ 18 000 personnes, faisant du dispositif français l’un des plus étendus au monde. La France est aussi l’un des sept pays de l’OCDE dont le dispositif national couvre aussi les activités de lobbying effectuées à l’échelon local (Autriche, Chili, Irlande, Lituanie, Pérou, Slovénie) (OCDE, 2021[3]).
Afin de faciliter l’appropriation, par les représentants d’intérêts, de l’extension du répertoire mise en œuvre depuis le 1er juillet 2022, la Haute Autorité a publié sur son site web un vade-mecum consacré à l’identification des nouveaux responsables publics auprès desquels une entrée en communication pourrait être qualifiée d’action de représentation d’intérêts (HATVP, 2022[14]).
La liste des responsables publics à l’égard desquels une communication peut constituer une action de représentation d’intérêts étant suffisamment large, un dispositif sur l’influence étrangère pourrait se baser sur ce dispositif existant, ce qui garantirait une certaine cohérence entre ces instruments.
Toutefois, il parait important dans le cadre d’un dispositif sur l’influence étrangère d’inclure également les candidats aux élections et/ou les partis politiques, afin de bien prendre en compte le risque d’ingérence électorale en particulier. Ces responsables sont inclus dans les régimes les plus récents en la matière :
Au Royaume-Uni, le Foreign Influence Registration Scheme couvre les décideurs de haut niveau tels que les ministres britanniques (et les ministres des administrations décentralisées), les candidats aux élections, les députés et les hauts fonctionnaires.
En Australie, le Foreign Influence Transparence Scheme couvre, dans la catégorie « lobbying politique », les activités de lobbying dirigées vers des partis politiques enregistrés ou les candidats aux élections fédérales.
3.3.2. Les décisions publiques et les processus démocratiques visés pourraient être élargis aux positions de politique étrangère et aux processus électoraux
Pour compléter le champ d’application d’un dispositif sur l’encadrement de l’influence étrangère, il s’agit enfin de préciser quelles sont les décisions publiques ou les processus démocratiques qui sont susceptibles d’être visés par une activité d’influence étrangère. Comme pour le champ des personnes visées, les dispositifs existants à l’étranger vont généralement plus loin que leur dispositif d’encadrement d’activités de lobbying « classiques », en intégrant par exemple l’influence sur les processus électoraux (Australie, États-Unis, Royaume-Uni), mais également des activités d’influence qui cherchent à donner une image positive du mandant étranger, sans référence spécifique à une décision publique (voir section 3.3.3 ci-dessous).
En France, comme le précise une annexe du décret du 9 mai 2017, le type de décisions publiques qui doivent être mentionnées par les représentants d’intérêts dans leurs déclarations concerne les lois ou les actes réglementaires dont ils cherchent à influencer le contenu. Outre les lois et règlements, sont aussi concernées toutes les décisions administratives, qu’il s’agisse de décisions générales et impersonnelles ou de décisions individuelles (LégiFrance, 2017[15]). Une action de représentation d’intérêts peut porter sur la modification ou la suppression d’une décision en vigueur, ainsi que sur l’élaboration d’une décision à venir, en cours de discussion ou d’adoption, ou sur l’adoption d’une nouvelle décision, même lorsque celle-ci n’est pas clairement identifiée ou identifiable (par exemple, la régulation d’un secteur).
Cette liste apparait à la fois trop imprécise et trop large, rendant le dispositif particulièrement complexe. Cela crée une confusion méthodologique et de grandes difficultés pour déterminer quelles décisions sont concrètement visées par le dispositif. Dans son rapport d’activité 2022, la HATVP souligne ainsi que cette difficulté d’identification des décisions publiques concernées peut être source d’insécurité juridique pour les représentants d’intérêts concernés, et s’est par ailleurs amplifiée avec l’extension du répertoire aux collectivités territoriales (HATVP, 2023[16]). La HATVP a ainsi recommandé à plusieurs reprises de restreindre le champ d’application en précisant dans les textes les critères des décisions publiques entrant dans le champ de la réglementation de la représentation d’intérêts, en fonction de leur importance, par leur nature ou leurs effets. Par ailleurs, une Mission flash de l’Assemblée nationale « sur la rédaction du décret n°2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts » avait également confirmé le « flou entourant les décisions publiques entrant dans le champ du dispositif et celles qui en sont exclues, du fait de la formulation générale et étendue inscrite dans la loi » (Assemblée nationale, 2023[17]). Afin d’éviter ce type de problèmes, un dispositif dédié à l’influence étrangère devrait donc prévoir une liste plus précise.
S’agissant des décisions publiques et des processus démocratiques visés dans le cadre d’un dispositif d’encadrement de l’influence étrangère, une liste précise pourrait être élaborée en concertation avec les autorités mentionnées dans le Tableau 2.1 du Chapitre 2, et notamment le SGDSN. L’élaboration d’une analyse basée sur les risques pourrait identifier le type de décisions publiques susceptibles d’être la cible de tentatives d’ingérences étrangères et l’impact qu’une influence étrangère non-transparente sur ces décisions pourrait avoir sur les intérêts fondamentaux de la Nation. Le fait d'influencer le public dans le cadre des décisions et des procédures définies devrait ensuite être également couvert par le dispositif.
Il pourrait également être envisagé, compte tenu du champ large d’activités couvertes par le dispositif proposé, de définir de manière également relativement large les décisions publiques visées, à l’image des dispositifs en vigueur en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis (Tableau 3.2). Concernant spécifiquement l’influence sur les processus électoraux, une réflexion spécifique pourrait être menée à la fois au regard de l’expérience d’autres pays de l’OCDE, mais également en prenant en compte le risque de créer une faille juridique sur la sincérité des scrutins et en conséquence un risque d’invalidation des résultats. En Australie par exemple, l'expression « influence politique ou gouvernementale » a une définition large. Elle peut englober l'influence sur toute personne, entité, structure ou processus faisant partie de l'architecture politique et gouvernementale fédérale de l'Australie - y compris une élection ou un vote fédéral, une décision du gouvernement fédéral, une procédure de l'une ou l'autre chambre du Parlement, un parti politique enregistré, un membre indépendant du Parlement ou un candidat indépendant à une élection fédérale (Tableau 3.2).
Tableau 3.2. Décisions publiques visées aux États-Unis et en Australie
Dispositif |
Décisions publiques et processus visés |
|
---|---|---|
Australie |
Foreign Influence Transparency Scheme |
Le fait d'influencer le public ou une partie du public dans le cadre de ces processus et procédures est également couvert par la loi. |
Royaume-Uni |
Foreign Influence Registration Scheme |
|
États-Unis |
Foreign Agents Registration Act |
|
Source : élaboration de l’auteur.
L’obligation de déclaration dans un registre de transparence spécifique concernerait ainsi toute personne physique et morale qui conduirait une activité ayant pour finalité d’influencer les processus de décision publique définis ou les processus électoraux – y compris par le biais de l’influence sur l’opinion publique – et ce pour le compte, sous la direction ou le contrôle d’un mandant étranger.
3.3.3. Les activités d’influence qui concernent la promotion de l’image, des politiques ou des relations d’un mandant étranger pourraient aussi être incluses dans le dispositif
Une grande partie des activités d’influence étrangère consiste à promouvoir une image positive du mandant étranger au sein de la société cible et auprès des responsables publics du pays cible, afin que l’opinion publique ou l’opinion des responsables publics visés s’aligne avec les intérêts ou la vision défendus par le mandat étranger.
Aux États-Unis, le FARA a la particularité de couvrir non seulement les actions d’influence sur la politique intérieure ou étrangère des États-Unis, mais également l’influence en ce qui concerne les intérêts politiques ou publics, les politiques publiques ou les relations d'un gouvernement d'un pays étranger ou d'un parti politique étranger. Par exemple, les activités d’influence qui n’ont pas nécessairement pour but d’influencer directement une décision publique, mais qui viseraient à influencer l’opinion d’un responsable public ou le public en général en faveur de celle de la puissance étrangère, sur ses politiques publiques ou sa politique étrangère, sont également couvertes. Le FARA couvre également les personnes jouant un rôle dans la gestion de la perception et de l’image d’un mandant étranger: agents de publicité, conseillers en relations publiques ou employés des services d'information.
L’exemple présenté dans l’Encadré 3.5, issu d’une activité enregistrée dans le cadre du FARA, illustre bien ce type d’activités et l’intérêt de les inclure dans un dispositif d’encadrement de l’influence étrangère : les individus visés et le public peuvent ainsi être pleinement conscients de qui cherche à les influencer.
Encadré 3.5. Promouvoir une image positive d’un mandant étranger : une activité répandue sans référence spécifique à une décision publique ou un processus démocratique
Pendant la crise du COVID-19, le consulat général aux États-Unis d'un pays de l'OCDE a engagé une société de lobbying pour étudier la manière dont les médias américains ont présenté la réponse du pays au COVID-19. Les contrats comprenaient une stratégie complète de relations publiques basée sur les activités suivantes afin de donner une image positive de la manière dont le pays a répondu à la crise du COVID-19 dans les premiers mois de la pandémie :
Programmer une réunion par mois avec les journalistes et le consulat.
Rédiger des notes d'information pour les réunions avec des personnes influentes (influenceurs) et les parties prenantes.
Fournir des conseils sur le placement d’articles d'opinion et des lettres au rédacteur en chef (y compris des conseils éditoriaux, des recherches pour déterminer le placement stratégique et une communication directe avec les rédacteurs en chef/les organes de presse appropriés).
Développer et mettre en œuvre un partenariat de contenu sponsorisé avec un média basé aux États-Unis.
Source : FARA.
3.4. Définir les obligations de transparence pour les activités d’influence étrangère
3.4.1. Le cadre légal pourrait préciser que l’inscription dans un délai d’enregistrement raisonnable devrait être un prérequis à toute activité d’influence étrangère pour un mandant spécifique
Comme pour un registre de représentants d’intérêts « classique », l’inscription obligatoire pourrait être un prérequis pour conduire des activités d’influence étrangère, avec des délais minimums d’inscription au registre. Actuellement, l’inscription au répertoire des représentants d’intérêts est obligatoire dans un délai de deux mois suivant le jour où les conditions prévues par la loi pour être qualifié de représentant d’intérêts sont remplies (à savoir 10 entrées en communication par an appréciées au niveau des personnes physiques d’une entité). Si un tel système permet d’accorder plus de flexibilité à ceux qui ont des obligations de transparence, il s’agit également de veiller à garantir que le délai d’inscription ne devienne pas un obstacle à l'objectif de transparence et d'accès rapide aux informations sur l’influence, ou une source de confusion pour certains responsables publics qui souhaiteraient peut-être vérifier l'enregistrement d'un agent d’influence étranger avant d'entrer en communication avec lui.
Dans le cas d’un dispositif spécifique à l’influence étrangère, le cadre légal pourrait imposer un délai d’inscription plus court, sans critère de seuil, dérivé des bonnes pratiques à l’œuvre dans d’autres juridictions. Aux États-Unis par exemple, un agent étranger doit s'enregistrer auprès du département de la Justice dans les 10 jours suivant son acceptation d'agir en tant qu'agent d'un mandant étranger.
3.4.2. Les obligations déclaratives devraient inclure des informations précises et régulières, permettant de mettre en lumière les objectifs clés de l’activité d’influence inscrite
Actuellement, les informations à divulguer lors de l’inscription initiale au répertoire des représentants d’intérêts comprennent : (i) l’identité du représentant d’intérêts ainsi que celle de ses dirigeants ; (ii) l’identité des personnes chargées des activités de représentation d’intérêts ; (iii) les domaines d’intervention du représentant d’intérêts ; (iv) les organismes dont le représentant d’intérêts est membre.
Une fois par an, et en application du décret de 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, ces derniers sont tenus d’adresser chaque année à la Haute Autorité le détail des activités réalisées sur l’année dans les trois mois suivant la clôture de leur exercice comptable. Ces informations comprennent :
L’ensemble des actions de représentation d’intérêts réalisées lors du dernier exercice comptable, y compris les types de décisions publiques visées par les activités, les types d’activités entreprises, les domaines d’intervention et les objectifs poursuivis par ces activités.
L’identité des clients pour lesquels les activités ont été conduites.
Les dépenses consacrées aux actions de représentation d’intérêts.
Le nombre total en équivalent temps plein travaillé (ETPT) de personnes physiques ayant réalisé des activités de représentation d’intérêts au sein de la personne morale.
S’agissant des entités qui facturent des actions de représentation d’intérêts pour le compte de leurs clients, le chiffre d’affaires lié à l’activité de représentation d’intérêts.
Toutefois, les informations à déclarer ne permettent pas complètement d’atteindre les objectifs fixés par la loi (à savoir retracer l’empreinte normative de la loi, c’est-à-dire les informations permettant au citoyen de savoir quels acteurs ont participé à son élaboration) car elles restent trop vagues. Par exemple, la déclaration doit indiquer le type de décision publique visée (par ex. s’il s’agit d’une loi, d’un règlement), mais pas son intitulé exact. On ne peut donc pas savoir précisément sur quelle décision l’action de lobbying a porté. De même, la fréquence annuelle des rapports d’activités a pour conséquence une publication retardée de certaines informations sur les activités de représentation d’intérêts : une activité réalisée au début de la période déclarative ne sera rendue publique qu’un an plus tard.
Ces éléments ont été régulièrement relevés par la HATVP dans ses rapports d’activité. Le Comité de déontologie parlementaire du Sénat avait également recommandé en décembre 2022 de préciser les informations des fiches d’activités en indiquant la décision concernée par l’action d’influence ainsi que son objectif, et de passer d’un rythme de déclaration annuel à un rythme semestriel. Cela permettrait d’aligner le dispositif français avec les bonnes pratiques internationales.
Ces deux évolutions clés apparaissent nécessaires pour un dispositif encadrant l’influence étrangère, à l’image des approches choisies aux États-Unis et en Australie en ce qui concerne les informations à déclarer et la fréquence des divulgations (Tableau 3.3). Dans ces deux systèmes, la plupart des informations à déclarer le sont lors de l’enregistrement initial, lors duquel les déclarants doivent fournir des informations précises sur leur relation avec le mandant étranger, ainsi que sur les objectifs poursuivis par leurs activités. Des mises à jour régulières des informations sont ensuite prévues.
Une approche similaire pourrait être adoptée en France. Les renseignements à divulguer au cours de la procédure d’inscription au registre pourraient inclure les renseignements personnels de la personne ou de l’entité qui mène les activités, la nature de la relation entre la personne/entité et le mandant étranger, les objectifs précis des activités menées et spécifiées par le mandant, et les types d’activités menées ou que le déclarant compte mener. Lors des mises à jour régulières, par exemple tous les six mois, les déclarants pourraient apporter des précisions sur les activités qui ont été effectivement effectuées au cours de la période. Par exemple, il pourrait s’agir de divulguer des informations sur une campagne de communication spécifique qui a été menée au cours des six derniers mois ou des renseignements sur des activités qui ont concerné une décision publique spécifique.
Tableau 3.3. Fréquence des déclarations en Australie et aux États-Unis
Australie |
États-Unis |
||
---|---|---|---|
Enregistrement et contenu des déclarations |
Enregistrement initial |
1. Informations détaillées sur les activités couvertes par le dispositif (y compris les types d'activités, les dates des activités, les détails sur le but de l'activité). 2. Informations décrivant la nature de la relation avec le mandant étranger. Cependant, les informations rendues publiques n'incluent pas les informations commercialement sensibles et liées à une consultation gouvernementale confidentielle sur les changements de politique proposés, ou affectant la sécurité nationale. |
Chaque personne inscrite doit remplir plusieurs formulaires :
|
Déclarations régulières |
Les déclarants sont tenus de réexaminer chaque année leur enregistrement, s'ils restent soumis à l'obligation d'enregistrement. Les personnes inscrites sont tenues de signaler tout changement et mettre à jour leurs informations pour s'assurer qu'elles ne sont pas trompeuses ou inexactes. Lorsqu'un déclarant se rend compte que les informations fournies sont ou deviendront inexactes ou trompeuses, il est tenu de corriger ces informations dans un délai de 14 jours. Les déclarants sont également tenus de déclarer la valeur totale des décaissements effectués dans le cadre d'une activité de décaissement, lorsque la valeur totale atteint le seuil des dons électoraux ou un multiple de ce seuil. Des obligations spécifiques s’appliquent pendant les périodes de vote (y compris les périodes électorales) : 1. Vérifier les informations d’inscription et confirmer qu’elles sont correctes ou mettre à jour les informations. 2. Déclarer toute activité enregistrable entreprise pendant les périodes de vote (si elle est liée au vote ou à l'élection concernée). |
Les personnes inscrites doivent déposer des déclarations supplémentaires tous les six mois après la date de leur inscription initiale. Cette déclaration supplémentaire met à jour tous les éléments et activités de la déclaration d'enregistrement, y compris chaque contact avec la presse ou le gouvernement au nom d'un mandant étranger. |
Source : (OCDE, 2021[3])
Si le registre du Royaume-Uni n’est pas encore en vigueur, les documents disponibles soulignent que les informations publiées comprendront le nom du déclarant, le nom de la puissance étrangère pour laquelle les activités sont menées, les dates de début et de fin des activités, les coordonnées des personnes qui mèneront les activités et des détails sur la nature, l'objectif et les résultats escomptés des activités (Parlement du Royaume-Uni, 2023[18]).
Dans le cadre des communications destinées au grand public et qui ne visent pas spécifiquement un responsable public ou une décision publique donnée, les informations à déclarer pourraient s’inspirer de l’exemple australien, présenté ci-dessous (Encadré 3.6).
Encadré 3.6. Déclaration des activités de communication dans le cadre du Foreign Influence Transparency Scheme australien
Les détails des exigences de divulgation pour les différents types d’activités de communication, y compris où et quand la divulgation doit avoir lieu, et sous quelle forme, sont prescrits par les règles de 2018 du système de transparence des influences étrangères (divulgation dans les activités de communication).
Ces détails dépendent du type d'activité de communication entreprise, par exemple s'il s'agit de communications imprimées ou audio.
Toutefois, le contenu de la divulgation est le même quel que soit le type d'activité de communication. La divulgation doit :
Identifier la personne qui entreprend l'activité de communication (généralement la personne qui doit être enregistrée dans le cadre du système).
Identifier le mandant étranger pour le compte duquel l'activité de communication est entreprise (par exemple, le gouvernement, l'entité ou la personne étrangère concernée).
Indiquer que l'activité de communication est entreprise pour le compte du mandant étranger.
Indiquer que la divulgation est faite en vertu de la loi.
Les fiches pratiques donnent l’exemple de divulgation : « ce document est communiqué par [nom de la personne] pour le compte de [nom du mandant étranger]. Cette divulgation est faite en vertu de la loi de 2018 sur la transparence de l'influence étrangère (Foreign Influence Transparency Scheme Act 2018) ».
Source : Ministère du procureur général australien (2019[19]), Foreign Influence Transparency Scheme Factsheet 10: Disclosures in communications activity, https://www.ag.gov.au/sites/default/files/2020-03/disclosures-in-communications-activities.pdf
3.4.3. Le régime de déclaration pourrait inclure des obligations différenciées pour une liste de mandants étrangers / puissances étrangères dont les activités ont été déterminées comme portant un risque aux intérêts fondamentaux de la Nation
Si les registres de représentants d’intérêts permettent de placer tous les assujettis aux obligations de déclaration au même niveau (ce qui est le cas de tous les registres de lobbying en vigueur, ainsi que du FARA américain et du FITS australien), il pourrait être utile, dans le cas des activités d’influence étrangère, d’exiger des informations supplémentaires de la part de certains mandants étrangers dont les activités portent un risque important d’ingérences étrangères et d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Lorsque certaines puissances étrangères ou d’autres mandants étrangers sont identifiés spécifiquement comme sources d’ingérences particulièrement néfastes, un mécanisme renforcé pourrait ainsi s’appliquer. Il pourrait s’agir par exemple d’entités dont des activités d’ingérences informationnelles numériques ont été caractérisées par l’agence VIGINUM. Cette liste pourrait être déterminée par décret, à l’image du système en cours de mise en place au Royaume-Uni avec le Foreign Influence Registration Scheme qui inclut deux paliers, dont un palier renforcé s’appliquant à des puissances étrangères ou à des entités spécifiques (Encadré 3.7). Établir un tel régime établirait dès lors une différenciation entre les États étrangers. Toutefois, une telle disposition pourrait également servir de mécanisme dissuasif sans pour autant être nécessairement activée.
Encadré 3.7. Le double régime de déclaration du Foreign Influence Registration Scheme au Royaume-Uni
Palier « influence politique »
Ce palier exige l'enregistrement des accords visant à mener des activités d'influence politique au Royaume-Uni sur instruction d'une puissance étrangère.
Ces accords devront être enregistrés dans les 28 jours suivant leur conclusion avec la puissance étrangère.
Les activités d'influence politique comprennent les communications destinées aux décideurs de haut niveau, tels que les ministres britanniques (et les responsables des administrations décentralisées), les candidats aux élections, les députés et les hauts fonctionnaires. Elles comprennent également certaines communications au public lorsque la source de l'influence n'est pas publiquement établie, ainsi que le versement d'argent, de biens ou de services à des personnes britanniques à des fins politiques. Pour être enregistrée, cette activité doit avoir pour but d'influencer la vie publique britannique, par exemple les élections, les décisions du gouvernement ou des membres de l'une ou l'autre chambre du Parlement ou des assemblées législatives décentralisées.
Palier « renforcé »
Le dispositif prévoit également le pouvoir de désigner une puissance étrangère, une partie d'une puissance étrangère ou une entité soumise au contrôle d'une puissance étrangère, lorsque le ministre de l’Intérieur l'estime nécessaire pour protéger la sécurité ou les intérêts du Royaume-Uni. L'utilisation de ce pouvoir sera soumise à l'approbation du Parlement.
Ce niveau nécessitera l'enregistrement des éléments suivants :
Des accords visant à mener toute activité au Royaume-Uni sous la direction d'une puissance ou d'une entité spécifiée : la personne qui conclut l'accord avec l'organisme spécifié sera responsable de l'enregistrement.
Les activités exercées au Royaume-Uni par des entités contrôlées par des puissances étrangères déterminées. Dans ces circonstances, l'entité spécifiée (qui n'est pas une puissance étrangère) sera responsable de l'enregistrement.
Le cas échéant, le gouvernement peut restreindre les activités nécessitant un enregistrement dans le cadre de cet échelon. Cela permettra d'adapter les exigences au risque posé par la puissance étrangère ou l'entité spécifiée.
Source : Gouvernement du Royaume-Uni (2024[20]), « Foreign Influence Registration Scheme factsheet », Mise à jour le 12 février 2024, https://www.gov.uk/government/publications/national-security-bill-factsheets/foreign-influence-registration-scheme-factsheet
3.5. Assurer le respect des obligations de transparence
3.5.1. Le dispositif pourrait décrire une liste précise d’infractions aux obligations de transparence en matière d’influence étrangère
Comme pour un dispositif d’encadrement des activités de représentation d’intérêts, un dispositif d’encadrement des activités d’influence étrangère devrait préciser les types d’infractions commises et qui pourraient donner lieu à des sanctions. Sur la base des bonnes pratiques internationales (FARA, FITS, FIRS), les sanctions pourraient couvrir les infractions suivantes :
Conduire des activités d’influence étrangère à déclarer sans inscription au registre.
Manquer aux obligations déclaratives prévues par la loi (c.-à-d. les obligations de déclaration et de communication).
Donner des renseignements faux ou trompeurs ou présenter des documents faux ou trompeurs au moment de produire une déclaration.
Inciter, pour un mandant étranger, des personnes physiques ou des entités à se livrer à des activités qui seraient, si elles étaient menées, des activités à déclarer, sans les informer de l’obligation de transparence.
Détruire des documents pertinents concernant l’influence étrangère.
Les infractions prévues au Foreign Influence Transparency Scheme sont spécifiées dans (Encadré 3.8).
Encadré 3.8. Les infractions du Foreign Influence Transparency Scheme en Australie
Le Foreign Influence Transparency Scheme Act 2018 prévoit des infractions en cas de non-respect de la loi. Il s'agit notamment de :
L'exercice d'activités enregistrables sans être enregistré dans le cadre du système.
Le non-respect des responsabilités (par exemple, les obligations de déclaration et de divulgation).
Le non-respect d'un avis de collecte d'informations émis en vertu des articles 45 ou 46 de la loi.
Le fait de fournir des informations ou des documents faux ou trompeurs en réponse à un avis de collecte d'informations émis en vertu des articles 45 ou 46 du FITS.
La destruction de documents en rapport avec le dispositif que les déclarants sont tenus de conserver en vertu de la loi.
Source : Ministère du procureur général australien (2019[21]), Foreign Influence Transparency Scheme Factsheet 17: Penalties for non-compliance, https://www.ag.gov.au/sites/default/files/2020-03/penalties-for-non-compliance-enforcement.pdf
3.5.2. Le dispositif pourrait prévoir l’envoi de notifications préalables afin de faciliter la conformité
Pour assurer la conformité, des mécanismes d’application administratifs peuvent être conçus avec une approche progressive par paliers. Au premier palier, l’institution en charge de l’application du dispositif pourrait émettre un avis auprès d’un potentiel déclarant qui ne serait pas enregistré au registre ou pour défaut de conformité avec les obligations déclaratives, avant une potentielle mise en demeure – rendue publique – de se conformer à ses obligations déclaratives. Ces mécanismes incitatifs existent déjà dans le cadre du dispositif actuel d’encadrement des activités de représentation d’intérêts : la HATVP a en effet un pouvoir de notification de manquement et de mise en demeure en cas de manquements aux obligations déclaratives.
Un système similaire est en place aux États-Unis et en Australie. Aux États-Unis par exemple, l'unité du FARA peut envoyer une « lettre d'enquête » (« letter of inquiry ») à une entité ou à une personne lorsque le département de la Justice obtient des indications crédibles selon lesquelles une obligation d'enregistrement peut exister. La lettre informera l’entité ou la personne de l’éventuelle obligation d’enregistrement et pourra demander des informations supplémentaires pour éclairer l’avis sur la nécessité ou non d’enregistrement au registre. En Australie, l'article 45 du FITS prévoit un système similaire aux lettres d'enquête américaines, appelées « avis de collecte d'informations » (« information gathering notices »). Concrètement, l'article 45 permet au Secrétaire du ministère du procureur général de demander à une personne de fournir des informations/documents s'il soupçonne raisonnablement que cette personne pourrait être tenue de s'enregistrer dans le cadre du FITS. Toutefois, le Secrétaire n'a actuellement pas le pouvoir d'obliger une personne à s'enregistrer s'il s'avère qu'elle est tenue de le faire (dans ce cas, la seule option est d'ouvrir une enquête pénale).
En cas de non-respect des obligations malgré un dialogue avec le déclarant et une mise en demeure, les paliers suivants consisteraient en l’application d’un régime gradué de sanctions, en commençant par l’application de sanctions administratives (section 3.5.3).
3.5.3. Le dispositif pourrait prévoir un dispositif gradué de sanctions allant de sanctions administratives pécuniaires aux sanctions pénales
Comme pour l’encadrement du lobbying, un régime de sanctions est essentiel pour l’efficacité du dispositif. Des sanctions administratives et / ou pénales, doivent ainsi faire partie du dispositif de mise en œuvre et de respect des règles, avec comme premier objectif la dissuasion de conduire des activités d’influence non-déclarées, puis la sanction comme solution de dernier recours en cas d'infractions aux obligations de transparence.
L’expérience de la HATVP sur l’application du dispositif en matière de représentation d’intérêts montre qu’un système gradué de sanctions est préférable. Pour faire observer le dispositif, des sanctions administratives pécuniaires pourraient donc être imposées, et des sanctions pénales pourraient ensuite être envisagées, à l’image des sanctions prévues à l’article 8 du décret n° 2017-867 en cas de manquement aux obligations déclaratives du représentant d’intérêts. Les systèmes américain, australien et britannique prévoient ainsi tous des sanctions graduées, administratives et pénales. Aux États-Unis, l'application de sanctions pénales a eu un effet dissuasif : le nombre d'enregistrements au titre du FARA a augmenté de façon significative à partir de 2017, après que des accusations pénales très médiatisées au titre du FARA ont été rendues publiques. À contrario, la proposition de la Commission européenne dans le cadre de son paquet pour la défense de la démocratie ne prévoit à ce stade que des sanctions administratives de nature pécuniaires et limitées à 1 000 EUR pour les personnes physiques et 1 % du chiffre d'affaires annuel mondial de l'exercice précédent pour les entités juridiques.
Le fait de ne pas se conformer à une obligation après une mise en demeure de la HATVP pourrait être considéré comme une infraction pénale, de même que la fourniture d’éléments qui sont délibérément faux et trompeurs, ou la destruction de documents en lien avec les activités couvertes et susceptibles d’être utiles dans le cadre d’une enquête. Les sanctions administratives pourraient être appliquées pour des manquements de moindre importance, comme un retard dans l’enregistrement et/ou la mise à jour des informations sur le registre, ou un manquement au respect des obligations déontologiques s’appliquant aux acteurs effectuant des activités d’influence.
3.6. Délimiter le cadre institutionnel permettant l’administration du dispositif, le contrôle, les enquêtes et l’application des sanctions
3.6.1. Le législateur pourrait envisager plusieurs scénarios confiant tout ou une partie de la mise en œuvre du dispositif à la HATVP
Parmi les pouvoirs essentiels à la bonne application du dispositif figure la possibilité d’obliger toute personne ou entité – y compris étrangère – de produire toute information ou documentation lorsqu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner une obligation d’inscription au registre.
Les entretiens conduits pour le compte de ce rapport ont soulevé des défis de mise en œuvre importants compte tenu de la dimension de sécurité nationale de l’influence étrangère et des ressources et des moyens d’enquête nécessaires à l’application du dispositif, notamment pour détecter de potentiels acteurs non-inscrits ou activités non-déclarées. Ces entretiens ont fait émerger plusieurs scénarios possibles d’organisation sur le plan institutionnel du dispositif, présentés ci-dessous.
Scénario 1 – Un registre séparé administré par la HATVP
Mettre en place un nouveau registre dédié à l’influence étrangère administré par la HATVP en parallèle du répertoire des représentants d’intérêts dont elle a déjà la charge constitue le premier scénario envisagé. C’est notamment l’option privilégiée dans la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale en février 2024 (Assemblée nationale, 2024[22]) ainsi que dans le dernier rapport annuel de la Délégation parlementaire au renseignement (Délégation parlementaire au renseignement, 2023[23]). Selon ce rapport publié en 2023, le régime actuel d’encadrement de représentation d’intérêts apparaît insuffisant dès lors qu’il a été conçu pour viser principalement les activités de lobbying économique et se révèle insuffisamment adapté aux spécificités de l’action d’influence étrangère. L’adoption d’un régime de transparence ad hoc, spécifique aux influences étrangères, aurait le mérite, selon le rapport :
De distinguer clairement la problématique du lobbying économique de celle de l’influence étrangère.
D’espérer attraire dans le champ du nouveau registre un nombre plus important d’agents d’influence que ceux qui relèvent du champ du registre actuel de la loi Sapin II.
D’envoyer un signal politique fort dans un contexte géopolitique marqué par la résurgence des ingérences étrangères.
À l’instar du régime des représentants d’intérêts, le rapport recommande de confier la gestion de ce régime déclaratif à la HATVP, qui bénéficie déjà d'une expertise et de ressources dédiées, ainsi que plus de sept années d’expérience dans l’application d’un registre d’activités de représentation d’intérêts, notamment en ce qui concerne l’interprétation du cadre légal, la production de lignes directrices, les échanges avec les déclarants et la mise en œuvre de procédures de contrôle. Cette expertise est d’autant plus nécessaire que certains acteurs qui seront susceptibles de s’enregistrer dans le nouveau dispositif pourraient avoir des obligations de déclaration dans les deux registres (par exemple, des cabinets de conseils). L’administration des deux registres par la HATVP permettrait ainsi d’assurer une complémentarité entre les deux registres ainsi qu’une certaine cohérence dans la mise en œuvre.
C’est aussi l’option envisagée au Canada, où un registre séparé sur l’influence étrangère viendrait compléter le registre déjà existant administré par le commissaire au lobbying du Canada (Encadré 3.9).
Ce scénario aurait aussi un autre avantage : il bénéficierait non seulement de l’expérience de la HATVP dans l’administration d’un registre de représentants d’intérêt mais aussi de son statut d’autorité administrative indépendante. Il serait toutefois nécessaire de renforcer les moyens et capacités de contrôle du nouveau registre par la HATVP et de s’assurer qu’elle puisse avoir accès aux informations nécessaires à ce contrôle. En matière d’ingérences étrangères, l’accès à des informations détenues par les services de renseignement, qui peuvent être transmises sous des formes simplifiées, voire à des informations classifiées, peut en effet s’avérer essentielle à ces activités de contrôle, et l’habilitation de la HATVP à recevoir des informations classifiées est à ce jour limitée. Seules les informations collectées dans le cadre du Code monétaire et financier peuvent être échangées entre la HATVP et Tracfin.
Encadré 3.9. Consultation publique au Canada sur le bien-fondé d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère
En 2023, le gouvernement du Canada a lancé une consultation des Canadiens sur le bien-fondé d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère.
La documentation fournie pour cette consultation souligne notamment que « même si le Canada dispose d’un certain nombre d’outils pouvant garantir la transparence, de nouvelles mesures pourraient être envisagées, comme un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère, en vue de mieux harmoniser l’approche du Canada à celle de ses alliés et partenaires aux vues similaires et, ainsi, de renforcer la résilience collective globale ».
En particulier, le document de consultation souligne que le registre de lobbying actuel est difficile à appliquer aux campagnes d’influence étrangères malveillantes qui sont conçues de manière à contourner les exigences relatives à l’inscription au registre prévues dans la loi. Surtout, la Loi sur le Lobbying n’a pas été conçue pour prévenir l’influence étrangère malveillante. Visant surtout à protéger le Canada contre l’influence lorsqu’il y a communication entre une entité et les titulaires de charge publique ou les politiciens, le dispositif de transparence associé à la Loi sur le Lobbying ne permet pas de cibler les activités de communication destinées au public canadien.
Les États étrangers, ainsi que leurs mandataires, qui cherchent à masquer leurs intentions lorsqu’ils influent sur le Canada pourraient le faire en contournant les obligations liées à l’inscription au registre du lobbying, et les outils en place pourraient ne pas s’appliquer à certains processus clés, comme les candidatures à l’investiture d’un parti et les élections à l’échelle infranationale, qui sont particulièrement vulnérables à l’influence étrangère malveillante.
Source : Sécurité publique Canada (2023[6]), « Bilan des consultations des Canadiens sur le bien-fondé d'un registre pour la transparence en matière d'influence étrangère », https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/2023-nhncng-frgn-nflnc-wwh/index-fr.aspx; Sécurité Publique Canada (2023[9]), « Accroître la transparence en matière d’influence étrangère : Examiner les mesures pour renforcer l’approche du Canada », https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/2023-nhncng-frgn-nfluence/index-fr.aspx.
Scénario 2 – Un registre unique de représentation d’intérêts administré par la HATVP
Une variante du premier scénario consisterait à envisager un registre unique, couvrant à la fois le lobbying économique au sens large et l’influence étrangère dans un même système.
Si les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni ont fait le choix d’un registre séparé, les entretiens avec les institutions en charge de l’application de ces dispositifs ont toutefois permis de mettre en lumière le choix parfois par défaut d’une telle décision, en raison de l’existence d’un registre de lobbying trop restreint dans son champ d’application et de la difficulté politique et pratique de mettre en œuvre un registre unique avec des obligations de transparence ambitieuses.
Si une discussion sur les limites des dispositifs actuels d’encadrement du lobbying au sein des pays de l’OCDE n’est pas l’objet spécifique de ce rapport, les travaux de l’OCDE sur le lobbying ont souligné les changements importants dans le paysage du lobbying au cours des dernières années, et notamment les évolutions des pratiques. L'essor des réseaux sociaux a notamment rendu le phénomène du lobbying plus complexe. Aujourd’hui, une part croissante des activités de lobbying se fait aussi via des stratégies d’influence plus globales qui ne se limitent plus à une simple entrée en communication avec un responsable public. De plus en plus, il s’agit d’orienter les débats publics, de façonner les perceptions, ou de persuader la société civile d’exercer une pression sur les décideurs. En ce sens, le lobbying utilise des techniques proches de celles décrites concernant l’influence étrangère dans ce rapport ; que ce soit le financement de laboratoires d’idées et d’instituts de recherche, ou les campagnes d’influence sur les réseaux sociaux (OCDE, 2021[3]).
De ce fait, les standards de l’OCDE en matière de transparence et d’intégrité des activités de lobbying évoluent donc vers des exigences plus poussées en matière de transparence, que les activités soient d’origine domestique ou étrangère, et qu’elles soient effectuées au nom d’intérêts commerciaux, privés ou étatiques. Un rapprochement conceptuel entre les dispositifs est donc envisageable.
Il est également important de prendre en compte les potentielles stratégies d’évitement liées à l’existence de deux registres séparés. En effet, l’inscription dans le registre sur le lobbying peut dans certains cas donner lieu à des exemptions d’inscription dans le registre sur l’influence étrangère. C’est le cas dans le FARA américain, où une exemption existe pour les entreprises afin d’instaurer un principe d’équité entre des entreprises étrangères et américaines d’un même secteur industriel selon les principes de la concurrence. Une inscription au registre du lobbying pour une entreprise étrangère peut ainsi lui éviter de s’inscrire sur le FARA au régime de déclaration plus conséquent. Cette exemption permet une zone grise pour l’influence étrangère par certains acteurs, notamment les entreprises d’État ou celles qui agissent de facto sous la direction ou le contrôle d’un État étranger : plusieurs cas ont été mis en évidence dans lesquels certaines entités qui auraient dû s’enregistrer dans le cadre du FARA se sont inscrites dans le registre de lobbying « classique » afin d’éviter les obligations de déclaration plus conséquentes et plus précises du FARA. Dans une note de 2021, le département de la Justice des États-Unis constatait que « les gouvernements étrangers utilisent de plus en plus les entreprises d'État à des fins stratégiques aussi bien commerciales que géopolitiques, ce qui rend plus difficile la distinction entre les représentants d'intérêts commerciaux étrangers et ceux qui sont des agents de gouvernements et de partis politiques étrangers » (Covington, 2022[24]). Plusieurs propositions d’amendements du FARA incluant une abrogation de l’exemption ont déjà été examinées au Congrès.
Les pays qui disposent d’ores et déjà d’un registre sur le lobbying devraient donc évaluer les coûts et les bénéfices de construire le registre sur l’influence étrangère sur l’existant ou de le faire séparément. En revanche, les pays ne disposant d’aucun de ces registres auraient sûrement intérêt à mener une réflexion sur les avantages et inconvénients à mettre en place un registre unique.
Scénario 3 – Un registre séparé sous la responsabilité d’une nouvelle structure relevant de la sécurité nationale
Un troisième scénario envisage la création d’une nouvelle structure qui dépendrait d’une administration régalienne, à la fois plus légitime sur les questions de sécurité et de défense de la souveraineté nationale et disposant d’une habilitation plus large que la HATVP pour recevoir des informations des services de renseignement pour assurer un contrôle plus effectif, au-delà des informations recueillies par Tracfin dans le cadre du Code monétaire et financier. Le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale pourrait par exemple héberger une telle structure. La HATVP aurait toujours la charge du registre de représentants d’intérêts « classique ».
Au niveau des avantages, ce scénario permettrait de bien distinguer le répertoire des représentants d’intérêts de celui sur l’influence étrangère, lui conférant un aspect sécuritaire particulièrement clair. Le répertoire des représentants d’intérêts et la HATVP garderaient ainsi un caractère bien distinct. Une telle approche faciliterait également l’identification de potentiels déclarants qui ne seraient pas enregistrés.
En revanche, ce scénario ne bénéficierait pas des synergies avec le répertoire actuel et ne se construirait pas sur l’expérience acquise par la HATVP sur l’administration de ce type de registre. Le statut d’autorité indépendante de la HATVP est également un point fort du dispositif existant sur le lobbying qui ne serait pas mis à profit pour le dispositif dédié à l’influence étrangère. Enfin, il est important de prendre en compte l’aspect potentiellement plus stigmatisant de s’inscrire sur le registre dédié à l’influence étrangère si celui-ci est géré par une institution régalienne liée à la sécurité nationale. Éviter une stigmatisation forte des acteurs est un point d’attention soulevé par les pays disposant d’un dispositif sur l’influence étrangère, car cela peut constituer un frein à l’enregistrement.
À la lumière des avantages et des inconvénients des différents scénarios, et suite aux discussions collectives entre les administrations publiques concernées lors des échanges organisés par l’OCDE, un consensus émerge sur le scénario 1.
3.6.2. Le législateur français devrait s’assurer que l’entité en charge de la mise en œuvre du dispositif dispose de moyens financiers et humains nécessaires pour accomplir sa mission
Quel que soit le scénario privilégié, la mise en œuvre d’un dispositif sur la transparence des activités d’influence étrangère nécessitera des moyens humains et financiers supplémentaires. Concernant la taille de l'équipe nécessaire pour mettre en œuvre le dispositif, celle-ci dépendra fortement du champ d’application du dispositif, des types d'activités concernées, de l’ampleur des vérifications menées et des pouvoirs d'enquête confiés à l’entité en charge de la mise en œuvre, de la taille du registre, ainsi que des plates-formes de divulgation et de transparence mises en place.
À titre d’exemple, l’équipe en charge de l’application du FITS en Australie au sein du ministère du procureur général (Attorney-General’s Department) est constituée de huit personnes, tandis que certaines fonctions (par exemple, conseils juridiques) sont mutualisées avec d’autres dispositifs, comme le registre de lobbying, également mis en œuvre par le ministère du procureur général.
Au Royaume-Uni, le nombre de personnes morales et physiques qui seront amenées à s’inscrire au registre reste encore incertain, car les autorités britanniques attendent justement du dispositif de mieux cerner la taille et l’ampleur de l’influence étrangère au Royaume-Uni. Face à cette incertitude, une équipe en charge de la mise en œuvre du FIRS sera constituée. Cette équipe sera voisine d'une équipe opérationnelle au sein du Home Office, ce qui permettra de la flexibilité et des mobilités au sein des équipes (par ex. en cas de recrutement trop important pour la gestion du registre ou au contraire en cas de besoins de recrutements supplémentaires).
Propositions d’action
Afin de de favoriser une transparence adéquate des activités d’influence étrangère, l’OCDE recommande à la France de considérer les propositions suivantes :
Définir les acteurs et les activités d’influence étrangère couverts par le dispositif de transparence
Une transparence adéquate des activités d’influence étrangère devrait avoir une couverture large des intérêts qui pourraient en être bénéficiaires.
Pour une transparence adéquate des activités d’influence étrangère, le dispositif devrait clarifier ce que signifie « agir pour le compte d'un mandant étranger » et les entités ou personnes qui sont susceptibles d’effectuer ces activités.
Les activités d’influence étrangères rentrant dans le champ du dispositif devraient prendre en compte non seulement l’influence sur les processus décisionnels, mais aussi celle sur le débat public.
Afin de garantir les libertés fondamentales ainsi que des relations d’État à État fluides, le dispositif français sur la transparence des activités d’influence étrangère pourrait inclure une liste d’exemptions légitimes.
Définir les cibles des activités d’influence étrangère dans le dispositif
Les personnes susceptibles d’être visées par une action d’influence étrangère doivent être bien précisées et pourraient intégrer les partis politiques et candidats aux élections.
Les décisions publiques et les processus démocratiques visés pourraient être élargis aux positions de politique étrangère et aux processus électoraux.
Les activités d’influence qui concernent la promotion de l’image, des politiques publiques ou les relations d'un gouvernement d'un pays étranger ou d'un parti politique étranger, pourraient aussi être incluses dans le dispositif.
Définir les obligations de transparence pour les activités d’influence étrangère
Le cadre légal pourrait préciser que l’inscription dans un délai d’enregistrement raisonnable devrait être un prérequis à toute activité d’influence étrangère pour un mandant spécifique.
Les obligations déclaratives devraient inclure des informations précises et régulières, permettant de mettre en lumière les objectifs clés de l’activité d’influence inscrite.
Le régime de déclaration pourrait inclure des obligations différenciées pour une liste de mandants étrangers / puissances étrangères dont les activités ont été déterminées comme portant un risque aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Assurer le respect des obligations de transparence
Le dispositif pourrait décrire une liste précise d’infractions aux obligations de transparence en matière d’influence étrangère.
Le dispositif pourrait prévoir l’envoi de notifications préalables afin de faciliter la conformité.
Le dispositif pourrait prévoir un dispositif gradué de sanctions allant de sanctions administratives pécuniaires aux sanctions pénales.
Délimiter le cadre institutionnel permettant l’administration du dispositif, le contrôle, les enquêtes et l’application des sanctions
Le législateur pourrait envisager plusieurs scénarios confiant tout ou une partie de la mise en œuvre du dispositif à la HATVP:
Scénario 1 – Un registre séparé administré par la HATVP
Scénario 2 – Un registre unique de représentation d’intérêts administré par la HATVP
Scénario 3 – Un registre séparé sous la responsabilité d’une nouvelle structure relevant de la sécurité nationale
Le législateur français devra s’assurer que l’entité en charge de la mise en œuvre du dispositif dispose de moyens humains et financiers nécessaires pour accomplir sa mission
Références
[22] Assemblée nationale (2024), Proposition de loi No. 2150 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2150_proposition-loi.
[17] Assemblée nationale (2023), « Mission « Flash » sir la rédaction du décret No. 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts », Commission des lois constitutionnnelles, de la législation et de l’administration génétale de la République, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/commissions-permanentes/lois/missions-d-information-de-la-commission-des-lois/miflash-repertoire-representants-interets.
[10] Charon, P. et J. Jeangène Vilmer (2021), « Les opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien », Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (IRSEM), https://www.irsem.fr/rapport.html.
[13] Commissaire au Lobbying du Canada (2017), « Application de la Loi sur le lobbying aux appels au grand public », https://lobbycanada.gc.ca/fr/regles/la-loi-sur-le-lobbying/avis-et-interpretation-loi-sur-le-lobbying/application-de-la-loi-sur-le-lobbying.
[7] Commission européenne (2023), Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil établissant des exigences harmonisées dans le marché intérieur en matière de transparence de la représentation d’intérêts exercée pour le compte de pays tiers et modifiant la directive (UE) 2019, https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:1916cc5e-99c7-11ee-b164-01aa75ed71a1.0011.02/DOC_1&format=PDF.
[24] Covington (2022), Department of Justice Reveals Support for Eliminating the LDA Exemption to FARA and Other FARA Reforms, https://www.cov.com/en/news-and-insights/insights/2022/12/department-of-justice-reveals-support-for-eliminating-the-lda-exemption-to-fara-and-other-fara-reforms.
[23] Délégation parlementaire au renseignement (2023), Rapport de la délégation parlementaire au renseignement relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2022-2023, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/dpr/l16b1454_rapport-information.pdf.
[5] EUR-Lex (2021), Accord institutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence obligatoire, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021Q0611(01).
[20] Gouvernement du Royaume-Uni (2024), « Foreign Influence Registration Scheme factsheet », Policy paper, GOV.UK, Mise à jour le 12 février 2024, https://www.gov.uk/government/publications/national-security-bill-factsheets/foreign-influence-registration-scheme-factsheet.
[11] HATVP (2024), « Représentation d’intérêts », https://www.hatvp.fr/espacedeclarant/representation-dinterets/ressources/.
[16] HATVP (2023), Rapport d’activités 2022, https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2023/05/HATVP-RA2022-pages-1.pdf.
[4] HATVP (2023), Répertoire des représentants d’intérêts. Lignes directrices : nouvelle version entrée en vigueur le 1er octobre 2023., https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2023/09/Lignes-directrices_nouvelles-version_entree-en-vigueur-au-01102023_VF.pdf.
[14] HATVP (2022), Extension du répertoire des représentants d’intérêts. Vade-mecum pour les déclarants, https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2022/06/Vademecum-HATVP-extension-RRI-VF.pdf.
[15] LégiFrance (2017), Décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000034633293/.
[19] Ministère du procureur général australien (2019), Foreign Influence Transparency Scheme Factsheet 10: Disclosures in communications activity, https://www.ag.gov.au/sites/default/files/2020-03/disclosures-in-communications-activities.pdf.
[21] Ministère du procureur général australien (2019), Foreign Influence Transparency Scheme Factsheet 17: Penalties for non-compliance, https://www.ag.gov.au/sites/default/files/2020-03/penalties-for-non-compliance-enforcement.pdf.
[8] Ministère du procureur général australien (2019), Foreign Influence Transparency Scheme Factsheet 4: Acting on behalf of a foreign principal and ‘registrable arrangements’, https://www.ag.gov.au/sites/default/files/2020-03/acting-on-behalf-of-foreign-principals.pdf.
[12] Ministère du procureur général australien (2019), Foreign Influence Transparency Scheme Factsheet 5: Registrable activities, https://www.ag.gov.au/sites/default/files/2020-03/registrable-activities.pdf.
[3] OCDE (2021), Lobbying in the 21st Century: Transparency, Integrity and Access, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/c6d8eff8-en.
[2] OCDE (2017), « Recommandation du Conseil sur le Gouvernement Ouvert », Instruments juridiques de l’OCDE, OECD-LEGAL-0438, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0438.
[1] OCDE (2010), « Recommandation du Conseil sur les Principes pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying », Instruments juridiques de l’OCDE, OECD-LEGAL-0379, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0379.
[18] Parlement du Royaume-Uni (2023), Policy statement on draft regulations for the Foreign Influence Registration Scheme, https://data.parliament.uk/DepositedPapers/Files/DEP2023-0172/Policy_statement_on_draft_regulations_for_FIRS.pdf.
[9] Sécurité Publique Canada (2023), Accroître la transparence en matière d’influence étrangère : Examiner les mesures pour renforcer l’approche du Canada, https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/2023-nhncng-frgn-nfluence/index-fr.aspx.
[6] Sécurité publique Canada (2023), « Bilan des consultations des Canadiens sur le bien-fondé d’un registre pour la transparence en matière d’influence étrangère », https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/2023-nhncng-frgn-nflnc-wwh/index-fr.aspx.