À l’heure où les systèmes éducatifs font face au défi sans précédent de préparer leurs élèves à trouver leur place et réussir dans un monde marqué par de profondes incertitudes environnementales, sociales et économiques, la dernière édition du Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA) a fait le choix d’évaluer, en plus de leurs traditionnelles compétences scolaires, leur capacité à apprendre tout au long de la vie, à s’adapter à de nouvelles situations et à mobiliser leurs connaissances dans des contextes variés et souvent imprévisibles.
Point extrêmement positif, il se révèle à la portée de tous les pays et économies de transmettre les valeurs, méthodes et attitudes nécessaires à la formation d’apprenants résilients, désireux d’apprendre en classe mais aussi en dehors de l’école, aujourd’hui et tout au long de leur vie. Différents pays s’illustrent en la matière, à l’instar de la Corée, où l’anxiété des élèves vis-à-vis des mathématiques enregistre un recul remarquable malgré le passage à l’enseignement en distanciel pendant la pandémie de COVID-19, du Portugal, où les élèves se distinguent par leurs grandes capacités d’esprit critique et de mise en perspective, ou encore du Costa Rica et des États-Unis, où les élèves moins performants sont désormais plus nombreux à pouvoir juger facilement de la qualité des informations qu’ils consultent en ligne. Ces progrès ne doivent cependant pas masquer une autre réalité : un nombre encore important d’élèves participant à l’enquête PISA rencontrent des difficultés sur le plan de la motivation, de l’anxiété et de l’apprentissage autonome. Tant et si bien que, faute d’un engagement plus fort des pays pour y remédier, c’est toute une génération d’apprenants qui ne sera pas adéquatement préparée à relever les défis d’aujourd’hui et de demain.
Parmi les pierres angulaires de l’apprentissage tout au long de la vie figurent les capacités d’auto-régulation et de persévérance. Or, les résultats de l’enquête PISA 2022 révèlent que la mobilisation de stratégies d’apprentissage en ce sens – poser des questions quand on ne comprend pas quelque chose, faire appel à ses acquis, ou encore être capable de prendre en compte d’autres points de vue – est loin d'être universelle parmi les élèves. Dans les pays de l’OCDE, ils sont ainsi moins de la moitié à indiquer essayer de faire le lien entre leurs nouvelles leçons et ce qu’ils ont appris auparavant. Et même parmi les élèves obtenant de bons résultats aux évaluations PISA, seule une petite majorité adopte régulièrement ce type d’attitudes de travail proactives. De grands progrès restent donc à accomplir pour doter les élèves des outils dont ils ont besoin pour s’inscrire dans une dynamique autonome et durable d’apprentissage.
La motivation constitue, elle aussi, un autre pilier de l’apprentissage tout au long de la vie. Selon les données de l’enquête PISA, les élèves mus par une motivation intrinsèque – ceux que le simple fait d’apprendre motive à apprendre – sont ainsi plus susceptibles d’adopter des stratégies d’apprentissage efficaces et de faire preuve d’esprit critique. Cependant, l’enquête pointe aussi des disparités de motivation entre les élèves selon leur milieu socio-économique et leur sexe. Les filles font par exemple souvent part d’une plus grande motivation intrinsèque que les garçons, mais aussi d’une plus forte anxiété vis-à-vis des mathématiques, même à résultats égaux avec eux dans cette matière. Des disparités qui s’observent également entre élèves favorisés et défavorisés sur le plan socio-économique. Ces résultats rappellent donc la nécessité d’interventions ciblées pour renforcer la motivation et la résilience chez tous les élèves, quel que soit leur milieu socio-économique et leur sexe.
La confiance en soi d’un élève, c’est-à-dire la mesure dans laquelle il croit en ses propres capacités, joue de son côté un rôle crucial dans sa disposition à relever les défis et à persévérer malgré les difficultés. Un élève qui croit davantage en ses capacités sera ainsi plus susceptible d’adopter des stratégies d’apprentissage favorisant une compréhension approfondie des sujets et la résolution des problèmes. Les résultats de l’enquête PISA 2022 révèlent néanmoins une forte variation de cette confiance en soi d’un pays/économie et d’un groupe d’élèves à l’autre, à l’instar de certains systèmes éducatifs très performants qui affichent les écarts les plus marqués d’efficacité perçue en mathématiques entre élèves peu et très performants. On comprend dès lors l’impératif de redoubler d’efforts pour donner confiance en soi aux élèves en difficulté.
Ce volume souligne par ailleurs l’importance de l’apprentissage autonome, en particulier à notre époque, marquée par l’évolution toujours plus rapide des technologies. Si une majorité des élèves se disent confiants dans leur capacité à trouver des informations en ligne, ils sont toutefois bien moins nombreux à évaluer facilement la qualité et la fiabilité de ces informations. Une compétence pourtant cruciale pour évoluer dans notre monde de plus en plus numérique, où la capacité à déterminer la crédibilité des sources d’information conditionne non seulement la réussite scolaire, mais aussi l’exercice d’une citoyenneté éclairée. Or, en moyenne dans les pays de l’OCDE, une proportion alarmante d’environ 60 % des élèves peu performants ont des difficultés à évaluer la qualité des informations en ligne, contre un peu plus de la moitié de leurs pairs plus performants.
Un tableau que viennent encore compliquer les disparités socio-économiques, avec des élèves issus de milieux défavorisés (en particulier ceux en situation d’insécurité alimentaire ou de difficultés économiques) moins susceptibles d’indiquer adopter des stratégies efficaces d’apprentissage et plus susceptibles de faire preuve de comportements passifs en la matière. Il semble donc que les facteurs socio-économiques ont une incidence sur les attitudes et les stratégies des élèves en matière d’apprentissage, en plus de leur impact déjà bien documenté sur les résultats scolaires. Sur une note plus encourageante, toutefois, les données de l’enquête PISA 2022 révèlent aussi une utilisation plus importante de stratégies proactives d’apprentissage et une plus forte motivation chez les élèves échangeant régulièrement avec leurs parents ou bénéficiant du soutien de leurs enseignants, mettant ainsi pleinement en lumière le rôle crucial de l’environnement familial et scolaire dans les comportements et les attitudes des élèves vis-à-vis des apprentissages.
Les systèmes éducatifs peuvent, et doivent, jouer un rôle actif dans la promotion de l’apprentissage tout au long de la vie, en œuvrant non seulement à la réussite scolaire de leurs élèves, mais aussi au développement chez eux des compétences, stratégies et attitudes indispensables à leur engagement dans une dynamique durable d’apprentissage. Parmi ses résultats les plus instructifs, l’enquête PISA 2022 met ainsi au jour la relation entre les pratiques pédagogiques des enseignants et la confiance des élèves dans leurs compétences mathématiques pour le XXIe siècle, à l’instar de ces élèves à qui leur professeur demande d’expliquer comment ils résolvent les problèmes mathématiques et qui sont plus susceptibles de se dire capables d’interpréter des solutions mathématiques dans le cadre d’un problème de la vie courante. Les systèmes éducatifs qui encouragent les stratégies d’activation cognitive – pratiques pédagogiques invitant les élèves à réfléchir aux processus qu’ils mobilisent lors de la résolution de problèmes – apparaissent donc plus à même de former des apprenants prêts à apprendre tout au long de leur vie et à relever les nouveaux défis de leur temps.
Comme le met en lumière ce volume, stratégies d’apprentissage, motivation et confiance en soi vont souvent de pair. Les élèves peu performants sont ainsi confrontés au double défi de la difficulté scolaire et du manque de confiance en leurs capacités d’apprentissage. Quant à leurs camarades très performants, même eux ne sont pas toujours bien préparés pour s’inscrire dans une dynamique d’apprentissage tout au long de la vie. Savoir repérer, développer et mettre pleinement à profit les points forts des élèves – que ce soit sur le plan des stratégies d’apprentissage, de la motivation ou de la confiance en soi – peut alors démultiplier leurs chances de réussite.
Autant de constats dont les responsables politiques auraient tout à gagner à prendre acte. Car la mise en place de systèmes éducatifs propices à l’apprentissage tout au long de la vie ne pourra se faire sans une approche globale reconnaissant la force des interdépendances entre réussite scolaire, stratégies d’apprentissage et développement socio-émotionnel. Ce n’est donc qu’en s’attachant réellement à comprendre comment les élèves apprennent et ce qui les motive que les systèmes éducatifs pourront mieux les préparer aux défis d’aujourd’hui, mais aussi aux incertitudes de demain. Dans cette optique, ce cinquième volume des résultats du PISA 2022 se veut une source instructive d’enseignements au service de la formation d’apprenants résilients, motivés et autonomes, dotés de tous les atouts pour réussir dans notre monde complexe, en perpétuelle transformation.
Andreas Schleicher
Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences et conseiller spécial du Secrétaire général de l’OCDE, chargé de la politique de l’éducation