Des systèmes de santé résilients supposent des chaînes d’approvisionnement en produits médicaux sûres. Or ces chaînes sont complexes et internationalisées, et font souvent intervenir de nombreux fournisseurs. La pandémie de COVID-19, pendant laquelle ont coïncidé une hausse sans précédent de la demande et des interruptions dans l’offre et les flux commerciaux, a accentué les pénuries existantes et de plus en plus fréquentes de médicaments essentiels, comme les antibiotiques et les anesthésiques, et a provoqué des ruptures de stock concernant certains dispositifs médicaux, comme les masques et les respirateurs. Ce rapport offre un éclairage sur les risques et les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux. Il analyse les mesures que peuvent prendre les pouvoirs publics pour anticiper et atténuer les risques de pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux, tant en temps ‘normal’ que dans le contexte de crises graves. Le rapport montre surtout que pour renforcer la résilience à long terme des chaînes d’approvisionnement en produits médicaux, il est indispensable d’agir dans le cadre de démarches collaboratives conciliant les mesures prises par le secteur privé avec celles relevant des gouvernements ou d’instances supranationales.
Sécuriser les chaînes d’approvisionnement en produits médicaux après la pandémie
Résumé
Synthèse
La résilience des systèmes de santé repose des chaînes fiables d’approvisionnement en produits médicaux. Dans le cadre de ce rapport, les chaînes d’approvisionnement désignent les flux de biens et de services nécessaires, de la production d’un produit médical – médicament ou dispositif – jusqu’à sa distribution puis sa consommation finale (ou utilisation) par un patient, par un professionnel de santé ou dans un établissement de soin. Chaque chaîne d’approvisionnement est unique, puisque les produits sont souvent constitués de nombreux éléments, fabriqués sur des sites et dans des pays différents, avec l’intervention de nombreux acteurs. Il y a rupture de la chaîne d’approvisionnement lorsqu’un produit commercialisé dans un pays donné n’est plus disponible en quantité suffisante pour satisfaire la demande. Les pénuries de médicaments étaient courantes et même de plus en plus fréquentes avant la pandémie de COVID‑19, laquelle a entraîné des problèmes spécifiques pour un certain nombre de produits médicaux. L’indisponibilité de produits médicaux peut avoir de graves conséquences sanitaires et sociales – retards de traitement et de diagnostic, surcroît de contraintes pesant sur des systèmes de soin déjà exsangues, alourdissement du coût des soins, pertes de productivité, pour ne citer que ces exemples. La multiplication des pénuries a attiré sur celles-ci l’attention des pouvoirs publics, appelés à renforcer les chaînes d’approvisionnement en produits médicaux – en ‘temps normal’ et en prévision de la prochaine crise sanitaire.
Les chaînes d’approvisionnement en produits médicaux sont complexes et de plus en plus internationalisées
Les chaînes d’approvisionnement en produits médicaux sont complexes et impliquent souvent plusieurs sites, localisés dans des pays, voire des continents, différents. Elles font intervenir de nombreux acteurs. Même s’il peut exister des similitudes dans l’organisation des chaînes d’approvisionnement, en particulier en ce qui concerne les médicaments, chaque produit a une chaîne d’approvisionnement spécifique. Les chaînes d’approvisionnement en dispositifs médicaux présentent une plus grande diversité que celles des médicaments et font souvent intervenir plusieurs fournisseurs de composants, dont certains sont propres à un dispositif médical spécifique tandis que d’autres entrent également dans la fabrication de produits non médicaux.
Au cours des dernières décennies, les chaînes d’approvisionnement en produits médicaux se sont internationalisées, même si une certaine concentration géographique peut s’observer en ce qui concerne la fabrication de quelques produits pharmaceutiques finis et principes actifs. La valeur des échanges internationaux de produits pharmaceutiques a décuplé en l’espace de 30 ans, pour atteindre 900 milliards USD en 2022. Les intrants intermédiaires (principes actifs, p. ex.) représentent aujourd’hui plus de la moitié de ces flux en valeur, et sans doute beaucoup plus en volume. Au cours des 30 dernières années, le commerce mondial des dispositifs médicaux a été multiplié par 7 en valeur, jusqu’à atteindre un montant total de 700 milliards USD en 2022, dont un tiers en biens intermédiaires, un tiers en produits finis et environ un tiers en biens d’équipement (équipements durables). L’internationalisation des chaînes d’approvisionnement a largement contribué à la production de médicaments et de dispositifs médicaux plus abordables et offert en parallèle aux fabricants et aux pouvoirs publics davantage de latitude pour se fournir en produits médicaux essentiels.
Les pénuries de produits médicaux étaient déjà fréquentes avant la pandémie de COVID‑19
Les pénuries étaient déjà fréquentes, et tendaient à s’accentuer, avant la pandémie de COVID‑19. Dans les pays de l’OCDE, ces pénuries concernent principalement des médicaments relativement anciens, tombés dans le domaine public, et en particulier ceux destinés au système nerveux central ou au système cardiovasculaire ainsi que les anti‑infectieux. Les problèmes de fabrication et de qualité sont les causes le plus fréquemment attribuées aux pénuries par les fabricants (dans 50 à 60 % des cas), tandis que les « problèmes commerciaux » sont un motif souvent invoqué sur les marchés des produits génériques, où le jeu de la concurrence exerce une pression intense sur les prix. Dans l’UE, 8 % des pénuries sont attribuées à des problèmes de distribution. Avant la crise du COVID‑19, les pénuries de dispositifs médicaux retenaient moins l’attention que les pénuries de médicaments. Les experts et les représentants de l’industrie identifient toutefois quelques risques pour les approvisionnements, parmi lesquels les réformes de la réglementation européenne relative aux dispositifs médicaux et aux diagnostics in vitro (DIV) ; la concurrence d’autres secteurs pour l’accès aux matières premières et aux composants électroniques ; et, plus récemment, la forte inflation sur le prix des intrants. Les données sur les pénuries de dispositifs médicaux ou de dispositifs de diagnostic in vitro (DIV) et sur les causes de ces pénuries sont rares, toutefois, car les obligations déclaratives sont moindres que dans le cas des médicaments.
La pandémie de COVID‑19 a mis à rude épreuve des chaînes d’approvisionnement déjà tendues, en raison, d’une part, d’une demande mondiale plus forte que jamais et, d’autre part, de perturbations généralisées du côté de l’offre. Ce sont tout d’abord les médicaments essentiels, les réactifs de diagnostic et les équipements de protection individuelle qui ont été frappés de pénurie. Cette crise mondiale a démontré que, même si elles ne sauraient être considérées comme la cause première ni des pénuries ni des dérèglements des chaînes d’approvisionnement, l’internationalisation et la complexification de ces chaînes ont une incidence sur la transmission des chocs et sur les relations d’interdépendance entre économies productrices et économies consommatrices.
L’action des pouvoirs publics doit permettre de mieux anticiper et atténuer les risques de pénurie
La multiplication des pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux a fait apparaître le besoin de renforcer les chaînes d’approvisionnement, aussi bien en ‘temps normal’ qu’en prévision de futures crises. Jusqu’à récemment, les initiatives visant à sécuriser les chaînes d’approvisionnement en produits médicaux étaient, pour la plupart, des initiatives prises à l’échelle d’un pays donné. S’agissant de chaînes d’approvisionnement mondiales, cependant, l’action des autorités nationales ne va pas sans difficulté et demanderait à être complétée par une coopération et une coordination internationales, ainsi que par une collaboration avec le secteur privé. Les chaînes d’approvisionnement sont des systèmes complexes et évolutifs dépourvus de point de contrôle unique, surtout lorsqu’elles s’étendent sur de nombreux pays. Quoique les évaluations de l’efficacité ou du ratio coût-efficacité des diverses mesures prises à ce jour soient rares, les décideurs peuvent néanmoins envisager plusieurs options.
La première consiste à améliorer la visibilité et mieux exploiter l’information tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de manière à anticiper et, si possible, prévenir les pénuries plus promptement. Aujourd’hui, les régulateurs manquent d’information sur les chaînes d’approvisionnement amont pour évaluer leur vulnérabilité et comptent essentiellement sur les fabricants pour leur signaler les pénuries ou les risques de pénurie. Ce qui se passe dans les circuits de distribution est encore plus obscur. En premier lieu, les pouvoirs publics pourraient réfléchir aux moyens d’exploiter les éléments d’information que les régulateurs reçoivent d’ores et déjà des fabricants afin d’identifier et évaluer les points faibles des chaînes de production. Du côté de la distribution, la mise en place de systèmes de traçabilité reposant sur les identifiants uniques dont de nombreux pays exigent déjà l’utilisation dans le cas des médicaments (pour lutter contre les fraudes) et des dispositifs médicaux à risque (pour la matériovigilance et l’évaluation des performances en situation réelle) permettrait de mieux apprécier l’offre, la demande et le niveau des stocks disponibles, de mieux définir la nature et l’ampleur des pénuries signalées en temps réel et d’organiser une réallocation efficace des stocks disponibles. Dans le cas des produits critiques – les médicaments essentiels dont les chaînes d’approvisionnement sont fragiles, p. ex. – un suivi plus étroit des volumes et des flux devrait être prévu, en partenariat avec les fournisseurs. D’une manière générale, une meilleure visibilité suppose une collecte plus régulière d’informations détaillées, en temps réel, sur la structure, le contenu et la situation des chaînes d’approvisionnement en produits médicaux. Cela suppose un environnement réglementaire adéquat, ainsi que des investissements en termes d’infrastructure et d’analyse des données – de la part des entreprises comme des pouvoirs publics. Pour mieux anticiper les risques, il faut également une mise en commun de l’information entre les parties prenantes, laquelle devrait être autorisée chaque fois qu’elle est nécessaire.
Deuxièmement, il conviendrait que les pouvoirs publics s’attachent à traiter les causes premières des pénuries, de manière à en atténuer les risques (ou l’exposition à ceux-ci). Pour résoudre les problèmes de qualité, les autorités publiques doivent exiger des fabricants la tenue de systèmes de gestion de la qualité répondant aux normes les plus exigeantes et s’assurer qu’ils se conforment bien à ces obligations. Dans le cas des marchés sur lesquels une pression excessive sur les coûts entraînerait une dégradation de la qualité, le retrait de certains produits et des sorties du marché, ainsi qu’une forte concentration de l’offre dans un but d’économies d’échelle, diverses solutions pourraient contribuer à structurer le marché. Les achats groupés entre pays peuvent être utiles, par exemple pour mieux prévoir la demande et garantir l’approvisionnement de petits marchés qui pourraient autrement ne pas être desservis. Le Fonds renouvelable de l’Organisation panaméricaine de la Santé pour l’achat de vaccins en est un bon exemple. Des achats publics stratégiques, appliquant des critères autres que le seul prix, peuvent également atténuer la pression sur les prix tout en conférant à la sécurité d’approvisionnement une importance accrue dans la prise de décision. Le critère de « l’offre économiquement la plus avantageuse » pour les marchés publics, recommandé par la Commission européenne, est un moyen possible de parvenir à une utilisation plus stratégique des achats publics. Les acheteurs de produits médicaux pourraient également utiliser la division des marchés en lots pour diversifier les sources d’approvisionnement. La diversification de l’offre, cependant, nécessitera sans doute des mesures complémentaires pour devenir effective. La (re‑) localisation des activités de production, au niveau national ou dans des pays proches, fait partie des priorités de plusieurs pays désireux de réduire leur dépendance à l’égard de sources d’approvisionnement fortement concentrées, de certaines matières premières et de certains principes actifs et produits finis. Ces mesures peuvent accroître les capacités de production, réduire la concentration et contribuer à satisfaire une demande mondiale croissante. Leur mise en œuvre doit toutefois être mûrement réfléchie, eu égard à leur coût substantiel. Elles ne devraient concerner que les « produits critiques », préalablement désignés comme tels, idéalement à l’échelon supranational.
Troisièmement, les pouvoirs publics devraient encourager davantage d’agilité et de flexibilité dans le système afin de réduire les risques de perturbations préjudiciables de l’approvisionnement. La facilitation des échanges et l’harmonisation des exigences réglementaires conditionnant l’autorisation de mise sur le marché favoriseraient la circulation des biens entre les pays. Des stratégies d’inventaire appropriées et des mesures de constitution de stocks coordonnées pourraient atténuer les pénuries dues aux pics de demande et/ou aux ruptures des chaînes d’approvisionnement, lorsqu’ils sont passagers, mais leur efficacité en cas de perturbations durables est limitée. La multiplication des mesures de constitution de stocks nationaux risque toutefois d’aggraver les déficits d’approvisionnement. Une constitution de stocks coordonnée au niveau régional serait envisageable pour résorber les décalages de courte durée entre l’offre et la demande en permettant la réaffectation rapide des stocks disponibles là où les besoins sont les plus pressants.
Au-delà de ces mesures, il est nécessaire d’anticiper de futures crises majeures
Les pays doivent aussi renforcer leurs capacités afin de se préparer aux risques qui pourraient peser sur les chaînes d’approvisionnement en produits médicaux, dans l’éventualité d’une crise grave, et afin de réduire ces risques. La coopération internationale et une collaboration étroite entre le secteur privé et les pouvoirs publics sont ici importantes pour que la réponse soit cohérente, collective et efficace.
Face aux crises majeures, il importe d’être mieux préparé pour réagir plus rapidement. Les plans de préparation aux pandémies ou à d’autres chocs devraient comporter des mesures d’urgence susceptibles d’être activées rapidement pour remédier aux problèmes relatifs aux chaînes d’approvisionnement en produits médicaux. Les parties prenantes doivent définir de concert des processus à suivre pour établir des listes de produits critiques propres à chaque situation d’urgence et mettre en place des mécanismes permettant de surveiller les flux internationaux et régionaux de ces produits. Ces listes pourraient également être utilisées pour des achats groupés de plusieurs pays. Les pays devraient également s’entendre sur des mécanismes clairs de partage des données relatives à l’offre et à la demande de produits médicaux critiques ainsi que sur des flexibilités réglementaires additionnelles, en s’interdisant par exemple d’aggraver les problèmes d’approvisionnement par la rétention de produits et la limitation des exportations. Les accords commerciaux multilatéraux ou régionaux pourraient – avant qu’une prochaine crise ne survienne – comprendre des dispositions prévoyant une coopération entre les parties afin d’assurer la continuité des approvisionnements en produits médicaux.
Afin de faire face aux crises de grande ampleur, des mécanismes doivent être mis en place à l’avance pour atténuer les risques de pénurie. Les responsables publics peuvent être amenés à soutenir l’expansion des capacités de production en cas d’augmentation de la demande et à donner la priorité au secteur médical pour la fourniture de matières premières et de composants électroniques par les sous-traitants. Il est impératif d’avoir préparé et adopté à l’avance les dispositions législatives nécessaires pour permettre une réaction rapide. Quelle que soit la stratégie choisie, les décideurs politiques devraient veiller à ce que des mécanismes soient mis en place pour faciliter l’accès mondial et l’allocation équitable des technologies existantes, ainsi que pour soutenir les efforts de R-D et encourager le transfert de technologies mises au point en temps de crise (comme les nouveaux vaccins ou traitements).