La prolifération de la désinformation a des conséquences considérables dans de multiples domaines de l’action publique, allant de la santé publique à la sécurité nationale. La désinformation peut jeter le doute sur des faits avérés, compromettre la mise en œuvre des politiques publiques et ébranler la confiance des citoyens dans l'intégrité des institutions démocratiques. Ce rapport étudie comment répondre à ces défis et renforcer la démocratie. Il présente un cadre d’action pour guider les pays dans l'élaboration de politiques publiques dédiées au renforcement de l'intégrité de l'information, en examinant trois dimensions complémentaires : la mise en œuvre de politiques pour renforcer la transparence, la responsabilité et la pluralité des sources d'information ; le renforcement de la résilience de la société face à la désinformation ; et l'amélioration des mesures de gouvernance et des capacités des institutions publiques pour assurer l'intégrité de l'espace informationnel.
Les faits sans le faux : Lutter contre la désinformation, renforcer l’intégrité de l’information
Résumé
Synthèse
Dans les sociétés démocratiques, qui se caractérisent par la liberté d’expression et par la tenue de débats ouverts pour parvenir à des consensus à tous les niveaux de la société, assurer l’intégrité de l’information est essentiel à la cohésion sociale. L’accès à des sources d’information diverses, à des ressources multiples et indépendantes sur l’actualité et à un discours libre et ouvert sont autant d’éléments nécessaires à la tenue d’un débat démocratique éclairé.
Il est désormais largement admis que la diffusion d’éléments d’information faux et trompeurs, qui intervient parfois de façon délibérée pour manipuler ou égarer, perturbe le débat public et alimente la polarisation, dégradant ainsi, plus largement, le tissu de nos sociétés ouvertes. Des exemples qui n’ont fait que se multiplier ces dernières années montrent que des campagnes de désinformation orchestrées de façon stratégique par des acteurs nationaux ou étrangers peuvent entraîner des répercussions considérables dans de nombreux domaines de l’action publique, qu’il s’agisse de la santé publique, de la sécurité nationale ou de la réponse à la crise climatique. De telles campagnes jettent le doute sur des éléments de fait et aggravent des clivages sociaux préexistants, compliquant ainsi la construction du consensus sociétal si essentiel pour relever les défis complexes auxquels l’action publique doit faire face.
La désinformation n’est pas un phénomène nouveau, mais le numérique a profondément transformé sa portée et son impact. Les technologies numériques permettent désormais à n’importe quel individu doté d’une connexion à l’internet de produire des contenus et de les diffuser, sans être limité par les règles déontologiques et les exigences auxquelles se soumettent les journalistes, les universitaires et les scientifiques, exigences qui sont autant de garde-fous érigés de longue date pour assurer l’intégrité de l’information.
Cette accessibilité accrue offre un accès inédit au savoir, peut favoriser la participation citoyenne et peut conduire à une couverture innovante de l’actualité, mais elle constitue aussi un terreau fertile pour la propagation rapide d’éléments d’information faux et trompeurs. La montée en puissance du recours à l’intelligence artificielle générative va encore accroître l’ampleur de ce défi.
Du côté de l’offre, les incitations économiques à la viralité des contenus et les algorithmes de recommandation conduisent souvent à ce que l’information soit traitée comme une source de revenus plutôt que comme un bien public. Cette évolution s’effectue aux dépens du journalisme de qualité, qui est déjà en butte à des pressions économiques croissantes et à des risques élevés. Du côté de la demande, les nouvelles technologies répondent de plus en plus aux facteurs psychologiques et comportementaux qui déterminent la façon dont les individus recherchent, traitent et consomment l’information.
De nombreux pays ont commencé à s’interroger sur l’adéquation de leurs politiques et institutions existantes pour faire face à cette réalité et à l’évolution future d’un environnement informationnel en mutation rapide. Une action s’impose pour lutter contre la menace que représente la montée en puissance de la désinformation. Dans le même temps, cette action ne doit pas se traduire par un contrôle accru de l’information dans nos démocraties.
Cette nouvelle réalité conduit les pouvoirs publics à s’interroger sur le rôle constructif qu’ils peuvent jouer pour renforcer l’intégrité de l’espace informationnel — c’est-à-dire pour favoriser des environnements informationnels qui soient propices à l’existence de sources d’information exactes, fondées sur des éléments probants et pluralistes, et qui permettent aux individus d’être exposés à un large éventail d’idées, à faire des choix éclairés et à mieux exercer leurs droits. Respecter l’intégrité de l’information est essentiel pour préserver la liberté d’expression, qui englobe celle de chercher, de recevoir et de communiquer des éléments d’information et des idées.
Les pays étant de plus en plus conscients de la nécessité d’agir face à ce nouvel environnement informationnel, il devient urgent de faire le point sur les priorités que l’action publique doit traiter, et de déterminer la voie à suivre. Le présent rapport propose un premier point de situation sur les moyens que les pays emploient pour renforcer leurs mesures de gouvernance et leur architecture institutionnelle afin d’instaurer un environnement propice à une information fiable tout en préservant avec vigilance la liberté d’expression et les droits fondamentaux. Ce rapport évoque aussi les synergies qui peuvent exister entre différentes dimensions de l’action publique, afin de favoriser une meilleure compréhension des conditions propices à l’intégrité de l’information. Il décrit dans leurs grandes lignes les priorités et l’action des pays tout en ayant pour ambition, en parallèle, de nourrir la discussion autour de recommandations d’action.
Si les contextes nationaux sont différents, ce rapport met en relief l’existence de points communs sur le plan des préoccupations et des actions nationales. Premièrement, les pays pourraient continuer à faire évoluer leurs politiques ad hoc de lutte contre la désinformation, au profit d’une approche plus systémique visant à renforcer plus globalement l’intégrité de l’information, ce à travers la participation de tous les acteurs de la société. Les pays doivent veiller à ce que leurs politiques soient coordonnées et fondées sur des éléments probants, et à ce que l’efficacité de ces politiques soit régulièrement évaluée. En ce sens, il sera important de définir des calendriers d’action et d’évaluation. Ainsi, il conviendrait de définir, non seulement les actions à mener de façon immédiate en réaction aux crises (par exemple pour répondre à une campagne de désinformation, tout particulièrement en période électorale), mais aussi, et en parallèle, les mesures à prendre pour traiter les causes profondes de ces enjeux, par exemple celles relatives à la résilience de la société.
Enfin, les flux d’information ne connaissant pas de frontières, aucun pays ne peut résoudre seul ce problème. Les pays démocratiques font tous face à des problématiques similaires, et l’apprentissage entre pairs peut leur permettre d’y apporter de meilleures réponses. Pour renforcer l’intégrité de l’information, il faudra aussi que tous les acteurs situés aux premières lignes des systèmes informationnels — secteur privé, médias, monde universitaire et société civile — assument leurs responsabilités et œuvrent ensemble à ce renforcement.
Le présent rapport propose un cadre d’actions pour guider les pays dans la conception des politiques à mener, selon trois axes complémentaires :
Mettre en œuvre des politiques pour renforcer la transparence, la responsabilité et la pluralité des sources d’information. Il s’agit notamment de favoriser des politiques propices à un secteur des médias diversifié, pluraliste et indépendant, en mettant dûment l’accent sur le journalisme local. Cela inclut également des politiques qui peuvent être envisagée pour accroître le niveau de responsabilité et la transparence des plateformes en ligne pour éviter que leur pouvoir de marché et leurs intérêts commerciaux ne contribuent à véhiculer de façon disproportionnée de la désinformation.
Favoriser la résilience de la société face à la désinformation : il s’agit de fournir aux individus les outils nécessaires au développement d’un esprit critique, de détecter et combattre la désinformation et de mobiliser tous les secteurs de la société autour de l’élaboration de politiques globales et fondées sur des éléments probants permettant de favoriser l’intégrité de l’information.
Renforcer les mesures de gouvernance et les institutions publiques pour assurer l’intégrité de l’espace informationnel : il s’agit d’élaborer et de mettre en œuvre, au sein de l’administration publique, et en tant que de besoin, des capacités réglementaires, des mécanismes de coordination, des cadres stratégiques et des programmes de renforcement des capacités visant à assurer la cohérence de la vision stratégique et de l’approche suivies pour renforcer l’intégrité de l’information, tout en veillant à la clarté des missions assignées et au respect des libertés fondamentales. Il s’agit aussi de favoriser l’apprentissage entre pairs et la coopération internationale entre les démocraties, qui font face à des menaces similaires sur le plan de la désinformation.
L’objectif de cette ébauche de cadre consiste à faire avancer la conversation et à définir un langage commun, dans la perspective de la formulation de recommandations d’action concrètes. Parce qu’il permettra de mieux cerner les politiques pouvant être menées avec succès, ce cadre pourra être utile pour éclairer la conception et la mise en œuvre des politiques. Il fournit aussi un point de situation qui permettra de mesurer les progrès qui seront accomplis dans ce domaine.