Mayanka Vij
OECD
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Le recours accru aux partenaires locaux pour mettre en œuvre les programmes pendant la crise liée au COVID‑19 et l’accent mis sur le rétablissement de l’équilibre des pouvoirs entre le Nord et le Sud dans le domaine de la coopération pour le développement ont ravivé l’intérêt pour l’ancrage local des opérations. Il n’existe cependant à ce jour aucune définition communément admise de ce qu’est l’ancrage local et, malgré les nombreux exemples intéressants que l’on en trouve, un ensemble de données probantes plus solides sur les avantages et les inconvénients d’une gestion de la coopération pour le développement pilotée au niveau local est nécessaire pour décider de la marche à suivre. S’appuyant sur les examens par les pairs menés par le CAD, les discussions avec des membres du CAD et la littérature plus générale, ce coup de projecteur montre que les façons actuelles de travailler devront être modifiées si l’on veut qu’elles soient plus propices à l’inscription dans le contexte local, notamment dans le domaine du financement et des pratiques opérationnelles, de l’anticipation et de l’atténuation des risques, ainsi que de l’équilibrage des relations de pouvoir avec les partenaires.
La pandémie de COVID‑19 a contraint les acteurs de la coopération pour le développement à s’appuyer en grande partie sur les acteurs locaux ; cette tendance, ajoutée à une volonté accrue de mettre fin au racisme et aux déséquilibres des pouvoirs au sein du système de l’aide, suscite un nouvel élan en faveur de l’ancrage local des opérations.
Les fournisseurs de coopération pour le développement cherchent, à des fins de durabilité à long terme, à ancrer leurs pratiques dans le contexte local en s’employant à respecter les points de vue, les priorités et les préférences des acteurs locaux.
Pour pouvoir s’appuyer davantage sur les partenaires locaux, les agences de développement doivent modifier le mode de fourniture et de gestion des financements, mettre en place des capacités institutionnelles pertinentes en interne, ainsi que repérer et corriger les déséquilibres des pouvoirs au sein des partenariats.
Les fournisseurs de coopération pour le développement devraient envisager de se mettre d’accord sur la signification de l’ancrage local à partir d’un ensemble de solides données probantes.
L’inscription dans le contexte local a plusieurs objectifs : normatif (les bénéficiaires de l’aide devraient définir leurs propres priorités) ; instrumental (intervention plus rapide, plus efficace et moins coûteuse face à des problèmes du développement) ; et émancipateur (nécessité de corriger les déséquilibres structurels dans les rapports de pouvoir qui existent dans le secteur) (Brown, Donini et Knox Clarke, 2014[1] ; Boateng, 2021[2]). La plupart des acteurs de l’aide au développement adhèrent à ces objectifs et leurs justifications : tout récemment, lors du Sommet pour une coopération efficace au service du développement qui a eu lieu en décembre 2022, 15 donneurs membres du Comité d’aide au développement (CAD) ont approuvé une déclaration consacrée spécifiquement au soutien au développement piloté au niveau local (USAID, 2022[3]). Il n’existe cependant pas de définition commune de l’ancrage local, ni de principes directeurs ou de perception partagée de ce qu’il désigne (une méthode, un résultat ou les deux).
Bien que les appels à un ancrage plus local de la coopération pour le développement ne soient pas nouveaux, deux facteurs contextuels récents de la plus grande importance sont à l’origine de sa réapparition dans les programmes d’action publique. Premièrement, le cumul des menaces mondiales (pandémie de COVID‑19, creusement des inégalités, crise climatique, insécurité alimentaire et guerre) entraîne un bouleversement des modèles traditionnels d’acheminement de l’aide. Les apporteurs de coopération pour le développement ont dû s’adapter à des contextes radicalement différents et s’initier à d’autres façons de travailler, en s’appuyant de plus en plus sur les connaissances, les capacités et l’accessibilité locales, en particulier pendant et après la pandémie (OCDE, 2020[4]). Deuxièmement, les appels à la décolonisation du développement mettent en avant un besoin urgent de corriger les asymétries sous-jacentes des rapports de pouvoir qui font obstacle à la conduite des opérations par les acteurs locaux.
Aux fins de ce coup de projecteur, l’ancrage local est compris comme un processus conduisant à une coopération efficace au service du développement par la prise en compte et le respect de l’appropriation, du pouvoir d’agence et du savoir des acteurs locaux – étatiques ou non – ainsi que leur autonomisation, pour mettre en place un développement durable, inclusif et piloté localement. Si ce document emploie les expressions « adaptation au contexte local », « ancrage local », « piloté au niveau local » ou encore « inscription dans le contexte local », d’autres formulations (comme un développement « piloté localement », « participatif », « partant de la base » ou « piloté par la communauté ») font généralement référence à des objectifs similaires.
La notion d’ancrage local n’est pas nouvelle : elle trouve son origine dans la préconisation d’approches participatives dès les années 1960 (Mansuri et Rao, 2013[5]), réapparaît dans les principes d’appropriation et d’alignement énoncés au début des années 2000 dans le programme d’action pour l’efficacité de l’aide au développement (OCDE, 2005[6]), et enfin dans les engagements pris en 2016 dans le cadre du Grand Bargain (pacte relatif au financement de l'action humanitaire) (Comité permanent interorganisations, 2016[7]). Au cours de cette période, nombreux ont été les bons exemples de mise en pratique de l’ancrage local (Baguios et al., 2021[8]). Toutefois, les différences d’interprétation des objectifs et de mise en pratique de ce concept ne permettent pas aux apporteurs de coopération pour le développement de se retrouver autour d’une vision commune qui faciliterait la coordination entre fournisseurs de coopération et la redevabilité sur le plan des résultats. Il semblerait également qu’il existe ce que Mitchell appelle une « inertie opérationnelle » (2021[9]), à savoir que les acteurs du développement sont conscients qu’une inscription dans le contexte local est nécessaire mais sont dans l’incapacité de la concrétiser. Des données probantes sont en outre nécessaires pour évaluer les avantages et les inconvénients des différentes approches de l’ancrage local, notamment pour comprendre comment les pratiques institutionnelles des organismes d’aide au développement et des ministères peuvent favoriser ou au contraire empêcher l’obtention de réalisations sur le plan du développement qui soient inclusives et pilotées au niveau local. Le fait de s’unir pour constituer une base de données factuelles à ce stade permettrait de mieux connaître les pratiques de différents organismes en vue de mettre fin à l’inertie. Cela permettrait également de dégager une compréhension commune de l’ancrage local à la fois comme processus et comme résultat, qui pourrait être utilisée comme base de la redevabilité acceptée par toutes les parties prenantes et dans laquelle elles se reconnaîtraient.
Quelle que soit leur interprétation de l’ancrage local, l’ensemble des fournisseurs de coopération pour le développement peuvent agir sur trois axes : les pratiques en matière de financement, les cadres institutionnels et la mise en place de partenariats plus équitables, en s’appuyant sur une analyse approfondie de l’économie politique.
Les réalisations en termes de développement durable nécessitent souplesse et prévisibilité, ainsi qu’une échéance lointaine. Les financements par projets peuvent faire obstacle à une véritable autonomie des acteurs locaux et privilégient les résultats à court terme, au détriment du long terme. Pour rester compétitifs dans un contexte où les financements sont limités, les acteurs locaux n’ont d’autre choix que de maintenir les frais généraux à un niveau peu élevé. Cela présente pour inconvénients de nuire à la durabilité à long terme, au renforcement des capacités du personnel, à la rétention du personnel et à sa sécurité, ainsi qu’à l’action collective au niveau local, et entrave la capacité des acteurs locaux à être indépendants et autonomes et à collaborer avec leurs partenaires. À l’opposé, des contributions aux budgets ordinaires alignées sur les priorités des partenaires locaux seraient propices à l’autonomie et à la durabilité. Reflétant la reconnaissance collective par les membres du Comité de l’importance d’une approche souple et à long terme, la Recommandation du CAD sur le renforcement de la société civile en matière de coopération pour le développement et d’aide humanitaire préconise que ses adhérents « promeuvent le rôle de chef de file des acteurs de la société civile dans les pays ou territoires partenaires et investi[ssent] dans ce rôle [...] en accroissant la disponibilité et l’accessibilité de formes de soutien financier direct, souple et prévisible, y compris le soutien aux budgets ordinaires et/ou le soutien programmatique, afin de renforcer leur indépendance financière, leur viabilité et l’appropriation locale » (OCDE, 2021[10]).
L’ancrage local pourrait aussi accroître la rentabilité du fait qu’il évite des acteurs intermédiaires comme des organisations non gouvernementales internationales et des prestataires privés, et privilégier le travail direct avec les acteurs locaux (Van Brabant et Patel, 2018[11]). On peut aussi dire que l’ancrage local incite, par un effet pervers, à voir dans les capacités locales un moyen plus économique d’atteindre les objectifs prédéfinis par les donneurs que si l’on mettait en place un environnement politique, social et économique dans lequel des solutions et priorités en matière de résilience définies localement peuvent se faire jour et bénéficier d’un soutien (Barbelet et al., 2021[12]).
On peut aussi dire que l’ancrage local incite, par une effet pervers, à voir dans les capacités locales un moyen plus économique d’atteindre les objectifs prédéfinis par les donneurs que si l’on mettait en place un environnement politique, social et économique dans lequel des solutions et priorités en matière de résilience définies localement peuvent se faire jour et bénéficier d’un soutien.
L’ancrage local requiert confiance et soutien systématique à divers partenariats, y compris avec des acteurs étatiques. Pour citer un exemple, la stratégie de coopération bilatérale pour le développement mise en œuvre par l’Islande est efficace en grande partie du fait de son approche à long terme et de sa prise en compte des besoins locaux. Le programme formel de coopération avec un district du Malawi (« Mangochi Basic Services Programme ») est né de la collaboration nouée avec succès par l’Islande dans le cadre de projets menés en 2012. L’alignement par l’Islande de ses plans et de son budget sur les plans de développement du district, l’harmonisation par l’Islande de ses opérations avec celles de l’administration centrale du pays partenaire, et le fait que son engagement dure depuis 11 ans – et se poursuive – ont contribué à ce que les services sanitaires du district de Mangochi soient élus meilleurs services de santé en 2019, 2020 et 2021 (Gouvernement de l’Islande, 2022[13]).
L’ancrage local nécessite non seulement des investissements importants à court terme pour garantir des résultats durables sur le long terme, mais aussi la prise de conscience qu’une appropriation et une implication locales véritables ne sont pas forcément faciles à cultiver (Mansuri et Rao, 2013[5]). Cela suppose des arbitrages entre une mise en œuvre rapide et l’adaptation approfondie des interventions au niveau local (Cooley, Gilson et Ahluwalia, 2021[14]), mais aussi entre les coûts élevés à court terme et la durabilité à long terme. Les fournisseurs de coopération pour le développement doivent être clairs quant aux arbitrages qu’ils sont prêts à accepter.
L’un des défis pour les signataires du Grand Bargain tient à ce que, pour que l’ancrage local soit efficace, il faut opérer des changements radicaux dans les activités et politiques institutionnelles (Grand Bargain Localisation Workstream, 2019[15]). Les pratiques habituelles en matière d’atténuation des risques peuvent en effet restreindre l’accès des acteurs locaux aux financements ou constituer des obstacles à cet accès. La capacité limitée du personnel (mesurée à la fois par leur nombre et leurs compétences) à travailler efficacement avec un grand nombre de partenaires locaux représente un obstacle de taille. Cela a conduit à l’émergence de mécanismes alternatifs, par exemple le recours à des intermédiaires (généralement des entités bien établies chargées de la mise en œuvre) qui atténuent les risques en assumant la responsabilité financière des contrats d’achat ou des dons pour les activités en aval. La législation sur les ressources publiques1 et d’autres garde-fous législatifs font également obstacle aux efforts d’ancrage local déployés au niveau de l’action publique (Patel et Van Brabant, 2017[16]).
Pour un ancrage local réussi, les fournisseurs de coopération pour le développement doivent consacrer du temps et des ressources au renforcement les capacités internes, à l’ajustement des cadres opérationnels et à la correction des facteurs qui dissuadent d’opérer un ancrage local. Si les risques fiduciaires et financiers représentent à juste titre des sujets de préoccupation, l’ancrage local s’accompagne d’autres risques plus problématiques qui n’ont pas été systématiquement réglés. En voici des exemples : divergence entre les intérêts de l’administration publique du pays partenaire et ceux de la société civile locale ; conflits entre les priorités définies au niveau local et les valeurs/intérêts sur le plan normatif des organismes d’aide ; nécessité de préserver la neutralité pendant les crises ; enfin, possibilité que la concurrence croissante entre les acteurs locaux ne compromette leurs chances de collaboration.
L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a pris plusieurs engagements louables, à savoir affecter 25 % de ses financements à des organisations locales d’ici 2025 et confier aux acteurs locaux la responsabilité de la conception, de la mise en œuvre ou de l’évaluation de 50 % de ses programmes d’ici 2030 (Power, 2021[17]). Ces engagements s’inscrivent dans le droit fil des efforts déployés depuis longtemps par cet organisme pour tenter de mettre fin aux obstacles systémiques à l’ancrage local de la coopération pour le développement dans le domaine des partenariats, des achats et des risques (OCDE, 2022[18]). Ces dernières années, USAID a également cherché à réduire les obstacles pour les nouveaux partenaires et ceux qui échappent au modèle traditionnel, par exemple au travers de la « New Partnerships Initiative » (USAID, 2022[19]), à développer ses propres capacités et celles des acteurs locaux à établir des contrats et à jouer un rôle de chef de file, et à mettre davantage l’accent sur des objectifs comme l’utilité et la création collaborative (USAID, 2019[20]).
Bien que le déséquilibre des relations de pouvoir dans le secteur du développement ait donné lieu à de vastes débats, les mesures pour y remédier sont lentes à se faire jour (Peace Direct, 2021[21]). En approuvant les principes de l’efficacité du développement, les membres du CAD reconnaissent l’importance pour les pays partenaires de définir leurs propres priorités, et pour les fournisseurs de les mettre en œuvre en utilisant les systèmes nationaux. Les fournisseurs de coopération pour le développement ont encore tendance à conserver une certaine mainmise sur la conduite stratégique et sur les décisions opérationnelles en matière d’affectation des ressources, tandis que la gouvernance est assurée principalement par les organismes de mise en œuvre. Le manifeste intitulé « Doing Development Differently » (Pour une autre pratique du développement) reconnaît que « ceux qui bénéficieraient le plus [des interventions dans le domaine du développement] n’ont pas le pouvoir, ceux qui peuvent changer les choses ne sont pas impliqués, et les obstacles politiques sont trop souvent ignorés » (Building State Capability, 2014[22]).
Dans le contexte de l’ancrage local, la problématique du pouvoir tourne autour de deux questions : les acteurs locaux ont-ils accès aux espaces décisionnels ? et leurs voix sont-elles entendues ? Le passage de la participation locale à la prise en main des opérations par les acteurs locaux est un processus qui suppose de confier aux intéressés des responsabilités sur le plan stratégique ainsi qu’opérationnel, et de leur permettre d’exercer une influence constructive tout au long du processus de développement. Dans une note pratique interne, le ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce détaille explicitement ce processus en décrivant les grandes caractéristiques de l’ancrage local tout au long d’une trajectoire de progrès (début, milieu et fin), au cours de laquelle le pouvoir est progressivement confié aux partenaires locaux par le déplacement du centre de prise de décision, la réorientation des ressources, ainsi que l’octroi des responsabilités et du contrôle en ce qui concerne la conception et la mise en œuvre.
Le passage de la participation locale à la prise en main des opérations par les acteurs locaux est un processus qui suppose de confier aux intéressés des responsabilités sur le plan stratégique ainsi qu’opérationnel, et de leur permettre d’exercer une influence constructive tout au long du processus de développement.
Un autre impératif est de prendre conscience du déséquilibre des pouvoirs, du racisme institutionnel et des héritages coloniaux qui ont un impact sur les relations entre les fournisseurs de coopération pour le développement et les acteurs locaux (ainsi qu’entre les différents acteurs locaux) et qui compromettent les initiatives d’ancrage local. Afin d’amorcer la décolonisation de son système de coopération pour le développement qui s’inscrit au cœur de sa politique étrangère, la Belgique a commandité une étude pour mettre en évidence le colonialisme structurel au sein de ses structures actuelles d’aide au développement. Des réflexions plus ouvertes et plus franches peuvent être nécessaires pour aborder ces questions sensibles.
Le fait de se diriger vers un modèle de partenariat équitable peut être perçu comme un abandon de pouvoir ou comme une menace pour les intérêts bien ancrés des fournisseurs et des intermédiaires. Confier le pilotage de la coopération pour le développement au niveau local peut signifier que certains acteurs sortiront perdants financièrement. Les fournisseurs peuvent cependant souligner qu’il ne s’agit pas d’une opération à somme nulle. En effet, l’ancrage local n’empêche en rien le partage, la réalisation d’études transfrontières et la production collective de savoir. Réinventer le rôle des intermédiaires et réfléchir à la façon de modifier la structure de la fourniture de l’aide bilatérale pourrait marquer l’avènement d’une nouvelle modalité d’action dans le domaine de l’aide, dans laquelle les résultats en matière de développement dépendent des priorités et de l’appropriation locales. Des réflexions pertinentes sur les approches alternatives de la fourniture de l’aide bilatérale ont déjà été engagées. Deux exemples représentatifs sont le projet RINGO et l’initiative SPACE (Social Protection Approaches to COVID‑19 Expert Advice), financée par l’Allemagne, l’Australie et le Royaume-Uni. Les deux recensent en tout 11 modèles alternatifs pour la fourniture de l’aide bilatérale et réinventent les rôles des organisations non gouvernementales internationales et d’autres intermédiaires dans le domaine de la coopération pour le développement, dans le but de promouvoir la prise en main des opérations par les acteurs locaux (Cabot Venton et Pongracz, 2021[23] ; Rights CoLab, 2022[24]).
L’ancrage local requiert une analyse approfondie, sous l’angle de l’économie politique, des systèmes en place du côté des fournisseurs et des bénéficiaires, afin de repérer les risques qu’il pourrait représenter pour les différents acteurs locaux, y compris ceux qui semblent à première vue être gagnants. À mesure que les fournisseurs commencent à étendre leur soutien en direction des acteurs locaux, il devient essentiel de s’assurer que le déséquilibre des pouvoirs sur le terrain ne soit pas aggravé ou renforcé. Les tensions autour des questions de légitimité et de représentativité doivent être gérées avec vigilance, et une approche des systèmes visant à renforcer à la fois les capacités nationales et locales est indispensable (OCDE, 2022[18]). Dans les contextes où la société civile ne jouit pas d’une entière liberté, il convient de mettre un très grand soin à trouver le juste équilibre entre la promotion de l’espace civique et la pluralité des financements. Par ailleurs, il est important que les exigences de conformité ne favorisent ni ne renforcent la redevabilité uniquement vis-à-vis des fournisseurs. Il faut au contraire qu’elles permettent de renforcer les capacités sur le long terme, sans quoi l’ancrage local risquerait de mettre à mal les systèmes nationaux.
L’ancrage local requiert une analyse approfondie, sous l’angle de l’économie politique, des systèmes en place du côté des fournisseurs et des bénéficiaires, afin de repérer les risques qu’il pourrait représenter pour les différents acteurs locaux, y compris ceux qui semblent à première vue être gagnants.
Comme l’évoquaient les principes de l’efficacité du développement, le fait de travailler en utilisant les systèmes nationaux peut contribuer à les renforcer, et il existe dans la communauté du développement des cadres normalisés permettant d’évaluer les capacités fiduciaires (par exemple le programme « Dépenses publiques et responsabilité financière »). La mise en place parmi les membres du CAD de cadres similaires pour évaluer les capacités communes des acteurs non étatiques, tels que les organisations de la société civile, pourrait alléger les exigences de conformité et les coûts de transaction pour les acteurs de taille modeste (OCDE, 2012[25]), et permettre d’harmoniser les projets d’ancrage local. Malgré les tentatives d’harmonisation entre les donneurs, il existe toujours une large marge d’amélioration (OCDE, 2020[26]).
La communauté du développement dans son ensemble doit parvenir à une compréhension commune de l’ancrage local qui tienne compte de ses diverses interprétations et modalités de mise en œuvre, et qui reflète les besoins des acteurs locaux et la situation des fournisseurs de coopération pour le développement. Cela permettra de mettre en place des partenariats souples, inclusifs, équitables et fondés sur la confiance. Le chemin est encore long avant qu’il ne soit accordé plus de valeur au savoir autochtone et local et que les capacités existantes ne soient reconnues et placées au premier plan. Les cadres mis au point par Van Brabant et Patel (2018[11]) et le réseau NEAR (Network for Empowered Aid Response) (2019[27]), qui rassemble des organisations de la société civile locales et nationales des pays du Sud, utilisent les mêmes dimensions de l’ancrage local comme indicateurs de réussite ou de progrès, ce qui laisse entendre qu’il existe des domaines d’intervention immédiate vers lesquels les fournisseurs de coopération pourraient se tourner lorsqu’ils cherchent à adapter les méthodes de travail. Ces cadres définissent l’ancrage local comme un mélange de participation, de pouvoir d’agence et d’appropriation, d’influence substantielle ainsi que de renforcement des capacités au service de la résilience à long terme. Ils permettent donc de mettre en évidence les complémentarités et les difficultés, et aident à conceptualiser l’ancrage local.
La communauté du développement dans son ensemble doit parvenir à une compréhension commune de l’ancrage local qui tienne compte de ses diverses interprétations et modalités de mise en œuvre, et qui reflète les besoins des acteurs locaux et la situation des fournisseurs de coopération pour le développement.
En travaillant sur les structures de financement, les capacités et cultures institutionnelles ainsi que sur le déséquilibre des relations de pouvoir, les fournisseurs de coopération pour le développement peuvent commencer à constituer la base de données probantes nécessaire, qui est un premier pas vers la responsabilisation. Ce travail a d’ores et déjà débuté, avec quelques exemples significatifs de fournisseurs bien établis, notamment le récent engagement de poursuivre le programme en faveur de l’ancrage local qui a été inscrit dans la déclaration conjointe des donneurs adoptée lors du Sommet pour une coopération efficace au service du développement (USAID, 2022[3]). Le partage des enseignements et des connaissances au sein de la communauté serait très utile pour établir des principes collectifs à partir desquels repenser les partenariats et changer la façon de les mettre en pratique. La compréhension et la redevabilité pour la concrétisation de l’ancrage local – un concept encore flou – sont cruciales pour empêcher que ce qui représente une opportunité immense d’accroître au maximum l’impact collectif de l’aide au développement n’en reste au stade purement symbolique.
[8] Baguios, A. et al. (2021), « Are we there yet? Localisation as the Journey Towards Locally led Practice: Models, Approaches and Challenges », ODI Policy Brief, Overseas Development Institute, Londres, https://cdn.odi.org/media/documents/ODI-Are_we_there_yet-Localisation-policy-brief.pdf.
[12] Barbelet, V. et al. (2021), Interroger la base de preuves sur la localisation humanitaire : Une étude de la littérature, Overseas Development Institute, Londres, https://cdn.odi.org/media/documents/FRENCH_Localisation_lit_review_web.pdf.
[2] Boateng, O. (2021), « Building Africa’s homegrown humanitarian systems: Restoration as an alternative to localization », Frontiers in Political Science, vol. 3, p. 711090, https://doi.org/10.3389/fpos.2021.711090.
[1] Brown, D., A. Donini et P. Knox Clarke (2014), Engagement of crisis-affected people in humanitarian action, ALNAP, Londres, https://www.alnap.org/system/files/content/resource/files/main/background-paper-29th-meeting.pdf.
[22] Building State Capability (2014), « The DDD Manifesto », Center for International Development, Harvard University, Boston, MA, https://buildingstatecapability.com/the-ddd-manifesto (consulté le 9 November 2022).
[23] Cabot Venton, C. et S. Pongracz (2021), Framework for Shifting Bilateral Programmes to Local Actors, DAI Global UK Ltd, Londres, https://www.calpnetwork.org/wp-content/uploads/ninja-forms/2/SPACE_Framework-for-shifting-bilateral-programmes-to-local-actors.pdf.
[7] Comité permanent interorganisations (2016), The Grand Bargain - A Shared Commitment to Better Serve People in Need, Comité permanent interorganisations, https://interagencystandingcommittee.org/system/files/grand_bargain_final_22_may_final-2_0.pdf.
[14] Cooley, L., J. Gilson et I. Ahluwalia (2021), Perspectives on Localization, Professional Services Council, Arlington, VA, https://www.pscouncil.org/a/Resources/2021/Perspectives_On_Localization.aspx (consulté le 10 October 2022).
[13] Gouvernement de l’Islande (2022), Development cooperation between Iceland and Malawi, page web, https://www.government.is/topics/foreign-affairs/international-development-cooperation/bilateral-cooperation/malawi.
[15] Grand Bargain Localisation Workstream (2019), Localisation Workstream: Successes and Bottlenecks, Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève, https://gblocalisation.ifrc.org/wp-content/uploads/2019/06/Successes-and-Bottlenecks-Localisation-Workstream.pdf.
[5] Mansuri, G. et V. Rao (2013), Localizing Development: Does Participation Work?, Banque mondiale, Washington, D.C., https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/11859.
[9] Mitchell, J. (2021), « Décolonisation et localisation : nouvelle aube ou histoire ancienne ? », ALNAP blog, https://www.alnap.org/blogs/decolonisation-and-localisation-new-dawn-or-old-history (consulté le 10 October 2022).
[27] Network for Empowered Aid Response (2019), NEAR Localisation Performance Measurement Framework, Conseil international des agences bénévoles, Genève, https://ngocoordination.org/system/files/documents/resources/near-localisation-performance-measurement-framework.pdf.
[18] OCDE (2022), Examens de l’OCDE sur la coopération pour le développement : États-Unis 2022, Examens de l’OCDE sur la coopération pour le développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/c03596ff-fr.
[10] OCDE (2021), Recommandation du CAD sur le renforcement de la société civile en matière de coopération pour le développement et d’aide humanitaire, OCDE, Paris, https://legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-5021.
[4] OCDE (2020), Coopération pour le développement 2020 : Apprendre des crises, renforcer la résilience, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/b8d7cf8c-fr.
[26] OCDE (2020), Les membres du Comité d’aide au développement et la société civile, Objectif développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/d20b5deb-fr.
[25] OCDE (2012), Partenariat avec la société civile : 12 leçons tirées des examens par les pairs réalisés par le CAD, OCDE, Paris, https://www.oecd.org/fr/cad/examens-pairs/12%20Lessons%20Partenariat%20FRE%20WEB.pdf.
[6] OCDE (2005), Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264098091-fr.
[16] Patel, S. et K. Van Brabant (2017), The Start Fund, Start Network and Localisation: Current Situation and Future Direction, Start Network, Londres, https://reliefweb.int/report/world/start-fund-start-network-and-localisation-current-situation-and-future-directions-april.
[21] Peace Direct (2021), Time to Decolonise Aid: Insights and Lessons from a Global Consultation, Peace Direct, Londres, https://www.peacedirect.org/wp-content/uploads/2021/05/PD-Decolonising-Aid_Second-Edition.pdf (consulté le 15 décembre 2022).
[17] Power, S. (2021), A New Vision for Global Development, discours prononcé à l’université de Georgetown, Agence des États-Unis pour le développement international, Washington, D.C., https://www.usaid.gov/news-information/speeches/nov-04-2021-administrator-samantha-power-new-vision-global-development (consulté le 15 décembre 2022).
[24] Rights CoLab (2022), Re-imagining INGO Prototypes, Rights CoLab and Reos Partners, https://rightscolab.org/wp-content/uploads/2022/05/FINAL-RINGO-Prototypes_May22_PUBLIC.pdf.
[3] USAID (2022), Donor Statement on Supporting Locally Led Development, Agence des États-Unis pour le développement international, Washington, D.C., https://www.usaid.gov/localization/donor-statement-on-supporting-locally-led-development (consulté le 15 décembre 2022).
[19] USAID (2022), New Partnerships Initiative, Agence des États-Unis pour le développement international, Washington, D.C., https://www.usaid.gov/npi.
[20] USAID (2019), Effective Partnering and Procurement Reform (EPPR) Recommendations, Agence des États-Unis pour le développement international, Washington, D.C.
[11] Van Brabant, K. et S. Patel (2018), Localisation in Practice: Emerging Indicators and Practical Recommendations, Start Network, Londres, https://www.preventionweb.net/files/59895_localisationinpracticefullreportv4.pdf.
← 1. La loi belge stipule par exemple que seules les organisations non gouvernementales enregistrées en Belgique peuvent bénéficier de financements publics. Pour en savoir plus, voir : https://static1.squarespace.com/static/58256bc615d5db852592fe40/t/5aacc3d20e2e725448b65ecc/1521271800664/The+Start+Fund%2C+Start+Network+and+Localisation+full+report+-+WEB.pdf.