Atteindre des résultats au regard des ODD dans la coopération pour le développement

2. Cerner et lever les obstacles à l’alignement sur les ODD

L’adoption d’une norme mondiale est toujours un processus délicat. C’est le cas lorsque des gouvernements et des partenaires au développement du monde entier s’efforcent d’intégrer le cadre des Objectifs de développement durable (ODD) dans leurs politiques et programmes de développement. La plupart ont dû apprendre par l’expérience alors qu’ils opèrent une des mutations les plus ambitieuses de ces vingt dernières années. Selon nous, le cadre d’indicateurs des ODD, qui a été parachevé en 2020, constitue une feuille de route nettement supérieure à tous les instruments adoptés auparavant pour gérer les enjeux mondiaux auxquels notre époque est confrontée.

Notre étude compare l’expérience de sept pays - le Bangladesh, l’Éthiopie, le Kenya, le Myanmar, l’Ouganda, le Pérou et Samoa - et de plus de 65 ministères et agences de coopération pour le développement. Elle met en lumière diverses stratégies visant à accélérer l’intégration du cadre des ODD dans les pratiques de la coopération internationale.

Infographie 2.1. Pourquoi l’adoption des ODD dans la coopération pour le développement a-t-elle été difficile ?

Source : établi par les auteurs à partir de sept études de cas nationales.

La réalisation des ODD repose sur trois facteurs clés

Une impulsion politique constante est essentielle

L’intégration du cadre des ODD dans les politiques, les budgets et les systèmes de suivi de la coopération pour le développement exige une impulsion politique constante. La prise en compte systématique et pertinente des ODD est une tâche complexe, tant sur le plan technique qu’organisationnel. Elle suppose de redéfinir des objectifs conformes aux ODD ; d’élaborer des méthodologies précises pour les réaliser ; de favoriser des approches intersectorielles assorties de structures, de systèmes, d’orientations et de capacités adaptés ; et de consolider les dispositifs de suivi. Cette transformation appelle des arbitrages avec les dynamiques institutionnelles internes, et exige un processus de gestion du changement solide et structuré. Pour surmonter ces obstacles sur le long terme, les dirigeants doivent se faire les porte-drapeaux de cette transformation. C’est ce qu’illustrent les deux exemples suivants :

Au Bangladesh, tous les partenaires au développement ont suivi les orientations nationales en matière d’alignement global sur les ODD. Le plan national et les politiques du pays confèrent une place prioritaire et centrale aux ODD, ce qui incite les ministres compétents et les partenaires au développement à les adopter et à orienter les politiques et les interventions de manière à obtenir des résultats dans ce domaine.

La Commission européenne a fait des ODD un objectif central de la coopération pour le développement. La planification et le suivi des résultats se recentrent progressivement sur les ODD dans les programmes des pays partenaires.

Les efforts collectifs facilitent l’alignement sur les ODD au niveau des pays

De nombreux organismes de développement ont adopté des pratiques de coopération qui mettent l’accent sur leurs propres résultats. Ces pratiques, qui découlent à la fois de nécessités internes et de pressions externes, risquent de les amener à privilégier les résultats à court terme et à se montrer moins disposés à prendre des risques. Elles découragent par ailleurs les investissements communs, la collaboration entre partenaires et le suivi collectif qui sont indispensables à la réalisation de résultats durables au regard des ODD. Ce phénomène est observable dans tous les pays, mais particulièrement dans les situations de conflit ou de fragilité. À l’inverse, les organismes qui suivent des stratégies d’alignement sur les ODD et privilégient l’appropriation par les pays, les partenariats, la transparence et la redevabilité collective des résultats en matière de développement tendent généralement à optimiser les synergies, la disponibilité des données et l’impact des investissements axés sur les ODD. Les cas suivants en offrent deux exemples distincts :

Au Kenya, de nombreux partenaires au développement intervenant dans le secteur de l’énergie ont mis leurs investissements en commun pour accélérer l’électrification du pays. Le gouvernement et ses partenaires se sont appuyés sur des pratiques de suivi communes en recourant à des indicateurs d’ODD similaires. Aujourd’hui, les données sur les ODD montrent que le taux d’accès à l’électricité au Kenya a bondi, passant de 18 % à 75 % en sept ans à peine.

En Ouganda, les institutions publiques et plusieurs partenaires au développement intensifient la coordination, la mise en commun des données et le soutien en vue d’améliorer la disponibilité, la fiabilité et la périodicité des données relatives aux questions de gouvernance liées à l’ODD 16. Ainsi ,la capacité administrative nécessaire à l’enregistrement des naissances ou au contrôle de la qualité des services fournis augmente de concert avec les investissements conjoints dans les données relatives à cet ODD.

Les systèmes de gestion axée sur les résultats facilitent l’alignement sur les ODD

De nombreux partenaires au développement s’emploient actuellement à améliorer leur gestion axée sur les résultats. Ces efforts doivent se poursuivre, car un système solide est indispensable à l’alignement sur les ODD et offre de nombreux avantages à l’organisme concerné et à ses partenaires. Les partenaires au développement qui disposent d’un système éprouvé et de méthodologies rigoureuses sont généralement davantage en phase avec les ODD, et sont en mesure de développer des approches intersectorielles. Ils sont en outre suffisamment décentralisés pour faire appel à des méthodes plus souples, tenant compte du contexte, et à des systèmes de gestion adaptatifs. Cela leur permet d’aider les pays à intégrer les ODD, d’optimiser la collaboration avec d’autres partenaires, et d’adapter leurs propres stratégies et processus face aux mutations rapides et à la diversité des contextes nationaux.

Infographie 2.2. Principes et bonnes pratiques de l’aide pour optimiser l’adoption des ODD

Source : établi par les auteurs à partir d’une analyse comparative de 50 partenaires au développement et de sept études de cas nationales.

Des mesures pratiques peuvent améliorer l’alignement sur les ODD au niveau des pays

Les exigences institutionnelles agissent comme un puissant moteur pour utiliser les cibles et les indicateurs des ODD au niveau des pays. De plus, les cadres de résultats internes qui intègrent les ODD fournissent généralement des orientations, ce qui aide le personnel à comprendre comment utiliser le cadre des ODD. Les exemples montrent que l’exigence des organismes visant à rendre compte de la contribution à la réalisation des ODD peut également avoir un effet de levier sur la gestion axée sur l’impact au regard des ODD au niveau des pays – en étayant et en utilisant les données nationales sur les ODD, et en facilitant ainsi l’alignement des pays partenaires sur ces objectifs. Dans tous les cas, il faut impérativement veiller à ce que les informations relatives aux résultats liés aux ODD soient intégrées à tous les niveaux du processus de décision.

La Stratégie de coopération internationale 2021-2024 de la Suisse définit des objectifs et un jeu d’indicateurs standards alignés sur les ODD. Des orientations aident le personnel de terrain à mettre les cadres de résultats en conformité avec la stratégie et les ODD, mais en les adaptant à chaque contexte.

La gestion adaptative peut favoriser l’adoption des ODD. Les méthodes adaptatives permettent de préserver la souplesse des programmes de développement durant leur exécution, tout en maintenant le cap sur les résultats à plus long terme en direction des ODD. Elles favorisent aussi les approches itératives, qui sont parfaitement adaptées pour gérer la complexité inhérente aux ODD et les trois dimensions du développement durable. Dans les pays partenaires, les responsables ont le pouvoir et la latitude nécessaires pour adapter leur mode de gestion au contexte local et à l’évolution des situations. Ils modulent le rythme d’adoption des ODD selon les réalités locales, en appuyant le processus, le cas échéant.

Au Pérou, les partenaires au développement qui appliquent des méthodes de gestion adaptatives font généralement un usage plus stratégique du cadre des ODD. Cela tient à ce qu’ils mettent moins l’accent sur les résultats à court terme et s’attachent davantage à influer sur les politiques publiques et à renforcer les capacités.

La synchronisation de la planification avec les cycles de l’action publique facilite l’intégration des ODD dans les processus et examens nationaux. La plupart des partenaires au développement s’efforcent d’assurer la concordance entre les objectifs des projets et les politiques et stratégies publiques. Plusieurs d’entre eux vont plus loin et synchronisent le cycle de vie de leur stratégie-pays avec le cycle de planification des pouvoirs publics du pays partenaire. Leurs procédures de planification et de suivi peuvent ainsi s’ancrer sur les systèmes et cycles nationaux. Outre qu’il encourage l’adoption des ODD, cet alignement renforce les synergies aux niveaux budgétaire et sectoriel. Ces partenaires font plus souvent appel à des méthodes collaboratives pour élaborer et exécuter des programmes et en assurer le suivi au niveau des pays. La synchronisation de la planification avec les pays ne favorise pas seulement l’appropriation locale ; elle permet aussi aux partenaires au développement de suivre de plus près les efforts déployés par les pays pour utiliser le cadre des ODD, et de repérer les déficits de données.

En Ouganda, les partenaires au développement qui synchronisent leurs stratégies avec le cycle de planification des pouvoirs publics sont particulièrement soucieux d’optimiser l’utilisation des statistiques officielles et des données publiques pour rendre compte des résultats en matière de développement, ce qui crée un cercle vertueux d’investissement dans la capacité de suivi des ODD.

Infographie 2.3. Observations dégagées de sept études de cas nationales

Source : établi par les auteurs à partir d’une analyse comparative de sept études de cas nationales.