Susanna Moorehead, Présidente, Comité d’aide au développement et Jorge Moreira da Silva, Directeur, Direction de la coopération pour le développement, OCDE
Des progrès remarquables ont été accomplis ces dernières décennies : l’extrême pauvreté et la mortalité infantile ont reculé, tandis que le niveau de connaissances de base et l’éducation des filles s’amélioraient. Dans le même temps, la communauté internationale n’a pas réussi à respecter ses engagements dans bien trop de domaines. Toutes les formes d’inégalité et la persistance obstinée de la pauvreté, des conflits violents, de la fragilité des États et des déplacements massifs vont à l’encontre de ce sentiment de progrès. Plus profondément, la crise climatique menace à la fois de supplanter tous les autres enjeux du développement et d’inverser des avancées durement acquises.
À l’approche de l’échéance de 2030, année butoir pour les Objectifs de développement durable et l’Accord de Paris sur le climat, tous les acteurs concernés par le développement durable doivent se confronter à l’urgence du moment. Il ne suffit pas de réagir aux crises lorsqu’elles surviennent. Venir éteindre l’incendie, pour nécessaire que cela soit, ne permettra pas d’instaurer un monde plus juste, plus vert et plus sûr. Pour y parvenir, toutes les nations du monde doivent agir plutôt que réagir. La communauté du développement doit anticiper sur les problèmes qui se profilent, tout en sachant prendre du recul pour déterminer ce qui a été bien fait, et ce qu’il serait utile d’améliorer.
Les pouvoirs publics et tous les autres acteurs du développement doivent se demander s’ils s’adaptent avec efficacité. La coopération pour le développement est différente de ce qu’elle était il y a quelques décennies. Les nations occidentales riches ne dominent plus l’agenda mondial. La transformation rapide de nombreux pays en développement en puissances géopolitiques montre que l’époque où les pays étaient divisés en catégories telles que donneurs et bénéficiaires, développés et en développement, riches et pauvres, est révolue.
Pourtant, nous continuons souvent d’appréhender la coopération internationale pour le développement à travers un prisme qui n’a plus cours. Nous persistons à nous en tenir à un récit qui ne trouve plus d’écho auprès du public et qui ne parvient pas à susciter un engagement significatif des citoyens. Nous devons bâtir un nouveau discours. Pour qu’il soit porteur d’espoir et donne lieu à une action plus résolue, ce discours doit s’appuyer sur les points forts de la coopération pour le développement tout en reconnaissant, en toute honnêteté, ses insuffisances. Ce doit être un discours qui explique en quoi la coopération pour le développement fait écho aux défis du monde d’aujourd’hui et est bien placée pour les relever. Un discours qui démontre comment une coopération pour le développement qui profite à tous sert également les intérêts nationaux. Un discours qui mette en avant la protection des biens publics mondiaux, tout en préservant la souveraineté nationale.
Ce nouveau discours devrait également tordre le cou à des mythes ou des interprétations qui ont la vie dure. À travers lui, il faudrait pouvoir parler haut et fort des solides systèmes qui permettent de mener à bien l’exercice de la redevabilité, grâce auxquels la corruption peut être mise en évidence et combattue, et les exemples de solutions innovantes partagées entre les différents acteurs. Montrer, par exemple, comment la coopération internationale aide les pays à accomplir de grands progrès vers l’élimination de la fraude fiscale des entreprises et à mobiliser leurs ressources intérieures pour les mettre au service du développement.
Modifier le discours ne sera pas chose aisée. Les expériences réussies en matière de développement peinent à retenir l’attention des médias, qui se focalisent presque exclusivement sur ce qui ne fonctionne pas. Il n’est guère surprenant que nos opinions publiques, souvent, remettent en cause l’intérêt de la coopération pour le développement. Nous pouvons choisir de voir cette remise en cause comme une crise de légitimité ou comme une opportunité. Car en même temps que nos concitoyens – en particulier les jeunes – ressentent une frustration vis-à-vis de ce qu’ils perçoivent comme de l’inaction, ils construisent leurs propres discours sur le développement durable. Pour les gouvernements, c’est là une opportunité de canaliser l’énergie des citoyens qu’ils représentent.
Nous avons la possibilité de faire entendre un discours moderne porteur d’espoir, en particulier pour la génération à venir. Il nous faut démontrer que la coopération pour le développement est un moyen de faire du monde dans lequel nous vivons tous un lieu plus sûr, plus sain et plus propre. Ce nouveau discours doit apporter une réponse aux millions d’individus qui descendent dans la rue pour exiger que des mesures soient prises afin de remédier à la crise climatique et aux inégalités. Nous avons déjà fait nôtre une noble ambition : notre engagement à « ne laisser personne de côté ». Mais cet engagement lui-même doit être actualisé de façon à englober les générations futures, qui seront laissées de côté si nous n’agissons pas maintenant.
La coopération pour le développement a un rôle singulier à jouer pour bâtir un avenir meilleur car elle a le pouvoir d’accompagner des pays qui suivent une trajectoire de développement différente, et les populations les plus pauvres et les plus marginalisées de la planète. Elle apporte expertise, financement et soutien aux acteurs locaux, de sorte qu’ils puissent emprunter la voie qu’ils ont choisie au service d’une vie meilleure. Toutefois, la coopération pour le développement n’est pas la seule solution aux problèmes mondiaux. Certes non. Si, au cours des décennies, nous avons rassemblé quantités de données et une multitude d’expériences précieuses qui illustrent les bienfaits de la coopération pour le développement, nous devons démontrer que la coopération internationale permet de répondre aux préoccupations des citoyens : le climat, la santé, les besoins humains essentiels et la justice.
Il ne suffira pas de modifier notre discours sur la coopération pour le développement. Pour refléter de nouvelles réalités, nous ne pouvons nous contenter de changer la façon dont nous parlons de la coopération pour le développement. Nous devons aussi modifier nos pratiques. Les pays et les organismes de développement membres du Comité d’aide au développement (CAD) doivent prouver par leurs actes, et pas seulement par leurs paroles, que la coopération pour le développement est adaptée aux enjeux du XXIe siècle et ouverte à de nouvelles façons de travailler avec une pluralité d’acteurs.
Les progrès spectaculaires accomplis par de nombreux pays au cours de la décennie écoulée ont remodelé le paysage du développement. Des pays, eux-mêmes pauvres dans un passé récent, sont devenus des acteurs majeurs de la lutte contre la pauvreté dans des pays tiers, aux côtés de la société civile, du secteur privé et des fondations philanthropiques. Les membres du CAD de l’OCDE saluent ces nouveaux acteurs, tout en continuant à maintenir, actualiser et promouvoir les normes rigoureuses, le savoir-faire de qualité et les bonnes pratiques qui sous-tendent leur travail et en encourageant les autres à s’appuyer sur les données issues des expériences réussies. Nous devons donner un nouveau souffle à l’esprit de la coopération pour le développement en œuvrant aux côté de ces acteurs avec créativité, tout en préservant nos valeurs communes.
Le monde complexe, connecté, d’aujourd’hui, exige des pouvoirs publics qu’ils appuient plus activement la coopération pour le développement, et qu’ils expliquent plus efficacement pourquoi elle est importante. Nous devons être honnêtes quant aux multiples défis auxquels elle est confrontée et montrer qu’en dépit de ses insuffisances, la coopération pour le développement peut aider à construire un monde meilleur. En jouant de nos forces spécifiques et en faisant preuve d’agilité face aux changements qui s’imposent, nous ferons en sorte que la coopération pour le développement demeure dynamique et efficace pour bâtir un meilleur avenir pour tous.