Ce chapitre s’intéresse au niveau d’intégration dans les chaînes de valeur mondiales (CVM) de l’Afrique centrale et ses neuf pays : Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République démocratique du Congo (RD Congo), São Tomé-et-Príncipe et Tchad. Il présente un aperçu de la participation de la sous-région aux CVM, en identifiant les produits et les secteurs stratégiques. Le focus porte ensuite sur la chaîne de valeur (CV) du bois, en raison de ses potentiels, de son importance et des contraintes qui lui sont associées du fait de la pandémie COVID-19. Enfin, le chapitre formule des suggestions de politiques publiques, permettant de renforcer la promotion des CV en Afrique centrale, et notamment celle du bois. Il s’agit d’améliorer le cadre macroéconomique et le climat d’investissement, de réduire le déficit en infrastructures de transports et de logistique, ainsi que de valoriser des compétences professionnelles ajustées aux besoins du marché.
Dynamiques du développement en Afrique 2022
Chapitre 4. L’intégration des chaînes de valeur en Afrique centrale et l’industrie du bois
Abstract
En bref
Le niveau d’intégration de l’Afrique centrale aux CVM reste faible, comparé à l’Afrique australe et l’Afrique du Nord, même s’il est meilleur qu’en Afrique de l’Ouest et de l’Est. Il est tiré par les activités en aval (commerce et services) et très peu par les activités en amont (recherche et développement, conception). L’intégration aux CVM est portée par le secteur primaire, avec des exportations de matières premières brutes (86.6 % du total des exportations au Tchad, 63.3 % en Guinée équatoriale et 61.4 % au Congo) qui ne contribuent pas à la création de valeur ajoutée ni à la redistribution des revenus.
Les pays d’Afrique centrale disposent d’un avantage concurrentiel sur un large éventail de produits, notamment les minerais et abrasifs naturels (roches dures), le cacao, le coton et le bois brut. Six des neuf pays de la sous-région abritent près de 26 % des forêts tropicales humides restantes sur la planète, soit la deuxième plus grande surface au monde après l’Amazonie. Le secteur forestier, plus précisément la filière bois, offre des opportunités d’intégrer les CV. Cependant, les pays doivent mettre en œuvre des stratégies pour réduire les activités informelles, afin de développer des chaînes de production durables, sources de croissance et de création d’emplois.
En dépit des énormes potentiels de la CV du bois, la part de l’Afrique centrale sur le marché international demeure faible : 6.28 %, 9.70 % et 5.38 % des productions mondiales respectives de sciages, placages et grumes de bois tropicaux en 2020. S’ajoutent à cette faiblesse des coûts élevés de transport, l’insuffisance d’innovations techniques, commerciales et marketing, la pression concurrentielle des pays émergents ainsi que les problèmes associés à l’exploitation informelle.
Ce chapitre suggère trois politiques à explorer : i) améliorer le cadre macroéconomique et un climat d’investissement propices au développement du secteur forestier ; ii) réduire le déficit en infrastructures dans la logistique et les transports ; et iii) développer les compétences professionnelles pour répondre aux besoins du marché.
Profil régional de l’Afrique centrale
L’Afrique centrale reste faiblement intégrée dans les CVM
L’Afrique centrale demeure l’une des sous-régions les moins intégrées aux CVM, tandis que sa participation se concentre sur l’aval des CV. De même, la proportion de la valeur ajoutée étrangère intégrée dans les exportations totales (participation en amont) demeure relativement faible, comparée à la part de valeur ajoutée locale incluse dans les exportations (participation en aval). La participation en amont aux CVM représentait seulement 1 % du PIB de l’Afrique centrale en 2019 contre 2.1 % de moyenne africaine et 4.3 % en Afrique australe (graphique 4.3).
Cette moyenne cache de grandes disparités entre pays. La République du Congo et le Gabon ont une longueur d’avance, leur niveau de participation aux CVM étant dominé par les liens en aval qu’ils nouent avec les autres pays (CUA/OCDE, 2021a). Au Congo, ceci s’explique principalement par le secteur pétrolier, qui constitue l’essentiel des exportations, avec une transformation sur place de l’or noir. À la Congolaise de raffinage (Coraf), opérationnelle depuis 1982 avec une capacité de près de 1 million de tonnes par an, va s’ajouter une raffinerie en cours de construction à Pointe-Noire, dotée d’une capacité estimée à 2.5 millions de tonnes par an.
Au Gabon, la stratégie de diversification engagée par le gouvernement a favorisé le développement de nouveaux secteurs d’activité, notamment dans l’agroalimentaire et le bois. Les cultures d’huile de palme, d’hévéa et de caoutchouc se sont développées à une échelle industrielle grâce aux investissements du groupe singapourien Olam. Ce dernier représente plus de 45 % du montant total des investissements directs étrangers (IDE) entrant au Gabon depuis 2010 (BAfD, 2020). Quant à la faible participation du Tchad et du Burundi aux CVM, elle s’explique par leur difficulté à transformer leurs matières premières (CUA/OCDE, 2018). Le Tchad, dont les exportations totales sont constituées à 75 % de pétrole, en a tiré environ 1.38 milliard USD de recettes d’exportation en 2018, contre seulement 5 millions USD de produits transformés (tableau 4.A1.1).
En Afrique centrale, le niveau relativement élevé de participation en aval (plus de 4 % du PIB) au détriment de celle en amont (1 % du PIB) peut s’expliquer par l’importance du commerce des biens et services. Si l’on se réfère au principe de la « courbe du sourire » (smiling curve), les activités en amont comme la recherche et le développement (R&D) se caractérisent par une plus grande création de valeur ajoutée que celles en aval de commercialisation et de distribution (Shih, 1996 ; Dedrick et Kraemer, 1998). En 2019, la sous-région se classe deuxième du continent en termes de commerce intracontinental de biens intermédiaires, juste après l’Afrique australe (CUA/OCDE, 2021a).
L’intégration de l’Afrique centrale aux CVM reste surtout portée par le secteur primaire et les exportations des matières premières, dont la sous-région dépendait en moyenne à 61 % en 2018 (CUA/OCDE, 2021b). Les mines et carrières, l’agriculture, le bois et les transports concentrent la plus grande part de leur participation en aval aux CVM (graphique 4.4). La part de la valeur ajoutée locale tirée de l’exploitation des produits miniers et contenue dans les exportations des pays de la sous-région est estimée à un niveau important de plus de 3 milliards USD, largement supérieur à celui des autres secteurs (CUA/OCDE, 2021a). Par ailleurs, en Afrique centrale, le total des exportations de produits transformés en 2018 ne dépasse pas 191 millions USD (tableau 4.A1.1), loin derrière les autres sous-régions du continent (23.7 milliards en Afrique du Nord, 18.57 milliards en Afrique australe, 6.13 milliards en Afrique de l’Est et 2.38 milliards en Afrique de l’Ouest).
Les pays de la sous-région ayant enregistré une hausse des exportations dépendent aussi des matières premières et des hydrocarbures, d’où leur vulnérabilité aux chocs extérieurs. Trois groupes de pays se distinguent selon la structure de leurs exportations : les pays dépendants du pétrole (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad), des ressources naturelles non renouvelables (plus de 25 % des exportations en RD Congo et République centrafricaine), et les pays non dépendants de ressources minérales (Burundi et São Tomé-et-Príncipe). Pour la moitié des pays, le ratio exportations/PIB a augmenté, mais uniquement à la faveur d’une hausse de la demande mondiale et de la production locale des matières naturelles (pétrole ou pas). Il en a été ainsi pour le Tchad, le Congo, le Gabon et la RD Congo. En dehors du Cameroun et de la Guinée équatoriale, les pays qui ont subi une baisse des exportations rapportées au PIB sont le Burundi et São Tomé-et-Príncipe, qui peinent à intégrer les CVM (Allard, Kriljenko et Chen, 2016).
Grâce aux découvertes de nouveaux gisements de pétrole et/ou autres ressources naturelles non renouvelables, les exportations de l’Afrique centrale ont augmenté au cours des dix dernières années. L’évolution du volume d’exportations a été corrélée à celle des prix. En revanche, les pays qui ne pouvaient pas bénéficier de telles ressources ou ceux dont la gouvernance empêchait une bonne exploitation de celles-ci ont vu le poids des exportations diminuer. Au total, dans presque tous les pays, les matières premières constituent le moteur du commerce extérieur.
Les filières du secteur primaire, sources d’intégration aux CVM, créent de nombreux emplois précaires et à faible valeur ajoutée. Le secteur primaire, notamment l’agriculture, concentre la plus grande part de l’emploi en Afrique centrale (graphique 4.5). Bien que variant fortement d’un pays à un autre, la part de l’emploi agricole était en moyenne estimée à 52 % en 2019, avec plus de 75 % de la population active du Burundi, de la République centrafricaine et du Tchad. Cet emploi agricole reste largement informel, un secteur qui représente 90 % de l’emploi total en Afrique centrale en 2018 (OIT, 2020). La prédominance de l’informel fragilise la parfaite exécution du droit du travail et limite la productivité des travailleurs, dans un contexte de forte concurrence provenant notamment des pays d’Asie-Pacifique1. Pour certains pays, comme São Tomé-et-Príncipe, le Gabon et le Congo, le secteur du commerce de gros et de détail demeure un gisement de création d’emplois avec plus de 40 % de l’emploi total.
Le marché intercontinental représente une opportunité de développement du commerce des CVR, mais reste insignifiant pour les partenaires asiatiques et européens. Le commerce entre pays de l’Afrique centrale est évalué en valeur à 300 millions USD, soit 3 % des exportations (CUA/OCDE, 2018), contre plus de 500 millions USD avec l’Afrique australe, premier partenaire commercial en Afrique (CEPII, base de données BACI). Ces chiffres ne prennent pas en compte l’existence d’un volume important de commerce transfrontalier informel, qui représente près de 43 % des revenus de la sous-région (OIT, 2020). Ainsi, bien que les statistiques soient perfectibles, elles montrent que ce commerce est comparable à ceux des régions telles que les Caraïbes ou l’Amérique latine.
Encadré 4.1. Opportunités de la transformation des produits minéraux en Afrique centrale
Le cuivre, le pétrole et les minéraux bitumeux fournissent la plus grande part des exportations totales de la sous-région – 86.6 % au Tchad, 61.4 % au Congo et 63.3 % en Guinée équatoriale (CUA/OCDE, 2021a). Ces matières premières, exportées dans d’autres régions du monde, améliorent la participation de ces pays dans les CVM. D’où l’importance des politiques de promotion des pôles industriels fondés sur leur transformation sur place.
Le développement de la potasse au Congo, par exemple, évalué à 2 milliards USD (CEA, 2020), pourrait donner lieu à une chaîne de valeur régionale (CVR). D’autant plus que la sous-région continue de consacrer des ressources importantes aux importations de produits alimentaires : 38 % des importations en Guinée équatoriale en 2017, 24 % au Gabon, 21 % en République centrafricaine, 18 % à São Tomé-et-Príncipe, 17 % au Congo et environ 16 % au Cameroun et en RD Congo (CUA/OCDE, 2019). Or, l’extraction et l’exportation de potasse vers le Cameroun faciliteraient, grâce à une main-d’œuvre abondante et formée, sa transformation en engrais permettant de satisfaire la demande sous-régionale en intrants agricoles.
Par ailleurs, avec 70 % à 80 % des réserves mondiales de colombite-tantalite (coltan), un minerai utilisé par l’industrie électronique et aéronautique et dont une part importante provient de la RD Congo, l’Afrique centrale pourrait promouvoir une politique d’exploitation intégrée. Selon les statistiques officielles de la RD Congo, le pays a exporté 1 038.33 tonnes de coltan pour une valeur de plus de 20 millions USD au premier semestre 2020 (ministère des Mines de la RD Congo, 2021). La construction d’usines de traitement de coltan mutualisant les productions des pays concernés alimenterait une industrie prospère avec de nombreux débouchés – au lieu de générer d’incessants conflits autour des mines à ciel ouvert de l’Est du Congo.
Hors du continent, l’Asie et l’Europe restent les principaux partenaires commerciaux de l’Afrique centrale. Alors que les principales exportations constituées de matières premières s’élèvent à près de 31 milliards USD vers l’Asie et 7 milliards USD vers l’Europe, les importations portent surtout sur des produits manufacturés (graphique 4.6).
Encadré 4.2. Analyse de quelques chaînes de valeur stratégiques en Afrique centrale
L’Afrique centrale dispose des avantages comparatifs révélés (ACR) sur plusieurs produits, dont le bois brut, le coton, les minerais et abrasifs naturels. En 2019, le bois brut représente près de 1.16 milliard USD de recettes d’exportations de la République centrafricaine, du Congo, de la Guinée équatoriale et du Gabon (tableau 4.1). Il est suivi par le coton qui rapporte 113.5 millions USD au Tchad. Pour la saison 2020/21, la production cotonnière, en hausse, a atteint 125 000 tonnes (t) contre 116 000 t en 2019/20 et 76 000 en 2018/19 (Financial Afrik, 2021). Les minerais et abrasifs naturels occupent la troisième place des produits ayant le plus grand ACR, surtout en RD Congo avec le coltan. Le cacao et le thé ont pour leur part le plus grand ACR à São Tomé-et-Príncipe et au Burundi.
Tableau 4.1. Analyse de quelques CV stratégiques en Afrique centrale
Pays |
Produits avec le plus grand ACR |
Exportations en 2019 (en millions USD) |
Opportunités |
Défis à relever |
---|---|---|---|---|
Burundi |
Thé |
16.58 |
Deuxième culture de rente et d’exportation après le café. 13 % de la valeur des exportations en moyenne sur la période 2007-15 (Schuster et Ndimubandi, 2018). |
Mise en place d’un organe de régulation pour limiter les contraintes conjoncturelles – investissements limités, volatilité des cours et coûts de production exorbitants (Burundi Eco, 2021). |
Tchad |
Coton |
113.52 |
L’un des piliers de l’économie. Filière partenaire de l’Union européenne (UE, dont France, Allemagne, Belgique, Portugal et Espagne). |
Entretien des pistes rurales pour faciliter le transport de la production depuis les champs jusqu’aux usines d’égrenage. |
RD Congo |
Abrasifs naturels, coltan |
107.12 |
La RD Congo abrite entre 60 % et 80 % des réserves mondiales connues du coltan en 2020. |
Sécurité des producteurs, logistique et difficultés administratives liées à l’exportation et la certification (Agence Ecofin, 2017). |
São Tomé-et-Príncipe |
Cacao |
11.34 |
Première source de revenus provenant des exportations : 9.5 millions USD de vente en 2017, soit environ 93 % des exportations totales du pays et 2.4 % de son PIB (Fida, 2020). |
Formation des agriculteurs sur la transformation de leurs cultures et la mise en place de pratiques durables. |
République centrafricaine Congo Guinée équatoriale Gabon |
Bois brut ou équarri |
51.47 249.06 3.64 860.57 |
Deuxième surface de forêts tropicales du monde. La filière bois contribue de manière significative au PIB et à l’emploi des pays concernés (voir infra). |
Coûts élevés de transport et faible qualité des infrastructures commerciales et logistiques. |
Source : Calculs et compilation des auteurs, à partir des sources susmentionnées dans le tableau ; données sur les ACR et les exportations de la matrice du commerce de la CNUCED (UNCTADstat, https://unctadstat.unctad.org/fr/RadarAcr.html 09/08/2021).
Étude de cas : la promotion de la CVR du secteur bois s’impose
Le choix du secteur forestier se justifie par ses énormes potentiels
Les forêts d’Afrique centrale constituent la deuxième plus grande surface de forêts tropicales du monde, avec des écosystèmes terrestres vitaux pour le développement de la région. Elles représentent 26 % des forêts tropicales humides restantes sur la planète, 10 % des émissions de carbone forestières, 70 % du couvert forestier humide d’Afrique (FAO, 2020) et s’étendent sur six pays : la RD Congo, le Gabon, le Congo, le Cameroun, la République centrafricaine et la Guinée équatoriale (tableau 4.A1.3). Grâce à l’immense quantité de carbone stockée dans leur abondante végétation, elles servent de tampon atténuant le changement climatique mondial et contribuent à garantir la sécurité alimentaire des populations locales. Leur gestion durable est indispensable pour atteindre plusieurs Objectifs du développement durable (ODD), en particulier ceux qui sont liés à une consommation et production responsables, à la vie terrestre et aux mesures relatives à la lutte contre le changement climatique. Les forêts du Bassin du Congo rendent de précieux services écologiques, tels que le contrôle des crues et la régulation climatique aux niveaux local et régional. Certaines zones pourraient être plus sensibles aux changements globaux que d’autres (Réjou-Méchain et al., 2021).
Les nombreux plans de développement de la chaîne de valeur forestière (CVF) n’ont pas impulsé une gestion durable de cette ressource clé. Les forêts d’Afrique centrale et leur biodiversité, très riches, regorgent des ressources nécessaires à l’insertion des pays d’Afrique centrale dans la CVM du bois. En 2003, l’Union africaine (UA) a défini la CVF comme chaîne d’avenir pour l’Afrique centrale, puisqu’elle offre des opportunités de développement de matériaux à faible impact carbone et pourrait dynamiser l’éco-construction, favoriser la croissance et la création d’emplois. La décision « d’affectation en forêt de production prise par les États » pourrait sécuriser le couvert forestier et l’activité économique générée. Elle peut contribuer à lutter contre la pauvreté, cause indirecte de la déforestation.
Les pays ont peiné à faire respecter la régulation de l’exploitation des ressources, menaçant la forêt équatoriale d’Afrique centrale depuis de nombreuses années, à cause de la déforestation (tableau 4.2). En 2020, pas moins de 600 000 hectares (ha) de forêts primaires ont été rasés en RD Congo, au Cameroun, au Congo, au Gabon, en Guinée équatoriale et en République centrafricaine, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2019. Or, lorsqu’elles sont déboisées, les forêts qui repoussent sont moins denses. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène de déforestation : l’agriculture vivrière itinérante, l’extension des infrastructures, l’extraction du bois, les conflits dans certains pays comme la RD Congo qui entravent le contrôle des zones forestières par les pouvoirs publics. En outre, le COVID-19 est susceptible d’entraîner une augmentation de la déforestation, en raison de la réduction de la surveillance des agences du secteur public.
Tableau 4.2. Taux de perte annuelle de couvert forestier en Afrique centrale
|
Superficie de forêt (1 000 ha) |
Taux de perte annuelle de couvert forestier (en pourcentage) |
|
---|---|---|---|
2010 |
2020 |
2010-20 |
|
Cameroun |
20 900 |
20 340 |
0.27 % |
Congo |
22 075 |
21 946 |
0.06 % |
République centrafricaine |
22 603 |
22 303 |
0.13 % |
RD Congo |
137 169 |
126 155 |
0.83 % |
Gabon |
23 649 |
23 531 |
0.05 % |
Guinée équatoriale |
2 532 |
2 448 |
0.34 % |
Afrique centrale (moyenne) |
|
|
0.28 % |
Source : FAO (2021), https://www.fao.org/documents/card/fr/c/ca9825fr
Malgré sa relative participation au PIB, le secteur forestier formel reste un important pourvoyeur d’emplois en Afrique centrale (tableau 4.3). Les activités liées à la forêt contribuent de façon limitée au PIB, entre 2.67 % et 5 % en 2018 (ATIBT, 2020a), mais représentent 200 000 emplois directs et indirects (tableau 4.3). Au Gabon, le secteur du bois est le plus grand pourvoyeur d’emplois après l’État avec 13 000 emplois directs, dont 5 000 fonctionnaires et 600 agents d’appui dans les services publics forestiers.
La contribution totale du secteur forestier à la croissance économique est sous-estimée dans les statistiques officielles, à cause du poids du secteur informel. Malgré la difficile mesure du marché informel du bois, on estime la production informelle (en équivalent grumes) à 2.4 et 4 millions de m3 respectifs au Cameroun et en RD Congo (ATIBT, 2020a). Le secteur informel s’avère créateur d’emplois, tout comme le secteur formel, même s’il comporte les activités de subsistance non rémunérées ayant trait à la collecte de bois comme source d’énergie.
Tableau 4.3. Contribution du secteur forestier au PIB et en emplois directs et indirects en Afrique centrale
Pays |
Contribution au PIB en pourcentage 2018 |
Emplois |
|
---|---|---|---|
Directs |
Indirects |
||
Cameroun |
4.7 % |
13 000 |
150 000 |
Gabon |
3.3 % |
13 000 |
entre 2 000 et 5 000 |
République centrafricaine* |
5.0 % |
4 000 |
6 000 |
RD Congo |
0.15 % (2016) |
4 523 |
- |
République du Congo |
2.67 % |
7 500 |
5 000 |
Guinée équatoriale |
- |
- |
- |
Source : Association technique internationale des bois tropicaux (ATIBT, 2018 et 2020a), Rapport d’activité, https://www.atibt.org/files/upload/Activity_report/ATIBT-RAPPORT-ACTIVITE-2020.pdf ; *BAfD (2018), https://www.afdb.org/sites/default/files/documents/publications/developpement_integre_et_durable_de_la_filiere_bois_dans_le_bassin_du_congo_-_regional_0.pdf.
L’impact du COVID-19 sur la CV du bois en Afrique centrale a motivé des réponses politiques
L’Afrique centrale, comme partout dans le monde, se remet progressivement de la pire récession économique jamais enregistrée depuis la fin des années 1980. Au-delà de l’impact sanitaire, le COVID-19 a eu de nombreuses répercussions sur l’activité des pays de la sous-région, déjà mise à mal par les effets récessifs de la baisse des cours du pétrole et des crises sécuritaires. Au premier semestre 2020, les gouvernements ont mis en place des mesures de restriction des déplacements, de confinement, d’éloignement social et de fermeture des frontières visant à ralentir la propagation de la pandémie. Ces mesures ont entraîné une contraction de la croissance réelle du PIB de la sous-région de 5 % en 2020, soit le plus mauvais résultat jamais observé depuis plus de deux décennies. À la faveur d’une levée partielle des restrictions induite par le ralentissement des contaminations, une reprise s’est manifestée en 2021, même si la croissance serait nulle selon les prévisions (CUA/OCDE, 2021a).
Les mesures contre la propagation de la pandémie ont eu de lourdes conséquences sur le secteur forestier en général et la filière bois en particulier. Les fermetures des frontières ont mis à mal les chaînes d’approvisionnements du bois, ce qui a posé des problèmes à plus long terme sur l’offre et la demande. Du côté de l’offre, avec l’arrêt dans certains cas de la libre circulation des personnes et des marchandises, les industries liées à la filière bois n’ont pu continuer à fonctionner à pleine capacité, entraînant le report ou l’annulation de certaines commandes de bois et de produits transformés (Andrianarison et Nguem, 2020). De même, les blocages des chaînes logistiques ont augmenté les risques de rupture d’approvisionnements indispensables à la production, impactant la capacité de production. Une baisse du volume des exportations pour l’ensemble des pays de la sous-région a été observée (tableau 4.4). Par exemple, au Cameroun, les exportations du bois rond et des meubles sont passées de 394 millions et 805 000 USD respectivement en 2018, à 131 millions et 184 000 USD au premier semestre de l’année 2020.
Les exportations ont été affectées par la baisse de la demande des principaux partenaires commerciaux de la sous-région tels que la Chine et les pays de l’UE, durement touchés par la pandémie. Les pays producteurs de bois de l’Afrique centrale exportent la majorité de leur production vers la Chine, et la plupart des grumes prélevées en Afrique sont commercialisées par des entreprises chinoises. Les statistiques de la Global Wood Markets Info (GWMI, 2021) font état d’une baisse des importations de bois de la Chine depuis le début de la pandémie. Au lieu des 17.5 millions de m³ de bois projetés, la Chine n’a importé que 13.9 millions de m³ de janvier à mai 2020, soit un déclin de 21 % (Mounzéo et Lubala, 2020). Au Cameroun et au Gabon, l’activité forestière s’est réduite en raison de la baisse de la demande chinoise en espèces ovangkol et okoumé (OIBT, 2021). Au Congo, seules les sociétés Congolaise industrielle des bois (CIB) et Interholco fonctionnaient pendant le premier trimestre du confinement (ministère des Finances et du Budget du Congo, 2020). Les économies de la sous-région ont également subi un choc de demande locale en lien avec les mesures de restrictions imposées par les gouvernements, mais aussi la baisse des revenus des ménages.
Tableau 4.4. Exportations des produits primaires en bois et des produits secondaires en bois transformé (meubles en bois) en Afrique centrale, 2018-20 (en milliers USD)
Pays |
Bois rond |
Meubles en bois |
||||
---|---|---|---|---|---|---|
2018 |
2019 |
2020 (premier semestre) |
2018 |
2019 |
2020 (premier semestre) |
|
Burundi |
0.09 |
- |
- |
99.69 |
138.63 |
10.05 |
Cameroun |
394 002.3 |
280 592.9 |
131 181.2 |
805.85 |
288.18 |
183.56 |
République centrafricaine |
66 826.13 |
41 446.2 |
59 745.87 |
16.77 |
22.08 |
1.09 |
Tchad |
- |
- |
- |
82.69 |
5.79 |
- |
Congo |
298 387.7 |
300 870.5 |
260 288 |
140.93 |
242.69 |
43.69 |
RD Congo |
40 995.88 |
34 914.59 |
62 322 |
67.07 |
20.54 |
1.54 |
Guinée équatoriale |
345 393.20 |
190 706 |
68 493 |
14.64 |
14.71 |
- |
Gabon |
19 797.05 |
16 856 |
993.55 |
222 |
283.86 |
133.27 |
São Tomé-et-Príncipe |
- |
- |
- |
6.38 |
36.46 |
36.46 |
Note : - = absence d’informations.
Source : Calculs des auteurs à partir des données OIBT (2021), https://www.itto.int/biennal_review/?mode=searchdata.
Des répercussions directes des difficultés de la filière bois sont observées sur la main-d’œuvre et les entreprises dans la sous-région. La filière est un important pourvoyeur d’emplois en Afrique centrale (tableau 4.3). La vision stratégique de la filière par la Commission des forêts de l’Afrique centrale (Comifac) prévoit la création de 60 000 emplois sur la période 2018-30 (Forum africain du bois, 2018). Cependant, les risques élevés en matière de sécurité et de santé au travail, amplifiés par la pandémie, ainsi que les mesures sanitaires adoptées, rendent cette vision peu réaliste. La plupart des activités liées à la sylviculture impliquant une forte intensité de main-d’œuvre, les restrictions de mouvement et les blocages imposés par les gouvernements en raison du COVID-19 ont entraîné de nombreuses pertes d’emplois.
La pandémie a entravé les efforts visant à promouvoir la gestion durable des forêts en Afrique centrale. Les personnes employées dans le secteur informel de la sylviculture étant les plus exposées au risque de perdre leur emploi, elles se lancent dans des activités forestières illicites telles que la production de charbon de bois et la récolte des produits forestiers non ligneux (PFNL) pour des besoins médicinaux, diététiques et nutritionnels (PNUD, 2021). Par ailleurs, la pandémie est susceptible d’entraîner une augmentation de la déforestation, en raison de la réduction de la surveillance par les agences forestières du secteur public (encadré 4.3). Du fait des faiblesses dans la gouvernance et le financement des agences forestières, la pandémie a entraîné une augmentation des activités d’exploitation forestière illégale en Afrique centrale (Mbzibain et al., 2020).
Encadré 4.3. Impact du COVID-19 sur la perte de couverture forestière en RD Congo et au Cameroun
De 2001 à 2020, la superficie totale de forêts primaires humides en RD Congo et au Cameroun a diminué de 5.1 % et 3.7 % respectivement, soit une perte de près de 5.32 millions ha et 708 000 ha de forêts primaires humides. La destruction des forêts s’est accélérée au Cameroun en 2020. Au moment où la pandémie de COVID-19 entraînait des restrictions de déplacements et un ralentissement des activités économiques à l’échelle mondiale, le Cameroun a perdu plus de 100 000 ha de ses forêts primaires en 2020. C’est presque le double de la superficie de forêts primaires détruites en 2019 (graphique 4.7). Selon les données de GFW (2021a), la plupart des pertes de forêts au Cameroun sont associées à l’agriculture. Plus de 60 % des pertes ont été enregistrées dans les régions du Centre et de l’Est, principales régions forestières du pays. En RD Congo, sur 1.21 million ha de perte de couvert forestier observé en 2019, 494 000 ha sont attribuables à la foresterie et 203 000 ha aux feux de forêt.
Depuis le début de la pandémie, le nombre d’alertes incendie s’est décuplé dans les pays. En considérant uniquement les alertes dignes de confiance, près de 10 034 alertes Visible Infrared Imaging Radiometer Suite (VIIRS) ont été signalées entre le 19 octobre 2020 et le 17 mai 2021 au Cameroun. Un chiffre élevé comparé aux années précédentes, en remontant jusqu’en 2012 (GFW, 2021a). Au cours de la même période, les alertes dignes de confiance pour la RD Congo étaient estimées à 19 589 VIIRS.
Plusieurs mesures ont été prises par les pays de la sous-région et de nombreux partenaires au développement afin de contrer l’impact de la pandémie sur la filière bois. Outre les gouvernements, le secteur privé, la société civile, les Nations Unies et la Banque africaine de développement (BAfD) ont joint leurs efforts face à la pandémie (tableau 4.5).
Tableau 4.5. Quelques mesures politiques prises pour contrer l’impact de la pandémie dans le secteur forestier en Afrique centrale
Pays |
Mesures |
---|---|
Congo, RD Congo, République centrafricaine |
Avril 2020 : le Conseil d’administration du Fonds vert pour le climat approuve 15 nouveaux projets, soit 1.2 milliard USD pour de nouveaux financements climatiques visant à apporter un soutien fort aux pays en développement, afin de leur permettre d’intensifier leur action climatique face au COVID-19 (PFBC, 2021a). |
Congo |
Avril 2020 : le ministère des Finances et du Budget élabore et publie les mesures douanières, fiscales et financières axées sur de nombreux reports de paiements des taxes et impôts ainsi qu’une réduction des taxes d’importation et d’exportations afin de soutenir les entreprises forestières qui subissent une baisse d’activité (ATIBT/BVRio, 2020). |
Afrique centrale |
Mai 2020 : la Wildlife Conservation Society propose un ensemble d’actions stratégiques permettant de réduire le risque de futures épidémies de maladies infectieuses causées par la viande de brousse en Afrique centrale. Il s’agit notamment du renforcement des infrastructures de santé publique et la sensibilisation pour protéger la santé des populations autochtones et des communautés locales ; de l’arrêt de l’approvisionnement des zones rurales vers les zones urbaines et de la vente en ville d’espèces de mammifères sous forme de viande de brousse ; du développement des systèmes d’alerte précoce pour les maladies zoonotiques émergentes à l’interface entre l’homme, la faune sauvage et la forêt (PFBC, 2021b). |
Afrique centrale |
Mai 2020 : l’Association technique internationale des bois tropicaux (ATIBT) a adopté en mai 2020 des mesures permettant de poursuivre l’activité d’une filière responsable et essentielle à l’équilibre économique de ces pays. Ces mesures ont concerné cinq entreprises basées au Cameroun, au Congo et au Gabon1. Par exemple, la société Interholco (Nord Congo), qui emploie 1 000 personnes, a mis en place des dispositifs civiques et pédagogiques pour les salariés et leurs familles au sein de la région en collaboration avec les instances gouvernementales. Des mesures sanitaires pour le personnel et les riverains ont été prises, notamment l’acquisition de matériels médical et hygiénique (ATIBT, 2020b). |
Tchad |
Juin 2020 : la BAfD accorde un don de plus de 20 millions USD pour le financement du Projet d’appui en faveur des pays membres du G5 Sahel pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Le projet vise à renforcer les capacités de prise en charge des cas ; d’assurer la disponibilité des produits médicaux pour la prévention, le contrôle et le traitement des symptômes ; de mettre en place des mesures de prévention sociale au niveau des communautés cibles incluant les réfugiés et les déplacés, dont celles de la zone du Lac Tchad (G5 Sahel, 2021). |
Afrique centrale |
Juin 2020 : l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a organisé un webinaire des forêts sur le thème « Reconstruire en mieux : les contributions du secteur forestier à la reprise après la pandémie de COVID-19 ». Une enquête a été réalisée conjointement par le Département des forêts de la FAO et des partenaires au sein et en dehors de la FAO, regroupant entre 200 et 400 participants par jour, notamment des représentants de pays, d’organismes onusiens, d’ONG, d’organisations internationales, de la société civile et d’universités, ainsi que des personnes qui ont des intérêts dans le secteur forestier. Ses résultats ont indiqué l’adoption des technologies numériques, l’efficacité des ressources, le soutien à l’amélioration des installations sanitaires et soins de santé sur le lieu des principales opérations, comme les mesures les plus pertinentes pour contrer l’impact de la pandémie. Du côté des gouvernements, les réponses les plus pertinentes de l’enquête ont porté sur les mesures de soutien pour accéder aux marchés et stabiliser l’approvisionnement et le commerce (mesures juridiques, logistiques, achats publics ou autres), et les prêts subventionnés et/ou exonérations fiscales pour les petites et moyennes entreprises forestières (Linhares-Juvenal, 2020). |
République centrafricaine |
Octobre 2020 : les réseaux d’organisations de la société civile tels que la Global Greengrants Fund réalisent une mission de sensibilisation sur le COVID-19 auprès des communautés locales et des populations autochtones dans la zone forestière du sud-ouest du pays. Les communautés ont pu bénéficier de sensibilisation et de distribution de kits d’hygiène (Wallot, 2021). |
Cameroun, Congo, Gabon |
Décembre 2020 : création du 17 au 18 décembre d’une plateforme de communication directe et de coopération entre les entreprises chinoises et celles membres de l’ATIBT travaillant en Afrique afin de promouvoir le développement d’un commerce durable des bois dur (PFBC, 2021c). |
Cameroun |
Décembre 2020 : les ministres en charge des Forêts, des Travaux publics et des Marchés publics signent le 15 décembre un arrêté conjoint fixant les modalités d’utilisation du bois d’origine légale dans la commande publique au Cameroun. Cet arrêté impose aux opérateurs engagés dans les constructions d’édifices et/ou la commande publique en lien avec les produits dérivés du bois, de prouver l’origine légale du bois utilisé. |
Cameroun |
Janvier-février 2021 : la Coopération technique allemande (GIZ), à travers le projet d’appui régional à la Comifac, a mené entre janvier et février 2021 des missions d’appui sanitaire anti COVID-19 respectivement auprès des communautés environnantes des Parcs nationaux de Lobeke (22 au 30 janvier 2021) et Nki (16 au 22 février 2021), situés à l’extrême sud-est du Cameroun. Cette mission avait pour but la distribution des matériels sanitaires et médicaux (PFBC, 2021d). |
République centrafricaine, Congo |
Juin 2020 : lancement d’un module entièrement dédié à l’analyse de risque des chaînes d’approvisionnement bois et produits dérivés. « Ekwato » est une innovation digitale qui permet un suivi et une approche proactive de l’analyse du risque des produits bois. |
Gabon |
Juillet 2021 : signature le 2 juillet d’un mémorandum d’entente entre le Gabon et le Togo pour une durée de cinq ans, visant à faciliter l’importation au Togo des produits de bois gabonais ayant subi la première, la deuxième ou la troisième transformation. |
1. Outre Interholco (Nord Congo), il s’agit de Rougier (Gabon, 1 100 salariés), la CIB-Olam (Nord du Congo, 1 800 salariés), Pallisco-CIFM (Cameroun, 500 salariés) et Precious Woods (Gabon).
Source : Auteurs, à partir des sources susmentionnées dans le tableau.
Forces et faiblesses du secteur forestier
En dépit d’énormes potentiels pour accroître son intégration dans les CVM de la filière bois, la part de l’Afrique centrale dans le marché international reste faible. En 2020, la sous-région contribue seulement à hauteur de 6.28 %, 9.70 % et 5.38 % respectivement des productions mondiales en sciages, en placages et en grumes de bois tropicaux (tableau 4.A1.2). Entre 2010 et 2020, la production de grumes a progressé, mais le secteur reste dominé par l’Asie, qui réalise plus de la moitié des productions sur tous les segments de la filière. Seul le Gabon fait figure d’exception et se positionne comme le 5e producteur mondial de placages. Il vise le 2e rang après le Viet Nam, qui s’approvisionne surtout en bois de plantation (BAfD, 2018).
Tableau 4.6. Analyse des forces, faiblesses, opportunités et menaces sur la filière bois en Afrique centrale
Forces |
Faiblesses |
---|---|
• La forêt du Bassin du Congo est le second massif forestier tropical après la forêt amazonienne et représente :
• Le secteur forestier fournit plus de 200 000 emplois directs et indirects formels en Afrique centrale. • La prise en compte de la multifonctionnalité des forêts. • La forêt du Bassin du Congo contribue à plus de 3 % du PIB de la région au cours de la décennie 2010. • Forêt principalement publique : levier de structuration. • Le Bassin du Congo, réserve de carbone sous forme de biomasse. |
• Faible transformation du bois au niveau local. • Coût des transports qui dégradent la compétitivité prix. • Attractivité limitée des métiers et des formations dans la filière. • Communication insuffisante sur le bois, les métiers du bois, les produits et les entreprises. • Le respect du droit et de la gouvernance. • La production en sciages, grumes, placages et contreplaqués est relativement faible comparativement aux pays asiatiques. • Problèmes liés à l’exploitation informelle, surtout pour les activités productives avec une valeur ajoutée. |
Opportunités |
Menaces |
• Contribution à la lutte contre le changement climatique :
• Capital humain en abondance et à former. Création d’emplois supplémentaires en Afrique centrale. • Transition des marchés du bois vers les produits plus élaborés et à plus forte valeur ajoutée. |
• La déforestation progresse de façon régulière en Afrique centrale (9 % en 2020, selon Global Forest Watch). • Développement croissant du bois énergie, nécessitant une approche structurée pour prévenir les conflits d’usage. • Coûts élevés de transport. • Innovation techniques, commerciales et marketing insuffisantes. • Pression concurrentielle des pays émergents, notamment la Chine. • Aléas climatiques. |
Source : BAfD (2018), GFW (2021a) et Agence Ecofin (2021b).
La filière bois se trouve au cœur des stratégies de développement adoptées par des pays d’Afrique centrale dans les années 2010. Le Gabon a ainsi lancé en 2010 un plan ambitieux visant à hisser le pays au rang des économies émergentes à l’horizon 2025. Toute sa stratégie d’industrialisation repose sur la filière bois. Depuis 2010, le Gabon a investi 10 millions d’euros (EUR), soit près 6.5 milliards de francs CFA (XAF) dans ce cadre (Nouveau Gabon, 2018). La création de 50 000 nouveaux emplois est prévue d’ici 2025 dans cette filière (Agence Ecofin, 2021b). Sur les 400 essences de bois connues au Gabon, 60 sont exploitées, dont la principale est l’okoumé (80 % des exportations de bois en 2009).
Signe fort d’une volonté politique d’industrialisation de la filière forêt-bois, l’interdiction d’exporter des grumes est décidée en 2010. Cette mesure visait à créer de nouveaux emplois et à valoriser les bénéfices en exportant les produits semi-finis prêts à être consommés sur le marché mondial. De son côté, le gouvernement de la RD Congo a créé en 2012 une commission d’études pour définir la nouvelle politique industrielle du pays. La filière bois a été identifiée comme défi stratégique pour l’insertion dans les CVM. Ainsi, l’intégration par les chaînes de valeur bois est supposée encourager la modernisation du secteur privé, favoriser la création d’emplois et s’inscrire dans l’économie verte (DGF/RDC, 2018).
Au niveau des exportations des bois tropicaux, la part des pays d’Afrique centrale reste modeste sur tous les segments de la filière. Les exportations de grumes s’élèvent à 7 % du total en 2020 contre 53.7 % en Asie-Pacifique (tableau 4.7). Toutefois, le secteur informel domine, renforcé par les faibles perspectives d’emploi dans l’industrie et l’agriculture. Les volumes impliqués dans ces activités informelles peuvent largement dépasser ceux de la production industrielle (ATIBT, 2020a). D’où un important manque à gagner, ainsi que des problèmes pour la gestion durable des ressources forestières, la lutte contre la corruption et la levée des ressources domestiques par les États. Cette dernière reste limitée, avec un ratio impôts/PIB à 8.8 % en 2018 (CUA/OCDE, 2021a). La production de biens transformés par les PME est encore trop peu tournée vers le marché continental et international. Les entreprises engagées dans la transformation du bois pour la construction domestique ou la fabrication de meubles ne parviennent pas à atteindre les marchés internationaux et restent à un niveau de production artisanal. Leur accès au crédit pourrait être amélioré, et les barrières fiscales levées pour l’importation du capital nécessaire à leur productivité.
Tableau 4.7. Exportations de grumes et de produits transformés de bois tropicaux dans le monde en 2020 (en millier de m3)
|
Grumes |
Sciages |
Placages (déroulés ou tranches) |
Contreplaqués |
---|---|---|---|---|
Exportations mondiales de bois tropicaux |
11 192.8 |
9 212.1 |
1 922.7 |
6 638.6 |
Afrique |
3 044.7 |
2 204 |
405.5 |
119.5 |
Part sur les exportations mondiales de bois tropicaux |
27.2 % |
24 % |
21.1 % |
1.8 % |
Afrique centrale |
784 |
222 |
9.42 |
0 |
Part sur les exportations mondiales de bois tropicaux |
7 % |
2.4 % |
0.5 % |
0 % |
Asie Pacifique |
6 010.7 |
5 884.8 |
1 400.9 |
5 900.1 |
Part sur les exportations mondiales de bois tropicaux |
53.7 % |
63.9 % |
72.9 % |
88.9 % |
Amérique du Sud |
2 059.1 |
725.5 |
77.3 |
271.9 |
Part sur les exportations mondiales de bois tropicaux |
18.4 % |
7.9 % |
4 % |
4.1 % |
Source : Calculs des auteurs à partir des données de l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT, 2020), https://www.itto.int/biennal_review/?mode=searchdata.
L’exploitation des forêts se fait le plus souvent sous le régime des concessions, mais les intérêts européens plus respectueux des certifications sont devenus minoritaires face aux conglomérats asiatiques. La certification forestière, outil au service de gestion forestière durable constitue donc un investissement et pousse les entreprises à s’autoréguler pour ne pas perdre le label. Les grandes entreprises européennes se sont ainsi conformées aux normes légales visant à élaborer des plans d’aménagement forestiers, devenus obligatoires. En revanche, les entreprises asiatiques sont souvent pointées du doigt pour des activités illicites.
Les pays ont mis en place, avec le concours des firmes étrangères, des normes internationales garantissant que le bois est issu d’un environnement durablement géré. Ce mouvement en faveur de la certification s’inscrit dans la gestion forestière durable (encadré 4.4). Deux types de certifications existent en Afrique centrale : des certificats de gestion forestière responsable et ceux d’origine légale des bois (tableau 4.8).
Encadré 4.4. Un mouvement en faveur de la certification
À l’initiative de la Global Forest Watch (GFW), un partenariat entre le public et le privé a été établi en 1997 afin de créer une fenêtre d’information vérifiée pour les principales entreprises forestières en Afrique centrale. Plusieurs producteurs importants ont pris les dispositions nécessaires en vue d’obtenir la certification par des systèmes internationaux reconnus de certification forestière. Ce mouvement volontaire est venu en réponse à un marché international du bois de plus en plus sensible. Au début de 2004, la Congolaise industrielle des bois (CIB), une entreprise allemande, a annoncé son intention de tendre vers les standards de certification du Forest Stewardship Council (FSC), un système reconnu internationalement (Comifac, 2005).
Le premier certificat FSC a été délivré à la société CIB en 2005. Ainsi, la CIB a exploité une concession initiale de 1.3 million ha qui formait une zone tampon autour du Parc national de Nouabalé-Ndoki dans le nord de la République du Congo, et en assurait la continuité avec la réserve communautaire du Lac Télé au sud. En 2019, la superficie totale des forêts certifiées FSC au Congo est d’environ 2.5 millions ha, attribuée aux mêmes sociétés (ATIBT, 2019). Ces compagnies opèrent toutes dans les concessions forestières situées dans la partie septentrionale du Congo. Ainsi, le Congo se place en 12e position des pays ayant la plus grande superficie des forêts certifiées FSC dans le monde, et en première position en Afrique.
Depuis 2011, l’ONG internationale Programme for the Endorsement of Forest Certification (PEFC International) met en œuvre une initiative visant à soutenir le développement de systèmes nationaux de normes en Afrique centrale, notamment au Gabon, au Cameroun et au Congo. À travers le projet régional dénommé Panafrican Forest Certification – PAFC Congo Basin, l’ATIBT souhaite élargir l’offre de « certification tierce partie » pour la gestion durable des forêts. Il est à noter que cette approche régionale est totalement nouvelle et innovante pour le PEFC. Un webinaire a été organisé le 1er février 2021, à l’issue duquel les trois pays soutenus par la Banque allemande de développement (KFW) et l’ATIBT ont souhaité que cette certification régionale soit rapidement opérationnelle.
Tableau 4.8. Les différents systèmes de certification existants en Afrique centrale
Certificats de gestion forestière responsable |
|
---|---|
FSC |
Le Forest Stewardship Council (FSC), créé en 1993 sous l’égide de grandes ONG internationales telles que le WWF, Greenpeace et Rainforest Alliance, est considéré comme le certificat de gestion forestière le plus exigeant. Cette certification est très active en Afrique centrale. |
PAFC |
Le Panafrican Forest Certification (PAFC), a été initié au milieu des années 1990 comme système de certification intégrant les valeurs et les réalités socio-économiques de la gestion forestière en Afrique (Kouna Eloundou, Demaze et Djellouli, 2008). Il est présent au Gabon depuis 2004 et au Cameroun depuis 2007. Il existe également une organisation PAFC en République du Congo et cette association est devenue membre de l’alliance PEFC à la mi-2017 (ATIBT, 2018). Les membres nationaux du Cameroun, du Congo et du Gabon ont uni leurs forces sous le nom de PAFC Bassin du congo développer ce système de certification régional. |
PEFC |
Créé en 1999, ce programme s’est appuyé sur les principes de gestion durable de Rio. C’est une certification qui repose sur un mécanisme volontaire pour la promotion de la gestion durable des forêts via une certification délivrée par une tierce partie indépendante (Kombila-Moulougui, 2019). |
ISO |
Le système de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) offre un cadre pour la certification des Systèmes de gestion de l’environnement. Les séries ISO 9001 et 14001 traitent plus ou moins des mêmes domaines que la certification de la gestion des forêts, sauf qu’elles ne précisent pas de normes de performance en matière de gestion forestière et n’autorisent pas l’utilisation d’un label pour les produits (Delvingt et Lescuyer, 2007). |
Certificats d’origine légale des bois |
|
OLB |
Origine légale des bois, certificat de légalité développé par Bureau Veritas. |
VLC |
Verification of Legal Compliance. |
Source : Compilation des auteurs, à partir des sources susmentionnées dans le tableau.
La faible gouvernance des chaînes de production de l’agroforesterie réduit les revenus des exploitants des ressources agricoles (Ingram, 2017). Malgré l’adoption de normes au Cameroun, au Congo et en RD Congo, les principaux acteurs des chaînes de valeur des ressources agricoles (miel, mangue de brousse, cola, bois de feu, etc.), tirées de l’exploitation forestière non boisée, sont vulnérables à la variation des cours des matières premières. Au cours des dernières années, la réalité de l’organisation des chaînes de valeur s’est éloignée des discours des autorités officielles, des donneurs et des ONG pour être plus dynamique et impliquer plus de parties prenantes. Or, une gestion multipartite informelle pénalise les principaux acteurs des exploitations agricoles, qui sont plus sujets à la corruption et aux coûts de production imprévisibles. Les chaînes de valeur les plus productives sont alors celles qui sont exclusives, parce qu’elles se développent sur des dispositions gouvernementales avec des normes coutumières adaptées et des restrictions d’accès à la propriété et aux cultures (Ingram, 2017).
Bien des obstacles restent à surmonter pour renforcer la participation aux CVM
De nombreux défis restent à relever dans la promotion des chaînes de valeur du bois en Afrique centrale, liés notamment au déficit d’infrastructures, à l’insuffisante formation du personnel et à la gouvernance forestière.
La mise en valeur des chaînes de valeur est déterminée par une meilleure qualité des infrastructures et une maîtrise des coûts non tarifaires (encadré 4.5). En Afrique centrale, les coûts élevés du transport intérieur entravent la capacité des pays à se diversifier et à participer aux CVM (Plane, 2021). Les forêts denses humides du Bassin du Congo sont situées dans des zones reculées. La dépendance du secteur forestier aux infrastructures logistiques et au secteur du transport est donc extrêmement forte. Si les corridors logistiques sont multimodaux (routier, ferroviaire, fluvial), c’est le transport routier qui domine en Afrique centrale, alors qu’il est l’un des plus mauvais au monde. Les réseaux routiers bitumés ne dépassent pas 7 253 km et 1 630 km au Cameroun et au Gabon contre 14 700 km au Kenya et 44 215 km au Maroc (Agence Ecofin, 2020). En outre, il faut 37 jours pour traiter un conteneur en Afrique centrale, contre un peu plus de 14 jours en Afrique du Nord entre 2010 et 2014 (Plane, 2019).
L’intégration dans les CVM est fortement contrariée en Afrique centrale par un déficit infrastructurel important dans les services, notamment l’accès au numérique. L’accès aux infrastructures de communication en Afrique centrale est le plus faible du continent. Selon la Banque mondiale (2020b), la sous-région souffre d’un retard en termes d’accès aux outils numériques : en 2019, le taux d’abonnement au téléphone mobile plafonnait à 53.9 % et 20 % de la population avait accès à Internet, contre 82.7 % et 28.5 % de moyennes continentales (graphique 4.8). De même, l’existence de nombreuses taxes sur les services Internet limite non seulement leur expansion, mais aussi et surtout leur intégration dans les activités des entreprises (CUA/OCDE, 2021b). Les infrastructures de TIC permettent aux entreprises tournées vers l’exportation d’accéder rapidement, efficacement et à moindre coût aux marchés internationaux. Elles confortent la compétitivité des exportations de produits manufacturés et la capacité des exportateurs agricoles à se conformer à certaines exigences (sanitaires et phytosanitaires) des marchés internationaux. Les infrastructures de TIC jouent également un rôle essentiel dans la hausse de la productivité du secteur informel, puisqu’elles permettent aux entreprises informelles d’adopter de nouvelles technologies et de réduire les coûts de transaction. Notons toutefois que la crise liée au COVID-19 a accéléré le processus de digitalisation et celui de la transformation productive de l’Afrique en lien avec la vision de l’Union africaine (UA) contenue dans l’Agenda 2063.
L’inadéquation et l’insuffisance des compétences entravent la montée en gamme dans la CVM bois. Dans la plupart des écoles d’Afrique centrale, les cursus de formation du personnel remontent à la période antérieure à l’Indépendance, alors qu’elles ont évolué et doivent répondre aux exigences du marché. Ces écoles nationales des eaux et forêts sont regroupées au sein du Réseau des institutions de formation forestière et environnementale en Afrique centrale (RIFFEAC). L’École nationale des eaux et forêts (Enef) du Cap Estérias au Gabon, à vocation régionale, et l’École des eaux et forêts de Mbalmayo au Cameroun en sont des exemples (Diansambu, 2020). L’Enef-Gabon propose de nouvelles offres de formation avec un arrimage au système Licence-Master-Doctorat mais seulement 27 étudiants ont obtenu un diplôme de master en sciences du bois entre 2013-18 (Nkoumakali, 2020). Ce cursus sera, dans un proche avenir, renforcé par l’introduction de la formation des ingénieurs spécialisés dans les procédés de transformation du bois. De telles initiatives doivent être encouragées et soutenues.
Encadré 4.5. L’exemple de la zone économique spéciale (ZES) de Nkok au Gabon
Créée en 2012, la ZES de Nkok est devenue une référence pour l’industrie locale de transformation du bois et attire de nombreux investisseurs. Il s’agit du plus grand pôle de fabrication de meubles d’Afrique centrale. Ce modèle a inspiré les autres pays de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), qui ont décidé lors d’une réunion tenue par visioconférence le 18 septembre 2020, l’interdiction d’exporter le bois sous forme de grumes par tous les pays d’Afrique centrale à compter du 1er janvier 2022 (PFBC, 2020).
L’Africa Finance Corporation (AFC), spécialisée dans le financement des infrastructures en Afrique, a financé la création d’une industrie d’exportation de meubles au Gabon par la construction de deux ports créant ainsi quelque 6 000 emplois. Les deux ports ayant ensuite été vendus à des opérateurs internationaux, l’AFC a réemployé le capital, en tirant parti des capacités organisationnelles qu’elle a créées pour agir en tant qu’agence de développement de projets à évolution rapide. Le modèle gabonais est désormais appliqué dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest (AFC, 2020). Ce type d’association de financement et d’entrepreneuriat dirigé par les Africains, forgeant des liens entre les IDE et les entreprises locales, est essentiel pour réaliser le potentiel de l’intégration économique africaine, en particulier dans le contexte de la nouvelle Zone de libre-échange continentale africaine, ZLECAf (OCDE/ACET, 2020).
L’amélioration de la gestion forestière des entreprises dépend de l’application de plusieurs normes internationales adoptées par les pays de la sous-région. Dans les années 2000, plusieurs systèmes de certifications de gestion forestière étaient actifs (tableau 4.8). La mise en place de ces normes n’a pas empêché l’exploitation illégale du bois. L’amélioration de la gouvernance forestière en Afrique centrale s’est poursuivie dans les années 2010 à travers des approches visant à rassurer les importateurs ou les clients sur les conditions de production des bois, à cause d’un défaut de contrôle. Pourtant, certaines entreprises peinent encore à respecter les exigences de certification de la gestion forestière.
L’importance du commerce informel de bois en Afrique centrale devrait inciter les organismes de certification à trouver un juste compromis entre la préservation de l’environnement et les enjeux économiques. La plupart des pays d’Afrique centrale ont manifesté un vif intérêt au plan d’action Forest Law Enforcement, Gouvernance and Trade (FLEGT), en participant à diverses rencontres (Soh Fogno, 2018). Si ce plan a été adopté en 2003, ce n’est finalement qu’en 2010 que les premiers Accords de partenariat volontaire (APV) ont été signés entre certains pays producteurs de bois de l’Afrique centrale et l’UE. Ainsi, le Cameroun (2010), la République du Congo (2010), la République centrafricaine (2012) et le Gabon (2013) ont signé les APV négociés dans le cadre du processus FLEGT (Soh Fogno, 2018 ; Kombila-Moulougui, 2019) pour interdire le commerce illégal du bois sur le marché européen.
Garantir une gestion durable et inclusive des ressources est déterminante pour le volume et la qualité des productions tirées des forêts du bassin du Congo. L’exploitation des minerais, du pétrole et du gaz se développe rapidement en Afrique centrale. Ces pratiques menacent la biodiversité et l’exploitation soutenable des forêts car elles sont incontrôlées. En effet, la dégradation de la couverture forestière impacte la fertilité des sols, réduit la pluviométrie et pourrait menacer la production agricole et la sécurité alimentaire (Doumenge, Palla et Itsoua Madzous, 2021). Les autres menaces sur la ressource principale proviennent de la gestion de celle-ci : dégradation de la forêt et sa fragmentation, ainsi que toutes les activités minières empiétant sur la forêt. Nombre de défis pour la biodiversité proviennent des besoins d’infrastructures et de régulation autour de l’exploitation des minerais, des problèmes de gouvernance, de déplacement des populations et des conflits – notamment dans l’Est de la RD Congo dans la région qui avoisine le Parc national des Virunga, car en période de faible ressource, les conflits s’intensifient pour exploiter les mines.
Plusieurs pistes de politique économique sont à explorer
La Cemac s’est dotée d’un projet d’émergence à l’horizon 2025, dont l’ambition est de faire des pays membres une zone de prospérité partagée. Mais sa mise en œuvre est concurrencée par des projets nationaux sur de nombreux points : l’horizon de réalisation, la similitude des programmes économiques, etc. Conscients de cette situation, les chefs d’État de la Cemac ont instruit le président de la Commission Cemac de procéder à une relecture de ce projet afin de replacer la Cemac au cœur du processus d’émergence de la sous-région. C’est dans cette perspective que cette institution devrait mettre en place une stratégie de mutualisation de toutes les ressources pour identifier tous les projets d’intérêt communautaire, dont la soutenabilité ne peut qu’être envisagée au niveau national. Le développement des chaînes de valeurs régionales participe de cette ambition. Les propositions de politique économique qui suivent visent à repositionner la Cemac comme institution de promotion de l’intégration économique sous-régionale.
Améliorer le cadre macroéconomique pour garantir un climat d’investissement favorable au développement des chaînes de valeur
La participation aux CVM nécessite comme toute activité économique un cadre macroéconomique stable. Pour les pays d’Afrique centrale, cela nécessite notamment de trouver un équilibre entre l’atténuation de l’impact de la crise et le maintien de la stabilité macro-financière. Dans cette perspective, il convient de distinguer les pays de la Cemac qui participent à une coopération monétaire dans le cadre de la Zone Franc des autres pays de l’Afrique centrale. Selon les prévisions à moyen terme de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), l’inflation en glissement annuel dans la Cemac devrait se stabiliser autour de 2.3 % fin 2021 et 2.7 % fin 2022, pour revenir à 2.4 % fin 2023. L’endettement demeure une préoccupation communautaire avec un niveau moyen qui atteint les 50 % bien qu’en deçà de la limite de 70 %. Les réserves de change de la BEAC devraient augmenter progressivement à moyen terme et s’établiraient à 4.71 mois d’importations des biens et services à la fin du quatrième trimestre 2022, contre 3.73 en 2021 (BEAC, 2021).
En plus, pour développer les chaînes de valeur, la sous-région a besoin d’un environnement institutionnel fiable afin de garantir l’assainissement durable du climat des affaires. L’amélioration du climat des affaires permettrait non seulement de retenir les investisseurs actuels, mais également d’en attirer de nouveaux. La sous-région a depuis 2015 mené des réformes telles que celles des Actes uniformes du droit de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) et des législations nationales, ce qui a apporté de nouvelles protections pour les investisseurs minoritaires et favorisé l’obtention de prêts (CUA/OCDE, 2018).
Outre la poursuite de ces réformes, des mesures structurelles et institutionnelles additionnelles peuvent être envisagées. Premièrement, la libéralisation des importations pourrait permettre d’attirer davantage les investisseurs et de développer le secteur. En effet, la possibilité offerte à d’autres acteurs d’intervenir sur le marché est un moyen de stimuler la concurrence et d’amener les entreprises locales à améliorer leurs performances et à augmenter leurs dépenses en matière de recherche et développement. Deuxièmement, le respect des règles nationales et les normes de certification internationales doit s’imposer. Le Gabon par exemple, dans son plan d’accélération de la transformation du secteur forestier, a instruit des réformes axées sur le respect des normes de certification internationales telles que la déforestation et les émissions de CO2, ce qui lui a permis d’attirer d’importants IDE.
Des investissements sont à réaliser, après identification des secteurs stratégiques
Pour améliorer le niveau de participation aux chaînes de valeur, il est important pour chaque pays d’identifier les secteurs d’activités et les produits stratégiques pour lesquels il dispose d’un avantage comparatif avéré. C’est le cas du thé au Burundi, du coton au Tchad, du coltan en RD Congo, du cacao à São Tomé-et-Príncipe, et du bois en République centrafricaine, au Congo, en Guinée équatoriale et au Gabon (tableau 4.1). Le développement des secteurs à forte productivité pourrait également améliorer la participation des pays de la sous-région aux CVR et CVM. Cela implique ; pour le Burundi et le Tchad, d’investir davantage dans l’agriculture qui concentre la plus grande part de la valeur totale de participation aux CVM (CUA/OCDE, 2021b). De même, la diversification des productions agricoles, telle qu’elle a été préconisée dans le plan quinquennal du Tchad de 2013 (ministère de l’Agriculture et de l’Irrigation du Tchad, 2013), pourrait donner une impulsion réelle à la production agricole, encore insuffisante pour satisfaire la demande nationale dans ces pays.
La baisse des coûts de transport en Afrique centrale représente un facteur de renforcement de l’intégration économique régionale. Les corridors transrégionaux jouent un rôle de catalyseur dans la transformation et l’intégration régionale de l’Afrique. Un exemple précis est celui du corridor Congo-République centrafricaine-Tchad. Le démarrage des travaux d’interconnexion par la route de la République centrafricaine, du Tchad et de la République du Congo devait être effectif en 2021 (Agence Ecofin, 2021a). Le chantier devrait coûter plus de 1.7 milliard USD et fait partie des onze grands projets inscrits au rang de priorité par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), en vue de stimuler l’intégration sous-régionale. Dans la perspective d’une meilleure connexion à l’économie mondiale à travers les chaînes de valeur, les pays de l’Afrique centrale gagneraient à étendre ces initiatives au niveau régional. Le transport fluvial représente une option peu coûteuse et fiable qui est déjà utilisée intensivement par plusieurs opérateurs.
Développer la gestion durable et inclusive des chaînes de valeur stratégique
Les objectifs du secteur du bois peuvent être orientés vers la transformation des produits plutôt que vers des objectifs de volume de production, à l’instar du Gabon. La forêt couvre 18 millions d’hectares du Gabon dont douze sont réservés à la production de bois. Depuis 2009, les bûches non transformées sont interdites à l’exportation. La production totale est passée de 3.4 à 1.6 millions de m3 entre 2007 et 2017, sans empêcher la hausse de la valeur ajoutée des biens exportés. Depuis 2016, la plupart du bois exporté est transformé, en commençant par le bois scié. Enfin, tous les concessionnaires forestiers doivent être enregistrés au FSC (IsDB, 2019).
Le développement des chaînes de valeur durables peut se faire dans la continuité des politiques de réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation forestière (REDD+). Les pays d’Afrique centrale ont atteint l’objectif d’Aichi2 d’avoir 17 % de surface terrestre protégée dans les forêts du Bassin du Congo (Doumenge, Palla et Itsoua Madzous, 2021). Les pays doivent encourager financièrement et administrativement la transition des filières informelles vers la formalité pour préserver la durabilité des exploitations forestières. À court terme, ils peuvent initier une double dynamique. D’une part, l’exploitation artisanale du bois doit se formaliser progressivement comme c’est le cas avec le projet PROFEAAC dans la région de Yaoundé. D’autre part, le développement des chaînes de production autour de la bioénergie, des services environnementaux ou de la séquestration de carbone offrirait des alternatives durables aux exploitants engagés dans le secteur informel. En parallèle, il faudrait sanctuariser les zones les plus riches en biodiversité des industries extractives et exiger des études d’impacts environnementaux dans les zones où elles seraient autorisées.
Pour mieux encadrer l’exploitation informelle, les autorités doivent intégrer un management collaboratif « bottom-up » avec les communautés locales et le secteur privé. Des régimes de foresterie communautaire ont été adoptés au niveau national dans les années 2000 par le Cameroun et la RD Congo. Malgré un encadrement ambitieux, notamment en listant les activités forestières respectueuses de l’environnement, l’exploitation durable est fragilisée par l’inadéquation entre les besoins économiques de la population locale et les implications managériales et financières réelles. Les communautés compensent les coûts onéreux pour l’obtention du titre foncier et d’exploitation (150 000 USD en RD Congo) en violant les conditions actuelles pour garantir une exploitation financièrement viable (Lescuyer et al., 2012). Depuis 2020 au Cameroun, la Nachtigal Hydro Power Company s’est engagée à adopter des mesures de compensation environnementale pour la mise en eau de zones forestières communautaires en vue de la construction d’un barrage hydraulique. La principale mesure est le « paiement pour services environnementaux » qui compense et accompagne la population locale dans l’arrêt d’exploitation du bois et sa mission de conservation des aires de forêt communautaire.
Les résultats de la gestion des chaînes de valeur stratégique devraient être évalués et suivis sur le long terme en déclinant REDD+. Depuis 2011, les pays du Bassin du Congo transmettent des guides à destination des concessionnaires forestiers pour comprendre les politiques. Ces outils mériteraient d’être adaptés aux exploitants informels, afin de les sensibiliser aux enjeux de la durabilité de la production forestière et agro-forestière.
Développer les compétences et valoriser la formation professionnelle
L’inadéquation entre les besoins du marché et les cursus de formation en Afrique centrale constitue un sérieux obstacle à l’insertion dans les CVM. Des réformes courageuses du système éducatif sont nécessaires pour réduire ce fossé. La création d’instituts spécialisés tournés vers les métiers et les besoins des secteurs à fort potentiel de création de valeur ajoutée doit être la priorité des gouvernements locaux. Ces compétences spécifiques viendraient compléter l’éducation de base (OCDE, 2017). En outre, pour saisir les opportunités qu’offrent les CVM et en tirer un meilleur profit sur le plan économique, les gouvernements doivent favoriser la R&D.
La meilleure approche pour la formation professionnelle consisterait à mettre en place des programmes visant à développer les aptitudes requises pour que les travailleurs du bois puissent opérer de façon productive et respectueuse de l’environnement. Les pays d’Afrique centrale peuvent s’inspirer dans ce cas, dans une certaine mesure, du modèle allemand. Dans ce pays, les opérateurs de scies à chaîne et d’autre matériel forestier sont tenus par la loi de suivre un cours de trois ans sous la direction d’un superviseur forestier. En outre, pour devenir superviseur, il est obligatoire de suivre un cours de formation supérieure supplémentaire de 800 heures (Ackerknecht, 2010).
Les programmes d’enseignement forestier doivent être maintenus à jour pour répondre aux demandes de ce secteur en rapide évolution et assurer que les pays d’Afrique centrale disposent des moyens humains compétents nécessaires pour atteindre l’objectif de la foresterie durable. Les pays du Bassin du Congo sont confrontés à un important défi s’agissant de l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de la formation dans le secteur forestier. Pour y répondre, de nombreuses initiatives sont en cours. Ainsi, le RIFFEAC a mis en œuvre de 2012 à 2019 le projet intra-régional de renforcement des capacités du capital humain dans les écoles nationales forestières de la sous-région (Dieterle, 2020). Enfin, un autre enjeu consiste à investir dans les filières non boisées du forestier (comme les services du tourisme), qui sont plus respectueuses de l’environnement et préservent de la déforestation.
Annexe 4.A1. Tableaux complémentaires
Tableau 4.A1.1. Commerce selon l’intensité manufacturière en Afrique centrale en 2018 (millions USD)
Pays |
Exportations totales de produits non transformés |
Exportations totales de produits semi- transformés |
Total des exportations de produits transformés |
Exportations totales de produits transformés et non transformés |
Importations totales de produits non transformés |
Importations totales de produits semi- transformés |
Importations totales de produits transformés |
Importations totales de produits transformés et non transformés |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Burundi |
107 |
152 |
10 |
269 |
64 |
524 |
215 |
803 |
Cameroun |
2 621 |
1 581 |
33 |
4 236 |
387 |
3 210 |
1 917 |
5 514 |
République centrafricaine |
79 |
17 |
3 |
99 |
14 |
121 |
78 |
213 |
Tchad* |
1 386 |
141 |
5 |
1 532 |
65 |
396 |
277 |
737 |
Congo* |
7 304 |
2 673 |
53 |
10 030 |
172 |
1 385 |
832 |
2 389 |
RD Congo* |
3 040 |
7 658 |
22 |
10 720 |
302 |
4 230 |
2 436 |
6 968 |
Guinée équatoriale* |
4 006 |
1 718 |
11 |
5 735 |
22 |
559 |
261 |
842 |
Gabon* |
4 826 |
867 |
52 |
5 745 |
81 |
1 177 |
791 |
2 049 |
São Tomé-et-Príncipe |
13 |
8 |
2 |
23 |
7 |
111 |
43 |
160 |
Afrique centrale |
23 383 |
14 815 |
191 |
38 389 |
1 114 |
11 713 |
6 850 |
19 676 |
Note : * Pays riches en ressources.
Source : FAO (2021), https://doi.org/10.4060/ca9825fr.
Tableau 4.A1.2. Production de grumes et de produits transformés de bois tropicaux dans le monde en 2020 (en millier de m3)
|
Grumes |
Sciages |
Placages (déroulés ou tranches) |
Contreplaqués |
---|---|---|---|---|
Production mondiale de bois tropicaux |
310 809 |
37 645 |
5 091 |
11 091 |
Afrique |
55 160 |
7 578 |
1 090 |
633 |
Part sur la production mondiale de bois tropicaux |
17.75 % |
20.13 % |
21.42 % |
5.71 % |
Afrique centrale |
16 722 |
2 362 |
494 |
52 |
Part sur la production mondiale de bois tropicaux |
5.38 % |
6.28 % |
9.70 % |
0.48 % |
Asie Pacifique |
212 851 |
25 872 |
4 179 |
- |
Part sur la production mondiale de bois tropicaux |
68.48 % |
63.9 % |
82.10 |
- |
Amérique latine |
2 059.13 |
725.50 |
77.35 |
271.88 |
Part sur la production mondiale de bois tropicaux |
18.40 % |
7.90 % |
4.03 % |
4.10 % |
Source : Auteurs, à partir des données de l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT, 2020).
Tableau 4.A1.3. Superficie de forêts, de terres et densité de population en Afrique centrale
Pays |
Superficie de terres (1 000 ha) |
Densité de population, 2018 Personnes/km2 |
Superficie de forêts (1 000 ha) |
---|---|---|---|
Burundi |
2 568 |
435 |
280 |
Cameroun |
47 271 |
53 |
20 340 |
RD Congo |
226 705 |
37,08 |
126 155 |
République centrafricaine |
62 298 |
7,49 |
22 303 |
Congo |
34 150 |
15,36 |
21 946 |
Gabon |
25 767 |
8,22 |
23 531 |
Guinée équatoriale |
2 805 |
46 |
2 448 |
São Tomé-et-Príncipe |
96 |
201 |
52 |
Tchad |
125 920 |
12,29 |
4 313 |
Source : Compilation des auteurs basée sur les données de FAO (2020), https://fra-data.fao.org/.
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Notes
← 1. Environ 43 % des travailleurs sont employés dans le secteur tertiaire en Afrique centrale (OIT, 2020).
← 2. Les objectifs d’Aichi répondent à cinq grands buts stratégiques : gérer les causes sous-jacentes de l’appauvrissement de la diversité biologique, réduire les pressions directes, améliorer l’état de la diversité biologique, renforcer les avantages retirés de la biodiversité et renforcer la mise en œuvre de la protection de la nature.