Le présent chapitre décrit les programmes qui ont pour objet de communiquer sur la fiscalité aux fins de sensibilisation. Il montre comment les campagnes d’information peuvent servir efficacement cet objectif. Il présente également les initiatives qui contribuent à instaurer des relations solides et constructives entre les administrations fiscales et les contribuables, et celles qui visent des catégories spécifiques de la population.
Édifier une culture fiscale, civique et citoyenne
4. Fiscalité : informer pour sensibiliser
Abstract
Il n’existe pas de méthode universelle pour sensibiliser les contribuables à l’impôt. C’est pourquoi les administrations fiscales font appel à des dispositifs très divers. Nombre d’entre elles ont mis en place des programmes visant à informer les contribuables sur certains enjeux et délais. Elles ont aussi créé ou participé à des projets afin d’entrer en contact avec eux en certains endroits, des salons par exemple, ou bien même chez eux, par l’intermédiaire de programmes télévisuels ou de magazines. Pour ne pas négliger ceux qui ne peuvent être joints par ces moyens et pour leur adresser des messages précis, elles ont également établi des programmes de communication, parfois avec la participation d’universitaires et de chercheurs.
Le chapitre 3 a examiné les programmes qui cherchent à assurer des relations suivies et profondes avec les contribuables, et s’efforcent pour cela d’instaurer un dialogue avec eux et (ou) de mieux leur faire comprendre le système fiscal ; celui-ci s’intéresse aux mesures de sensibilisation. Si, inévitablement, ces initiatives se recoupent parfois, il paraît utile d’établir une distinction entre celles étudiées au chapitre 3, qui portent généralement davantage sur les méthodes pédagogiques ou sur l’établissement de relations avec le fisc, et celles traitées ici, plutôt axées sur la communication et la sensibilisation des contribuables aux évolutions de la fiscalité.
L’annexe A expose plus en détail 53 des initiatives analysées dans ce chapitre.
4.1. Campagnes d’information
Le système fiscal repose sur le respect spontané des obligations ; il faut donc veiller à ce que les contribuables soient suffisamment informés de la législation fiscale et de ses évolutions. La présente section présente les initiatives les plus répandues qui visent essentiellement à assurer la promotion du système fiscal, lesquelles font principalement appel aux médias, comme la télévision ou la radio, à Internet (réseaux sociaux compris), aux contacts directs et à des publications, ce qui leur permet de diffuser leurs messages à un large public.
La plupart des campagnes « publicitaires » portent sur la législation fiscale mais d’autres, notamment celles qui s’adressent au secteur informel, adoptent une approche différente. Certaines choisissent de sensibiliser aux avantages que les dépenses publiques rendues possibles par les impôts représentent pour la société. Dans plusieurs pays, les campagnes en faveur de la régularisation des activités informelles ne visent pas directement les entreprises de ce secteur, mais leurs clients ; elles cherchent à modifier leur comportement et les incitent à exiger des factures, obligeant ainsi les vendeurs à s’adapter. Quand les clients évitent de se fournir auprès du secteur parallèle, les vendeurs se mettent en conformité avec les lois fiscales.
4.1.1. Principales options pour les pouvoirs publics
Améliorer la culture fiscale par la diffusion d’informations au plus grand nombre
Les contribuables ignorent souvent leurs droits et leurs obligations. En Afrique, la difficulté à obtenir des informations sur la fiscalité paraît corrélée à un plus faible consentement à l’impôt (OECD, 2019[1]) (Mascagni, Nell et Monkam, 2017[2]) ; dans ce cas, les campagnes médiatiques peuvent utilement contribuer à renforcer le civisme fiscal. L’administration fiscale peut y faire appel pour informer les citoyens des dispositions contenues dans le code général des impôts ou les tenir au courant des nouvelles lois. Ces opérations peuvent mobiliser un ou plusieurs moyens de communication ; elles permettent par exemple aux services fiscaux de nouer un dialogue avec les contribuables sur les réseaux sociaux et par l’intermédiaire de centres d’appels, et de leur expliquer à quoi servent les impôts et ce qu’ils financent.
Les campagnes peuvent porter sur des questions générales de civisme fiscal ou sur des textes législatifs particuliers qui sont soit nouveaux, soit peu respectés. Cela a par exemple été le cas en Israël, où l’Administration fiscale israélienne (AFI) a organisé une campagne pour inciter les contribuables à respecter la nouvelle législation, entrée en vigueur en 2019, interdisant l’utilisation d’espèces pour certains paiements et transactions. La campagne a été inaugurée en décembre 2018, notamment sous forme d’informations diffusées à la radio, à la télévision, sur Internet, dans la presse et sur les réseaux sociaux. Elle a aussi eu recours à des panneaux publicitaires et organisé des réunions avec les services des représentants fiscaux. Avant de donner le coup d’envoi à la campagne et d’assurer son financement, l’AFI a mené des entretiens et présenté la loi dans les médias.
Les programmes télévisuels et radiophoniques sont également utiles en ce qu’ils permettent d’atteindre différentes catégories de contribuables. Certaines administrations, comme l’Administration des recettes de Tanzanie (Tanzania Revenue Authority, TRA) et l’Autorité fiscale nationale de la Sierra Leone (National Revenue Authority, NRA), font appel aux chaînes de radio et de télévision nationales et locales pour atteindre le plus large public possible. Les chaînes nationales diffusent les informations, annonces et messages d’ordre général, qui concernent la majorité des contribuables ; les radios locales sont utilisées pour s’adresser à certains d’entre eux, dans une région ou un district donné. Comme le montre la section suivante, les services des impôts peuvent également faire appel à ces médias pour améliorer leur image.
Les publications sont un autre moyen de diffuser des informations sur la fiscalité. L’administration fiscale néo-zélandaise (Inland Revenue Department - IRD) publie le Multinational Enterprise Compliance Focus, dont la dernière édition date de 2019. Cette publication a pour objectif de signaler aux entreprises multinationales les priorités de l’IRD en matière d’observation des règles fiscales, et de montrer à la population et aux principales parties intéressées (les ministres par exemple) qu’elle applique un programme fiable de contrôle de la discipline fiscale, notamment par sa participation active à un programme mondial, le plan d’action BEPS. L’autorité fiscale nationale de la Sierra Leone a également créé un programme pour intensifier la campagne d’éducation des contribuables, qui consiste en la publication de directives aux entreprises sous forme de brochures, à l’installation de panneaux affichant des messages éducatifs, à l’organisation d’ateliers portant sur la fiscalité et à la mise en place de comptoirs d’information fiscale mobiles. Ces mesures visent à lutter contre l’indiscipline fiscale en informant les contribuables de leurs principales obligations et des mesures coercitives qui sanctionnent leur non-respect. Le projet a été mis en œuvre en partenariat avec Open Society Initiative West Africa (OSIWA), qui a apporté à l’administration fiscale néo-zélandaise les fonds nécessaires au financement de ses activités nationales dans ce domaine et effectué une évaluation du programme.
Renforcer le civisme fiscal en expliquant l'utilisation des fonds collectés
Outre les obligations, les administrations fiscales ont tout intérêt à expliquer comment les impôts sont dépensés et distribués. En expliquant aux contribuables l’utilité sociale des impôts, elles peuvent modifier la perception qu’ils en ont, laquelle accorde trop souvent une importance démesurée aux coûts sans tenir compte des avantages. Pour adopter une attitude plus coopérative, les citoyens doivent être conscients que la contribution aux impôts profite à tous - y compris à eux-mêmes. En France, le site web du ministère de l’Économie et des Finances et de la Relance (economie.gouv.fr) contient une rubrique spéciale qui explique en quoi l’argent versé par les contribuables profite à la société et l’usage qui en est fait1 (« À quoi servent mes impôts ? »).
Il est par ailleurs possible d’annexer ces renseignements aux formulaires de déclaration, ou de les intégrer à des programmes de plus grande envergure, une campagne d’information par exemple. Le message peut revêtir de nombreuses formes, graphiques ou textuelles, mais il est particulièrement efficace quand les contribuables se sentent concernés. Il est parfois utile, comme en Côte d’Ivoire (voir l’image ci-dessous), d’expliquer ce que les impôts financent dans le domaine des infrastructures - hôpitaux, écoles, routes, infrastructures sportives, etc.
Moins les contribuables ont confiance en l’État et ses institutions, plus il importe de leur communiquer des informations de cette nature, car elles peuvent créer un sentiment de responsabilité. Il convient donc de diffuser ce message aussi souvent que possible, par tous les moyens possibles.
S’attaquer au secteur informel en modifiant le comportement de la population
Pour renforcer le civisme fiscal et lutter contre le secteur informel, l’administration fiscale peut recourir à divers types de campagnes, qui offrent d’autres moyens de communiquer avec les contribuables pour les amener à adopter un comportement bénéfique - en les encourageant par exemple à vérifier que les magasins établissent des factures, à payer leurs impôts en temps voulu et à adopter les numéros d’identification fiscale.
Les campagnes revêtent des formes variables, et comportent parfois des mesures destinées à encourager la population à adopter le comportement souhaité. C’est par exemple le cas lorsque la collecte de tickets de caisse peut donner lieu à un abattement fiscal ou à la participation à une loterie (Encadré 4.1). L’administration fiscale lituanienne (STI), par exemple, a créé une « loterie nationale des factures » visant les catégories de contribuables les plus enclins à la fraude (restaurants, services de VTC, stations thermales et marchés). L’autorité fiscale et douanière du Portugal (Autoridade Tributária e Aduaneira, ATA) a organisé un tirage au sort pour encourager le civisme fiscal, informer les citoyens et lutter contre la fraude fiscale. Cette tombola attribue un prix, au hasard, aux clients qui ont acheté des biens ou des services sur le territoire national et ont réclamé une facture sur laquelle figure leur NIF (numéro d’identification fiscale).
Dans ces cas, l’objectif premier n’est pas seulement d’informer les contribuables des règles ou des délais à respecter, mais de les convaincre de la puissance de l’action collective. Ces campagnes ont pour ambition d’atteindre le plus vaste public possible et de lutter indirectement contre le secteur informel, en incitant les contribuables-consommateurs à faire ce que les services fiscaux ne sont pas en mesure de faire, à savoir vérifier des milliers de reçus en d’innombrables endroits dans un délai limité.
Encadré 4.1. Slovénie : inciter les contribuables à vérifier les factures
Pour accompagner la mise en service des caisses enregistreuses certifiées introduites en 2016, l’administration financière de la République de Slovénie (Financial Administration of the Republic of Slovenia, FARS) a lancé, en partenariat avec le Bureau de communication du gouvernement et la Loterie slovène, une campagne pour faire participer des citoyens à la lutte contre l’économie souterraine et la fraude fiscale. Pour les inciter à demander une facture, elle a mis en place une loterie dénommée « Soyez sensé : exigez un reçu ! ». Les participants devaient collecter au moins dix tickets de caisse, les vérifier et les envoyer à l'administration fiscale.
Une application « Vérifiez votre ticket de caisse » (Preveri račun ) a été créée en parallèle, par l’intermédiaire de laquelle les contribuables désireux de participer devaient s’inscrire au moyen de leur numéro fiscal. Le Bureau de communication du gouvernement a aidé FARS à mener une campagne de publicité et de communication sur les réseaux sociaux.
Durant les préparatifs de la campagne, FARS a mis en évidence trois écueils majeurs susceptibles de faire obstacle à sa mise en œuvre. Elle était d’abord consciente, de par la nature de son activité, de ne pas jouir d’une opinion favorable au sein de la population, ce qui risquait de limiter la motivation des citoyens à vérifier volontairement les factures. En deuxième lieu, les consommateurs et les médias pouvaient voir dans la campagne un appel à la dénonciation ou à la délation d’entrepreneurs ou d’entreprises. Enfin, le fait que FARS finançait la campagne, et surtout les prix de la loterie, avec l’argent du contribuable, pouvait être mal perçu. Tous ces risques ont été aplanis grâce à une campagne constructive, dans le cadre de laquelle FARS, au lieu d’invoquer des arguments fondés sur la coercition et l’autorité (mesures comminatoires), a fait appel à des mesures incitatives.
Effet
En un an de campagne à peine, les contribuables ont vérifié plus de 21 millions de factures. Comme la Slovénie compte deux millions d’habitants, cela veut dire qu’en un an, en moyenne, chaque Slovène en a contrôlé et envoyé dix à FARS. En 2016, 112 887 consommateurs (5.6 % de la population) ont téléchargé l’application « Vérifiez votre ticket de caisse » sur leur téléphone mobile pour vérifier des factures et participer à la loterie. En un an, les factures de 75 % des utilisateurs de caisses enregistreuses certifiées ont été contrôlées une fois au moins. En d’autres termes, les consommateurs ont utilisé leur téléphone mobile pour contrôler trois quarts des émetteurs de factures qui utilisent ce type de caisses.
On peut comparer ces résultats aux coûts de la campagne : 200 000 EUR alloués à sa réalisation, à la publicité et aux récompenses.
Source : enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
4.1.2. Pour une communication efficace sur la fiscalité : difficultés communes et solutions proposées
La couverture d’une grande partie de la population pourrait poser un problème, mais la plupart des administrations fiscales y ont remédié en mobilisant plusieurs modes de communication. Les programmes de communication irlandais en sont l’un des nombreux exemples (Encadré 4.2). Une autre possibilité consiste à mener plusieurs campagnes par an, comme l’a fait l’administration fiscale malaisienne.
Modifier l’opinion de la population sur les impôts n’est pas tâche facile. Les programmes les plus probants, parmi ceux mis en œuvre par les administrations fiscales, sont ceux qui non seulement informent les contribuables de leurs droits et de leurs devoirs, mais le font sous une forme innovante. Cela consiste par exemple à expliquer aux contribuables, outre le fait qu’ils risquent des sanctions, les raisons pour lesquelles ils ont tout intérêt à payer des impôts. Ces programmes font appel à divers moyens de communication, adoptent une approche plus individualisée (visites et courriers personnels par exemple), ou organisent des campagnes d’incitation au civisme fiscal, comme des loteries et des actions de sensibilisation.
Encadré 4.2. Irlande : les programmes de communication de la Direction des impôts
Depuis 2016, la Direction générale des impôts irlandaise (« la Direction ») mène des programmes de communication d’envergure s’adressant aux particuliers et aux nouveaux contribuables. Cette démarche avait pour objectif, outre de les aider à respecter leurs obligations fiscales, de mieux leur faire comprendre la fiscalité en général, et de leur expliquer où trouver des renseignements utiles sur le site web et par l’intermédiaire du Centre d’assistance technique des services fiscaux en ligne.
Le programme a fait appel à différents instruments : une campagne médiatique globale, des informations complémentaires sur le site web, et des brochures et contacts directs avec certaines cohortes de contribuables. Les principaux messages rappelaient les délais à respecter, expliquaient comment utiliser les services en ligne et décrivaient la démarche à suivre pour bénéficier d’un report du délai de déclaration et de paiement.
La Direction a produit une série de courtes vidéos sur sa chaîne YouTube pour expliquer comment s’inscrire aux services en ligne et comment y déposer la déclaration de revenu. Ces vidéos se sont avérées une composante essentielle de sa campagne de communication et de publicité, et ont suscité des commentaires favorables. À ce jour, la vidéo qui explique comment s’inscrire aux services en ligne a été regardée plus de 28 000 fois.
La Direction a par ailleurs identifié et contacté des cohortes de contribuables (les nouveaux inscrits, ceux qui font appel à un mandataire et ceux qui déposent des déclarations sur papier par exemple) pour leur rappeler leurs obligations, encourager la déclaration en ligne (notamment l’accès aux déclarations préremplies) et les informer des vidéos et des informations figurant sur le site. Les renseignements ont été résumés à l’intention des organismes représentatifs et sectoriels, comme les organisations d’agriculteurs, les organismes de propriétaires et les services d’assistance aux nouvelles entreprises.
Les campagnes « Payez et déclarez » menées depuis 2016 se sont révélées très fructueuses à l’aune de plusieurs critères. Le volume d’appels téléphoniques pendant la période précédant la date limite de déclaration de revenus annuelle a diminué d’une année sur l’autre, un nombre grandissant de contribuables a téléchargé les déclarations préremplies et en 2018, pour la première fois, la Direction a reçu plus de 500 000 déclarations de revenus en ligne. Il ressort en outre d’une enquête menée auprès des travailleurs indépendants que 63 % d’entre eux connaissent les vidéos. Ils se sont également déclarés très satisfaits des informations publiées sur le site et ont jugé les vidéos, les informations et les contacts téléphoniques extrêmement utiles.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
La sous-section suivante présente les deux problèmes les plus couramment rencontrés par les administrations fiscales pour mettre en application les mesures visant à informer les contribuables et à leur expliquer la fiscalité, et quelques stratégies efficaces pour y remédier.
Communiquer un message clair
La terminologie joue un rôle déterminant dans ce type d’échanges avec les contribuables car elle peut faciliter la compréhension de sujets complexes
1ère solution - Des parcours usagers
L’administration fiscale norvégienne et l’Agence du revenu du Canada (ARC) se sont adaptées aux différents besoins de leurs publics en créant des parcours usagers - qui permettent de visualiser l’interaction optimale entre leurs services et les contribuables - et de tester la facilité d’utilisation de leurs services avec des représentants des publics ciblés. L’administration fiscale norvégienne a ainsi réussi à :
communiquer à certaines catégories de contribuables, les étrangers par exemple, les renseignements dont ils avaient besoin ;
réaliser des exercices d’évaluation des risques ;
simplifier et adapter le contenu de son site web et des publications destinées au public visé ;
mener des campagnes axées sur le public cible dans les centres des impôts et en ligne, y compris sur les réseaux sociaux.
2e solution - Des messages simples
La clé consiste à éviter le langage technique et à employer un vocabulaire simple et direct ; c’est pourquoi il convient de travailler en étroite coopération avec l’équipe responsable de la communication au sein de l'administration fiscale ou avec des partenaires extérieurs. Des guides ciblés, adaptés aux besoins des contribuables, peuvent compléter utilement l’accès aux codes juridiques et aux textes législatifs. Au Maroc, par exemple, l’administration fiscale intervient sur de nombreux réseaux sociaux et entretient quotidiennement des échanges avec les citoyens par la publication de vidéos et de messages leur expliquant en termes clairs les nouveautés fiscales, ainsi que leurs droits et obligations. Au Canada, l’ARC s’est engagée à utiliser un langage simple et a revu sa communication en conséquence. La Grèce publie de nombreux guides destinés à informer et à aider les contribuables.
L’élaboration de guides utiles s’inscrit dans le cadre de la discipline fiscale coopérative. L’axe essentiel en est le renforcement des relations entre l’administration fiscale et les contribuables, la première prenant envers les seconds un triple engagement de transparence, d’accessibilité et de réactivité.
M. KATSIPIS Ioannis, Directeur, Direction de la conformité fiscale, Autorité indépendante pour les recettes publiques (Grèce)
Rallier un soutien public
Pour que les campagnes d’information portent leurs fruits, les contribuables doivent y adhérer et prendre les mesures appropriées. Cette mobilisation est parfois difficile, la fiscalité n’étant pas toujours au centre de leurs préoccupations.
1ère solution - Des approches bienveillantes
Ces approches sont très efficaces en ce qu’elles suscitent une attitude constructive chez les contribuables. Il convient de garder à l’esprit, dans le cadre des échanges avec les citoyens, que le recours à des arguments comminatoires et autoritaires pour encourager le paiement spontané des impôts risque d’avoir des effets inverses à ceux escomptés.
2e solution - Des incitations
Plusieurs pays ont cherché à susciter les comportements souhaités. Comme indiqué à l’Encadré 4.1, l’administration fiscale slovène a créé une loterie pour inciter la population à vérifier les factures, démarche qui, à en juger par ses résultats, s’est avérée efficace.
4.2. Forger une relation solide et constructive avec les contribuables
De nombreuses administrations fiscales ont pour objectif d’instaurer une relation solide et constructive avec les contribuables. En Afrique, il apparaît qu’une perception plus positive de la légitimité de l’administration fiscale est l’élément le plus fortement corrélé à la disposition à payer des impôts (OECD, 2019[1]). Bon nombre de ces administrations font donc appel à des campagnes de communication pour modifier l’idée que les citoyens se font du système fiscal, mais sans les limiter à un sujet particulier. Les loteries, par exemple, suscitent l’intérêt des contribuables ; néanmoins, elles ne portent que sur un thème, et risquent de ne pas mobiliser longtemps leur attention.
Un moyen pour l’administration fiscale de bâtir une relation durable et constructive avec les contribuables est d’être présente dans leur vie quotidienne. Elle peut faire appel pour cela à des programmes télévisuels diffusés avant ou après le journal du soir, ou à des magazines qui présentent les questions fiscales sous une forme simple et ludique.
L’organisation de manifestations sur le thème du civisme fiscal est un autre moyen courant d’encourager le respect des obligations, surtout en période de déclaration. Ces manifestations, généralement annuelles, offrent à l’administration fiscale une bonne occasion de réunir les principales parties intéressées pour leur communiquer des messages sous une forme dynamique et plaisante. Souvent, elles supposent d’organiser d’activités récréatives pour les enfants et leurs parents, et d’apporter des renseignements et une assistance aux contribuables tout en se montrant disponible. Elles offrent l’occasion de féliciter les contribuables respectueux de leurs obligations, de remercier les agents de l’administration fiscale, et de mener des débats ouverts sur des questions fiscales.
4.2.1. Principales options pour les pouvoirs publics
Tisser des liens plus étroits avec les contribuables
L’intégration de la fiscalité dans la vie quotidienne peut rapprocher les contribuables de l’administration fiscale, et leur donner le sentiment que ses agents sont plus accessibles et compréhensifs. Dans plusieurs pays, principalement en Afrique, les services fiscaux conçoivent des programmes télévisuels consacrés à la fiscalité (Encadré 4.3).
La Direction générale des impôts et des domaines (DGID) du Sénégal diffuse une émission télévisée, « La minute DGID », sur la Radiodiffusion Télévision Sénégalaise (RTS), la plus importante chaîne de télévision publique. L’émission est diffusée deux fois tous les lundis : d’abord en wolof, la première langue nationale, à 19h30, après la principale édition du journal télévisé dans cette langue ; ensuite en français, juste après la principale édition du journal télévisé dans cette langue, à 20h00.
L’heure de diffusion choisie permet d’atteindre un très vaste public, à un moment où les individus sont chez eux et peut-être plus réceptifs au message. Pour élargir l’audience, son contenu est ensuite retransmis en ligne sur le site de la DGID.
Chaque édition du programme est conçue et présentée par un agent des impôts qui décide de son contenu. Une rotation hebdomadaire des présentateurs est assurée, ce qui permet de couvrir un large éventail de sujets et de répartir largement la charge de travail liée à la préparation de l’émission. Le Bureau de la communication et de la qualité y prend cependant toujours part du fait qu’il supervise la préparation des supports, la coordination du tournage et la validation du message.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Image : DGID Sénégal
Les magazines, qui peuvent également être distribués au domicile des contribuables, offrent un autre moyen d’établir ce type de relation ; c’est par exemple le cas du bulletin guinéen « Fisc‑Info » ou de la revue togolaise « OTR Actu ». Une fois imprimés et distribués, les exemplaires du magazine peuvent aboutir dans le salon et être lus par plusieurs membres de la famille, ou par les amis et parents en visite. Les bandes dessinées sont particulièrement utiles pour éveiller l’intérêt des enfants et des jeunes adultes, et pour présenter simplement des sujets complexes. On en trouve dans le magazine ou dans des publications spécialisées, comme la BD « Enfants patriotes » au Nigéria. Il est également possible de transmettre régulièrement des messages enregistrés par baladodiffusion, comme le fait la Direction générale des impôts d’Indonésie.
Les outils numériques sont une composante essentielle des méthodes éducatives visant à atteindre les jeunes générations. Une part toujours croissante de la vie se déroule en ligne, chez les jeunes générations notamment ; il faut donc mobiliser les jeunes par voie numérique, tant pour assurer l’accessibilité des programmes (surtout lorsqu’ils ne sont pas intégrés à l’enseignement scolaire) que pour promouvoir l’image d’une administration fiscale accessible, moderne et à la pointe de la technologie.
Les administrations fiscales expérimentent toute une gamme d’outils et de plateformes numériques innovants. Il s’agit par exemple de vidéos éducatives sur la fiscalité expliquant sous une forme ludique et simple les différentes catégories d’impôt et leur utilité (les vidéos Tax Facts au Royaume-Uni par exemple), ou encore de jeux en ligne interactifs illustrant en quoi les impôts agissent sur l’ensemble de la société (comme Spleiselaget en Norvège (Encadré 4.4), Taxcampus en Finlande et Madinati au Maroc). Des portails internet proposant du matériel pédagogique à l’intention des enfants ont également été mis au point (comme le portail TAXEDU de l’Union européenne et le Vergi Bilinci turc). Plusieurs administrations fiscales, conscientes de ce que le téléphone est l’instrument numérique privilégié d’une grande partie de la population, ont aussi créé des applications donnant accès à leurs outils (le Madinati marocain et le jeu Taxlandia de l’Union européenne par exemple). À l’extrémité la plus innovante du spectre, on trouve des approches comme le film d’animation publié par l’administration fiscale norvégienne sur YouTube, « Money Back on the Skætt », qui présente un rap sur les impôts.
Encadré 4.4. Norvège : le site web Spleiselaget, un jeu informatique et une conférence pour lutter contre l’économie parallèle
L’administration fiscale norvégienne (Skatteetaten) a choisi de mettre au point un jeu informatique pour expliquer aux élèves de l’enseignement secondaire les bienfaits de l’impôt, pour eux-mêmes, en tant qu’individus, et pour l’ensemble de la société. Le jeu n’est pas seulement une activité récréative, mais s’inscrit dans un programme d’études et vient compléter un ensemble d’exercices que l’enseignant peut utiliser en cours pour en prolonger l’effet. Il fait appel à la technologie du second écran, c’est-à-dire que les participants se connectent à la présentation au moyen de leur téléphone mobile, le contenu étant déterminé par les informations qu’ils transmettent.
L’une des questions porte par exemple sur l’économie informelle. L’application utilisée effectue des calculs fondés sur les réponses des participants afin de leur en montrer les conséquences, pour leur groupe et pour l’ensemble du pays. Par exemple, si les élèves effectuaient un travail non déclaré rémunéré X NOK, la Norvège perdrait X % de recettes fiscales qui auraient pu servir à financer le séjour en maison de retraite de X personnes ou le deuxième cycle de l’enseignement secondaire de X élèves.
Le jeu est réalisé dans le cadre d’un programme collaboratif dénommé « Samarbeid mot svart økonomi » (« Lutter ensemble contre l’économie souterraine ») auquel participent, outre l’administration fiscale norvégienne, des syndicats et des organismes patronaux, et s’emploie à démontrer en quoi le travail non déclaré et l’économie parallèle font du tort aux employeurs comme aux salariés.
Ce projet a produit des résultats extrêmement intéressants :
1. un jeu informatique destiné aux établissements secondaires, adapté à des objectifs de compétence dans plusieurs matières (études sociales, mathématiques, géographie, norvégien). Depuis sa parution en 2015, il est utilisé environ 50 000 fois par an ;
2. l’organisation par l’administration fiscale d’une conférence annuelle de 90 minutes, conçue pour le deuxième cycle de l’enseignement secondaire, également adaptée à des objectifs de compétence dans plusieurs matières ; quelque 600 « ambassadeurs » s’adressent ainsi chaque année à plus de 40 000 élèves.
3. Un site Internet a également été créé, qui peut être utilisé tel quel, ou en relation avec le jeu informatique ou la conférence.
On estime à 700 000 environ le nombre d’élèves ayant participé à cette initiative depuis 2014.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Il est indispensable de mettre à jour et de renouveler les outils numériques. Les tendances et technologies en ligne évoluent rapidement ; les administrations fiscales doivent en tenir compte, non seulement au lancement initial de l’outil, pour veiller à ce qu’il suscite l’engouement du public visé, mais aussi par la suite, en passant régulièrement les outils numériques en revue pour s’assurer qu’ils continuent à l’intéresser.
Organiser des manifestations pour réunir les contribuables autour du thème de la fiscalité
Les manifestations organisées par les administrations fiscales dépendent du pays et des ressources disponibles. Si toutes sont différentes, elles présentent de nombreux traits communs. Les trois plus courantes sont les suivantes :
les journées de la fiscalité, comme la Journée des contribuables au Rwanda, la Journée nationale du contribuable en Sierra Leone, la journée de la fiscalité en Indonésie, et bien d’autres encore ;
les semaines de la fiscalité, comme celle qui est organisée en Turquie (Encadré 4.5) ;
les salons, comme le salon de la fiscalité du revenu au Bangladesh (Encadré 4.6).
Ces événements peuvent être organisés en un lieu unique ou, plus souvent, en de multiples endroits, dans tout le pays. Les administrations fiscales sont souvent subdivisées en centres des impôts locaux, fréquemment chargés d’organiser à leur niveau les événements qui, ensemble, constituent une manifestation nationale.
Encadré 4.5. La semaine de la fiscalité en Turquie
En Turquie, la semaine de la fiscalité a lieu chaque année la dernière semaine de février. Elle a pour objectif de sensibiliser les enfants, les contribuables, et la population en général à cette question. Des campagnes sont alors menées dans tout le pays pour communiquer des messages forts invitant les citoyens à payer leurs impôts et les aider à lutter contre l’économie informelle. Elle mobilise la participation de 500 agents à l’échelle nationale.
Ses principales activités sont les suivantes :
visites aux contribuables sur leur lieu de travail pour recueillir leurs avis et leurs suggestions ;
visites aux organisations de la société civile pour recueillir leurs avis et leurs suggestions ;
mise en place de stands dans les universités pour communiquer aux étudiants des informations relatives à la fiscalité, aux dangers de l’emploi informel, aux perspectives de carrière, etc.
organisation de séminaires dans les universités ;
affiches visant à sensibiliser les enfants et le grand public à l’impôt.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Les échanges entre les administrations fiscales et les contribuables peuvent revêtir différentes formes durant ces manifestations. Celles-ci ont pour principal avantage de fournir un environnement accueillant qui favorise un dialogue ouvert. Elles peuvent viser des publics d’enfants et de parents, par exemple, ou d’autres, plus spécifiques, comme les entrepreneurs.
Les activités les plus couramment proposées sont les suivantes :
exposés de hauts fonctionnaires (ministres par exemple) expliquant l’idée qu’ils se font du pays et du rôle de la fiscalité ;
remise de prix aux contribuables respectueux de leurs obligations et aux agents particulièrement méritants ;
échanges avec les contribuables dans une atmosphère cordiale ;
distribution de brochures et de publications produites par l’administration fiscale ;
organisation d’activités durant les manifestions, comme des concours ou des jeux pour les enfants.
Ces manifestations sont de courte durée mais, en comparaison à d’autres initiatives, nécessitent un temps de préparation et des moyens importants. Les administrations fiscales supportent tous les risques et coûts liés à leur organisation. Les agents doivent consacrer un temps considérable à leur planification, à leur organisation et à leur réalisation. Les coûts logistiques peuvent être élevés, selon le pays et le programme. Certains pays, comme le Bangladesh, y consacrent des ressources substantielles (Encadré 4.6). D’autres exemples de manifestations de cette nature sont la Journée nationale du contribuable au Burundi, les Journées nationales de l’information au Sénégal et le Festival de culture citoyenne « Le nombre fait la force » au Guatemala.
Encadré 4.6. Bangladesh : les manifestations et le salon de l’impôt du Bureau national des recettes
Le Bureau national des recettes bangladais (National Board of Revenue, NBR) organise chaque année, en parallèle à la Journée nationale de l’impôt célébrée le 30 novembre, un salon de l’impôt sur le revenu qui dure une semaine. Celui-ci se déroule dans plusieurs localités, de sorte que les contribuables peuvent se rendre à la manifestation la plus proche de chez eux. Ces initiatives bénéficient du soutien de nombreux partenaires, notamment les médias, les établissements scolaires et universitaires, la société civile, les associations de fiscalistes, les organismes professionnels, les organismes et administrations publics.
Au cours de l’édition 2018, NBR a également attribué des prix aux plus gros et aux plus anciens contribuables à l’échelon des districts.
Les contribuables peuvent y obtenir gratuitement des services « d’assistance fiscale » personnels, assurés par des agents de l’administration fiscale. Ces services consistent à leur expliquer la déclaration de revenus, à les aider à l’établir et à calculer le montant de leur impôt.
Des informations en matière fiscale, notamment des formulaires et brochures, leur sont également fournies. Depuis 2018, NBR propose de nouveaux services, des formations à la fiscalité en distanciel par exemple. Les nouveaux contribuables peuvent également obtenir leur numéro d’identification fiscale électronique sur place.
Effet
Ces manifestations, dont le coût s’élève à 150 millions BDT (1.7 million USD) environ et mobilisent 3 000 employés, ont permis d’entrer en contact avec un million de personnes dans le pays.
Le Salon de l’impôt sur le revenu permet aux contribuables de s'acquitter de leurs obligations fiscales dans une ambiance festive. Agents de l’administration fiscale, contribuables, médias et participants de la société civile viennent tous s’y réunir dans la joie et la bonne humeur. Les contribuables adorent ça. »
Bazlul Kabir Bhuiyan (Commissaire des impôts – NBR du Bangladesh)
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Participation à d’autres manifestations pour rencontrer les contribuables
Partout, de nombreuses manifestations annuelles sont organisées dont le thème central n’est pas la fiscalité. Certaines offrent une tribune très adaptée aux services fiscaux, comme celles qui sont organisées à l’échelon national et parrainées par de hauts responsables du gouvernement. Il existe dans tous les pays un festival annuel de premier plan qui offre généralement à l’administration fiscale une bonne occasion d’intervenir. La Direction générale des impôts du Burkina Faso, par exemple, prend part à plusieurs manifestations tout au long de l’année (Encadré 4.7). L’administration fiscale peut aussi tenir des stands aux manifestations culturelles qui se tiennent dans le pays afin de communiquer des messages et des informations aux contribuables.
Encadré 4.7. Burkina Faso : participation à des manifestations annuelles
Au Burkina Faso, par exemple, la Direction générale des impôts participe à des manifestations nationales et internationales qui lui offrent un espace de communication où elle peut déployer les activités suivantes :
animation de stands au FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou), au Salon international de l’Artisanat de Ouagadougou, et à la Semaine nationale de la culture ;
présentation de films sur la culture fiscale au FESPACO ;
participation à la foire commerciale de la Maison de l’entreprise du Burkina Faso.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Ces manifestations sont utiles aux services fiscaux dans la mesure où elles accueillent généralement de nombreux visiteurs et leur donnent la possibilité de se mettre à la disposition du public. L’Encadré 4.8 ci-dessous décrit la participation fructueuse de l'administration fiscale uruguayenne à une manifestation nationale.
Encadré 4.8. Uruguay : participation à Expo Prado
Depuis 2005, la Direction générale des impôts (DGI) de l’Uruguay participe chaque année à Expo Prado, l’Exposition internationale de l’élevage et de l’agro-industrie commerciale. Depuis plus d’un siècle, cet événement prestigieux de douze jours est organisé tous les mois de septembre par l’Association rurale de l’Uruguay.
La DGI y tient un stand afin de promouvoir un projet éducatif destiné aux écoliers dans le but de les sensibiliser à la fiscalité et de favoriser la responsabilité civique.
En moyenne, 500 000 adultes et 50 000 enfants se rendent sur le stand de la DGI soit, pour une population de 3,5 millions d’habitants, une personne sur sept.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Les manifestations et salons offrent également la possibilité d’instaurer une collaboration avec des célébrités et des personnalités influentes pour diffuser des messages de fond sur la fiscalité et le renforcement du civisme fiscal. L’autorité fiscale nationale de la Sierra Leone, par exemple, a établi des partenariats avec des acteurs et musiciens célèbres qui se sont fait les chantres du civisme fiscal. Pour promouvoir le civisme fiscal, elle a ensuite sélectionné certains spectacles et concerts en fonction du nombreux public de jeunes contribuables qu’ils mobilisent.
4.2.2. Difficultés communes et solutions proposées
La population doit être informée de la manifestation pour s’y rendre
Lorsque les administrations fiscales participent à un événement existant, elles tirent généralement profit du large public que celui-ci peut mobiliser ; elles peuvent en revanche éprouver des difficultés à attirer des visiteurs quand elles organisent leur propre manifestation. Cette situation n’a rien de surprenant, toute nouvelle manifestation se heurtant à ce problème ; bien que cette difficulté s’atténue avec le temps, il existe des moyens d’y remédier.
1ère solution - Des campagnes d’information
Pour assurer une fréquentation élevée des manifestations et festivals consacrés à la fiscalité, une campagne d’information peut s’avérer utile. De fait, les services fiscaux peuvent faire appel à de nombreux instruments à cette fin. La manifestation peut être annoncée lors d’une émission télévisée régulièrement consacrée à ce thème, au cours d’un entretien avec le commissaire des impôts, ou sur les réseaux sociaux. Comme indiqué à la section précédente, le recours à plusieurs modes de communication produit les meilleurs résultats.
2e solution - Célébrités et personnalités influentes
Comme dans le cas du Nigéria, les célébrités et les personnalités influentes peuvent accroître le rayonnement de la manifestation lorsqu’elles conseillent à leurs admirateurs et à leurs fidèles de s’y rendre. Elles doivent toutefois être choisies avec soin. Leur discipline fiscale doit être irréprochable, et leur public correspondre à celui que visent les services fiscaux.
Surmonter les difficultés logistiques
Les administrations fiscales peuvent se heurter à des difficultés pour assurer la logistique nécessaire à l’accueil et au service de tous les participants.
1ère solution - Externaliser l’organisation des manifestations
Certaines administrations envisagent d’externaliser ces activités dans le cadre du festival qu’elles organisent. L’externalisation de l’organisation de manifestations, bien que jamais pratiquée à ce jour, peut réduire les problèmes logistiques. Cette option, quoique pratique, risque cependant d’augmenter les coûts.
2e solution - Manifestations existantes
Comme précédemment souligné, la participation à des événements existants offre un moyen de réduire les coûts puisqu’elle permet d’éviter la charge de travail liée à leur organisation. Lorsque l’administration fiscale estime qu’aucun évènement ne lui convient, elle peut envisager de s’associer à d’autres programmes d’éducation des contribuables pour en organiser conjointement. Cette démarche permet de partager les coûts et les efforts et de mettre en commun compétences et savoir-faire.
4.3. Une communication adaptée
Dans certains cas, la communication de masse, les manifestations, les émissions télévisées et les magazines ne permettent pas d’atteindre certaines catégories de la population, notamment les plus vulnérables ou isolées. Dans d’autres, il faudra adapter le message aux besoins et aux intérêts d’une catégorie précise de contribuables pour qu’il soit compris et accepté.
De nombreuses administrations fiscales adaptent leur communication à leur public ; certaines vont même plus loin en s’associant à des spécialistes externes (généralement des universitaires ou des chercheurs) pour mieux cerner celui-ci. Des méthodes scientifiques sont appliquées pour produire des informations utiles qui permettent aux services fiscaux d’adapter leur comportement à leurs contribuables, et aux chercheurs de mieux appréhender le fonctionnement de la société. Ainsi, des études sur la portée de différents messages adressés aux contribuables permettent de définir les stratégies de communication que les services fiscaux devraient adopter et offrent dans le même temps aux universitaires un éclairage unique sur la façon dont la population reçoit un message donné.
Les chercheurs étudient depuis des siècles le mode de vie des populations. Ils ont accumulé une somme appréciable d’informations et de connaissances dont les administrations fiscales peuvent tirer profit. Eux-mêmes sont généralement désireux d’élargir leurs activités à de nouveaux champs et sont à ce titre intéressés par la capacité des administrations fiscales à mener des études d’envergure. Cette situation crée des synergies fructueuses qui produisent des connaissances nouvelles et intéressantes.
4.3.1. Principales options pour les pouvoirs publics
Communication avec des catégories particulières de contribuables
Une stratégie potentiellement efficace pour aider les contribuables et, dans le même temps, relever le niveau de civisme fiscal, consiste à cibler certaines catégories de la population et à leur fournir des informations adaptées. Il s’agira par exemple de conseils pour remplir la déclaration de revenus et d’explications sur les revenus à déclarer. Le groupe visé peut être constitué de n’importe quel sous-ensemble de la population présentant des besoins particuliers, comme les nouveaux entrepreneurs et les nouveaux contribuables. C’est l’approche qu’a retenue la Direction générale des impôts d’Irlande, qui organise un programme de communication destiné aux contribuables à l’impôt sur le revenu, aux nouveaux contribuables et aux contribuables assujettis au prélèvement à la source.
Les nouveaux entrepreneurs sont une population couramment visée par les administrations fiscales, qui les informent de leurs obligations fiscales. L’administration fiscale finnoise, par exemple, contacte par téléphone les entreprises nouvellement constituées pour leur expliquer comment et quand déposer leur déclaration et payer leurs impôts. L’autorité fiscale et douanière du Portugal renseigne aussi les nouveaux entrepreneurs par courriel.
D’autres catégories de contribuables ciblées par l’administration fiscale sont les commissaires aux comptes, les propriétaires fonciers et les travailleurs étrangers ; ce dernier groupe, qui constitue par exemple un secteur important de l’économie norvégienne, bénéfice des informations et des conseils professionnels de l’administration fiscale de ce pays. Celle-ci a recruté deux responsables linguistiques afin que les demandes de renseignement adressées en anglais à l’administration puissent toujours être traitées dans cette langue.
Les administrations fiscales cherchent aussi à s’assurer que chacun a accès aux renseignements nécessaires, en particulier les contribuables les plus précaires. L’Office togolais des recettes (OTR) organise, par exemple, des campagnes de sensibilisation pour renforcer la discipline fiscale de la population, avec l’appui financier de la Banque africaine de développement (Encadré 4.9).
Encadré 4.9. Togo : sensibiliser la population locale au civisme fiscal
Dans le cadre du programme « Sensibilisation de proximité des contribuables et du grand public au civisme fiscal », l’Office togolais des recettes (OTR) organise des manifestations à l’échelon local.
Celles-ci peuvent revêtir la forme de réunions auxquelles participent divers agents des administrations fiscale et douanière, et se tenir sur la place du marché du quartier sélectionné. Ce ne sont pas les contribuables qui viennent consulter les services fiscaux, mais les services fiscaux qui vont à eux.
Le public est informé des manifestations par la radio, la télévision, la presse écrite et par des invitations. Des séances d’information et de sensibilisation sont organisées sous forme interactive dans les langues locales afin de faciliter la compréhension de tous. Des sketchs sont présentés pour mieux expliquer les concepts à la population.
La Banque africaine de développement a apporté un soutien financier au programme pendant plusieurs années, mais celui-ci fonctionne désormais sans aucune aide. Plus de 70 000 personnes en ont bénéficié.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Image : OTR (Togo)
Une autre stratégie consiste à organiser des séances d’information sur les pages officielles de l’administration fiscale sur les réseaux sociaux, comme l’a fait l’Agence roumaine de l’administration fiscale (NAFA). La NAFA a lancé ce programme suite à une enquête qui a montré que tous les contribuables n’utilisent pas les canaux numériques (sites web par exemple) pour déposer leur déclaration de revenus ou s’informer sur les dispositions fiscales. Suite aux réponses à l’enquête, la NAFA a également pris note que grâce à la traduction instantanée, qui permet aux usagers de prendre connaissance des informations dans la langue de leur choix, il était possible de communiquer avec les contribuables partout dans le monde et d’éviter ainsi la mésinformation.
Utiliser les apports de la science comportementale pour encourager la discipline fiscale
Les acquis des sciences comportementales peuvent renforcer la portée des messages adressés aux contribuables. Ses enseignements ont été amplement exploités et évalués dans le domaine des lettres de rappel aux débiteurs. Il apparaît que la modification du format « type » de ces courriers, leur simplification et l’intégration de messages évoquant par exemple les normes sociales et faisant référence à un comportement minoritaire ont pour effet d’améliorer la réactivité des débiteurs et d’accroître le montant des recettes recouvrées.
Mascagni et al. (2017[2]) ont mené une expérience au Rwanda, en partenariat avec l’Office rwandais des recettes (RRA), dans le cadre d’un projet sur le civisme fiscal conduit par le Forum de l’administration fiscale africaine (ATAF) et le Centre international pour la fiscalité et le développement (ICTD). L’expérience n’a pas seulement porté sur le contenu des messages, mais aussi sur les moyens par lesquels ils étaient transmis afin de définir la méthode la plus opérante - rappel par courriel, par la poste ou par SMS. Il en est principalement ressorti que les méthodes fondées sur la persuasion amènent plus efficacement les contribuables à remplir leurs obligations que celles fondées sur la dissuasion. Les messages expliquant les avantages de la fiscalité (« En payant vos impôts, vous nous permettez d’éduquer nos enfants, de financer nos soins de santé, et d’assurer notre protection. Payez vos impôts. Bâtissez le Rwanda. Soyez fiers. ») et les rappels discrets (« La période de déclaration court jusqu’au 31 mars 2016 ») ont obtenu de meilleurs résultats que les messages préventifs (« Payez vos impôts en temps voulu et évitez amendes et sanctions »). L’étude a par ailleurs constaté que les courriels étaient le mode de communication le plus opérant, suivis des lettres et des SMS. L’un dans l’autre, l’expérience s’est traduite par une augmentation du taux de discipline fiscale comprise entre 16 % et 23,7 % (et une hausse du montant des impôts perçus de 6,8 milliards RWF, soit 8,3 millions USD environ).
Au Royaume-Uni, Hallsworth et al. (2017[3]) ont conduit deux expériences de terrain dont la première a permis de recouvrer 4,9 millions GBP au cours des 23 premiers jours, et la seconde 9,3 millions GBP. Les messages qui se sont révélés les plus efficaces dans les courriers de rappel sont ceux qui évoquaient une norme sociale et, surtout, attiraient l’attention sur la minorité qui ne la respectait pas (« Neuf personnes sur dix au Royaume-Uni paient leurs impôts en temps voulu. Vous faites actuellement partie de la très faible minorité de contribuables qui ne les ont pas encore payés. »). Les auteurs en ont conclu « qu’une approche incorporant les coûts moraux à la communication avec les contribuables présente un intérêt. Il est possible d’accroître ces coûts par des messages faisant allusion aux normes sociales (injonctifs et descriptifs), aux services publics et au devoir moral » (Hallsworth et al., 2017, p. 26[3]). Des expériences similaires ont été conduites en Belgique (Encadré 4.10).
Brockmeyer et al. (2019[4]) ont étudié une campagne menée au Costa Rica, où l’administration fiscale a adressé aux entreprises non déclarantes des courriels les invitant à déposer leur déclaration de résultat. La rédaction des messages s’est fondée sur les enseignements pertinents de la psychologie comportementale : ils ont été personnalisés et simplifiés, contenaient un appel à l’action dans un délai immédiat, fournissaient un lien au formulaire de déclaration et évoquaient les normes sociales (« Huit [contribuables] costariciens sur dix ont déposé leur déclaration de revenus pour 2014 »). Les auteurs ont constaté une progression de 21 % du taux de déclaration et une hausse de 15 USD du montant versé suite à leur envoi.
Ces résultats sont extrêmement utiles. Ils démontrent d’une part que les approches incitatives fondées sur des méthodes de recherche permettent de renforcer le civisme fiscal et que des messages inspirés des acquis de la science comportementale parviennent à sensibiliser le contribuable. Elles sont d’autre part extrêmement économiques et offrent aux administrations fiscales un moyen commode d’accélérer et d’augmenter les paiements, et de donner une image favorable de leurs services. Selon les termes de Mick Moore,
« Ces nouvelles techniques sont ingénieuses. Leur utilisation fait paraître les gouvernements intelligents, mais peut de fait les rendre plus intelligents, tout au moins lorsqu’il s’agit de communiquer avec les contribuables. Les États peuvent percevoir un surcroît de recettes en incitant les contribuables à mieux respecter leurs obligations, sans pour autant les irriter ou les troubler - et même, peut-être, en suscitant chez eux une légère empathie à l’égard des percepteurs. » (Moore, 2019[5]).
L’avantage de la collaboration avec des universitaires tient à ce que les expériences et, dans ce cas, les essais contrôlés randomisés, permettent de définir aisément quelle approche est la plus adaptée au public visé et, partant, celle qui aura l’incidence la plus forte. Des vérifications sont également indispensables pour voir si les effets des interventions sont de courte durée ou s’ils se prolongent, même à plus long terme. Qui plus est, le soutien des chercheurs à la conception et à l’évaluation du projet n’a pas de prix pour une administration fiscale.
Encadré 4.10. Belgique : le recours à des messages de sensibilisation à l’intérêt général
Dans le cadre d’un projet scientifique mené en collaboration avec des spécialistes en économie comportementale, le Service public fédéral Finances (SPF Finance) a expérimenté l’envoi de lettres faisant appel aux apports de cette discipline à un groupe cible de contribuables à l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
Ces courriers rappelaient à ceux qui avaient laissé passer le délai de déclaration ou de paiement qu’ils devaient déposer leur déclaration de revenus ; certains contenaient des messages de sensibilisation à l’intérêt général mentionnant les services fournis grâce aux impôts.
Cette collaboration s’est traduite par une série de cinq expériences conduites entre 2014 et 2016, dont la conclusion essentielle a été que la simplification des courriers de rappel envoyés aux contribuables améliore le civisme fiscal (De Neve et al., 2021[6]). La simplification consistait dans ce cas en des lettres plus courtes, contenant moins d’informations et attirant l’attention du contribuable sur l’action escomptée de sa part. Les lettres simplifiées auraient permis de recouvrer 3,84 millions EUR, soit 50 fois le coût du projet (80 000 EUR) (De Neve et al., 2021[6]).
Outre l’amélioration du civisme fiscal et le paiement des impôts en temps voulu, l’objectif du SPF Finance était de sensibiliser les contribuables à la façon dont leur argent est dépensé et de faire disparaître le hiatus perçu entre les impôts versés et les services fournis en contrepartie. C’est pourquoi les courriers comportaient des graphiques illustrant la répartition des dépenses fiscales. Dans sa réponse à l’enquête de l’OCDE, la Belgique a observé que même si aucune incidence directe des messages évoquant l’intérêt public sur le respect des obligations fiscales n’a été constatée dans l’immédiat, la sensibilisation ainsi exercée a des effets bénéfiques sur le civisme fiscal et pourrait avoir des retombées favorables à long terme.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Le recours aux études ethnographiques pour améliorer les méthodes de communication
La recherche ethnographique est une autre méthode scientifique susceptible d’apporter des éclairages essentiels sur les besoins de certaines catégories de contribuables (Encadré 4.11). Elle peut procurer des informations détaillées que les données chiffrées ne fournissent pas. Elle peut par exemple contribuer à l’analyse approfondie de la dynamique de l’économie parallèle, ou mettre en évidence les besoins essentiels de certaines catégories de contribuables. De fait, elle fournit des informations précieuses sur le comportement des contribuables et permet aux administrations fiscales de mieux les connaître, mais aussi de mesurer l’effet des mesures appliquées et de comprendre les raisons qui expliquent leur réussite ou leur échec.
Le recours à l’ethnographie exige des moyens spécifiques. Les administrations fiscales doivent comprendre le fonctionnement de la recherche ethnographique et définir clairement ce qu’elles attendent et n’attendent pas des chercheurs. Elles doivent être en mesure d’expliquer le résultat qu’elles souhaitent obtenir dans le cadre de l’étude et consacrer des moyens financiers et logistiques au projet.
Encadré 4.11. Canada : les projets d’étude ethnographique
L’Agence du revenu du Canada (ARC) est l’une des administrations fiscales qui fait appel à l’ethnographie pour étayer sa communication (OECD, 2019[7]). Elle utilise les études ethnographiques pour se faire une idée plus précise de la situation de certaines catégories de contribuables, ceci dans l’objectif d’améliorer les services qu’elle leur dispense. Les méthodes employées - notamment l’immersion, l’observation des participants et les entretiens semi-structurés ‑ visent à recueillir des données granulaires apportant des éclairages sur le vécu et le comportement des citoyens.
Les trois projets menés à ce jour ont porté sur les catégories suivantes :
les petites entreprises ;
les personnes sans abri et en situation de logement précaire ;
les nouveaux arrivants vulnérables.
Leurs résultats ont permis à l’ARC d’améliorer ses méthodes de communication et les services qu’elle fournit à ces populations. Ainsi, plus consciente des obstacles auxquels les personnes sans-abri sont confrontées pour obtenir des prestations, elle a pu mettre au point des outils de communication adaptés à leurs besoins.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
4.3.2. Difficultés communes et solutions proposées
Cibler soigneusement les publics
Les administrations fiscales doivent en priorité optimiser la portée des campagnes d’information pour que les messages adressés aux contribuables ne passent pas inaperçus. Certains segments de la population, qui ont rarement été en contact avec elles, appellent une attention particulière. Dans de nombreux pays, des campagnes innovantes visant ces catégories de contribuables s’imposent.
1ère solution - Contacts directs
La solution la plus courante à ce problème consiste aller à la rencontre des contribuables. Les unités mobiles, par exemple, permettent d’entrer en contact avec eux et de les informer de leurs droits et obligations fiscales, comme on le verra au chapitre 5.2.
2e solution - Des partenariats
Outre les modes de communication habituels des services fiscaux - sites web, réseaux sociaux, et centre des impôts - il est parfois utile de confier la diffusion de l’information à d’autres organismes. C’est ce que fait l’Administration fiscale de la République de Slovénie, qui a travaillé en collaboration avec le Bureau de communication du gouvernement au cours de la première année d’une campagne incitant la population à vérifier les factures.
Secret fiscal
Les chercheurs ont parfois besoin de renseignements couverts par le secret fiscal pour réaliser leurs études. C’est là un point important car la violation du secret fiscal peut donner lieu à des poursuites.
1ère solution - Concevoir les études de manière à éviter le problème du secret fiscal
Pour parer à ce problème, les chercheurs et les services fiscaux doivent déterminer ensemble le champ de l’étude. Des réunions préalables doivent être organisées afin de définir le type de renseignements nécessaires pour que l’étude produise des résultats utiles aux administrations fiscales comme aux milieux de la recherche.
2e solution - Collecte d’informations réalisée par l’administration fiscale pour le compte du chercheur
Dans le cadre d’un protocole d’étude, les chercheurs peuvent mettre au point des outils quantitatifs ou qualitatifs, des questionnaires par exemple, dont les services fiscaux assureront l’administration. Ces derniers peuvent sélectionner les contribuables pertinents au moyen des informations couvertes par le secret fiscal, leur envoyer le questionnaire, recueillir les réponses et établir des résultats anonymisés sous la forme convenue avec le chercheur.
4.4. Impact
L’évaluation est une composante importante de chaque initiative car elle est l’unique moyen d’en définir les retombées. Sont-elles positives ? Certaines sont-elles indésirables ? Quelle est leur ampleur ? Les contribuables en sont-ils satisfaits ?
Les initiatives décrites ici visent à obtenir des effets bénéfiques directs à court terme, parfois sur une très grande échelle, ce qui rend l’évaluation de leur impact difficile. Seul un petit nombre d’entre elles ont bénéficié d’évaluations formelles. Ainsi, alors que dix des 27 campagnes d’information ont fait l’objet d’une évaluation, deux seulement ont été conduites par des organismes externes, soit moins d’un quart.
Les évaluations servent souvent à recueillir des données chiffrées, comme l’audience d’une émission télévisée ou le nombre de brochures distribuées au cours d’une manifestation. Celle portant sur le projet irlandais PAYE (Encadré 4.12), par exemple, a permis de mesurer les effets directs à court terme. Néanmoins, elle ne suffira sans doute pas à mesurer pleinement l’efficacité du programme, ses autres retombées éventuelles, et la façon dont il est perçu par les contribuables.
Il faut prévoir l’évaluation des retombées d’un programme. Il convient, lors de la conception d’un programme, de définir les outils nécessaires pour apprécier son efficacité. L’évaluation est une activité en soi, à laquelle des ressources doivent être consacrées.
4.4.1. Une population mieux informée et plus respectueuse de ses obligations
Bon nombre des initiatives décrites dans ce chapitre ont donné lieu à une amélioration remarquable de la culture fiscale des contribuables et de leur disposition à respecter spontanément leurs obligations. Les initiatives mises en œuvre par l’Office togolais des recettes (OTR) se sont traduites par une diminution du taux de non-observation des obligations fiscales et une consolidation de ses liens avec les contribuables, les craintes de ces derniers à son égard s’étant dissipées. L’Administration fiscale norvégienne a noté, dans sa réponse à l’enquête, que l’évaluation de ses initiatives a confirmé la réalisation de ses principaux objectifs, à savoir la diffusion d’informations et de conseils professionnels en vue d’offrir des services de qualité, d’informer, d’éduquer et de promouvoir une culture du civisme fiscal.
Ces programmes ont aussi des effets cumulatifs, car des échanges constructifs avec les contribuables permettent d’assurer une relation durable et permanente avec eux. L’Agence fiscale suédoise a ainsi constaté qu’après avoir communiqué aux nouvelles entreprises des informations concernant les obligations relatives aux déclarations à effectuer et la démarche à suivre à cet effet, 99 % des participants à une enquête ont déclaré qu’ils s’appuieraient sur cette documentation pour créer leur entreprise.
Encadré 4.12. Irlande : un courrier aux contribuables assujettis à la retenue à la source (PAYE)
L’administration fiscale irlandaise a mis en place un programme de communication annuel destiné aux contribuables PAYE (assujettis à la retenue à la source). Depuis 2016, elle adresse chaque année un courrier à plus de 125 000 de ces derniers pour les conseiller sur les divers crédits et allégements fiscaux existants, leur rappeler le délai réglementaire de quatre ans durant lequel ils peuvent faire valoir leurs droits et leur signaler qu’ils doivent informer l’administration fiscale de toute source de revenu complémentaire éventuelle. Pour annoncer la campagne, elle a publié un communiqué de presse et l’a diffusé à travers les journaux et stations de radio.
L’administration fiscale a choisi le contact par courrier parce que la majorité de ces contribuables n’étaient pas inscrits à ses services en ligne. Les destinataires ont été sélectionnés à partir d’une analyse de leurs comportements antérieurs - des lettres ont notamment été adressées aux contribuables qui avaient payé des impôts les quatre années précédentes mais n’avaient demandé ni allégement ni crédit d’impôt, ou n’avaient pas déclaré de revenu complémentaire. La lettre soulignait par ailleurs les avantages que présentent les services en ligne pour demander des crédits et allégements fiscaux, et expliquait la démarche à suivre pour s’y inscrire.
L’administration fiscale a relevé qu’avant cette initiative, aucun des contribuables ciblés n’avait pris contact avec elle depuis plus de quatre ans. Bien que l’on ne puisse affirmer que tous les échanges ultérieurs à ce courrier en sont la conséquence directe et exclusive, on peut raisonnablement supposer que, sans lui, la plupart des contribuables de cette catégorie n’auraient pas soumis de réclamation ni déclaré de revenu supplémentaire.
Le courrier de 2016
Dans les six mois qui ont suivi son envoi, 15 % des destinataires ont demandé un réexamen de leurs impôts, réclamé des crédits, allègements ou exemptions, ou déclaré des revenus supplémentaires.
Au total, 27,6 millions EUR ont été remboursés ou crédités aux contribuables suite à ces réclamations.
L’administration fiscale a perçu 1,2 million EUR au titre des revenus supplémentaires déclarés.
Le nombre de contribuables inscrits aux services en ligne parmi les destinataires du courrier a augmenté de 26 %.
Le courrier de 2017
Dans les six mois qui ont suivi son envoi, 14,5 % des destinataires ont demandé un réexamen de leurs impôts, réclamé des crédits, allègements ou exemptions, ou déclaré des revenus supplémentaires.
Au total, 27,8 millions EUR ont été remboursés ou crédités aux contribuables suite à ces réclamations.
L’administration fiscale a perçu 0,95 million EUR au titre des revenus supplémentaires déclarés.
Le nombre de contribuables inscrits aux services en ligne parmi les destinataires du courrier a augmenté de 19 %.
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
4.4.2. Améliorer les relations avec les contribuables grâce à des méthodes scientifiques
Lorsque les services fiscaux font appel à des méthodes scientifiques pour améliorer leurs relations avec les contribuables, le résultat est double. Comme précédemment indiqué, c’est d’abord pour eux un moyen d’augmenter leurs recettes. Par ailleurs, ils acquièrent une connaissance approfondie de la population nationale ; les chercheurs tirent profit de ce savoir, et peuvent axer leur étude sur des groupes bien définis.
Les approches scientifiques présentent l’avantage d’intégrer les outils d’évaluation à la méthodologie. Comme indiqué supra, elles ont obtenu des résultats substantiels en matière de recouvrement des impôts. Elles sont aussi un moyen pour les services fiscaux d’appuyer la recherche nationale en offrant de nouveaux créneaux aux chercheurs.
Cela dit, leur utilisation est récente, et il est encore trop tôt pour en évaluer les résultats à long terme. Cette constatation n’amoindrit en rien les avantages qu’elles offrent à court terme, mais des études longitudinales de leurs conclusions s’imposent.
4.4.3. Une opinion plus favorable de l’administration fiscale
La communication de messages adaptés aux contribuables peut améliorer l’idée qu’ils se font de l’administration fiscale. Il importe de communiquer avec les contribuables et de leur fournir toutes les informations dont ils ont besoin pour appréhender pleinement leurs droits et obligations et s’y conformer spontanément. Bon nombre des programmes décrits ont eu des répercussions favorables, non seulement sur le plan du civisme fiscal et des connaissances et compétences en la matière, mais aussi de l’image que les contribuables ont des autorités fiscales (et, partant, du gouvernement). L’administration fiscale du Burkina Faso a ainsi découvert, en participant à différentes manifestations organisées dans le pays, que certains contribuables redoutaient d’avoir affaire à elle. Ces manifestations ont été l’occasion idéale de remédier à cette situation.
L’incidence des manifestations et des salons est difficile à évaluer, car la collecte de données concrètes à ce sujet est parfois problématique. Les administrations fiscales doivent donc s’efforcer de mener davantage d’enquêtes pour obtenir des informations en retour et établir les profils des participants, et être ainsi en mesure d’entrer en contact avec les catégories de contribuables qui n’ont pas été correctement visées.
Les administrations fiscales estiment que les manifestations consacrées à la fiscalité ont une incidence positive sur la culture et le civisme fiscaux. Celles qui ont conduit ce type de programme ont constaté une amélioration de leur image. Les célébrités aussi exercent généralement une influence favorable sur leur public. Dans les pays en développement en particulier, les journées des contribuables peuvent mettre l’accent sur l’utilité des impôts, qui contribuent au développement du pays. Les manifestations et festivals organisés avant la date limite de déclaration des revenus peuvent contribuer à élargir l’assiette fiscale et à augmenter les recettes. Le Bureau national des recettes du Bangladesh, par exemple, a procédé à une évaluation interne du salon qu’il organise en se fondant sur les informations communiquées par ses agents, les contribuables et les parties prenantes, ainsi que sur les comptes rendus des médias. Il en a conclu que le salon a considérablement amélioré les connaissances des contribuables et renforcé leur sentiment d’une obligation morale à payer spontanément leurs impôts.
L’encadré 4.13 présente des déclarations d’administrations fiscales qui ont constaté une amélioration de leurs relations avec les contribuables après avoir mis en œuvre les programmes décrits dans ce chapitre.
Encadré 4.13. L’information des contribuables renforce la coopération
Grâce au programme, les contribuables se sont rendus compte que l’administration fiscale est à leurs côtés et toujours prête à les informer des nouveautés de la législation fiscale et à leur rappeler leurs obligations. (Liban)
Plusieurs résultats de l’enquête montrent que notre programme de communication a des retombées positives. Par exemple, un nombre substantiel de répondants se sont déclarés très satisfaits du contenu du site web pour remplir l’autodéclaration des revenus. De plus, 63 % d’entre eux étaient informés de l’existence de guides et de vidéos en ligne, et 80 % d’entre eux ont jugé les vidéos utiles. (Irlande)
Les observations que nous avons reçues en retour sont très favorables. Nous avons pris bonne note que nous devons encore simplifier la terminologie (par défaut très technique) utilisée dans le cadre de la communication avec le contribuable. Notre présence est très appréciée parce qu’elle est le signe d’une plus grande proximité, d’une plus grande transparence et d’une plus grande fiabilité. (Portugal)
Les programmes ont permis de consolider les relations entre l’administration fiscale et les contribuables. (Togo)
Notre présence sur les réseaux sociaux montre clairement que l’administration fiscale s’efforce de nouer des liens plus étroits avec les citoyens. (Maroc)
Source : Enquête de l’OCDE sur les initiatives en faveur de l’éducation des contribuables
Références
[4] Brockmeyer, A. et al. (2019), « Casting a Wider Tax Net: Experimental Evidence from Costa Rica », American Economic Journal: Economic Policy, vol. 11/3, pp. 55-87, http://dx.doi.org/10.1257/POL.20160589.
[6] De Neve, J. et al. (2021), « How to improve tax compliance? Evidence from population-wide experiments in Belgium », Journal of Political Economy, vol. 129/5, pp. 1425-1463, http://dx.doi.org/10.1086/713096/ASSET/IMAGES/LARGE/FG5.JPEG.
[3] Hallsworth, M. et al. (2017), « The behavioralist as tax collector: Using natural field experiments to enhance tax compliance », Journal of Public Economics, vol. 148, pp. 14-31, http://dx.doi.org/10.1016/J.JPUBECO.2017.02.003.
[2] Mascagni, G., C. Nell et N. Monkam (2017), One Size Does Not Fit All: A Field Experiment on the Drivers of Tax Compliance and Delivery Methods in Rwanda.
[5] Moore, M. (2019), Intelligent Government: How Research Can Help Increase Tax Compliance.
[7] OECD (2019), Tax Administration 2019 : Comparative Information on OECD and other Advanced and Emerging Economies, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/74d162b6-en.
[1] OECD (2019), Tax Morale : What Drives People and Businesses to Pay Tax?, OECD Publishing, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/f3d8ea10-en.
Note
← 1. Elle peut être consultée à l’adresse suivante : https://www.aquoiserventmesimpots.gouv.fr/