Ce chapitre introductif présente une vue d’ensemble des 12 grandes tendances qui façonnent le paysage de la fragilité en 2018. L’exposé de la première tendance plante le décor en proposant une synthèse de la compréhension conceptuelle de la fragilité, telle qu’elle existe aujourd’hui et telle qu’elle a évolué dans le temps. L’examen de cette question ainsi que des 11 autres tendances détaillées dans ce chapitre montre la pluralité et la diversité des facteurs qui influent sur la fragilité et qui sont influencés par elle. Conjointement, ces 12 tendances prouvent combien il importe de remédier à la fragilité dans toutes ses multiples dimensions. Elles montrent aussi l’importance de concilier deux nécessités : reconnaître la complexité de la fragilité et traduire ce concept complexe en politiques et actions concrètes.
États de fragilité 2018
Chapitre 1. Les grandes tendances qui façonnent actuellement le paysage de la fragilité
Abstract
La Direction de la coopération pour le développement (DCD) de l’OCDE produit depuis 2005 des rapports qui traitent de la fragilité. Les introductions de ces rapports, précédemment intitulés Rapports sur les États fragiles, commençaient généralement par expliquer en quoi les « États fragiles » importent. Il y a quelques années, l’OCDE a cessé d’employer l’appellation « États fragiles », consciente qu’une conceptualisation et une désignation plus larges de la fragilité – qui rendent compte des nombreuses nuances ou états de la fragilité – s’accordaient mieux avec l’universalité du monde de l’après-2015. Aujourd’hui, en 2018, il n’est plus nécessaire d’expliquer en quoi la fragilité importe.
De nos jours, en effet, la presse du monde entier se fait sans cesse l’écho des pires manifestations de la fragilité : conflits, terrorisme, homicides, pauvreté, déplacements forcés, catastrophes et famines. Cependant, nous ne devons pas nous préoccuper uniquement de ces expressions extrêmes de la fragilité car, au-delà des gros titres choquants, de nombreuses manifestations plus subtiles de la fragilité ont cours. De fait, il existe des pays et des contextes qui ne sont pas en crise, mais qui sont en retard dans la réalisation d’un développement équitable et durable et où la souffrance humaine atteint des niveaux inacceptables. Comme l’illustrent les différentes sections du présent chapitre consacrées aux tendances, ainsi que le reste du rapport, tous les niveaux de la fragilité importent, pas seulement les plus élevés.
Depuis 2014, ces rapports sont axés chaque année sur un sujet ou une thématique en particulier. Celui publié cette année n’est pas consacré à un sujet spécial mais revient à la fragilité proprement dite. Il se présente sous la forme d’une série de questions qui éclairent chaque chapitre et s’inscrivent dans une question globale unique. Comment la compréhension que l’on a de la complexité de la fragilité a-t-elle évolué, en particulier depuis l’introduction du Cadre multidimensionnel en 2016 ? Le chapitre 1 apporte les premiers éléments de réponse en présentant les grandes tendances qui façonnent actuellement le paysage de la fragilité.
Les 12 tendances exposées ici ne constituent en aucun cas une liste exhaustive. Il serait impossible de rendre compte de la multitude des facettes ou des angles de la fragilité dans un seul rapport. En outre, si de prime abord, ces tendances pourraient sembler aller de soi, chacune d’elles exprime en fait une nuance subtile de la fragilité. Elles montrent en cela l’importance de garder à l’esprit le fait que la fragilité peut démentir les postulats de base et défier les classifications simplistes.
Le rapport États de fragilité 2018 est organisé en dix chapitres conçus pour mettre en lumière les données et analyses qui seront utiles aux décideurs et aux praticiens lorsqu’ils envisagent leur engagement dans les contextes fragiles. Les chapitres 1, 2 et 3 font le point sur la fragilité dans le monde d’aujourd’hui. Les chapitres 4, 5, 6, 7 et 8 examinent les diverses formes de financement disponibles pour remédier à la fragilité. Les chapitres 9 et 10 s’appuient sur les constats des précédents chapitres pour déterminer si les approches actuelles en matière de financement et de programmes répondent aux besoins des contextes fragiles.
Ce rapport vise, tout d’abord, à veiller à ce que la fragilité demeure aux premiers rangs des priorités internationales en matière de développement. Il a également pour but d’assurer la poursuite des travaux sur le caractère multidimensionnel de la fragilité et sur ses implications pour une mobilisation plus efficace des ressources au service de la lutte contre la fragilité. Son troisième objectif est d’apporter des éléments d’appréciation de nature à mieux étayer la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) dans les environnements les plus difficiles.
1.1. Tendance no 1 : la fragilité continue de remettre en question les hypothèses
Sara Batmanglich, OCDE
La fragilité est depuis longtemps un concept mouvant dans l’agenda du développement. Le débat s’est chaque année légèrement déplacé – portant sur ce que la fragilité est et n’est pas, sur la façon dont il convient de la mesurer, et sur l’importance de ces questions pour y remédier. Le fait que la fragilité, en tant que cause et en tant que conséquence, remette en question un si grand nombre d’hypothèses et soit si difficile à cerner efficacement dans son intégralité a contribué à son caractère mouvant. Avec le temps, la connaissance et la prise de conscience de la complexité de la fragilité et des comportements qui y sont associés ont considérablement évolué. La réflexion sur la fragilité est ainsi devenue plus fine, de même que les réponses internationales à la fragilité. Cependant, cette reconnaissance croissante des nombreuses nuances, ou états, de la fragilité risque d’en faire plus un terme fourre-tout qu’un principe d’organisation utile. Ce rapport explore les façons les plus utiles de délimiter et différencier la fragilité afin de guider l’élaboration et la planification de mesures efficaces visant à y remédier.
Le Cadre multidimensionnel sur la fragilité, qui a été présenté dans le rapport États de fragilité 2016 : Comprendre la violence (OCDE, 2016[1]), est destiné à établir un juste équilibre entre la complexité inhérente à la fragilité et le degré de simplification nécessaire pour une élaboration des politiques et une prise de décision efficaces. Cet équilibre n’est pas facile à trouver, mais il est impératif. Pour ne pas être un exercice purement théorique, la classification de la fragilité doit toujours prendre en considération les implications qui en découlent pour la formulation des réponses programmatiques.
Cet équilibre faisait défaut aux premiers débats sur la fragilité. La fragilité était en effet essentiellement conçue comme une entrave au développement, et la réponse en matière de développement était formulée étroitement en termes de croissance économique. Ces hypothèses ont donné le jour au début des années 2000 à l’une des catégories d’« États fragiles » les plus connues, les pays à faible revenu en difficulté (LICUS) de la Banque mondiale1, et à la définition simple suivante de ces États formulée par l’OCDE : « États dans lesquels les pauvres ne disposent pas de services essentiels car les pouvoirs publics n’ont pas la volonté ou la capacité de les leur assurer » (OCDE, 2006, p. 147[2]). Cette approche ne permettait pas d’établir une distinction entre les caractéristiques intrinsèques de la fragilité et les conditions générales du sous-développement ni d’expliquer pourquoi certains pays pauvres étaient en proie à l’instabilité tandis que d’autres, en dépit de leur pauvreté, faisaient preuve de résilience et connaissaient la paix (Putzel, 2010[3]).
1.1.1. La fragilité est plus qu’une question de croissance économique
Les formes plus nuancées de la fragilité étant aujourd’hui mieux connues, il est désormais admis que le défaut de croissance économique n’est qu’un des nombreux vecteurs de la fragilité et que, par extension, la croissance économique ne constitue pas à elle seule la panacée en matière de fragilité. Cela se reflète dans l’apparition d’une nouvelle catégorie : les États à revenu intermédiaire fragiles ou en faillite (MIFFs) (The Economist, 2011[4]). Les données générées pour les besoins du présent rapport renforcent la pertinence de cette catégorie : 30 des 58 contextes identifiés dans le Cadre de 2018 sur la fragilité sont classés dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire. En outre, une récente comparaison montre qu’un contexte peut être fragile et néanmoins générer de la croissance économique et être considéré comme capable de réformes rapides (Whaites, 2017, p. 7[5]). Malgré tout, l’idée que la croissance est le remède miracle à la fragilité est difficile à battre en brèche. L’universalité de la fragilité est de plus en plus acceptée, mais il est encore supposé tacitement qu’un pays ou un contexte finira par trouver les moyens de se sortir de la fragilité.
Ce postulat conduit à continuer d’accorder une attention excessive à la réduction de la pauvreté et risque de ne pas faire prendre en compte les dynamiques qui perpétuent les poches de pauvreté dans les pays à revenu intermédiaire et qui, souvent, n’ont pourtant guère de rapport avec les ressources effectives. Le statut d’État à revenu intermédiaire modifie en outre la conception que les donneurs ont de leur engagement et les destinations géographiques où ils peuvent espérer raisonnablement avoir un impact positif (Sumner, 2013[6]). De plus, de récents débats ont mis en lumière les limites du postulat selon lequel le cercle vertueux de la croissance économique, du changement social et du développement institutionnel s’enclenchera automatiquement (Whaites, 2017[5]). En effet, de nouveaux risques graves apparaissent quand une croissance économique impressionnante et les attentes qui l’accompagnent ne se traduisent pas par des progrès à proportion en termes de distribution des revenus, de création d’emplois, de plus grandes possibilités de s’exprimer et d’un meilleur exercice de la redevabilité.
1.1.2. La fragilité est plus qu’une question d’institutions
L’idée d’une relation inverse entre des institutions fortes et la fragilité est également une des hypothèses initiales dont l’importance, rétrospectivement, s’est révélée surestimée. Elle est née du succès rencontré par la notion de renforcement de l’État et de l’importance cruciale attachée au renforcement des institutions, ce qui est également lié à l’élargissement de la définition de l’OCDE, qui fait évoluer la notion d’« État fragile » vers la notion d’un État « doté de faibles capacités pour assumer les fonctions essentielles de gouvernance et n’a pas la faculté de développer des relations constructives et mutuellement avantageuses avec la société » (OCDE, 2011, p. 11[7]). Cette vision de la fragilité centrée sur l’État accordait beaucoup d’importance à l’autorité, à la légitimité et aux capacités, mais abordait la gouvernance sous un angle formel. S’il est primordial de promouvoir le renforcement des institutions publiques faibles, toute approche de la fragilité doit cependant appréhender la gouvernance de façon plus large – au-delà des gouvernements – pour prendre en considération les nombreuses formes sous lesquelles les populations connaissent l’autorité, la légitimité et les capacités. La focalisation sur les relations verticales État-société, le premier étant généralement incarné par l’administration nationale/centrale, a eu tendance à minimiser l’importance des relations horizontales société-société et de la dynamique locale/municipale, qui ont un impact sur la dynamique au niveau de l’État tout entier. Qui plus est, l’accent mis précédemment sur le renforcement des institutions a conduit à une vision trop réductrice, axée sur l’État central et formel, et a éclipsé le rôle des citoyens et de la société dans l’édification de l’assise des institutions. Ne pas tenir compte de l’ensemble de la situation a souvent fait négliger certaines des raisons pour lesquelles des poches de fragilité persistent.
De même que la prospérité ne prémunit pas contre la fragilité, un État n’est pas non plus en mesure d’assurer suffisamment de services pour se sortir de la fragilité – une prise de conscience qui a conduit à nuancer davantage la conception que l’on se fait du rôle de l’État. Cette nouvelle approche prend acte de ce que la légitimité de l’État n’est pas fondée uniquement sur l’existence ou la démonstration de l’autorité et des capacités, par exemple via la fourniture de services, mais aussi sur un processus complexe animé par une multitude de facteurs (Secure Livelihoods Research Consortium, 2017, pp. 7-8[8]). Cela ne signifie pas qu’il n’est pas souhaitable d’avoir des institutions publiques fortes, capables de disposer d’une autorité, d’une légitimité et de capacités. Par contre, cela remet en question l’hypothèse simpliste selon laquelle la fragilité disparaîtra automatiquement une fois les institutions publiques renforcées. En fait, l’existence d’institutions de l’administration centrale relativement solides au sein de contextes par ailleurs fragiles peut offrir l’occasion d’user de l’autorité et des capacités dans le but de détourner les ressources et l’attention de déterminants politiques et sociétaux plus ancrés pouvant avoir une plus grande incidence sur la légitimité et la fragilité (Leclercq, 2016[9]). Cela se produit notamment lorsque certaines composantes d’un pouvoir autoritaire parviennent habilement à utiliser le discours sur le développement et l’appropriation locale pour mieux asseoir leur contrôle (Gisselquist, 2017, p. 1276[10]).
Les contextes qui peuvent être solides d’un point de vue institutionnel, mais intrinsèquement fragiles en raison de la manière dont ils assurent cette solidité, peuvent être qualifiés de colosses aux pieds d’argile. Par exemple, Kaplan (2014[11]) avertit que « penser qu’une stabilité manifeste témoigne d’une solidité ou d’une résilience bien ancrée a souvent valu des déconvenues à la communauté internationale ». Accorder une attention particulière aux institutions conduit en outre implicitement à examiner les types de régimes. Cependant, le phénomène dit des « démocraties violentes » – celles qui ont le statut de pays à revenu intermédiaire et dont les processus électoraux sont relativement crédibles, mais qui ont aussi des taux de violence élevés – a tempéré les attentes quant à ce qu’une démocratie peut faire lorsque d’autres problématiques sont ignorées ou occultées2. Cela ne signifie pas que la démocratie n’est pas souhaitable. En revanche, cela indique que les contextes fragiles ne sortent pas de la fragilité par les urnes.
1.1.3. La fragilité est plus qu’une question de conflits
Fragilité et conflits sont deux phénomènes étroitement liés. Un conflit est, et devrait assurément toujours être, une préoccupation majeure pour la communauté internationale. Cependant, un conflit n’explique pas à lui seul la fragilité. C’est pourquoi les 9 contextes extrêmement fragiles en proie à un conflit, sur les 15 premiers contextes extrêmement fragiles recensés dans le Cadre de 2018 sur la fragilité, ne devraient pas monopoliser l’attention de la communauté internationale ou détourner l’attention des acteurs du développement des situations de fragilité moins visibles qui méritent elles aussi que l’on s’y intéresse de près, quoique différemment. La souffrance humaine lors d’un conflit actif requiert à l’évidence une attention particulière. Cependant, les contextes pris au piège de la fragilité peuvent induire une souffrance prolongée et, par conséquent, exigent de l’attention.
Les contextes prisonniers de ce piège sont décrits comme étant dans une impasse, stagnants ou chroniquement fragiles. Ils ne sont pas tous semblables, pourtant, et leurs différences importent. Il convient de prendre en considération la durée de leur fragilité et d’établir une distinction entre ceux qui sont vraiment chroniquement fragiles et ceux qui connaissent une fragilité temporaire (Gisselquist, 2017, p. 1273[10]) – ou une transition qui pourrait être considérée comme un « moment de fragilité » et qui pourrait même durer des années (Kaplan, 2014, p. 49[11]). Il importe tout particulièrement d’identifier les transitions, car elles requièrent un soutien international fondamentalement différent et fournissent une occasion déterminante de favoriser pacifiquement le changement. Pour certains contextes extrêmement fragiles, en particulier ceux qui ont déjà connu un conflit, atteindre ne serait-ce qu’un point de « stagnation résiliente » serait souhaitable car, dans l’idéal, cela offre des possibilités d’encourager les fortunés et les puissants à se rendre compte des avantages qu’il y a à œuvrer activement en faveur d’un développement plus dynamique et plus généralisé (Putzel, 2010, p. 2[3]). D’où l’importance d’adapter non seulement les interventions à chaque contexte, mais aussi les attentes quant aux bénéfices et à la faisabilité.
1.1.4. Tous les niveaux de fragilité – pas seulement l’extrême fragilité – importent
Les contextes fragiles peuvent être considérés globalement comme les lieux qui ont été laissés pour compte, pour reprendre la terminologie du Programme de développement durable à l’horizon 2030. La sous-catégorie des contextes chroniquement fragiles peut donc être considérée comme regroupant les lieux qui ont été laissés pour compte même au sein de la catégorie plus large des contextes fragiles. Ces lieux connaissent différentes formes de boucles de rétroaction, et les conflits ne peuvent expliquer à eux seuls pourquoi certains contextes sont pris au piège de la fragilité alors que d’autres sont capables de sortir de la fragilité ou qu’elle est pour eux intermittente (Carment et Samy, 2017, p. 25[12]). En outre, ces lieux connaissent des progrès insuffisants, une croissance anémique, des réformes institutionnelles de pure forme et, parfois, des conflits durables de faible intensité. Ils peuvent faire preuve d’un dynamisme suffisant pour ne pas devenir encore plus instables ou retomber dans un conflit à grande échelle, mais insuffisant pour les rendre plus résilients, et ce malgré les investissements parfois considérables de la communauté internationale.
Au cours de la dernière décennie, 27 pays ont figuré régulièrement dans les rapports de l’OCDE sur la fragilité3 (voir Encadré 1.1). Parmi eux, 19 n’ont pas connu de conflit majeur durant cette période mais restent dans une situation de fragilité. Ces contextes ne font peut-être pas la une aussi souvent que d’autres contextes fragiles, en particulier ceux en situation de crise active, mais indépendamment du fait qu’ils sont dans l’ombre, ou pour cette raison, ils nécessitent un engagement durable de la part de la communauté du développement. Malheureusement, ce sont aussi des contextes qui peuvent être cités pour justifier l’hypothèse selon laquelle la fragilité est trop compliquée ou que l’on n’y peut rien et que, pour une multitude de raisons, certains lieux sont voués à rester fragiles à jamais. Or, inversement, ce sont également des contextes qui, s’ils disposaient de la bonne combinaison de ressources et d’attention, pourraient s’appuyer sur les progrès déjà accomplis, aussi modestes et statiques soient-ils, et sur les investissements substantiels déjà réalisés.
En outre, cette sous-catégorie des contextes chroniquement fragiles comptera à l’avenir selon toute vraisemblance davantage de lieux. Si, heureusement, nombre des conflits actifs aujourd’hui prendront fin, certains devraient persister à plus faible intensité et contribuer à entretenir la fragilité. On peut également s’attendre à ce que les fruits de la croissance économique mondiale échappent à maints contextes fragiles. Il faudra de la patience et un engagement à long terme pour soutenir un véritable changement générationnel, susceptible de prendre de 20 à 40 ans selon les estimations de banques de développement, et ces lieux continueront de peiner à surmonter leurs vulnérabilités pendant la période de transition (Ncube et Jones, 2013[13]). Espérer des changements plus profonds et plus rapides dans les environnements les plus difficiles, et en y consacrant moins de temps et moins de ressources adaptées, est l’ultime objectif illusoire du secteur du développement. Pourtant, c’est un objectif qui est poursuivi avec une étonnante fréquence.
Encadré 1.1. Contextes chroniquement fragiles
Depuis sa création, le rapport États de fragilité (auparavant dénommé Rapport sur les États fragiles) présente un instantané de l’état de fragilité à un moment T dans le monde. Une lecture rétrospective de ces rapports apporte en outre de précieuses indications sur certains des aspects temporels de la fragilité, sa durée et son évolution dans le temps.
L’étude des contextes considérés comme fragiles depuis le rapport de 2008, c’est-à-dire de ceux classés actuellement dans la catégorie « chroniquement fragiles », est très révélatrice. Plusieurs traits saillants sont à noter, en particulier pour quiconque cherche à mieux comprendre la complexité et la diversité de la fragilité et, en l’espèce, le casse-tête qu’elle constitue.
Depuis le rapport de 2008, 75 pays et contextes ont été considérés au moins une fois comme fragiles.
Sur ces 75 lieux, 27 sont chroniquement fragiles et ont figuré dans chacun des rapports depuis 2008 : Afghanistan, Burundi, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Comores, République démocratique populaire de Corée, République démocratique du Congo, Érythrée, Éthiopie, Guinée-Bissau, Haïti, Iraq, Kenya, Libéria, Myanmar, Niger, Nigéria, Pakistan, Sierra Leone, Îles Salomon, Somalie, Soudan, Timor-Leste, Ouganda, Yémen et Zimbabwe.
En 2016, l’aide publique au développement à ces 27 pays totalisait 35 milliards USD.
La plupart des contextes chroniquement fragiles (17) sont des économies à faible revenu. Neuf sont des économies à revenu intermédiaire et un (l’Iraq) est une économie à revenu intermédiaire de la tranche supérieure.
Depuis 2008, le Kenya, le Myanmar, le Nigéria, le Pakistan, les îles Salomon, le Soudan, le Timor-Leste et le Yémen sont passés de la catégorie des pays à faible revenu à celle des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. L’Iraq est entré dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure.
Parmi les contextes chroniquement fragiles, seuls l’Afghanistan et l’Iraq ont connu un conflit majeur durant la dernière décennie.
Sur 27 de ces pays, 19 n’ont pas connu de conflit majeur pendant la dernière décennie.
Les Comores, la Guinée-Bissau, Haïti, le Libéria et la Sierra Leone n’ont enregistré aucune mort au combat depuis 2008.
Sources : À partir de (Uppsala University, s.d.[14]), UCDP Definitions, http://www.pcr.uu.se/ research/ucdp/definitions/ ; (Banque mondiale, s.d.[15]), World Bank Country and Lending Groups (base de données), https://datahelpdesk.worldbank.org/knowledgebase/articles/906519-world-bank country-and-lending-groups.
1.1.5. Remédier à la fragilité exige de passer de la complexité et de la classification à la prise de mesures concrètes
La complexité de la fragilité devrait encourager, et non l’inverse, une réflexion nouvelle sur la meilleure façon de continuer à faire évoluer les connaissances et les approches programmatiques. La fragilité est un terme général qui recouvre à la fois des situations qui sont fragiles pour diverses raisons et plus ou moins résilientes pour diverses raisons. La fragilité se manifestera de façon très différente dans un petit État insulaire en développement et, par exemple, dans une poche à l’échelon infranational au sein d’un grand pays riche en ressources naturelles. De même, elle s’exprimera différemment dans un pays ayant connu un conflit pendant dix ans et, par exemple, dans un pays qui enregistre une croissance économique impressionnante mais n’a guère progressé sur la voie d’une croissance inclusive. Les acteurs extérieurs peuvent aussi avoir une incidence sur tous les types de fragilité. C’est ce qui est montré dans la section Tendance no12 : la fragilité est un problème complexe qui s’articule autour d’un système dual. Dès lors que ces acteurs deviennent une composante d’un système, ils influent sur lui et donnent par leurs actions les ressources et impulsions (ou freins) nécessaires au changement. Cela fait longtemps que l’hypothèse selon laquelle la fragilité peut être simplifiée ou isolée sous la forme d’une dynamique n’a plus d’utilité pour l’élaboration de mesures et programmes visant à y remédier.
Parallèlement, employer le degré de complexité analytique nécessaire sans pour autant nuancer la fragilité au point que cela n’ait plus d’utilité pour les praticiens sur le terrain est un exercice délicat. L’OCDE a présenté un Cadre multidimensionnel sur la fragilité qui définit la fragilité comme la conjonction de risques et de moyens d’adaptation dont l’interaction influe sur la façon dont la fragilité se manifeste. C’est une étape importante pour affiner les modalités d’évaluation de la fragilité et préciser les moyens d’y répondre. Mais ce n’est pas l’ultime étape de la classification de la fragilité, et les éléments contenus dans le Cadre ne doivent pas être les seuls à prendre en considération. S’il est bien une chose que la fragilité a démontrée de façon tangible, c’est que cette catégorie ne doit pas être prisonnière d’hypothèses ou idées reçues. Pour mettre au point des solutions pertinentes, concrètes et sur mesure permettant de répondre à la fragilité, il faut toujours conserver souplesse et créativité dans la façon de l’appréhender.
À l’avenir, l’OCDE continuera d’étudier la fragilité au moyen de différentes techniques de regroupement des contextes qui sont dans un état de fragilité similaire. L’Organisation continuera en outre d’étudier les trajectoires de fragilité et d’analyser les séries chronologiques afin de mieux comprendre, sous de multiples angles, le comportement de la fragilité et l’interaction des risques et capacités d’adaptation au fil du temps. Dans le cadre de cette approche, fondée sur l’utilisation de plusieurs méthodes, il importera également de mener une réflexion sur les résultats, notamment sur ceux qui constituent des anomalies, en procédant à une analyse qualitative plus approfondie tenant compte des caractéristiques historiques, culturelles et anthropologiques d’un contexte donné. Toutes ces caractéristiques contribuent à la trajectoire générale de la fragilité.
Une pression constante pousse à la simplification, que ce soit en la matière ou dans tout autre effort de compréhension d’un concept. Cependant, la leçon qui se dégage des efforts de compréhension et de classification de la fragilité est qu’il faudrait permettre au concept de fragilité de rester aussi complexe que nécessaire pour qu’il reflète fidèlement la réalité. Parallèlement, les décideurs et les praticiens auront besoin que cette analyse soit traduite en outils concrets et en recommandations claires qui constituent un mécanisme d’action et de réponse. Il existe aujourd’hui plusieurs cadres d’action sur lesquels s’appuyer pour mieux répondre à la fragilité ; il s’agit notamment des Principes d’engagement dans les États fragiles, de la Nouvelle donne pour l’engagement dans les États fragiles, du Programme de développement durable à l’horizon 2030, du programme de maintien de la paix et des initiatives mettant davantage l’accent sur la prévention. La prochaine tendance en matière de fragilité devrait donc consister à s’appuyer sur cet enrichissement du savoir et sur la dynamique enclenchée par les nouveaux programmes pour résoudre les problèmes les plus inextricables de la planète – en utilisant à cet effet des modèles d’action concrets qui rendent compte de la complexité et prennent en considération la spécificité du contexte tout en conservant une certaine simplicité.
1.2. Tendance no 2 : les contextes fragiles sont de plus en plus le champ de bataille des rivalités géopolitiques
Richard Gowan, Université des Nations Unies
Les rivalités et conflits régionaux et internationaux se manifestent de plus en plus dans les contextes fragiles. Les guerres ouvertes entre États restent rares, mais la distinction entre les conflits au sein d’un État et les conflits entre États s’estompe souvent de nos jours. Sur les 47 guerres intraétatiques enregistrées en 2016 par le Programme de données sur les conflits de l’Université d’Uppsala, 18 (38 %) étaient internationalisées, « au sens où des États extérieurs fournissaient en troupes une ou plusieurs parties au conflit » (Allansson, Melander et Themnér, 2017, p. 576[16]). Ce chiffre est exceptionnellement élevé par rapport aux niveaux atteints après la guerre froide (Graphique 1.1). En outre, il sous-estime sans doute le nombre des guerres civiles internationalisées car il ne comprend pas les conflits dans lesquels des acteurs extérieurs soutiennent les combattants en leur fournissant des armes, de l’argent ou des forces agissant pour leur compte et non leurs propres troupes.
Si de nombreuses études sur les contextes touchés par un conflit mettent aujourd’hui l’accent sur les dimensions locales et la dynamique des conflits à petite échelle, la tendance à l’internationalisation des guerres civiles présente de nouveaux défis inquiétants. Certains chercheurs estiment que les interventions extérieures rendent les conflits « beaucoup plus sanglants et plus longs que les guerres civiles non internationalisées » (Jenner et Popovic, 2017, p. 1[17]). Les acteurs extérieurs fournissent aux combattants des ressources supplémentaires en l’absence desquelles les conflits s’essouffleraient. De plus, ils compliquent le rétablissement de la paix en élargissant l’univers des intérêts et le nombre d’acteurs ayant un pouvoir de veto dans le cadre diplomatique, et peuvent faire obstacle aux efforts de médiation neutre (Jenner et Popovic, 2017, p. 1[17]).
Lorsque des puissances mondiales et régionales soutiennent des camps opposés dans une guerre civile, un conflit peut aussi avoir pour effet d’empoisonner les relations internationales en général et d’affaiblir les institutions internationales. La crise en République arabe syrienne (ci-après la « Syrie ») est la douloureuse illustration de toutes ces tendances depuis 2011. Avec la multiplication des puissances extérieures intervenant directement ou indirectement dans ce conflit multifronts, le Conseil de sécurité des Nations Unies s’est trouvé à maintes reprises dans une impasse quant à la résolution de la crise.
L’intervention d’acteurs extérieurs dans une guerre civile n’a pas toujours des conséquences négatives. L’intervention rapide de la France et de l’Afrique pour empêcher les djihadistes et les forces rebelles de s’emparer du Mali en 2013 a évité que la crise échappe à tout contrôle. Cependant, une guerre civile internationale prolongée est susceptible d’enclencher le cercle vicieux de la concurrence internationale, des violences graves et de l’échec de la diplomatie. Des cas historiques, comme l’intervention des États-Unis au Viet Nam et celle de l’Union soviétique en Afghanistan, montrent que pareil cercle vicieux peut grever considérablement les ressources et le capital politique d’un intervenant. Les décideurs internationaux doivent se demander pourquoi le nombre des guerres civiles internationalisées augmente et prendre des dispositions pour désamorcer et empêcher ces conflits particulièrement atroces.
Ces dispositions ne sont pas incompatibles avec des mesures visant à s’attaquer aux origines locales d’un conflit. Le meilleur moyen d’enrayer l’internationalisation d’une guerre civile consiste à supprimer dans le pays les sources potentielles de violence. Si le gouvernement syrien et l’opposition étaient parvenus à un accord en 2011, à l’époque où la violence et les ingérences extérieures étaient encore relativement limitées, le pays aurait pu ne pas sombrer dans le chaos et les conséquences internationales pernicieuses auraient pu être évitées. Il n’est jamais simple de juguler la violence une fois qu’elle a éclaté. Tout porte à croire qu’un nombre croissant de conflits civils s’internationaliseront, il est donc prioritaire de prévenir ou de contenir cette tendance.
1.2.1. À quoi l’internationalisation des conflits est-elle due ?
Il n’existe pas d’explication unique à la tendance croissante à l’internationalisation des guerres civiles, mais trois facteurs explicatifs sont à noter :
Un mauvais voisinage. Des études sur de précédentes guerres civiles internationalisées ont mis en évidence leur lien avec ce que l’on appelle la formation de conflits régionaux ou un mauvais voisinage. Les conflits intraétatiques émergent rarement indépendamment de la situation géographique. Ils naissent couramment dans des régions en proie à une faiblesse économique, des griefs ethniques, des réseaux criminels transfrontières et des luttes entre des pouvoirs locaux et/ou extérieurs pour la prédominance. Dans ces conditions, il arrive qu’un État soit à l’origine ou intervienne dans un conflit de voisinage pour s’assurer de ressources, étendre son influence ou se protéger contre les menaces réelles que les débordements de la violence constituent pour sa propre sécurité. Ces dernières années, le Moyen-Orient, le Sahel et l’Afrique centrale ont été les régions les plus touchées.
La menace du terrorisme transnational. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, bien des puissances sont intervenues dans des conflits à l’étranger pour faire cesser ou contenir ce qu’elles considèrent comme des menaces terroristes transnationales, en particulier les groupes djihadistes. Une révision de facto du concept d’autodéfense nationale l’a étendu aux frappes préventives contre les bases terroristes existantes et émergentes (Jenner et Popovic, 2017, pp. 4-5[17]). Cependant, la situation est compliquée par le fait que de nombreux groupes armés non étatiques sont fortement impliqués dans des conflits locaux. Les djihadistes profitent de la fragilité des États et des guerres civiles pour étendre leur influence et forger des alliances locales avec des forces moins idéologiques, et la frontière entre le contre-terrorisme et la participation active à une guerre civile est souvent floue ou inexistante (International Crisis Group, 2016[18]).
Les jeux de pouvoir géopolitiques. À l’heure où la puissance économique et militaire devient plus diffuse, les grandes rivalités entre puissances et les luttes régionales pour la suprématie s’affichent plus ouvertement. Elles s’expriment dans de multiples sphères allant des activités maritimes au cyberespace. Les luttes pour l’exercice d’une influence sur les contextes fragiles – parfois motivées par des considérations concrètes comme un différend sur les ressources ou par des facteurs moins tangibles comme le prestige – resteront sans doute une caractéristique des jeux de pouvoir internationaux. Quand un conflit violent se déclenche dans un contexte de fragilité, ces luttes risquent de compliquer davantage les efforts de construction d’une paix durable.
Dans le pire des scénarios, comme on l’a vu au Moyen-Orient, tous ces facteurs se conjuguent pour nourrir des foyers de guerre civile extrêmement violents. Les outils tels que la médiation et les opérations de maintien de la paix se sont révélés difficiles ou impossibles à utiliser dans des conflits aussi complexes, comme les Nations Unies et d’autres acteurs extérieurs en ont fait le constat. D’autres facteurs, comme les tensions liées à d’importants mouvements de réfugiés et de migrants et la crainte de la prolifération nucléaire, peuvent également inciter des puissances à intervenir encore plus à l’avenir dans les guerres d’autrui.
1.2.2. Mécanismes de prévention et de désamorçage des guerres civiles internationalisées
Étant donné les limites des mécanismes internationaux actuels à notre disposition pour mettre fin aux guerres civiles internationalisées, quelles sont les solutions envisageables pour contrôler ce phénomène ? La réponse la plus simple est que les gouvernements devraient faire preuve de retenue et ne pas se mêler des guerres des autres pays ou le faire dans des limites très strictes.
Cependant, en réalité, il est probable que d’écrasantes pressions s’exerceront sur les chefs d’État de nombreux pays pour qu’ils interviennent dans de futures guerres civiles. Conseiller simplement de faire preuve de retenue ne sera pas suffisant. Parmi les options plus réalistes, on peut citer :
Inscrire la prévention des conflits dans une approche régionale/internationale. Lorsque le risque d’internationalisation d’une guerre civile est élevé, les acteurs extérieurs qui veulent la paix doivent le prendre en compte dans leurs actions de prévention. D’après l’International Crisis Group (2016[19]), dès lors qu’un conflit menace d’éclater il faut inscrire les efforts diplomatiques dans un cadre multinational et « les décideurs doivent déployer des efforts concertés à un stade précoce pour amener les acteurs internationaux à s’asseoir à la table afin de déterminer quels sont leurs intérêts, d’entendre leur analyse et d’adopter une position commune sur les moyens d’action ». Même s’il est impossible d’aplanir les dissensions et si les acteurs extérieurs soutiennent des camps opposés dans une guerre civile, les décideurs doivent continuer d’entretenir des contacts concernant les moyens de limiter et contenir la violence. À un moment donné, il sera peut-être possible de conclure un accord international ou régional mettant fin au conflit pour guider les efforts de paix nationaux, même si des cas comme celui de la Syrie montrent à quel point cela peut être difficile.
Créer des incitations à la non-intervention. Des mesures coercitives ou positives visant à inciter les acteurs extérieurs à limiter leur rôle dans une guerre civile pourraient appuyer des solutions diplomatiques complexes. Par exemple, des dispositions pourraient être prises pour que les ressources sorties illégalement d’un pays en guerre civile par les puissances qui interviennent ne puissent être vendues sur les marchés mondiaux. Des sanctions ciblées et des mesures de dissuasion militaire à l’encontre des intervenants pourraient aussi être envisagées. En outre, des incitations structurées, telles qu’une aide régionale et un ensemble de mesures commerciales ou des garanties de sécurité, pourraient être offertes aux acteurs impliqués dans la formation d’un conflit régional afin de les inciter à coopérer. Le succès n’est pas garanti. L’expérience a montré que les dispositifs coercitifs comme les sanctions pouvaient s’avérer contreproductifs, encore que les incitations plus positives aient peu de chances de produire pleinement leurs effets si elles ne s’accompagnent pas de sanctions réalistes.
Renforcer l’architecture internationale de la gestion des guerres civiles. De sérieux arguments peuvent être avancés pour doter les Nations Unies et les institutions régionales d’outils leur permettant d’anticiper les rivalités géopolitiques dans les contextes de fragilité ou de conflit et de jouer le rôle de médiateur. On pourrait envisager notamment d’accroître les moyens diplomatiques à la disposition du Secrétariat des Nations Unies pour travailler avec la République populaire de Chine (ci-après la « Chine »), la Fédération de Russie (ci-après la « Russie ») et d’autres puissances non occidentales sur les guerres civiles ; de continuer à renforcer la capacité de l’Union africaine et d’autres organisations africaines à gérer les guerres civiles aux enjeux considérables et les mauvais voisinages sur le continent ; d’instaurer un processus de création graduelle d’une architecture régionale pour la sécurité au Moyen-Orient afin d’atténuer les tensions qui existent entre ses acteurs les plus puissants.
En cette période d’escalade des tensions géopolitiques, ces mesures graduelles peuvent sembler ne pas être à la hauteur du risque de nouvelles violences majeures. Cependant, les efforts de gestion des guerres civiles internationalisées peuvent sauver des vies, aider les États à ne pas s’effondrer, et réduire les frictions entre les puissances mondiales et régionales. Un programme de prévention axé sur ces priorités contribuerait à assurer la sécurité non seulement des pays en situation de fragilité mais aussi du monde entier.
1.3. Tendance no 3 : la fragilité des villes importe autant que la fragilité des États
Robert Muggah, Igarapé Institute et SecDev Group
Autrefois synonyme de conflit armé et de trafic de drogue, la Colombie a franchi un cap. Bien qu’il connaisse encore une forte polarisation politique et des difficultés dans la mise en œuvre d’un accord de paix difficilement obtenu, cet État d’Amérique du Sud est aujourd’hui l’un des plus performants de la région sur le plan économique. Il doit sa stabilité et son dynamisme en grande partie à la transformation de ses villes. On pourrait en douter à en juger par les taux d’homicides extrêmement élevés qu’affichaient des villes comme Bogotá, Cali et Medellín il y a quelques décennies. Pourtant, aujourd’hui ces mêmes villes sont prospères et les taux de crimes violents y sont tombés aux niveaux les plus bas depuis les années 70.
Les villes colombiennes ont opéré une impressionnante métamorphose pour sortir de la fragilité. Bogotá, la capitale, était l’une des premières destinations de l’investissement direct étranger en Amérique latine en 2017 et le fDI Magazine lui a décerné le titre de « ville du futur » (Procolombia, s.d.[20]). Cali est actuellement une des économies les plus dynamiques de la région et figure dans le haut du classement mesurant la facilité de faire des affaires. Medellín, quant à elle, est le moteur économique de la Colombie et a reçu le Lee Kuan Yew World City Prize en 2016 (Andrews, 2016[21]) et le prix de la ville la plus innovante au monde en 2013 (BBC News, 2013[22]), devançant New York et Tel Aviv.
Que ce soit en Colombie ou ailleurs, la dynamique des villes donne des indications sur l’état de santé général d’un pays. C’est tout particulièrement vrai dans les régions du monde qui ont connu une transition urbaine, telles que les Amériques et l’Europe. Or il est surprenant de constater que l’on sait peu de choses sur le bien-être de la plupart des villes de la planète, en particulier de celles qui se développent à un rythme effréné en Afrique et en Asie. Il est très inquiétant de constater que l’urbanisation précède l’industrialisation dans de nombreuses villes des pays pauvres, ce qui réduit leur capacité à fournir des services ou à intégrer des périphéries en expansion. Quelques villes dans le monde s’en sortent bien, mais des centaines d’autres se fragilisent de plus en plus.
1.3.1. Les facteurs de fragilité urbaine sont multidimensionnels
L’accroissement de la fragilité urbaine a des implications non seulement pour les résidents proches, mais aussi pour la stabilité nationale et régionale, voire internationale. Les villes fragiles ne se trouvent pas toutes dans les pays fragiles, et les villes connaissant une dégradation rapide en matière de sécurité et sur les plans social et économique peuvent générer des ondes de choc dans des nations apparemment stables. Comme les chaînes d’approvisionnement et les flux financiers des villes ont de plus en plus de maillons au-delà des frontières nationales, les perturbations affectant une ville peuvent se propager via les réseaux nationaux et internationaux.
Comme c’est le cas pour d’autres contextes, la fragilité d’une ville ne peut se mesurer à l’aune d’un seul facteur, tel que le taux d’homicides, la pénurie d’eau ou la pollution des eaux. La fragilité est la manifestation de la convergence de multiples stress, comme en témoigne le Cadre de l’OCDE sur la fragilité (OCDE, 2016[1]). L’accumulation de ces risques compromet la légitimité du contrat social qui lie les autorités municipales et leurs administrés (Muggah, 2015[23]). Les aspirations respectives des élus locaux et de leurs électeurs divergent alors, ce qui dans les cas extrêmes peut entraîner la disparition de services. Toutes les villes sont plus ou moins fragiles, et la fragilité n’est pas propre aux agglomérations urbaines pauvres. La fragilité n’est pas non plus immuable, comme le montre l’exemple des villes colombiennes qui ont redressé la barre.
Cela dit, bien des cités dans le monde présentent aujourd’hui des niveaux de fragilité préoccupants. Selon un article de presse paru en 2017, Bank of America Merrill Lynch, évoquant un déficit d’infrastructure de 75 000 milliards USD, a estimé que 80 % des villes de la planète sont fragiles (Rodrigues, 2017[24]). Cependant, la fragilité n’est pas seulement une question de disponibilité et de qualité de l’infrastructure, pour importantes qu’elles soient. Un groupe de chercheurs, par exemple, a recensé 11 facteurs de risque à examiner. Il s’agit du rythme de la croissance démographique, du taux de chômage, des inégalités de revenu, de l’accès aux services de base (électricité), du taux d’homicides, du terrorisme, des conflits et de l’exposition aux risques naturels (notamment cyclones, sécheresses et inondations). L’étude couvre plus de 2 100 villes d’au moins 250 000 habitants et examine les évolutions sur une période de 15 ans (Muggah, 2017[25]).
Il ressort de cette étude qu’une urbanisation rapide et débridée est un important facteur de fragilité. Les villes qui se développent extrêmement vite sont généralement plus susceptibles d’être fragiles. Cela tient peut-être à ce que les villes qui s’étalent, comme Karachi ou Kinshasa, sont également plus prédisposées à la désorganisation sociale et à une moindre efficacité sociale, qui sont elles-mêmes corrélées aux tensions sociales. Les villes dont la population croît plus lentement sont généralement plus stables. Si la corrélation entre la taille de la ville et le taux de criminalité n’est pas particulièrement forte, en revanche la croissance de la ville a un effet statistiquement significatif sur la criminalité. Dans certaines villes colombiennes, par exemple, une augmentation de 1 % du taux de croissance démographique est associée à une hausse de 1.5 % du nombre de victimes de la criminalité (Gümüş, 2003[26]).
Les inégalités, le taux de chômage et la concentration de la pauvreté sont d’autres facteurs de fragilité urbaine (Muggah, 2017[25]). De Baltimore, aux États‑Unis, à San Salvador, capitale du Salvador, la violence criminelle est plus répandue dans les villes inégalitaires que dans celles où les revenus et l’accès aux services de base sont distribués plus également. La marginalisation sociale et une pauvreté réelle et relative en termes de revenu, de patrimoine, d’offre de services et de statut social sont liées à un moindre capital social. On constate aussi que la concentration de la pauvreté – par exemple, certains quartiers de villes américaines comptent plus de 40 % de pauvres – est associée à des établissements scolaires peu performants, des conditions de logement et un état de santé médiocres, des incarcérations, et des taux de criminalité plus élevés (Valdez, Kaplan et Curtis, 2007[27]).
1.3.2. La fragilité urbaine peut être aggravée et exacerbée
Les excès et les défaillances de la police et de l’appareil judiciaire peuvent également aggraver la fragilité urbaine (Muggah, 2017[25]). Quand les habitants d’une ville perdent confiance dans la police locale et le système judiciaire pénal, ils recourent fréquemment à des solutions privées et parfois à des milices privées. Quand la possibilité de faire appliquer la loi est limitée, la méfiance entre quartiers et entre voisins a également tendance à être plus forte. Comme cela est observé dans des villes aussi différentes que Dili (Jütersonke et al., 2010[28]) et Détroit (Metzger et Booza, 2005[29]), l’expérience subjective de l’insécurité et de la peur a des effets objectifs, notamment sur la décision de rester ou de partir. En outre, lorsque la sécurité n’est pas suffisamment assurée, des services tels que l’électricité, l’eau et l’assainissement en subissent également les conséquences.
La fragilité des villes est exacerbée par les chocs environnementaux soudains et les catastrophes à déclenchement lent (Muggah, 2016[30]). Les inondations, les ondes de tempête, les vents violents, l’élévation du niveau des mers et les phénomènes météorologiques extrêmes s’amplifient et s’intensifient, et affectent les citadins et l’infrastructure urbaine. L’étendue de ces risques donne froid dans le dos. Une étude récente couvrant plus de 1 300 villes a conclu que 56 % d’entre elles sont exposées à de graves catastrophes naturelles (Verisk Maplecroft, 2015[31]). Cet état de fait est d’autant plus préoccupant que plus des deux tiers des villes du globe sont situées sur le littoral et que 1.5 milliard de personnes vivent dans les basses terres du littoral.
Utiliser tous ces facteurs pour comparer les villes entre elles permet de mieux dégager les tendances mondiales. D’après une étude portant sur 2 100 villes, environ 14 % des villes de la planète pouvaient être classées comme « très fragiles » en 2015, dernière année pour laquelle des données comparables sont disponibles (Igarapé Institute/Université des Nations Unies/Forum économique mondial, 2015[32]). À l’opposé, 66 % des villes se classaient dans la catégorie « fragilité moyenne » et 16 % dans la catégorie « fragilité faible ». Les villes africaines et asiatiques étaient souvent les plus fragiles.
Dans l’étude, les villes d’Europe et d’Océanie ont obtenu les scores de fragilité les plus bas en moyenne. Les villes les moins fragiles sont concentrées principalement en Australie, au Canada, aux États-Unis, au Japon et en Norvège. Par exemple, les villes américaines de Sarasota (Floride), Syracuse (New York) et Ann Arbor (Michigan) figurent en tête de la liste des villes les moins fragiles, suivies de Bournemouth (Royaume‑Uni), Sakai (Japon), Canberra (Australie) et Oslo (Norvège). Cela étant, de nombreuses villes nord-américaines et européennes ont vu leur score de fragilité se dégrader au cours des 15 dernières années.
La fragilité urbaine tend à se concentrer dans une poignée de pays (Graphique 1.2). Trois des quatre villes les plus fragiles – Mogadiscio, Kismayo et Marka – se trouvent en Somalie. 6 des 25 villes les plus fragiles sont en Iraq, 5 au Yémen et quatre en Afghanistan. Dans ces 25 villes, les vecteurs de la fragilité sont notamment les taux élevés de violence liée aux conflits et de terrorisme, un chômage supérieur à la moyenne et un faible accès aux services de base (Muggah, 2017[25]).
1.3.3. Des villes plus intelligentes et plus résilientes
La bonne nouvelle, c’est que les décideurs prennent conscience des dangers de la fragilité urbaine. On constate une augmentation des investissements visant à rendre les villes non seulement plus intelligentes (Muggah, 2014[33]), mais aussi plus résilientes (Berkowitz et Muggah, 2017[34]) face aux menaces anthropiques et climatiques. Comme le montre l’exemple de certaines villes colombiennes, cela exige des solutions intégrées et inclusives qui renforcent la capacité des habitants, quartiers, entreprises et systèmes institutionnels d’une ville à survivre, s’adapter et se développer. Il ne s’agit pas seulement de préparer à de futurs chocs, il faut également investir pour relever les défis de la vie courante, tels que les inégalités sociales et économiques, une offre de services défaillante et une croissance démographique inégale, qui sapent la capacité d’une ville à réagir aux catastrophes lorsqu’elles se produisent inévitablement.
L’exemple de la Colombie nous enseigne que la fragilité urbaine peut être éliminée. Cela nécessite d’élaborer des plans et des solutions pour la ville de façon intersystémique, en travaillant en coordination avec les différents secteurs. Prenons le cas de Medellín. Dans les années 90, le taux d’homicides y atteignait le niveau record de 38 pour 100 000 habitants. Au lieu de concentrer les efforts sur un seul risque, comme les menaces pour l’ordre public, les autorités ont adopté une approche intersectorielle, dite de l’acupuncture urbaine. Pour remédier à sa fragilité, une ville doit repenser le paysage urbain et prendre en compte des facteurs de risque multidimensionnels et non un seul facteur de risque.
1.4. Tendance no 4 : l’engagement dans la lutte contre la fragilité crée des tensions entre les intérêts et les valeurs
Phil Vernon, consultant indépendant
Les budgets d’aide ne sont jamais assurés, car les intérêts perçus des électeurs pèsent toujours plus lourds dans la balance que ceux des populations lointaines et sans voix. C’est particulièrement vrai à l’heure actuelle où les gouvernements sont de plus en plus contraints de justifier les budgets d’aide dans un contexte de montée du populisme dans de nombreuses régions du monde. Parallèlement, la coopération pour le développement repose sur le concept selon lequel il est juste d’aider les populations à améliorer leur situation, atténuer leurs souffrances et s’épanouir en tant que personnes, communautés et sociétés. Il incombe donc aux gouvernants de montrer que l’aide est efficace, qu’elle est dispensée avec discernement et sans gaspillage et qu’il est dans l’intérêt des électeurs d’aider les autres peuples de la planète. Cette tension intrinsèque entre intérêts et valeurs est analogue aux tensions qui se manifestent dans la pratique médicale. C’est pourquoi l’obligation de « ne pas nuire » – tirée du code de déontologie médicale – est maintenant couramment évoquée dans les discours sur le développement (Anderson, 1999[35]).
Cette tension s’accentue lorsqu’il s’agit du développement dans des contextes fragiles car ses résultats sont plus incertains que dans d’autres contextes. Dans les situations de fragilité, les institutions politiques ne permettent pas facilement aux acteurs internationaux d’obtenir ce qui est l’équivalent du consentement du patient dans le domaine médical ou de répondre à l’obligation de rendre compte aux citoyens. C’est pourquoi l’éthique du développement international accorde une grande importance à la nécessité d’une pratique responsable et éclairée.
1.4.1. Les différences d’appréciation de l’efficacité peuvent dénaturer la conception de l’aide
Ce phénomène a contribué à des notions simplistes de l’efficacité. S’attacher à trouver « ce qui fonctionne » dans les contextes fragiles part de l’idée implicite que seules les méthodes éprouvées devraient être essayées. Or l’issue des efforts de développement dans les contextes fragiles est par nature incertaine, même si l’expérience acquise au cours de la dernière décennie nous enseigne que ces efforts doivent reposer sur des approches à long terme, adaptatives et holistiques adaptées aux spécificités de chaque contexte et pilotées par les populations et institutions locales (OCDE, 2007[36] ; Vernon, 2017[37]).
Ces approches, cependant, sont généralement incompatibles avec une trop grande simplification des notions de causalité et d’efficacité. Il est évident qu’en matière d’aide les interventions les plus aisément mesurables sont souvent aussi les moins adaptables, et inversement (Natsios, 2010[38]). C’est particulièrement vrai dans les situations de fragilité, où des changements structurels s’imposent. Les acteurs du développement savent peut-être quels objectifs il convient de viser, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il est facile de les atteindre. Pour réduire la fragilité, il n’existe pas d’algorithme ni de voie tracée d’avance.
En effet, nul n’a de certitude quant aux moyens de réussir dans les contextes fragiles. L’expérience montre que les progrès se matérialisent différemment selon les contextes. Les bons programmes d’aide sont ceux qui encouragent et accompagnent cette évolution, en utilisant les ressources et les savoirs de manière intelligente, réactive, attentive et collective pour donner les résultats les meilleurs, quoiqu’incertains. Obtenir ces résultats prendra de nombreuses années, et bien des cycles électoraux passeront dans les pays donneurs. Ce type de programmation, entouré d’incertitudes et spécifique au contexte et au moment, se prête mal à l’idée selon laquelle il faudrait s’en tenir à ce qui fonctionne déjà de façon probante.
La volonté de s’attacher à « ce qui fonctionne » imprègne les mécanismes conçus pour optimiser les ressources. Étant donné la rareté des financements, il est essentiel de montrer aux électeurs et aux bénéficiaires que l’argent est bien dépensé. Or l’analyse coût-efficacité est souvent réalisée a priori dans le cadre du processus décisionnel avant que l’impact (c’est-à-dire l’efficacité) du programme ne soit connu. Cela pénalise les programmes qui sont adaptés aux contextes fragiles, par rapport aux approches plus simples et plus prévisibles employées dans d’autres contextes. Apprécier les programmes uniquement à travers le prisme du rapport coût-efficacité ou de réussites avérées peut contribuer à la prise de décisions malheureuses, conduisant à allouer les fonds à des lieux où les opérations sont moins onéreuses et plus faciles à réaliser et à des programmes qui sont de plus court terme, plus simples et moins vecteurs de transformations plutôt qu’aux programmes qui s’attaquent aux causes complexes de la fragilité.
1.4.2. La peur peut dénaturer la conception-même de l’aide
La peur est un thème davantage présent dans les discours sur l’aide à destination des contextes fragiles. De nos jours, il peut être dans l’intérêt des hommes politiques de présenter l’aide comme un moyen de protéger les citoyens dans leur pays des migrations incontrôlées ou du terrorisme. Cela contribue à rassurer les électeurs sur le fait que leurs dirigeants les protègent et à justifier l’aide aux yeux de l’opinion publique.
Mais cette vision, lorsqu’elle est traduite en actes, peut également dénaturer la programmation du développement. C’est le cas, par exemple, lorsque l’aide est utilisée pour que les migrants potentiels restent où ils sont. Une grande partie de l’aide aux réfugiés syriens est subordonnée à leur maintien en Jordanie, au Liban ou en Turquie, ce qui n’est pas nécessairement la meilleure solution pour eux car certains ne seront peut‑être jamais en mesure de rentrer chez eux, quelle que soit l’issue de la guerre (Supporting Syria and the Region Conference, 2016[39]). Cette approche n’est pas nécessairement non plus la meilleure pour les pays d’accueil, où l’afflux massif et rapide de réfugiés conduit les citoyens de ces pays à s’inquiéter autant que ceux de pays plus riches des répercussions de cet afflux sur leurs moyens de subsistance et leur avenir.
Il est infondé d’espérer que l’aide réglera d’une manière ou d’une autre à court terme la problématique de la migration. Des études montrent que la réalisation de progrès en matière de développement a pour effet dans un premier temps d’augmenter les migrations, et non de les réduire, et que les fonds envoyés par les migrants contribuent souvent pour beaucoup à la résilience des personnes restées dans le pays d’origine (Clemens, 2014[40]). Les financements visant à réduire les migrations peuvent donc compromettre les progrès en matière de développement et les stratégies d’adaptation. En outre, l’expérience et le bon sens suggèrent qu’une augmentation des financements de ce type a peu de chances de porter ses fruits dans les contextes fragiles où les institutions sont insuffisamment développées et la capacité d’absorption limitée.
La crainte du terrorisme influe également sur les programmes de développement, et l’on peut s’attendre à ce qu’un plus grand nombre d’entre eux traitent d’une façon ou d’une autre le risque de l’extrémisme violent. Cela est préoccupant à plusieurs égards. Il reste encore beaucoup à apprendre – en premier lieu sur les déterminants de l’extrémisme violent, et, en second lieu, sur les mesures efficaces pour y répondre. Or bien des projets semblent avoir été mis en œuvre dans la précipitation. Les enseignements dégagés jusqu’à présent suggèrent que réduire l’extrémisme nécessite des stratégies de programmation nuancées et de long terme, conçues pour renforcer la cohésion sociale et fondées sur une connaissance approfondie de la situation locale. Ces stratégies doivent en outre être déployées dans le cadre de partenariats de confiance avec les communautés et notamment avec les populations les plus exposées, lesquelles ne sont pas toujours aisément identifiables (Royal United Services Institute, 2017[41]). Il faut parfois des années pour que des programmes appropriés soient mis au point et portent leurs fruits. Leur impact, cependant, peut être amoindri par les méthodes brutales des acteurs de la sécurité, qui se sont révélées une source majeure de mécontentement (PNUD, 2017, p. 65[42]). Certains de ces acteurs ont été formés et soutenus par ces mêmes donneurs qui apportent une aide au développement.
La crainte et l’attribution d’un sens étroit au terme « efficacité » ne sont que deux des façons dont l’aide au développement est aiguillée sur un chemin insatisfaisant où il devient plus difficile de trouver un équilibre entre les intérêts perçus et l’altruisme. La distorsion de l’aide par des facteurs exogènes existera toujours (Klouda, s.d.[43]), notamment parce que la part de l’aide internationale programmée dans les contextes fragiles ne cesse de croître (OCDE, 2016[1]). Il ressort de l’analyse présentée plus haut que, pour être efficaces dans les contextes de fragilité ou de conflit, les interventions internationales doivent clairement et systématiquement être conçues avant tout pour réduire la fragilité et accroître la résilience. Si l’on en fait un pilier central, les autres facteurs pourront être appréciés clairement en examinant s’ils contribueront ou nuiront à cet objectif.
Cela permettrait en outre à l’analyse coût-efficacité d’intégrer la nécessité que les programmes soient délibérément modulables, à long terme, holistiques et adaptés aux particularités locales, dans une perspective de changement non linéaire. Cela permettrait également une plus grande prise de conscience du coût plus élevé et du risque plus grand que présente une intervention dans ces contextes. Comme l’aide dans les contextes fragiles demeurera particulièrement exposée à des dilemmes éthiques, une plus grande transparence quant aux difficultés à travailler dans ces environnements contribuerait à placer le débat sur le développement et l’aide sur un terrain plus stable. Enfin, il serait opportun de fournir des orientations plus nuancées aux services des administrations des pays donneurs, qui sont souvent confrontés à la tension existant entre les valeurs et les intérêts, afin de les aider à maîtriser ce sujet difficile. Il importe de trouver un équilibre entre ces questions, car si l’aide échoue dans les contextes fragiles où les besoins sont les plus grands, cela pourrait remettre en question toute forme d’aide.
1.5. Tendance no 5 : la fragilité éclairera l’aide dans le futur
Duncan Green, London School of Economics and Political Science
Si l’aide vise avant tout à réduire l’extrême pauvreté et la souffrance, son avenir réside dans les contextes fragiles. Selon une étude récente, la pauvreté continuera de reculer dans les contextes stables, mais gagnera du terrain dans les contextes fragiles ou touchés par un conflit pour dépasser en 2020 le niveau observé dans le reste du monde avant de refluer, mettant ainsi fin à la période actuelle de réduction rapide de la pauvreté (Kharas et Rogerson, 2017, p. 28[44]). De même, l’étude prévoit qu’en 2030 environ 80 % des pauvres de la planète vivront dans des contextes fragiles. Comme le Graphique 1.3 le montre, l’aide à destination des contextes fragiles a augmenté régulièrement mais modérément au cours de la dernière décennie, passant de 52 milliards USD en 2007 à 68 milliards USD en 2016.
1.5.1. Les contextes fragiles présentent de nouveaux défis pour l’aide
La concentration croissante de l’aide dans les contextes fragiles met en évidence les difficultés rencontrées par les donneurs. Tout d’abord, ce sont les contextes dans lesquels il est le plus difficile d’obtenir des résultats et qui sont le plus susceptibles d’engendrer des échecs et des scandales. En outre, le modèle institutionnel des organismes d’aide les empêche souvent d’adapter leurs méthodes de travail aux contextes fragiles. Par exemple, pour des raisons de sécurité, le personnel du Fonds monétaire international ne peut même pas se rendre dans certains contextes fragiles. Quant aux autres donneurs, les membres de leur personnel qui sont en mesure de travailler dans les environnements fragiles se voient fortement limités dans leurs déplacements et contacts ; nombre d’entre eux sont confinés dans des enceintes puissamment fortifiées et n’ont guère accès aux gouvernements partenaires et encore moins aux acteurs non étatiques qui pourraient éclairer les décisions. Le taux de rotation du personnel dans ces environnements est souvent élevé. Enfin, les cycles de financement sont fréquemment dominés par les réponses humanitaires à court terme, d’où la difficulté de concevoir les stratégies de long terme nécessaires pour remédier à la fragilité et à ses causes profondes.
Les approches traditionnelles de l’aide se heurtent cependant à des difficultés encore plus profondes. Les organismes d’aide bilatéraux et multilatéraux considèrent depuis longtemps les États souverains comme leurs partenaires et/ou domaines d’action naturels. Or dans les contextes fragiles, les États sont souvent faibles ou prédateurs. De nombreux autres acteurs comblent le vide partiel de la scène politique et de l’administration, tels que les chefs traditionnels, les organisations religieuses, les mouvements sociaux et les groupes armés. Les actions des individus et des organisations sont limitées par ces différentes facettes de ce qui est considéré comme l’autorité publique, et selon des modalités que les chercheurs connaissent mal et les organismes d’aide encore moins bien. De plus, les instruments de l’aide – cycles de financement, cadres logiques, gestion, suivi et évaluation des projets – supposent un degré de stabilité et de prévisibilité qui fait souvent défaut dans ces contextes.
Globalement, le niveau de dépendance des gouvernements vis-à-vis de l’aide dans les contextes fragiles a légèrement diminué ces dernières années4. La relation entre l’aide et la fourniture de services essentiels dans ces contextes soulève des questions complexes, notamment celle de savoir si l’aide a des effets incitatifs ou dissuasifs sur la prise en main de ces services par l’État. Dans le meilleur des scénarios, l’importance de l’aide peut être exagérée. Au Mozambique, par exemple, la santé et l’éducation sont financées massivement par l’État ; seuls l’eau, l’assainissement et l’hygiène sont largement financés par l’aide (Graphique 1.4.). Dans le pire des scénarios, toutefois, en étant disposés à financer les services de base, les donneurs permettent au gouvernement partenaire de se dispenser de le faire. Par exemple, il semble qu’au Soudan du Sud les donneurs financent 80 % des soins de santé et l’État seulement 1.1 % (Foltyn, 2017[48]).
Récemment, l’une des réponses retenues face aux difficultés rencontrées par les acteurs du développement dans les contextes fragiles consiste à solliciter l’aide du secteur privé international. Les entreprises privées se heurtent toutefois à bon nombre des mêmes problèmes lorsqu’elles opèrent dans ces contextes difficiles. Le degré élevé de risque et d’incertitude n’encourage pas l’investissement à long terme, et les possibilités de corruption et d’abus constituent pour les entreprises soucieuses de leur image un grave risque d’atteinte à leur réputation.
Les entreprises pourraient s’efforcer de parer les risques en nouant des partenariats public-privé avec les donneurs et/ou les pouvoirs publics dans les contextes fragiles. Toutefois, au sein de la communauté du développement et du secteur privé, d’aucuns se sont déclarés préoccupés du coût plus élevé en capital, du peu d’économies et de bénéfices, de la complexité et du coût des procédures de passation des marchés ainsi que de la rigidité de ce type d’accord dans ces contextes (Green, 20 novembre 2015[50]).
Les entreprises internationales sont plus susceptibles de prendre le risque d’opérer dans les contextes fragiles quand la rémunération est à la hauteur des risques encourus. Les industries extractives font des forages et exploitent des mines dans bon nombre de ces endroits. Toutefois, le secteur extractif est à forte intensité capitalistique, crée relativement peu d’emplois locaux et affiche un bilan contrasté en matière de respect des droits de l’homme et de protection de l’environnement.
Les petites et moyennes entreprises (PME) locales constituent un segment du secteur privé qui peut indéniablement contribuer beaucoup aux moyens de subsistance et au bien-être dans les contextes fragiles. Cependant, il est souvent difficile pour les PME de s’y retrouver dans le dédale des dispositifs permettant d’accéder aux financements.
1.5.2. Options envisageables pour accroître l’ampleur et l’impact des flux financiers à destination des contextes fragiles
Dans leur quête de moyens efficaces de réduire la pauvreté et la vulnérabilité dans les contextes fragiles, les acteurs du développement acceptent de plus en plus qu’ils doivent apprendre à « danser » avec le système (Meadows, s.d.[51]), autrement dit qu’ils doivent affronter la réalité complexe du pouvoir et de la politique et répondre à un imprévisible flot d’évènements, d’opportunités et de menaces. Cela nécessite souvent d’abandonner ou d’adapter sensiblement les approches du renforcement de l’État et les meilleures pratiques mises au point dans des contextes plus stables.
Les professionnels de l’aide ont relevé ces défis en constituant des réseaux pour trouver comment apporter une aide et un soutien qui fonctionnent mieux dans les contextes fragiles. L’un d’eux est le réseau Doing Development Differently (DDD), dont le manifeste rédigé en 2014 expose les principes guidant son travail ( Doing Development Differently, 2014[52]).
Les approches du réseau DDD mettent l’accent sur la compréhension des spécificités du contexte local afin d’être « judicieuses politiquement [et] pilotées localement » (Booth et Unsworth, 2014[53]) et de travailler avec la « matière première » (Levy, 2014[54]) que constituent les institutions en place. Les réponses aux problèmes complexes et inextricables doivent être itératives, car les donneurs et les responsables de la mise en œuvre s’adaptent à l’évolution des circonstances et aux enseignements tirés à mesure que leur travail progresse. Ces approches sont de plus en plus considérées comme de la gestion adaptative.
En outre, plusieurs nouveaux programmes de recherche étudient le rôle de l’aide dans les contextes fragiles et l’efficacité de ces nouvelles approches. Une analyse récente des théories du changement chez les donneurs qui s’emploient à promouvoir la responsabilité sociale et politique dans les contextes fragiles révèle une intéressante bifurcation de la pensée :
Un courant de pensée prône de s’attacher davantage au contexte, ce qui requiert plus de compétences analytiques et l’analyse régulière des évolutions du système politique, social et économique ; d’œuvrer en collaboration avec les acteurs non étatiques, l’administration publique infranationale et les autorités informelles ; de se préoccuper des points critiques, ce qui augmente la nécessité de mécanismes permettant un retour d’information et une réponse rapides ; et de changer les normes sociales et d’étudier les évolutions qui se produisent sur une génération, ce qui exige de repenser les outils et méthodes de l’engagement de la communauté de l’aide. Cependant, comme cette vision suscite beaucoup de scepticisme et de circonspection quant aux chances de réussite, un courant dissident préconise de se recentrer sur la création d’un « environnement favorable », principalement en favorisant la transparence et l’accès à l’information. (Green, 2017[55])
Outre les idées susmentionnées, d’autres options méritent d’être explorées si l’on veut améliorer la contribution des flux financiers au développement dans les contextes fragiles :
Diasporas et envois de fonds. Comme le montre le Graphique 1.3 et comme l’exposera plus en détail le chapitre 6, les envois de fonds à destination des pays en situation de fragilité dépassent déjà l’aide publique au développement et l’investissement direct étranger. Ils devraient en outre continuer d’augmenter à un rythme plus soutenu et plus régulier que chacune de ces deux autres sources. De plus, les diasporas qui envoient les fonds connaissent bien la situation locale et les moyens de soutenir le développement. Plusieurs donneurs s’emploient à déterminer si des instruments tels que des émissions obligataires à l’intention des diasporas peuvent améliorer l’impact de ces apports de fonds sur le développement (Famoroti, 12 avril 2017[56]).
Mobilisation des ressources intérieures. Les recettes provenant des taxes et redevances sur les ressources naturelles augmentent par rapport aux apports d’aide mais, dans de nombreux contextes fragiles, demeurent à de faibles niveaux en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). La mobilisation des ressources intérieures offre un moyen de réduire davantage la dépendance à l’égard de l’aide et de renforcer le contrat social qui lie les citoyens, l’État et le secteur privé. Jusqu’à présent, cependant, les organismes d’aide n’ont pas reconnu son potentiel. Les chiffres de l’aide notifiés à l’OCDE montrent qu’en 2015 et en 2016, seulement 0.2 % de l’aide aux contextes en situation de fragilité ou de conflit – soit la somme dérisoire de 116 millions USD en 2015 et 110 millions USD en 2016 – était affecté à l’assistance technique pour la mobilisation des ressources intérieures5. Le chapitre 7 étudie la question plus en détail.
Adaptation à l’échelon local. Dans les contextes fragiles, il est judicieux de rapprocher le pouvoir et la prise de décisions le plus possible du niveau local pour répondre à la grande diversité des situations sur les plans spatial et temporel. Pour l’heure, toutefois, l’adaptation à l’échelon local en est plus au stade de l’intention que des actes.
1.6. Tendance no 6 : remédier à la fragilité passe par l’élaboration de contrats sociaux inclusifs
Seth Kaplan, SAIS/Johns Hopkins University et Institute for Integrated Transitions
Bon nombre des décideurs qui s’emploient à réduire la fragilité et les conflits violents considèrent que le contrat social est un puissant outil pour améliorer les pratiques en matière de consolidation de la paix et de renforcement de l’État. Cependant, les efforts entrepris pour établir des contrats sociaux inclusifs dans les contextes fragiles reflètent souvent « une connaissance incomplète et inadéquate de l’échiquier politique généralement fragmenté et très mouvementé des sociétés fragiles, au-delà des représentants officiels de leurs gouvernements et administrations » (van Veen et Dudouet, 2017[57]). Il faut une approche plus large qui tienne compte des divisions sociales et de la faiblesse des institutions dont souffrent les contextes fragiles.
Alors que les contrats sociaux sont le fondement des relations entre l’État et la société et influent considérablement sur la stabilité et les perspectives de développement d’un pays, les décideurs ont de tout temps interprété ces contrats dans un sens trop étroit. En effet, ils ont défini leur approche en partant du principe que l’État était une entité monolithique hautement capable et que la société présentait une forte cohésion. Aucun de ces deux postulats ne se vérifie dans les contextes fragiles. Une approche plus large, prenant en considération les difficultés rencontrées dans les contextes fragiles, ne se fonderait pas sur ces postulats. Au contraire, elle insisterait sur l’importance des groupes infranationaux (souvent basés sur l’identité) dans les conflits modernes et les relations société-société (entre ces groupes). Elle mettrait aussi l’accent sur le développement d’institutions impersonnelles et efficaces, capables de fonctionner équitablement dans tous les différents groupes, classes et régions et dans des domaines d’action très divers (tels que l’éducation, l’économie, l’allocation des ressources et la décentralisation) et favorisant l’inclusivité, la cohésion et le développement économique.
1.6.1. Les États et les sociétés ne sont pas uniformes
Dans les contextes fragiles, la société n’est pas une entité unifiée formant une seule et même communauté politique. Dans ces contextes tout particulièrement, la société se compose généralement d’une mosaïque de groupes souvent constitués sur la base de considérations ethniques, religieuses, claniques ou d’autres critères identitaires. Ces groupes se font généralement peu confiance mutuellement, ont des perceptions différentes de l’histoire et de la dynamique du moment (notamment de ce que les autres peuvent considérer comme un fait) et n’ont pas les mêmes conceptions de la légitimité des règles et de l’autorité publique, y compris de l’État. La fragilité est plus ou moins prononcée selon la capacité de ces groupes à travailler ensemble, en particulier à la réalisation de biens publics. Le degré de coopération entre les groupes influe sur les performances des appareils sécuritaires, des organes administratifs et des systèmes judiciaires. Plus la société est unifiée, plus ces entités institutionnelles sont susceptibles de fonctionner comme annoncé, en ne laissant personne pour compte et sans parti pris.
Les relations entre les groupes identitaires doivent beaucoup au passé. Les héritages de l’histoire peuvent influer sur les actions des leaders, sur la confiance et sur les perceptions concernant un large éventail de questions. Tout ressentiment ou traumatisme persistant peut rendre la coopération plus difficile, comme on a pu l’observer dans les endroits prédisposés aux conflits tels que les Balkans ou la région des Grands Lacs en Afrique. Le risque que des leaders diviseurs puissent émerger est plus élevé quand les contentieux historiques ne sont pas réglés. Il est difficile de changer ces héritages, en particulier sur une courte durée.
Dans les contextes fragiles, les dynamiques horizontales au sein de la société orientent considérablement les modalités d’évolution des relations verticales entre l’État et la société. Elles influent également sur la faisabilité d’un contrat social et sur la nature de tout contrat susceptible d’être conclu. Dans ces contextes, sceller un pacte social ou une autre forme de pacte auquel adhèrent différents groupes ethniques, religieux, claniques et idéologiques peut être un préalable à des avancées sur d’autres fronts. Toutes choses étant égales par ailleurs, une société qui ancre ses fondations sur des principes et valeurs partagés et fondamentaux – par exemple, qui est ou peut devenir citoyen, ce qui rend un gouvernement légitime ou comment concilier des myriades d’identités ethniques, religieuses et régionales – a plus de chances d’être en mesure de forger un contrat social durable. C’est notamment le cas lorsque les institutions sont incapables d’appliquer équitablement les règles et les engagements. Le parcours de la Tunisie depuis son soulèvement et la transition politique en 2011 constitue un exemple encourageant. En revanche, les sociétés présentant des différences d’opinion marquées sur les valeurs et principes fondamentaux, comme la Libye, la Syrie et le Yémen, peineront sans doute à dégager un consensus entre les groupes sur le type de contrat social et de gouvernement dont elles ont besoin.
Les États, l’autre partie au contrat social, ne travaillent généralement pas uniformément sur tout le territoire dans les contextes fragiles. L’efficacité des institutions et leur capacité à servir équitablement les différentes composantes de la société varient selon l’endroit et l’entité. Les différentes parties d’une administration publique travaillent de manière différente selon les populations, parfois sur la base de la richesse et de l’identité et parfois sur la base des relations et de la corruption. De telles différences s’observent entre les zones urbaines et rurales et entre le centre et la périphérie. Ce qui est cohérent et fonctionnel à un endroit peut ne pas l’être à un autre. En outre, des facteurs comme une infrastructure limitée ou inexistante, le manque de responsables bien formés et des sources de revenus insuffisantes ou instables réduisent la capacité des institutions à incarner l’autorité sur l’ensemble du territoire d’un État.
1.6.2. Les contrats sociaux requièrent des leaders efficaces et des institutions impartiales
Parfois, les leaders conservent volontairement des institutions publiques faibles ou partiales. Ils peuvent, par exemple, allouer une quantité de ressources disproportionnée aux régions où se trouvent leurs soutiens, au détriment d’autres régions. Ils peuvent délibérément entretenir la faiblesse de l’appareil judiciaire, de la commission électorale, du ministère des Finances et d’autres organismes clés pour se maintenir au pouvoir ou utiliser les ressources publiques pour leur propre compte. Dans ces cas, la faiblesse des institutions est autant le fruit d’un calcul politique que d’un manque de ressources humaines, financières et techniques. Dans ces contextes, les comportements obéissent à des motivations telles que les environnements fragiles peinent à sortir du cercle vicieux dans lequel la faiblesse des institutions encourage un leadership instable ou partisan qui s’emploie à saper les institutions susceptibles de menacer son autorité.
En définitive, des institutions impersonnelles et capables sont indispensables pour faire régner l’équité. Ce sont des institutions qui encouragent les leaders à œuvrer au service de chacune des composantes de la société et donnent à tous les groupes de cette société le sentiment qu’ils disposent d’un ensemble de droits et recours connus et applicables qui ne peuvent être supprimés arbitrairement ou ignorés. En ce sens, il sera impossible pour un pays d’avoir un solide contrat social qui bénéficie vraiment à tous tant que ses institutions ne travailleront pas équitablement pour tous, les puissants compris.
1.6.3. Il faut inverser le phénomène de l’exclusion et de la marginalisation
L’exclusion et la marginalisation sont dans une certaine mesure les produits naturels de la dynamique à l’œuvre dans les contextes fragiles. Ceux qui ont du pouvoir font naturellement passer leurs soutiens avant toute autre personne, et les institutions favorisent naturellement les puissants ou les fortunés. Pour inverser cette dynamique, il faut accroître la cohésion entre les groupes et renforcer les institutions pour que la société et l’État travaillent dans une optique plus inclusive. Cela peut considérablement augmenter les chances d’établir un contrat social solide.
Les élections et les réformes économiques et sociales peuvent être essentielles à la formation du contrat social, mais suffisent rarement. Trop souvent, elles aussi font l’objet d’une attention excessive au détriment des mesures qui agissent sur les dynamiques plus fondamentales et plus profondes influant sur la cohésion sociale et les institutions. En effet, les élections et les réformes génèrent souvent beaucoup moins de changements que prévu et peuvent être autant un obstacle qu’une aide à la mise en place d’un contrat social inclusif et légitime. Au Sri Lanka, par exemple, la majorité cingalaise a rejeté à plusieurs reprises le type de compromis qui aurait satisfait la minorité tamoule. Au Kenya, au Nigéria et en Ukraine, la concurrence électorale pour le pouvoir politique a maintes fois aggravé les divisions sociales au lieu d’y mettre fin. Au Guatemala, la démocratie a échoué à diverses reprises à donner davantage de pouvoirs aux groupes défavorisés.
Les institutions sociales, notamment les organisations de la société civile (OSC), peuvent jouer un rôle important, négatif ou positif, dans l’élaboration d’un contrat social. Elles peuvent renforcer ou affaiblir la cohésion sociale. Elles peuvent améliorer la transparence des institutions publiques ou contribuer à accroître leur partialité. Le rétrécissement du champ d’action de la société civile ces dernières années, généralement dû à ce que les élites assimilent les OSC à une menace, réduit leurs possibilités d’avoir quelque influence que ce soit.
La relation État-société, et la perception de la légitimité de l’autorité publique et du système national de règles (c’est-à-dire de l’État), peut varier considérablement d’un groupe à l’autre. Les groupes qui bénéficient – ou estiment bénéficier – des ressources publiques et des règles du jeu peuvent avoir des relations nettement meilleures avec l’État et une perception nettement meilleure de la légitimité que ceux qui n’en bénéficient pas.
Le concept de contrat social continuera sans doute d’éclairer les acteurs qui s’occupent de la fragilité, en particulier les acteurs internationaux. Plus ils prendront en considération la dynamique unique qui façonne les contextes locaux d’une manière qui réponde à ces questions, meilleurs seront les résultats qu’ils obtiendront. Les politiques et projets devraient viser en priorité à favoriser la cohésion sociale, réduire les inégalités horizontales, renforcer les relations entre les groupes et faire en sorte que les institutions œuvrent équitablement dans l’ensemble des composantes d’une société et d’un territoire. À défaut, les acteurs internationaux risquent d’obtenir des gains à court terme, tels qu’une hausse de la croissance et une amélioration des indicateurs macroéconomiques, en obérant l’avenir, comme cela s’est produit dans bien des pays arabes dans les années précédant les révoltes de 2011. Pour être durables, les progrès au regard du développement et les avancées socio-économiques doivent s’effectuer au bénéfice de tous et reposer sur une large assise.
Encadré 1.2. Capital social et fragilité
Le capital social, selon la définition de l’OCDE, désigne « les réseaux, normes, valeurs et convictions communes qui facilitent la coopération à l’intérieur des groupes ou entre les groupes » (OCDE, 2001, p. 41[58]). La sécurité, l’organisation politique, l’infrastructure, le financement et le capital humain sont autant de défis majeurs. Cependant, on peut avancer que l’absence de réseaux et de normes communes pour la coopération est le principal déficit sous-jacent dans les contextes fragiles. Elle se traduit par une rupture des contrats sociaux, des clivages entre les groupes et des institutions faibles et/ou illégitimes pour ce qui est de jouer un rôle de médiation dans les conflits, partager le pouvoir, accroître la résilience et promouvoir un développement inclusif.
À la fin des années 90, l’initiative pour le capital social (Social Capital Initiative) de la Banque mondiale appréhendait le capital social dans le cadre d’une « approche en termes de synergie » qui intégrait les associations communautaires, les relations sociales, les perceptions locales et les groupes de citoyens dans la problématique plus large de la réforme institutionnelle et de l’économie politique (Woolcock et Narayan, 2000[59]). Cette initiative a été à l’origine de la mise en place progressive d’un cadre holistique, tenant compte des risques, pour promouvoir le capital social en s’attachant à ses trois fonctions principales :
Fonction affective : efforts déployés au sein de communautés partageant les mêmes convictions, afin de renforcer les liens sociaux, favoriser l’autoassistance, partager les informations et les biens, mettre en commun les fonds et apporter un soutien psychosocial.
Fonction relationnelle : efforts visant à nouer des liens entre des communautés différentes ayant moins d’intérêts communs, afin d’optimiser la capacité à affronter les chocs et tensions et à aplanir les divisions susceptibles d’engendrer des conflits.
Fonction instrumentale : efforts entrepris pour établir entre les réseaux locaux et les communautés, d’une part, et les institutions formelles et les autorités publiques, d’autre part, des liens permettant d’accéder à des services, partager les informations et renforcer la confiance et être plus réactif face aux crises.
Les termes « capital social » et « cohésion sociale » sont fréquemment employés l’un pour l’autre. De plus, la cohésion sociale peut être présentée comme un facteur contribuant au capital social, ou vice versa. Chacun de ces deux termes renvoie en fin de compte à la confiance sociétale, aux normes, à la coopération, à l’inclusion et aux institutions.
La convergence grandissante entre l’approche en matière de fragilité et l’approche en matière de résilience a suscité un intérêt accru pour le capital social. Un nombre croissant de travaux montre que faire fructifier un capital social affectif, relationnel et instrumental augmente la capacité de résilience face à des risques complexes et à l’exposition à des conflits, à des chocs sur les prix et à des catastrophes (Aldrich, 2012[60] ; Bernier et Meinzen-Dick, 2014[61] ; Frankenberger et al., 2013[62]). Le capital social est une force à l’œuvre dans les approches de la résilience ; la résilience, parallèlement, est maintenant au cœur de la fragilité telle que définie comme étant la conjonction de risques plus élevés et de capacités d’adaptation insuffisantes pour y faire face (OCDE, 2016[1]).
Dans une analyse séparée, Fukuyama (2005[63]) montre que le capital social contribue de façon primordiale à favoriser le renforcement de l’État et les contrats sociaux en répondant aux problèmes de coordination, d’engagement et de redevabilité en l’absence d’institutions et d’incitations formelles fortes.
Le meilleur moyen de constituer du capital social consiste donc à appliquer une approche globale visant à optimiser la coopération et à se prémunir contre des résultats négatifs. Par exemple, lorsqu’il existe un capital social affectif mais pas de capital social relationnel, cela peut aboutir à ce que des communautés isolées soient davantage exposées au risque de conflits intercommunautaires. Un capital social relationnel ne s’accompagnant pas d’un capital social affectif donne des formes de coopération plus superficielles. Un capital social affectif et un capital social relationnel sans capital social instrumental confinent les efforts au niveau local en l’absence de niveaux plus élevés de soutien financier, de leadership, de partage de l’information ou de légitimité de l’État. Un capital social instrumental sans capital social relationnel peut conduire à des formes de clientélisme et de patronage qui ne s’étendent pas ou ne bénéficient pas à toutes les communautés.
Poursuivre les efforts globaux de renforcement du capital social exigera de rompre avec l’approche actuelle en matière d’aide, consistant à mettre en place des projets localisés, ponctuels et à court terme, pour se tourner vers des solutions modulables qui peuvent remplir les fonctions du capital social affectif, relationnel et instrumental dans un plus grand nombre de zones géographiques et de niveaux verticaux de l’administration (Cooley et Papoulidis, 27 novembre 2017[64]). Ces efforts doivent mobiliser l’expertise acquise en matière de construction de la paix, de résilience, d’économie politique, de développement, d’aide humanitaire et de résolution des conflits. Cette expertise devrait donc guider les applications itératives, adaptatives et politiquement judicieuses des fonctions affectives, relationnelles et instrumentales du capital social dans un large éventail de contextes fragiles. Ces efforts peuvent en outre déboucher sur de nouveaux outils de mesure du capital social, tâche qui demeure difficile.
Contribution de Jonathan Papoulidis, World Vision et Université de Stanford
1.7. Tendance no 7 : il faut porter un nouveau regard sur les stéréotypes sexuels dans les contextes fragiles
Henri Myrttinen, International Alert
Depuis l’adoption en 2000 de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, il est reconnu dans les cadres d’action mondiaux concernant les conflits, la paix et la sécurité que les effets des conflits et de la fragilité sur les personnes et les sociétés s’expriment de multiples façons à travers les relations sociosexuées. Les attentes sociales sexospécifiques et les rôles assignés aux femmes et aux filles, aux hommes et aux garçons, et aux personnes ayant d’autres identités sexuelles conduisent à les placer dans des positions de force différentes et à les exposer à différents types de vulnérabilité dans les situations de conflit et de fragilité (Myrttinen et Daigle, 2017[65] ; Myrttinen, Naujoks et El-Bushra, 2014[66] ; Wright, 2008[67]). Les disparités et inégalités préexistantes sont souvent exacerbées. Cependant, les conflits et la fragilité peuvent offrir parallèlement de nouvelles occasions et moyens aux individus de remettre en question les normes sociales, les rôles et les structures de pouvoir. Assumer un nouveau rôle peut parfois être volontaire, par exemple quand des femmes choisissent de rejoindre un groupe armé, mais peut aussi être dicté par la nécessité, par exemple quand des femmes doivent prendre de plus grandes responsabilités sociales et économiques pour assurer le bien-être de leur famille en l’absence des hommes.
La problématique hommes-femmes est certes importante, mais ce n’est pas la seule variable à prendre en considération dans les contextes fragiles. Ni les femmes ni les hommes ne constituent une catégorie homogène. Les positions de pouvoir sexospécifiques et ce qui est attendu des personnes dépendent d’autres facteurs comme l’âge, la classe sociale, l’orientation sexuelle, le contexte ethnoreligieux, le handicap ou la situation matrimoniale. En outre, les dynamiques sociales sexospécifiques n’opèrent pas indépendamment les unes des autres. Au contraire, la vie des hommes, celle des femmes et celle des personnes ayant une autre identité sexuelle sont intimement et inextricablement liées. Leurs vies interagissent. Ces aspects ont fait l’objet de travaux de recherche approfondis.
Cependant, comme le souligne une récente étude du Réseau du CAD sur l’égalité hommes-femmes (GENDERNET) et du Réseau international sur les situations de conflit et de fragilité (INCAF) (OCDE, 2017[68]), les politiques et programmes dans les situations de conflit et de fragilité adoptent généralement une vision étroite de la problématique hommes‑femmes, la traitant comme un ajout technique et non comme un point de départ de l’analyse et de l’élaboration des programmes et politiques. De plus, les femmes et les questions les concernant ont tendance à être considérées comme relativement à part des problèmes de la population en général, alors que les femmes sont légèrement plus nombreuses dans la plupart des sociétés et que toutes les questions sociétales touchent tant les femmes que les hommes. En outre, les stéréotypes selon lesquels les femmes sont naturellement non violentes et vulnérables et les hommes violents et résilients continuent de dominer la conceptualisation de la problématique hommes-femmes, malgré la multitude d’éléments montrant qu’il s’agit là de caricatures simplistes. En effet, des études récentes explorent des facettes souvent négligées de la problématique hommes-femmes, telles que les conditions de vulnérabilité auxquelles s’exposent les hommes et les garçons dans les situations de conflit et le rôle actif joué par les femmes et les filles dans la violence armée.
1.7.1. Les hommes et les garçons en tant que personnes vulnérables
Selon l’opinion courante, les femmes et les enfants font partie des personnes les plus vulnérables dans les situations de conflit et de fragilité, de même que les hommes âgés, les personnes handicapées et les personnes de diverses orientations et identités sexuelles. Certes, ces groupes sont effectivement vulnérables à divers titres, mais cette classification courante les dessert dans la mesure où elle ne tient pas compte des différences parfois considérables qui existent en termes de besoins et de vulnérabilités entre les femmes, les hommes et les autres personnes. Les besoins d’un enfant d’une famille urbaine appartenant à la classe supérieure diffèreront de ceux d’une personne âgée handicapée vivant en zone rurale. En outre, l’ensemble des catégories de personnes susmentionnées représente, selon le contexte, entre les deux tiers et les trois quarts de la population d’une société. On peut donc difficilement en faire un critère de définition des personnes les plus vulnérables.
Cette vision d’ensemble présidant à l’identification des personnes les plus vulnérables dans une société repose également souvent sur l’hypothèse selon laquelle les jeunes adultes, les hommes valides, en particulier ceux sans famille, ne présentent pas ou peu de vulnérabilités. Or de nouveaux travaux de recherche sur les réfugiés afghans et syriens font apparaître un tout autre tableau et montrent les nombreux risques spécifiques auxquels ils sont exposés. On peut citer notamment l’exploitation sur le marché du travail, le harcèlement policier, l’impossibilité d’accéder aux services car ceux-ci sont destinés à d’autres groupes, ainsi que la violence, l’abus et l’exploitation sexuels (International Rescue Committee, 2016[69] ; Khattab et Myrttinen, 2017[70] ; Myrttinen, à paraître[71] ; Turner, 2016[72]). Ces vulnérabilités sont aggravées par les attentes intégrées par les hommes – être fort, stoïque et indépendant, ne pas solliciter de l’aide et remplir le rôle de soutien de la famille élargie en envoyant des fonds. Souvent, les prestataires de services méconnaissent ces vulnérabilités et ne disposent pas des compétences et ressources nécessaires pour y faire face.
1.7.2. La participation des femmes et des filles à la violence armée
La vaste majorité des acteurs armés sont des hommes et, dans une moindre mesure, des garçons. Cependant, les femmes, et parfois également les filles, sont elles aussi des participants directs et indirects. En témoigne le nombre considérable de femmes dans les rangs de l’Armée de libération du peuple maoïste au Népal, des Unités de protection du peuple kurde (YPG) en Syrie et des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Elles constituent 30 à 40 % des effectifs de ces trois forces d’après les estimations. Toutefois, ce n’est pas seulement dans les organisations qui ont adhéré au moins en théorie au principe de l’égalité hommes-femmes que les femmes participent activement en tant que combattantes, soutiens ou recruteuses. Ces dernières années, des femmes ont également rejoint volontairement des groupes qui s’emploient à réduire les droits, l’espace social et la mobilité des femmes, tels que les groupes violents d’extrême-droite et néo-nazis en Europe et en Amérique du Nord et les groupes islamistes comme ceux connus sous les noms d’État islamique et de JAS (Boko Haram) au Nigéria (Fangen, 1997[73] ; Lakhani et Ahmadi, 30 novembre 2016[74] ; Milton-Edwards et Attia, 2017[75]). Bien des femmes et des filles sont par ailleurs membres de gangs armés violents, comme les maras en Amérique centrale.
À l’évidence, ni les femmes et les filles, ni d’ailleurs les hommes et les garçons, ne rejoignent tous volontairement ces groupes. Cependant, les discours dominants mettant en avant uniquement les enlèvements, la coercition ou le lavage de cerveau des femmes membres occultent le fait que les femmes, comme les hommes, ont des convictions politiques et des griefs qui peuvent les pousser à prendre les armes et qu’elles le font également pour des raisons économiques ou personnelles. Par exemple, elles peuvent vouloir aller à l’encontre des normes sexuelles dominantes, échapper à des structures familiales abusives ou répressives, se protéger et protéger leur famille, donner un nouveau sens à leur vie et avoir un nouveau sentiment d’appartenance.
L’hypothèse selon laquelle les femmes ne rejoignent jamais volontairement les groupes armés ou, lorsqu’elles le font, s’y voient contraintes parce qu’elles ont été manipulées par les hommes, revient à nier la faculté d’agir des femmes. Cette hypothèse a en outre des conséquences directes lors des processus de paix et de consolidation de la paix. Considérer les femmes comme naturellement pacifiques ou voir en elles uniquement des victimes de la guerre, même lorsqu’elles sont d’anciennes combattantes, est de la discrimination positive et a souvent conduit à tenir les femmes à l’écart (Vinas, 2015[76]). Lors des négociations pour la paix, qui consistent pour l’essentiel à amener les acteurs armés à trouver un accord, les femmes sont souvent absentes ou reléguées aux tables de négociation secondaires pour discuter de ce qui est appelé la condition féminine. Lors des processus de réintégration, également, les femmes combattantes ont été invariablement écartées, regroupées avec des femmes victimes (comme au Népal) ou aiguillées vers des programmes de formation professionnelle qui reflétaient plus les stéréotypes sexuels que les compétences ou souhaits de ces femmes. De même, concernant la prévention de l’extrémisme violent, les approches simplistes qui consistent principalement à recourir aux mères pour déradicaliser leurs fils mettent potentiellement ces femmes en danger ; de plus, ces approches négligent les multiples rôles des femmes dans l’extrémisme violent et les raisons complexes de leur participation (Satterthwaite et Huckerby, 2013[77]).
1.7.3. Une voie plus efficace à l’avenir pour dépasser les stéréotypes sexuels
Les situations de conflit et de fragilité ainsi que les situations d’après-conflit réclament une approche holistique, nuancée et intégrant la variable hommes-femmes. Cela permet de mieux comprendre la dynamique sociale et, ainsi, d’apporter des réponses plus adéquates et plus efficaces aux situations de conflit et de fragilité. Intégrer la variable hommes-femmes implique de dépasser les stéréotypes traditionnels et d’examiner comment les femmes, les hommes et d’autres personnes font face à de nouveaux risques et de nouvelles opportunités. Concrètement, il faut considérer que les hommes et les garçons sont potentiellement vulnérables en raison des normes sociales dominantes. Il faut aussi commencer à voir les femmes, les filles et les personnes ayant diverses orientations ou identités sexuelles non « comme des objets de charité [mais comme] des détenteurs de droits » qui ont la faculté d’agir sur les plans social et politique, y compris, parfois, la faculté de prendre les armes (Davis, Fabbri et Alphonse, 2014[78]).
Il est également nécessaire de passer d’une approche quantitative de la vulnérabilité – comme se demander qui seraient les plus vulnérables, en particulier si la réponse se fonde sur des postulats et non sur les résultats de la recherche – à une approche qualitative analysant en quoi et pourquoi des personnes différentes sont vulnérables différemment dans un contexte donné.
1.8. Tendance no 8 : le développement doit répondre aux espérances
Sara Batmanglich, OCDE
Ces dernières années, l’expression « causes profondes » a fréquemment été employée dans les déclarations politiques et les descriptifs de programme relatifs à la fragilité et aux conflits. Elle est devenue un raccourci de plus en plus usité pour décrire des facteurs qui conduisent à des effets complexes divers tels que les conflits, les migrations et l’extrémisme. Dans l’empressement à trouver des solutions, les causes profondes sont souvent définies par rapport à ce que la communauté internationale peut faire pour les traiter. C’est pourquoi les raisons avancées pour expliquer l’existence de ces causes profondes ont tendance à rester générales et centrées sur le manque d’un élément donné, par exemple, le manque d’emplois. Cette approche omet toutefois d’envisager la possibilité que le développement international, dans sa conception actuelle, n’ait pas réussi à traiter ce que l’on pourrait appeler la cause première, plus profonde, comme les émotions et les sentiments, à partir de laquelle les causes secondaires se développent.
Un thème commun transparaît dans une grande partie du mécontentement dont les personnes vivant dans des contextes fragiles, celles insatisfaites des résultats de décennies d’aide à leurs pays et communautés, témoignent actuellement à l’égard du secteur du développement. Alors que les indicateurs du développement montrent l’existence de progrès dans maints endroits sur de multiples fronts – amélioration des routes, des écoles, des hôpitaux, de l’accès, réduction de la pauvreté, etc. – ces réussites louables ont occulté un échec important et moins facile à mesurer. Le développement a sans doute dispensé ces bienfaits à divers degrés, mais pour de nombreuses personnes il n’a pas répondu à leurs espoirs : l’espoir d’un futur meilleur pour elles-mêmes et leur famille, l’espoir d’un environnement qui nourrit, favorise et fait une place à leurs rêves et aspirations et à ceux de leurs enfants. Ceci représente un problème majeur en matière de fragilité car, en l’absence d’espoir, les coûts d’opportunité des décisions sont extrêmement réduits et presque plus rien ne retient les gens, surtout les jeunes, de faire des choix dommageables ou dangereux.
1.8.1. Une incapacité à comprendre les implications des espoirs et aspirations
Alors que les ambitions déçues font partie des questions abordées dans les débats sur le « printemps arabe », la communauté du développement n’a toujours pas intériorisé ce que cela implique quant à la manière dont elle peut mieux comprendre et soutenir la réalisation de ces ambitions à travers la programmation du développement. Et ce, bien que de multiples éléments attestent du rôle capital que l’espoir et les ambitions jouent dans la perception que les individus ont de leur bien-être. Les outils d’évaluation négligent souvent les perceptions, alors qu’elles peuvent influer considérablement sur la façon dont les individus ressentent satisfaction ou mécontentement et, de ce fait, peuvent apporter des éléments d’information sur les conséquences qui s’ensuivent (ONU/Banque mondiale, 2018[79]). Ces aspects se retrouvent largement dans les études sur les migrations, qui constatent que le sentiment d’une « stagnation inévitable » (Carling et Talleraas, 2016, p. 7[80]) et que « l’absence d’espoir de perspectives locales » (Carling et Talleraas, 2016, p. 36[80]) poussent des personnes à prendre des risques pour trouver ailleurs un avenir meilleur. En dépit des grandes différences de dynamique entre les contextes, il existe des similitudes frappantes entre les objectifs et aspirations de réfugiés provenant de pays aussi divers que le Cameroun, la Jordanie, la Malaisie ou la Turquie (Barbelet et Wake, 2017, p. 11[81]). De même, des personnes déplacées dans six contextes différents ne sont pas optimistes quant à la concrétisation de leurs aspirations, de récents sondages effectués sur le terrain montrant que l’écrasante majorité des bénéficiaires d’une aide humanitaire n’ont pas le sentiment qu’on leur donne les moyens de devenir autonomes (OCDE, 2017[82]).
L’éducation est peut-être le facteur qui pèse le plus, après la sécurité, dans la décision de rester ou de partir, et même quand les réfugiés adultes ne croient plus en leur avenir, ils reportent leurs espoirs sur leurs enfants (Barbelet et Wake, 2017, pp. 11-12[81]). L’éducation présente en outre l’avantage de réduire l’attrait de groupes qui jouent sur le désespoir et le ressentiment, et plusieurs travaux de recherche mettent en garde contre le fait que décevoir l’espoir suscité par les études crée des conditions qui perpétuent la pauvreté intergénérationnelle, nourrit l’instabilité et compromet les perspectives de redressement (Watkins et Zyck, 2014, p. 2[83]).
L’espoir, ou l’absence d’espoir, joue un rôle similaire dans les zones où la violence est élevée. Les jeunes sont particulièrement susceptibles de réagir quand ils se sentent abandonnés par leur gouvernement ou leur société. En Amérique centrale, les maras, ou gangs, donnent un sentiment d’appartenance et un but à des jeunes qui ont si peu de perspectives qu’ils ont l’impression d’être « nés morts », selon l’expression d’un anthropologue salvadorien (International Crisis Group, 2017, p. 12[84]) Faute de dispositifs communautaires suffisamment dotés et soutenus pour faire face à l’ampleur du désespoir, une situation se crée dans laquelle les jeunes, ayant le sentiment d’être les oubliés de l’État et des autorités traditionnelles, ont « de moins en moins à perdre » (Sears, 2017, p. 17[85]). Ce sentiment est loin d’être propre aux pays en développement. Le chef d’une communauté de Los Angeles a résumé en ces termes la violence dont il est témoin : elle est reliée à « une absence mortelle d’espoir », ajoutant que « nul n’a jamais vu un jeune empli d’espoir rejoindre un gang » (Cowan, 2017[86]).
La frustration des aspirations contribue au sentiment d’exclusion et de marginalisation, élément de plus en plus reconnu aujourd’hui comme un facteur de risque de conflit (ONU/Banque mondiale, 2017, pp. 16-17[87]). Malheureusement, ceux qui savent comment présenter la mobilisation comme un antidote au mécontentement ont compris depuis longtemps que ces sentiments constituaient des opportunités. La mobilisation, et le sentiment d’appartenance qu’elle génère, devient un phare attrayant dans un monde par ailleurs sombre et sans espoir. Des chercheurs menant des entretiens dans différents pays d’Afrique ont récemment demandé aux jeunes quelle émotion rendait le mieux compte de leur volonté de rejoindre volontairement un groupe extrémiste ; la réponse la plus fréquente a été « espoir et enthousiasme » (PNUD, 2017, p. 74[42]). Ce sentiment non plus n’est pas propre aux pays en développement. La recherche sur les combattants étrangers venant de pays occidentaux pour se battre aux côtés de groupes militants en Iraq et en Syrie en est encore à ses débuts, mais selon les premières constatations « l’absence d’avenir et le sentiment d’exclusion » contribuent également à leur quête d’une cause à embrasser (van Ginkel et al., 2016, p. 54[88]).
L’extrémisme violent est présenté comme donnant un but, un sentiment d’appartenance et une direction ainsi qu’une chance d’exprimer une identité personnelle claire. Ces éléments représentent des carences qu’un emploi ne saurait combler à lui seul, si tant est que les emplois soient en nombre suffisant, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des contextes fragiles. Le chômage est certes un problème majeur, mais il véhicule souvent au fond « le désespoir et un sentiment d’injustice » et c’est cela, et non le manque d’emplois à lui seul, qui rend si attrayants les moyens de subsistance violents (Mercy Corps, 2015, p. 23[89]). L’affiliation à des groupes extrémistes peut aussi faire espérer une amélioration de la situation économique, les prêts et paiements donnant les moyens de financer des ambitions professionnelles plus ordinaires quand les autres options se font rares (Mercy Corps, 2016[90]).
1.8.2. Accorder une plus grande place à l’humain dans le développement
Pourquoi, en dépit de ces observations transversales, l’espoir n’a-t-il pas été davantage pris en considération dans les discussions sur les effets du développement ? L’explication évidente est que l’espoir est subjectif et difficile à mesurer et que, par conséquent, en faire un paramètre d’un document de projet ou d’une proposition semblerait inapproprié et serait même fort probablement considéré comme un manque de professionnalisme. La communauté du développement s’étant attachée à faire preuve d’une plus grande rigueur dans le suivi des résultats – ce qui constitue une professionnalisation louable du secteur –, elle n’a guère laissé d’espace approprié pour l’inclusion ou la priorisation d’objectifs de programmation plus immatériels et moins quantifiables.
Cependant, au-delà de ces préoccupations d’ordre pratique, il existe une explication plus systémique. Une des principales recommandations formulées dans le rapport États de fragilité 2016 préconise de mettre l’humain au centre de l’amélioration de la programmation. Elle a été émise car, comme le rapport en fait le constat, la préférence est actuellement donnée aux réponses structurelles aux défis que fait naître la fragilité, qui sont généralement plus visibles et plus faciles à gérer et mesurer et qui peuvent produire des résultats plus rapidement. Or accorder moins d’importance à l’élément humain dans le développement et à la faculté d’action individuelle de l’être humain conduit à un déficit dans la production de retombées qui comptent vraiment pour les populations. Pour faire mieux, il faudra continuer de faire évoluer la réflexion sur le développement pour adopter une approche dans laquelle le bien-être deviendra réellement une composante centrale. Mettre l’accent sur le bien-être ne consiste pas seulement à s’attacher à la satisfaction de besoins et désirs objectifs, mais aussi à être attentif à la qualité de la vie que les gens mènent. Loin d’être une approche altruiste, cela peut influer de façon tangible sur la réalisation de progrès. Le rôle de la honte, de la fierté et de l’estime de soi continue d’être étudié, notamment la possibilité que la honte perpétue la pauvreté en altérant la faculté d’action individuelle de l’être humain.
1.8.3. La patience d’attendre que le développement tienne ses promesses s’amenuise
Dans de nombreux contextes fragiles, la patience d’attendre et de voir ce que donnera finalement le développement s’amenuise. On a insufflé aux gens l’espoir que leur vie allait s’améliorer considérablement, et aujourd’hui cet espoir s’évanouit. Les lieux où les espérances sont devenues excessives, délibérément ou involontairement, risquent plus de voir le mécontentement exploser quand ces espérances sont ruinées que les lieux où il n’y a de toute façon jamais eu d’espérances (Mercy Corps, 2015, p. 36[89]). Ce risque est particulièrement aigu quand les gens se livrent une âpre concurrence pour avoir un avenir et quand le développement n’est plus le seul à offrir ostensiblement un avenir désirable.
Le développement n’a jamais été et ne sera jamais la panacée. Comme il a été dit ailleurs dans ce rapport, il est fallacieux de penser qu’un pays peut sortir de la fragilité par ses propres moyens. Néanmoins, le développement devrait lui-même aspirer à répondre aux aspirations des populations et, au minimum, comprendre qu’y faillir risque de nuire à la dynamique même dont le développement se veut la réponse. Avec tout le savoir acquis des décennies durant en matière de développement, il est temps de passer à un « nouvel humanisme » (Gass, 2017, p. 5[91]) et de reconnaître davantage le rôle prépondérant que joue la capacité d’action de l’être humain dans la réalisation de progrès pacifiques, dans laquelle le développement n’est pas une fin en soi, mais un moyen de concrétiser l’espoir d’un avenir meilleur.
1.9. Tendance no 9 : l’extrémisme violent nourrit la violence et la violence nourrit la fragilité
Rebecca Wolfe, Mercy Corps et Yale University
Le rapport États de fragilité 2016 a mis en lumière l’importance de la violence, en tant que cause de la fragilité et en tant qu’un de ses résultats. Il a en outre amené la communauté internationale à examiner toutes sortes de violences – non seulement la violence naissant d’un conflit, mais aussi la violence organisée, le crime organisé, la violence d’un partenaire intime et la violence interpersonnelle – pour mieux comprendre la fragilité et y remédier. De même, les ODD ont fait de la paix un axe transversal dans l’ensemble du Programme de développement durable à l’horizon 2030. L’importance accordée aux questions de gouvernance dans l’ODD 16 montre que les pays ne seront pas en mesure d’atteindre leurs autres objectifs de développement si une lutte n’est pas engagée contre la violence et la fragilité.
1.9.1. Les différentes formes de violence ne sont pas toutes traitées de la même manière
Cependant, si les relations entre les diverses formes de violence, et tout particulièrement la façon dont l’extrémisme violent naît, dans une large mesure, d’autres types de conflit, sont de plus en plus reconnues, cette prise de conscience n’imprègne pas encore pleinement l’approche de la communauté internationale. Les politiques étrangères, les engagements des donneurs et les médias continuent d’accorder plus d’attention à l’extrémisme violent qu’aux autres formes de violence. En témoignent les ressources déployées pour vaincre à Raqqah et à Mossoul ce que l’on appelle l’État islamique, objectif jugé prioritaire par rapport à l’éradication des principaux facteurs d’émergence de ce groupe en mettant fin au conflit syrien et en combattant l’exclusion dont de nombreux Sunnites estiment être victimes en Iraq. Les hommes politiques et les médias placent souvent l’accent sur les attaques terroristes et sur les appels à lutter contre l’extrémisme qui s’ensuivent à Berlin, Kaboul, Londres, Mogadiscio, Maiduguri, Paris et New York. Le résultat est que l’attention tend à se fixer sur ces événements à sensation plutôt que sur la violence plus persistante qui touche davantage de personnes dans le monde, réduit la capacité à remédier à la fragilité et à atteindre les ODD et crée les conditions propices à l’émergence de groupes extrémistes.
Concernant le premier point, comme le rapport États de fragilité 2016 l’a clairement exposé, les conflits violents représentent une faible proportion de l’ensemble des formes de violence que subissent les individus dans le monde (Graphique 1.5). Dans leur rapport rédigé pour Small Arms Survey et consacré aux niveaux de violence dans le monde, Mc Evoy et Hideg (2017[92]) indiquent que 18 % des 560 000 morts violentes en 2016 étaient imputables à des conflits armés. Sur les 99 000 décès liés aux conflits armés, seulement 26 % étaient dus au terrorisme. Cependant, la forte couverture médiatique des attentats terroristes incite certaines personnes à penser que ces attaques sont plus fréquentes qu’elles ne le sont réellement et, de ce fait, les gens craignent généralement plus le terrorisme que d’autres menaces (Kahneman, 2013[93]). Cela place les décideurs et les hommes politiques face à un dilemme car ils doivent choisir entre réagir au risque effectif ou réagir au risque perçu (McGraw, Todorov et Kunreuther, 2011[94]). Cette attention contribue à trop privilégier les mesures de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent par rapport aux mesures de réduction d’autres formes de violence, voire des mesures plus axées sur le développement, qui répondent à des griefs plus profonds et s’attaquent aux vecteurs des multiples formes de violence.
1.9.2. La violence affecte toutes les dimensions de la fragilité
Concernant le second point, l’interaction entre la violence et la fragilité, qui maintient les sociétés dans l’incapacité de supprimer les facteurs de fragilité qui contribuent à la violence ou de réduire suffisamment la violence pour sortir de la fragilité, est manifeste. D’après les données de la Banque mondiale, 72.8 % des 705.55 millions de personnes qui vivaient dans une situation d’extrême pauvreté (soit avec moins de 1.90 USD par jour) en 2015 se concentraient dans les 58 pays et contextes considérés fragiles selon le Cadre de l’OCDE sur la fragilité. Ces contextes fragiles sont en outre souvent en proie à un conflit prolongé. S’il n’est pas remédié à la fragilité en ces lieux, selon les projections, ce chiffre montera à 80 % d’ici 2030, date butoir pour la réalisation des ODD.6
La violence est fréquemment considérée comme n’affectant que la dimension « sécurité » de la fragilité. Cependant, cette interaction entre la violence et la fragilité s’observe également dans chacune des quatre autres dimensions de la fragilité – sociétale, politique, environnementale et économique. Elle enclenche une spirale négative qui fait s’aggraver la fragilité et la violence avec le temps. Dans la dimension sociétale, par exemple, les différends entre les groupes peuvent éroder la confiance et créer des conditions que les élites peuvent exploiter pour mobiliser les partisans de la violence. Cette violence détruit le peu de confiance qui subsiste entre les groupes sociaux. De plus, la violence peut provoquer des déplacements, ce qui précipite le délitement des relations et la rupture des liens sociaux. Les mouvements de population accentuent souvent la ségrégation entre les groupes, ce qui contribue à la polarisation (Enos, 2017[95]), exacerbe la fragilité au sein des sociétés et donne aux recruteurs des groupes armés davantage d’arguments pour justifier le recours à la violence.
De même, dans la dimension politique, la violence crée de l’insécurité. Les pouvoirs publics ont alors plus de difficultés à fournir des services, que ce soit en raison d’un conflit ou d’autres formes de violence comme celle des gangs qui contrôlent des quartiers urbains. Cela tend encore plus les relations déjà fragiles entre l’État et la société, lorsque les populations marginalisées ont le sentiment que l’État ne les sert pas, et cela permet à d’autres groupes – parfois violents – de s’assurer des soutiens en promettant des services. Dans les dimensions économiques et environnementales, la violence crée des conditions d’insécurité qui empêchent l’accès aux marchés ou aux terres productives, découragent les investissements qui génèreraient de la croissance économique, et provoquent une surexploitation des ressources. En 2017, les conflits ont coûté 14 300 milliards USD à l’économie mondiale (Institute for Economics and Peace, 2017[96]). Même une violence de faible niveau mais persistante coûte cher. Dans la région de la ceinture centrale au Nigéria, les affrontements entre fermiers et éleveurs coûtent à l’économie nigérienne jusqu’à 13 milliards USD par an (McDougal et al., 2015[97]).
L’interaction entre la violence et la fragilité crée en outre les conditions propices à l’émergence de groupes extrémistes violents. La plupart de ces groupes parviennent à rallier à leur cause quand l’État est largement absent, quand il existe de profonds différends entre les groupes et/ou entre ceux-ci et l’État, et quand les gens se sentent marginalisés et exclus (International Crisis Group, 2016[18]). Le plus souvent, il y a un conflit préexistant, comme on a pu l’observer en Afghanistan, en Iraq, en Libye, en Somalie, en Syrie et au Yémen. Par conséquent, la lutte contre l’extrémisme violent passe par la lutte contre les autres formes de violence et de fragilité.
1.9.3. La fragilité et la violence doivent être traitées conjointement
Quels sont les meilleurs moyens de lutter simultanément contre la violence et la fragilité ? Si l’on s’attaque à ces problèmes l’un après l’autre, on risque de ne pas savoir par où commencer. Il est difficile de remédier à la fragilité en présence d’une violence persistante. Une récente étude de Zürcher (2017[98]) portant sur les programmes de développement et leur capacité à réduire la violence montre qu’ils n’ont été efficaces que dans les endroits plus sûrs. Cependant, l’approche consistant à s’occuper d’abord de la violence et à ignorer la fragilité jusqu’à ce que la violence se calme présente elle-même le risque que les conditions qui ont conduit à la violence subsistent et risquent de provoquer une recrudescence de la violence (Banque mondiale, 2011[99]). Les approches sécuritaires utilisées pour mettre fin à la violence des gangs et au crime organisé dans des zones urbaines de l’Amérique latine telles que Rio de Janeiro, la ville de Guatemala, Bogotá et San Salvador, et dans des conflits prolongés comme ceux en Afghanistan, en Iraq et au Nigéria, sont rarement couplées à des programmes d’accompagnement visant à traiter la fragilité sous-jacente. En conséquence, la violence se déchaîne souvent à nouveau après un recul initial très chaleureusement salué.
Pour mieux gérer l’articulation violence-fragilité, on pourrait envisager de combiner programmes à court terme et programmes à long terme. Les programmes à court terme peuvent rapidement réduire la violence ou répondre à des besoins immédiats pour stabiliser la vie des citoyens. Cependant, cette approche donne rarement des résultats durables, comme l’expérience l’a montré en divers endroits du globe. Il faudrait donc, parallèlement ou immédiatement après le reflux de la violence, affecter d’importantes ressources au traitement des problèmes à long terme – en particulier ceux liés à l’inclusion (sociale, politique et économique) et aux relations entre État et société – au lieu de persister dans la pratique habituelle consistant à faire porter l’essentiel des efforts sur l’infrastructure dans les situations de reconstruction post-conflit.
En Afghanistan, à petite échelle, Mercy Corps a combiné transferts monétaires non conditionnels, qui ont apporté aux jeunes une aide économique à court terme, et formation professionnelle, qui leur a fait acquérir des compétences leur permettant d’avoir des moyens de subsistance plus rentables. Cette approche s’est traduite par une diminution des soutiens aux groupes d’opposition armés comme les Talibans, plus que ne le font séparément les transferts monétaires ou la formation professionnelle (Mercy Corps, 2018[100]). Des travaux menés sur ce projet, ainsi qu’une récente étude consacrée à une thérapie cognitivo-comportementale et à des programmes monétaires au Libéria (Blattman, Jamison et Sheridan, 2017[101]), font apparaître la complexité des raisons poussant les gens à court terme et à long terme à prendre part à la violence et montrent comment il convient d’y remédier. On pourrait imaginer d’employer une approche comparable, en mettant en place un renfort militaire pour accroître la sécurité dans une zone à court terme, puis en mettant en œuvre rapidement des programmes de gouvernance et de développement économique pour lutter à long terme contre la fragilité sous-jacente. L’Encadré 1.3 explore les questions connexes posées par la réforme du secteur de la sécurité dans le contexte de la montée des conflits violents.
Pour revenir sur un point évoqué précédemment, alors que de nombreuses personnes savaient quand la ville iraquienne de Mossoul finirait par tomber, la communauté internationale a tardé à passer à la phase de relèvement et de développement après avoir pris le contrôle de cette zone et en avoir renforcé la sécurité. Sa lenteur de réaction risque de provoquer l’émergence d’un nouveau groupe militant ou la résurgence de groupes auparavant actifs. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il soit facile d’agir sur l’articulation violence-fragilité. Cependant, le lien ne sera pas brisé sans que soit changée la façon dont la communauté internationale investit des ressources et tant que réduire toutes les formes de violence, pas seulement celles qui offrent le plus d’opportunités politiques, ne sera pas une priorité. En fin de compte, prévenir l’émergence des groupes extrémistes violents ne sera possible qu’en réalisant de plus grandes avancées pour lutter contre la fragilité et combler les vides de la gouvernance et de l’État de droit ainsi que l’isolement que ces groupes s’efforcent d’exploiter. Il est clair que sa vision à court terme focalisée sur l’extrémisme violent conduira la communauté internationale à continuer de négliger les conditions qui le font émerger et les dynamiques plus larges de la fragilité qui créent et protègent les espaces où la violence peut s’exercer sous de nombreuses formes.
Encadré 1.3. Réformer le secteur de la sécurité en période d’insécurité croissante dans le monde
L’incapacité à financer dans le passé des améliorations viables à long terme en matière de gouvernance de la sécurité a contribué au fardeau mondial de la violence. L’incidence croissante de la violence, les déplacements massifs de populations et la résurgence de l’extrémisme violent exposent aujourd’hui les États et les citoyens à de plus grands risques dans chaque dimension de la fragilité. Ces pressions orientent l’aide à la sécurité vers des programmes répressifs et technocratiques et détournent l’attention, l’énergie et les ressources des programmes de réforme du secteur de la sécurité motivés par des considérations de gouvernance.
Ces tendances dans le domaine des conflits mondiaux ont en outre suscité un regain d’intérêt pour une démarche multilatérale dans la recherche de réponses, conférant une cohérence sans précédent à l’argument mondial en faveur de l’amélioration de la gouvernance du secteur de la sécurité et de réformes holistiques. L’accent plus marqué mis par les Nations Unies sur la prévention des conflits et le maintien de la paix complète le Programme 2030 qui, pour la première fois, fait de la paix et de la justice une condition indispensable au développement durable. Les Objectifs de développement durable (ODD) appellent tous les États à instaurer des institutions responsables et résilientes qui donnent à tous les citoyens un sentiment de sécurité dans leur vie quotidienne. Il est donc impératif pour un développement durable que la réforme du secteur de la sécurité obéisse à des considérations de gouvernance.
Ce consensus mondial place la sécurité des personnes au centre des débats sur les secteurs de la sécurité. Il est de plus en plus admis qu’une approche autoritaire en matière de sécurité exacerbe souvent la violence et les déficits de gouvernance, ce qui ancre durablement les causes profondes des conflits violents. Une analyse plus approfondie des déterminants des conflits montre comment la violence est liée aux griefs sociaux et politiques selon des modalités dont seules des stratégies multidimensionnelles peuvent venir à bout. Les secteurs de la sécurité doivent répondre à la violence sociale et politique. Cependant, ils ne peuvent enrayer les dynamiques sociétales plus profondes qui sont à l’origine de cette violence. Le défi immédiat pour les secteurs de la sécurité consiste à trouver le moyen de combattre la violence sans exacerber les conflits, en œuvrant en partenariat dans le cadre de stratégies socio-économiques plus larges qui s’attaquent aux causes profondes de la violence. La réussite passe par des réformes du secteur de la sécurité qui sont fondées sur des éléments d’appréciation crédibles, des recommandations concrètes viables et un soutien pérenne à des processus de changement non linéaires.
L’évolution des priorités mondiales conduit à porter un nouveau regard sur des éléments d’insécurité qui ont été négligés depuis longtemps, et les secteurs de la sécurité dans le monde entier doivent trouver de meilleurs moyens de répondre. La violence sociale qui caractérise la vie quotidienne dans les villes de par le monde est un phénomène qui suscite une prise de conscience grandissante. Ces préoccupations s’ajoutent aux risques encourus lorsque l’on intervient en cas de guerre ou de crise humanitaire dans des zones urbaines qui sont de plus en plus le théâtre de violences politiques. De même, la notion de violence faite aux femmes, par exemple, s’est élargie à des formes de harcèlement quotidien et aux abus dont les femmes du monde entier souffrent régulièrement. Les cadres normatifs internationaux et les mécanismes de notification poussent les programmes de sécurité traditionnels à se centrer davantage sur l’être humain. Leur suivi et leur surveillance dans divers forums internationaux les mettent, tout comme d’autres facettes de la sécurité systématiquement négligées, en lumière sous un nouvel angle. Tous ces efforts réaffirment le rôle d’un secteur de la sécurité bien gouverné dans la prévention des conflits, le maintien de la paix et la réalisation du développement durable.
Contribution de Fairlie Chappuis, Centre pour le contrôle démocratique des forces armées de Genève (DCAF)
1.10. Tendance no 10 : les économies illicites et les réseaux criminels prospèrent grâce à la fragilité
Mark Shaw, Global Initiative against Transnational Organized Crime
Les conflits, la fragilité et la présence du crime organisé ou de trafics illicites sont liés, comme l’atteste l’accroissement régulier du nombre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui établissent un lien entre eux (Graphique 1.6). Le Conseil de sécurité, qui est en charge des questions de paix et de sécurité, a mentionné ou visé la question du crime organisé ou des trafics illicites dans un peu plus d’un tiers du total des résolutions qu’il a prises entre 2000 et 2017. Le nombre des mentions a augmenté régulièrement au cours de cette période, culminant en 2015, date à laquelle 63 % des résolutions mentionnaient ou visaient le problème du crime organisé et des trafics illicites7. C’est une évolution internationale notable, mais elle n’est pas souvent mentionnée ou bien comprise.
De même, la relation entre les conflits, le crime organisé, les flux illicites et la fragilité n’est pas bien analysée en règle générale. Lorsque des réponses ont été cherchées, les solutions locales (comme former à l’application de la législation nationale) ne règlent manifestement pas le problème. La difficulté tient en partie au fait que, si les impacts de l’essor de l’économie illicite dans le monde sont souvent pernicieux, ils se diffusent lentement. Ils ne sont pas toujours visibles d’emblée et sont même parfois salués initialement comme un progrès. Quand les effets deviennent patents, l’impact et les coûts sont indirects ou ne sont pas considérés comme des problèmes de crime organisé. En outre, l’éventail des marchés informels ou criminels anciens et nouveaux est si large qu’il est souvent difficile de calculer le coût total et de déterminer avec précision leurs modalités d’interaction avec les aspects plus apparents de la fragilité.
C’est pourquoi mesurer l’économie illicite mondiale demeure une gageure, même si elle est estimée se situer entre 2.3 % et 5.5 % du PIB mondial, ce qui équivaut à peu près à la production de l’ensemble du continent africain (Reitano et Hunter, 2018[103]). Par contre, on sait que les marchés illicites mondiaux ont commencé à changer profondément au début des années 2000. Cette métamorphose a été tridimensionnelle. Une multitude de nouveaux marchés sont apparus en dehors de ce qui avait été considéré comme le domaine d’action traditionnel du crime organisé (principalement les stupéfiants). Les marchés se sont étendus à presque tous les continents de la planète, notamment l’Afrique où, comme partout ailleurs, ils sont devenus un élément indissoluble des problèmes de fragilité. Les réseaux criminels eux-mêmes se sont étendus, les groupes de la criminalité organisée venant maintenant des quatre coins du globe et opérant partout. Par exemple, les réseaux criminels ouest-africains sont un élément de la fragilité du sud de l’Italie, de même que les groupes italiens sont présents sur la côte nord-est de l’Afrique, zone exposée aux conflits. Ces réseaux et ces liens entretiennent et relient les fragilités dans des endroits distants, ce qu’a facilité la révolution des réseaux mondiaux de communication.
Trois tendances majeures influent sur le lien entre la fragilité et les marchés illicites et, dans un cercle vicieux, sont à leur tour influencées par eux.
1.10.1. Les incitations financières mondiales ont changé
Les incitations financières mondiales ont changé à mesure que l’économie illicite s’est développée. Pour résumer, il existe de nouveaux et multiples lieux où investir des fonds illicites. Cela a d’importantes implications pour la fragilité. Auparavant, les bénéfices de ce que l’on pourrait appeler le crime organisé étaient investis localement. C’est ce que faisaient, par exemple, les « barons voleurs » de la fin du xixe siècle aux États-Unis. De nos jours, cependant, l’argent issu d’activités criminelles est sorti des pays en situation de fragilité et des pays en développement, ce qui crée deux incitations autoentretenues. Premièrement, les centres financiers importants et nouveaux de la planète ont intérêt à masquer la mesure dans laquelle ils abritent le produit d’activités criminelles. Deuxièmement, dans bien des économies en développement et fragiles, les incitations à investir localement l’argent issu d’activités criminelles sont peu nombreuses. Les chefs de la pègre n’ont alors guère intérêt à vouloir la stabilité à long terme et la sécurité, et tout intérêt à maintenir le fragile statu quo.
Le résultat est un fossé grandissant entre ce que l’on peut considérer comme des territoires où la criminalité sévit ouvertement, qu’il s’agisse des champs d’opium de l’Afghanistan ou de l’approvisionnement en produits environnementaux provenant de l’Asie ou de l’Afrique, et les lieux où les bénéfices sont cachés. Les agriculteurs afghans, les braconniers africains et les agents chargés de l’application de la loi en Amérique centrale gagnent peu ; l’argent extrait plus en amont de la chaîne économique ne passe jamais par la base très fragile de la pyramide illicite. Ce modèle organisationnel finance des intermédiaires extérieurs et des empires criminels qui n’ont guère intérêt – bien au contraire – à assurer la stabilité à long terme de leurs zones d’extraction. Aujourd’hui, le système s’autorenforce considérablement : la valeur illégale est extraite, ce qui encourage les méfaits et une mauvaise gouvernance et entretient la fragilité, et ses bénéfices sont exploités ailleurs. L’économie illicite est inégalitaire et repose sur l’exploitation, offrant peu de chances de sortir de la pauvreté une seconde génération grâce à des investissements durables dans des domaines comme l’éducation. Sur le long terme, elle ne fait que des perdants.
1.10.2. Les économies illicites engendrent leurs propres formes de gouvernance
Le deuxième sujet de préoccupation en matière de fragilité est que les économies illicites donnent naissance à ce que l’on pourrait appeler la gouvernance du crime, par opposition à la solide gouvernance légale des lieux où l’argent illicite est investi. Dans son expression la plus simple, la gouvernance du crime se manifeste par le développement d’économies d’extorsion dans lesquelles de l’argent est versé à ceux qui promettent une protection ou, en cas de refus de paiement, devient la source de l’instabilité. En Amérique centrale, par exemple, dans les situations de pauvreté et de fragilité qui sont liées aux économies locales de la drogue, cette économie de la protection fonctionne quotidiennement. Cependant, des « taxes » d’extorsion, comme on peut les appeler, sont levées aujourd’hui dans de nombreuses villes des pays en développement. Ces relations ne sont pas explorées car ceux qui en sont victimes se taisent. Pourtant, il y a gouvernance du crime quand des acteurs criminels font la loi dans de vastes parties, quoique marginalisées, de complexes urbains dans des villes de pays en développement. Rio de Janeiro, Le Cap et Manille ne sont que des exemples parmi d’autres. Ces zones de fragilité et d’économie violente existent également dans les pays développés. Les formes légitimes de prestations de services sont évincées et les populations vivent dans des poches de gouvernance criminelle contrôlées par des gangs.
La gouvernance du crime a des répercussions plus larges sur la fragilité politique quand des figures du crime sont élues à un mandat législatif local ou national et que les intérêts de l’État et ceux des criminels se recoupent au sein de l’État lui-même. Cette porosité des frontières déstabilise les régions, sert les intérêts criminels et fait bénéficier les acteurs criminels d’une protection politique. Ainsi, les Balkans sont aujourd’hui largement considérés comme profondément touchés. Cependant, cette région n’est qu’un cas parmi d’autres. Ces relations sont des sources majeures de fragilité aux niveaux local, national et régional. Dès lors que les marchés criminels sont politisés, les réponses deviennent beaucoup plus complexes. Le vieux refrain justificatif entendu durant la guerre froide – c’est peut-être un chef de guerre, mais c’est le nôtre – trouve un nouvel usage à l’ère de l’écosystème de la criminalité.
1.10.3. Le crime organisé sape le développement durable
Troisièmement, les marchés illicites et le crime organisé sapent le développement durable dans différents secteurs. Dans les contextes qui sont fragiles et où les moyens de subsistance de la population sont précaires, les chocs que le crime organisé fait subir à l’économie et à l’environnement érodent la résilience des individus et des familles. Le coût est incommensurablement élevé – qu’il s’agisse du trafic de matières premières environnementales comme le bois d’œuvre ou les produits animaux, qui provoque l’érosion des sols ou compromet les moyens de subsistance dans le secteur du tourisme ; de l’exploitation minière illégale des ressources de l’État ; de la surpêche d’origine criminelle ; des systèmes de santé qui sont infiltrés par des produits pharmaceutiques contrefaits ; ou du contrôle des marchés locaux de stupéfiants qui déciment les systèmes scolaires. Le crime organisé a des conséquences sur chacun des ODD et, dans un peu plus de 10 % de cas, la réalisation des objectifs passe par la réduction du crime organisé (Global Initiative against Transnational Organized Crime, 2015[104]).
Les marchés de la criminalité environnementale, au-delà de leurs effets généraux sur les ressources rares, sont un vif sujet de préoccupation dans les contextes fragiles où ils réduisent irrémédiablement les ressources rares et portent au pouvoir des acteurs violents et corrompus. Ces marchés ont pour particularité de fonctionner sur le mode de la razzia : les groupes criminels cherchent une autre matière première à exploiter quand les marchés existants sont épuisés. Les trafiquants de corne de rhinocéros, par exemple, savent aussi bien que les défenseurs de la nature qu’il s’agit d’une ressource finie. Ces razzias créent des spirales d’épuisement des ressources, fragilisant considérablement l’environnement pour satisfaire les appétits extérieurs et aggravant ainsi les inégalités de répartition entre les lieux d’extraction et les lieux d’investissement/de consommation.
À l’ère de l’interconnexion des marchés criminels mondiaux, la plus grave erreur à commettre serait donc de penser que les zones fragiles sont déconnectées de l’économie illicite mondiale. À de rares exceptions près, les lieux qui peuvent être qualifiés de fragiles font partie d’un réseau de connexions – en tant que sources, zones de transit, marchés, etc. – servant à exercer des activités illégales et à réaliser des bénéfices. Dans tous les cas, ces relations d’inégalité et d’exploitation façonnent les économies politiques locales, et presque toujours dans le but de maintenir le système qui entretient la fragilité, en dégageant des bénéfices, en protégeant ceux qui sur place se livrent à la violence et en protégeant ceux qui à l’extérieur nourrissent et protègent les activités et intérêts criminels. Par conséquent, la prise en considération des économies illicites doit être aussi indissolublement liée aux efforts déployés pour remédier à la fragilité que les économies illicites sont indissolublement liées à sa perpétuation.
1.11. Tendance no11 : le changement climatique aggrave les risques dans les contextes fragiles
Janani Vivekananda, adelphi
Le changement climatique est l’une des menaces pour la paix les plus omniprésentes dans le monde, pesant sur la sécurité, le développement et le maintien de la paix. Selon de nombreux experts, les ouragans, les inondations et les tempêtes tropicales qui ont frappé l’Amérique du Nord, l’Asie du Sud et les Caraïbes8 en 2017 font partie des événements météorologiques extrêmes liés au changement climatique. La sécheresse et la désertification ont fait souffrir des milliers d’autres personnes d’une faim extrême au Sahel et au Moyen-Orient. Ces effets du changement climatique se produisent sur fond de persistance et d’aggravation des conflits politiques et des crises humanitaires dans de nombreuses régions du monde.
Le changement climatique met en péril la sécurité des populations des communautés vulnérables, en particulier de celles vivant dans des contextes fragiles ou touchés par un conflit où la gouvernance est déjà mise à mal. Ses effets s’expriment sous la forme d’une instabilité politique, d’une insécurité alimentaire, d’un affaiblissement de l’économie et de déplacements massifs de populations (Rüttinger et al., 2015[105]).
Le changement climatique interagit aussi avec les tensions politiques, sociales et économiques existantes (Graphique 1.7). Il peut aggraver les tensions, catalyser la violence ou menacer une paix fragile au sortir d’un conflit (Peters et Vivekananda, 2014[106]). Les conflits violents ont eux-mêmes pour effet d’appauvrir les communautés, de diminuer leur résilience et de les rendre moins bien armées pour faire face aux impacts du changement climatique.
La présentation de trois exemples d’interaction entre les risques climatiques et les risques de fragilité qui suit offre un angle d’approche pour comprendre une chaîne causale des problèmes que le changement climatique pose en matière de fragilité. Elle amène à conclure que les phénomènes météorologiques extrêmes liés au changement climatique et les tendances en matière de conflits devraient s’accentuer (OCHA, 2018[107]). Une gestion efficace de la fragilité requiert des stratégies éclairées et flexibles pour faire face aux risques complexes et interdépendants que le changement climatique peut engendrer dans les situations de fragilité.
1.11.1. Le changement climatique pèse sur les moyens de subsistance et les courants migratoires
La relation entre le changement climatique et les déplacements est une tendance mondiale sous-estimée. En 2016, 24.2 millions de personnes ont été déplacées suite au déclenchement soudain de catastrophes naturelles (Internal Displacement Monitoring Centre, 2017, p. 31[108]). Selon les prévisions, le changement climatique devrait accroître la fréquence et l’ampleur des événements météorologiques extrêmes (Field et al., 2012[109]). Conjugués à une faible capacité d’adaptation, ceux-ci contribuent à des désastres9 qui contribueront eux-mêmes à une augmentation des déplacements et à une évolution des tendances migratoires.
La migration en réponse à une modification de l’environnement est un phénomène de longue date. La migration saisonnière est une stratégie courante et indispensable à la survie en Asie du Sud, au Moyen-Orient, en Afrique et dans d’autres régions. Cependant, la physionomie des migrations change. En raison notamment des effets du réchauffement climatique, la durée des mouvements migratoires circulaires augmente, de même que la nécessité de migrer définitivement et vers de nouveaux lieux. La migration transfrontalière a connu une hausse marquée ces dernières années, neuf réfugiés internationaux sur dix s’installant dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire (PAM, 2017[110]). Les données montrent que les pays où les niveaux d’insécurité alimentaire sont les plus élevés, ce qui est souvent lié au changement climatique et aux conflits armés, sont ceux où l’émigration de réfugiés est la plus forte (PAM, 2017, p. 77[110]). La dégradation et la modification de l’environnement – induites de diverses manières par des problèmes de gouvernance, politiques et sociétaux – sont d’importants facteurs structurels contribuant à l’insécurité alimentaire et à la migration.
Les effets du changement climatique sur l’Afrique, où 80 % de la population dépend de l’agriculture pour sa subsistance, sont prononcés. Les terres arides sont tout particulièrement touchées par le changement climatique. On peut citer notamment le bassin du lac Tchad, le nord du Kenya, le sud de l’Éthiopie et le Soudan du Sud. Dans ce dernier pays, une hausse de la température de 2-3°C a aggravé la sécheresse, l’insécurité alimentaire et l’insécurité des moyens de subsistance (Omondi et Vhurumuku, 2014[111] ; PNUD, 2017[112]). La sécheresse et une mauvaise planification des projets de développement ont fait rapidement s’accroître les mouvements et déplacements de populations à l’intérieur du Soudan du Sud et par-delà ses frontières, ce qui a attisé le mécontentement envers l’État et provoqué une famine et des conflits communautaires (Human Rights Watch, 2017[113]).
La migration, et la perspective d’un nouvel emploi et de l’apport de main-d’œuvre supplémentaire dont elle s’accompagne, peut offrir des opportunités aux migrants de même qu’aux sociétés et pays d’accueil. Toutefois, les études sur les liens entre le changement climatique, les migrations et la fragilité ne sont actuellement pas suffisantes pour éclairer l’élaboration de mesures susceptibles de favoriser une migration qui soit coordonnée et pragmatique et qui ne pousse pas les populations vers des zones à plus haut risque telles que des villes déjà fragiles, les mégalopoles côtières, les deltas fluviaux, et les endroits où les moyens de subsistance sont déjà menacés et devraient encore se dégrader (Greenpeace, 2017[114]).
1.11.2. Les villes ne sont pas préparées aux événements météorologiques extrêmes et aux catastrophes
Le monde est mal préparé à une multiplication rapide des catastrophes naturelles liées au changement climatique qui s’abattront sur les villes. D’après les estimations, 158 000 milliards USD d’actifs – soit le double de la production annuelle totale de l’économie mondiale – seront menacés en 2050 en l’absence de mesures préventives (GFDRR, 2016[115]). Si les villes présentent de nombreux avantages pour maintes personnes, en revanche il est fréquent que l’urbanisation exacerbe et rende bien visibles les inégalités, les riches vivant à proximité des pauvres. Cette situation peut elle-même constituer un facteur d’instabilité et de conflits. Les effets climatiques, qui sont particulièrement dévastateurs dans les villes en raison de la concentration des personnes et des biens, peuvent creuser les inégalités, nourrissant ainsi les griefs.
Les liens entre les catastrophes et la fragilité se renforcent souvent mutuellement. Les catastrophes exercent des pressions supplémentaires sur des pouvoirs publics déjà surchargés. En outre, elles provoquent des déplacements massifs de populations, réduisent les opportunités économiques et modifient l’accès aux ressources. L’absence de mécanismes d’accompagnement structurels et individuels (dispositifs de protection sociale et d’assurance et réseaux sociaux) peut alimenter le mécontentement. Ceci est particulièrement vrai lorsque le secours national ou international aux sinistrés est inadéquat ou réparti in équitablement.
Face aux catastrophes, des réponses humanitaires mal planifiées et mal exécutées peuvent en outre aviver les tensions et accentuer la fragilité. Cela se produit, par exemple, lorsque les réponses ne tiennent pas compte des dynamiques de conflits sensibles comme les rapports de force entre les différents groupes identitaires qui vivent fréquemment à proximité les uns des autres dans les villes. Dans les villes fragiles, qui plus est, une gouvernance faible peut miner les efforts de renforcement de la résilience, aggravant ainsi les conséquences d’une catastrophe. Inversement, la réduction des risques de catastrophe et les initiatives de gestion des catastrophes offrent des possibilités, si l’on s’y prend bien, de remédier aux risques de fragilité liés au changement climatique et de consolider la paix.
1.11.3. Instabilité des prix alimentaires et de l’approvisionnement
D’après le premier rapport des Nations Unies évaluant l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde est en hausse, sous l’effet conjoint de facteurs tels que le changement climatique et les conflits (FAO/FIDA/UNICEF/PAM/OMS, 2017[116]). Après avoir reculé régulièrement pendant une décennie, la faim gagne de nouveau du terrain pour toucher aujourd’hui 11 % de la population mondiale. Entre 2015 et 2016, le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique est passé de 777 millions à 815 millions selon les estimations. C’est souvent dans les zones de conflit que sont concentrées les proportions les plus élevées d’enfants souffrant d’insécurité alimentaire et de malnutrition dans le monde. Nombre de ces zones, comme le nord-est du Nigéria, la Somalie et le Yémen, subissent en outre les effets négatifs du changement climatique. Cependant, même dans les régions plus paisibles, les sécheresses ou inondations liées au changement climatique et au phénomène météorologique El Niño10 peuvent interagir avec des poches de fragilité pour alimenter les conflits et les problèmes de gouvernance, ce qui contribue aux conflits communautaires et transfrontaliers pour l’accès aux ressources naturelles (OCHA, 2017[117]).
Des données scientifiques fiables montrent que la hausse des températures, l’intensité accrue de l’effet d’El Niño en 2015 et en 2016 et la diminution des ressources en eaux souterraines sont des causes majeures d’insécurité alimentaire. L’insécurité alimentaire augmente elle-même la fragilité (Encadré 1.4). En outre, des éléments probants indiquent clairement que le changement climatique réduit la qualité et le rendement des récoltes (Myers et al., 2017[118] ; Réseau d’information sur la sécurité alimentaire, 2017[119]), qui « dépendent en fin de compte de l’équilibre dynamique des ressources biophysiques appropriées, comme la qualité du sol, la disponibilité en eau, le degré d’ensoleillement, la quantité de CO2 et des températures adéquates » (Myers et al., 2017[118]). Une baisse de la qualité et du rendement des récoltes diminue l’offre alimentaire et augmente les prix. Pour prendre un exemple récent, au Kenya la sécheresse a provoqué une envolée des prix alimentaires, notamment un bond de 31 % du prix du principal aliment de base, la farine de maïs (Okiror, 2017[120]). La sécheresse est devenue un thème de campagne crucial lors des élections présidentielles kenyanes d’août 2017, ce qui montre à quel point les problèmes de sécurité alimentaire au niveau local peuvent prendre de l’ampleur et être politisés au niveau national (Okiror, 2017[120]).
L’insécurité alimentaire, en particulier celle liée à l’approvisionnement alimentaire, et la volatilité des prix peuvent être de grandes sources de mécontentement (Hendrix et Brinkman, 2013[121]). Ce risque présente d’importantes composantes sexospécifiques. Par exemple, la réduction de l’insécurité alimentaire, surtout dans les pays minés par un conflit ou par les séquelles d’un passé conflictuel, contribuerait dans une certaine mesure à rendre les hommes moins enclins à s’enrôler dans des groupes armés (FAO, 2017[122]).
Les conséquences des risques climatiques composites sur la sécurité alimentaire commencent à juste titre, quoique lentement, à être une préoccupation majeure pour la communauté internationale. Les mesures adéquates et les réponses concrètes font cependant défaut. L’an dernier, la relation entre problèmes de sécurité alimentaire et problèmes de sécurité, qui s’est exprimée par des manifestations ou le recrutement par les groupes rebelles, a été reconnue et des exemples d’approches fondées sur la prévention des conflits et tenant compte des risques commencent à apparaître chez certains donneurs dans les contextes fragiles (USAID, 2016[123]).
1.11.4. Les tendances climatiques sont interdépendantes
À mesure que les extrêmes climatiques et les conflits se multiplient, les extrêmes géopolitiques et socio-économiques se multiplient aussi. Le monde d’aujourd’hui est confronté simultanément à la forte incertitude collective qui entoure les bouleversements de l’ordre mondial, à un nombre de personnes déplacées le plus élevé depuis des décennies et à un pic du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde. Les migrations, les événements météorologiques extrêmes et la sécurité alimentaire ne sont que trois exemples parmi d’autres des déterminants de la fragilité interdépendants et sensibles aux conditions climatiques, et ils montrent que la fragilité est une question complexe à résoudre. Les stratégies qui ne prennent pas en compte la nature systémique et interdépendante de ces risques climatiques/de fragilité échoueront et pourraient exacerber les risques auxquels elles sont censées remédier. Des risques interdépendants appellent une réponse intégrée. Réduire la vulnérabilité tout en créant des opportunités – un principe fondamental de la gestion de la fragilité – nécessite des stratégies éclairées et flexibles qui renforcent la résilience sociale et institutionnelle pour parer aux risques interdépendants que le changement climatique est susceptible de susciter dans les situations de fragilité.
Encadré 1.4. Insécurité alimentaire et fragilité
De l’Afghanistan à la République démocratique du Congo et du Sahel à la Syrie, la corrélation entre fragilité et insécurité alimentaire est manifeste dans le monde. Les conflits constituent l’une des principales sources d’insécurité alimentaire, comme en témoignent les conditions de quasi-famine dans le nord-est du Nigéria, en Somalie, au Soudan du Sud et au Yémen ces dernières années. Près de 500 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire vivent dans des pays en proie à un conflit et à la violence (FAO/FIDA/UNICEF/PAM/OMS, 2017[116]). Dans la plupart des 80 pays dans lesquels le Programme alimentaire mondial (PAM) intervient, les niveaux élevés d’instabilité ont alourdi de 2.24 milliards USD les coûts annuels de l’agence (PAM, 2017, pp. 51-53[124]).
S’il est généralement admis que la fragilité peut contribuer à la faim, la relation entre les deux est complexe et bidirectionnelle. Ces dernières années, les systèmes alimentaires ont volé en éclats à un rythme croissant et à une échelle de plus en plus grande, phénomène s’accompagnant de déplacements massifs de populations, d’une montée des mécontentements et d’une perte de légitimité des pouvoirs publics. Tous ces éléments constituent un terreau fertile pour de graves menaces sur la sécurité, telles que l’effondrement de l’État et de l’économie, les tensions au sein de la société et la radicalisation.
Dans les contextes fragiles, les politiques doivent combattre l’insécurité alimentaire et soutenir la mise en place de systèmes alimentaires solides, résilients et inclusifs (PAM, 2017[124]). Il est crucial d’employer les 40 % du total des dépenses d’aide humanitaire actuellement consacrés à l’aide alimentaire d’une manière qui contribue à corriger les dysfonctionnements des systèmes alimentaires, par exemple en recourant à des transferts monétaires.
Dans les contextes d’insécurité alimentaire, s’attaquer aux causes immédiates et profondes de la faim et de la malnutrition réduira le risque que les pays deviennent (plus) fragiles. Les investissements initiaux et soutenus dans des mesures de protection sociale et de renforcement de la résilience qui permettent de faire face aux chocs seront marginaux comparés aux coûts potentiels d’un accroissement de la fragilité.
L’alimentation et la fragilité étant deux questions indissolublement liées, elles appellent une réponse d’ensemble.
Dans les situations de crise, cela exigerait un ensemble complémentaire d’actions humanitaires, de mesures de renforcement de la résilience et de mesures de développement visant collectivement à réduire les besoins au fil du temps.
Contribution de Rebecca Richards, Programme alimentaire mondial (PAM))
1.12. Tendance no12 : la fragilité est un problème complexe qui s’articule autour d’un système dual
Robert Lamb, Foundation for Inclusion
Pourquoi est-il si difficile de régler les problèmes sociaux dans les contextes fragiles et dans les situations de conflit ? La réponse semble évidente : les institutions sont faibles, le capital social est faible, l’économie est informelle, la criminalité et la corruption sont élevées et la capacité à absorber l’aide extérieure est très limitée. Apparemment, nombreux sont ceux pour qui la fragilité signifie que presque rien ne fonctionne comme il faudrait, et qu’il est donc naturellement difficile de progresser en ce qui concerne la plupart des problèmes sociaux. Les environnements fragiles sont complexes.
La réponse est moins évidente si l’on aborde la question sous un autre angle : pourquoi ceux qui s’efforcent de résoudre les problèmes dans les contextes fragiles ou touchés par un conflit offrent-ils si régulièrement de l’aide selon des modalités inefficaces ou contreproductives ? Encore et encore, les donneurs échouent à réellement harmoniser leurs efforts, à laisser les pays d’accueil piloter leur développement, à prendre en considération comme il convient les conditions locales, à privilégier la durabilité, et à agir avec sensibilité face aux risques de conflits et d’effets secondaires. Autrement dit, les donneurs ne suivent généralement pas les leçons et les meilleures pratiques qui ont été identifiées et exposées dans de nombreuses publications et déclarations depuis plus d’un demi-siècle. Lamb et Mixon (2013[125])11 ont recensé 15 leçons primordiales comme celles-ci, qui sont apparues et réapparues dans des publications pendant plus de six décennies. Ils ont constaté que dix d’entre elles figuraient dans un rapport de la Banque mondiale (BIRD, 1949[126]) paru en 1949. Six des sept leçons publiées dans le rapport officiel « Lessons from Iraq » se trouvaient déjà dans un précédent rapport sur les leçons à prendre en compte pour la reconstruction post-conflit qui avait été publié dix ans auparavant, juste avant l’intervention en Iraq en 2003 (CSIS/AUSA, 2003[127] ; SIGAR, 2013[128]).
Les donneurs ne parviennent toujours pas à retenir et à institutionnaliser ces leçons pour pratiquement la même raison qu’il est difficile de remédier à la fragilité. Le développement international est complexe. Il n’est pas complexe au sens trivial où il est difficile et compliqué. Non, comme la fragilité, il est complexe au sens technique de ce que les spécialistes appellent un système complexe (Gallo, 2013[129] ; Ramalingam et al., 2008[130]).
1.12.1. La complexité dans le système d’aide
Même dans le meilleur des cas, lorsque des décideurs acceptent une recommandation indiscutable invitant à mettre en œuvre un programme d’aide bien conçu, le processus allant de la recommandation à la mise en œuvre est loin d’être linéaire. La façon dont ce programme sera finalement appliqué dépend non seulement de l’objectif visé et des meilleures pratiques, mais aussi des obligations et contraintes auxquelles le soumettent la budgétisation, la gestion, la sécurité, la planification, la passation des marchés et autres fonctions administratives. Elle dépend également des connaissances, normes, incitations, procédures et priorités concurrentes auxquelles est confronté le personnel dans ces bureaux (Lamb et Mixon, 2013[131] ; Lamb, Mixon et Halterman, 2013[132]). Les interactions entre tous ces facteurs au sein des organismes donneurs et entre eux sont généralement trop complexes pour que quiconque puisse prévoir avec certitude la façon dont une décision donnée sera mise en œuvre sur le terrain.
Prenons l’exemple d’une recommandation préconisant d’associer les communautés locales. Au sein de l’organisme donneur, le bureau de la sécurité doit décider s’il autorise ou non le personnel à se rendre dans les zones concernées pour rencontrer ces communautés, et le responsable de la sécurité risque d’être démis de ses fonctions si des membres du personnel sont enlevés ou tués. De même, un responsable de la passation des marchés peut ou non reconnaître l’importance de faire preuve de souplesse dans les méthodes d’octroi de l’aide, et, dans le premier cas, peut refuser de prendre le risque d’approuver la dérogation à certaines obligations si cela crée un précédent. En fait, les meilleures pratiques ne sont pas suivies pour de multiples raisons qui n’ont rien à voir avec la complexité des environnements fragiles mais tout à voir avec les dynamiques, pratiques et règlements qui constituent des forces invisibles au sein des organismes donneurs.
1.12.2. Le problème posé par un système dual
Une fois parvenu au terme des différentes étapes de ce système d’aide complexe, un programme d’aide n’a parfois plus rien de commun avec ce qui avait été recommandé à l’origine. C’est seulement à ce moment qu’il intègre le système complexe dont la fragilité est la cible. On ne s’étonnera donc pas qu’il soit si difficile de régler les problèmes dans les contextes fragiles ou touchés par un conflit. Les recommandations et décisions concernant les programmes d’aide doivent se frayer un chemin à travers deux systèmes complexes avant de donner des résultats. Tout d’abord, le système d’aide complexe transforme de façon imprévisible les décisions relatives à l’aide en programmes d’aide. Ensuite, le système fragile complexe transforme de façon imprévisible les programmes d’aide en réalisations dans le domaine du développement (Graphique 1.8).
C’est la dualité de ce système qui pose problème (Lamb et Gregg, 2016[133] ; Lamb et Gregg, à paraître[134]) en nuisant à la capacité des donneurs à apporter une aide de façon appropriée. La communauté du développement doit reconnaître ce problème et trouver le moyen de le surmonter si elle veut améliorer la vie des personnes qui subissent les conséquences de la fragilité de certains secteurs.
1.12.3. La réflexion systémique commence chez soi
De nombreux analystes et acteurs de terrain continuent d’employer des théories du changement linéaires (par exemple, des entrants et activités aux extrants, réalisations et impacts) et des méthodes de recherche linéaires (par exemple, corrélations, régressions et indicateurs). Cependant, il est assez courant, du moins aujourd’hui, d’admettre que les secteurs fragiles sont en fait des systèmes complexes. Des méthodes plus appropriées, telles que la cartographie des systèmes et l’analyse de l’économie politique, commencent à être utilisées (OCDE, 2017[135]).
On a beaucoup moins conscience que les organismes donneurs, les institutions publiques nationales et étrangères et le système international de l’aide dans son ensemble sont eux aussi, au sens technique du terme, des systèmes complexes. En fait, les auteurs d’études sur les évaluations de programmes, les meilleures pratiques et les enseignements tirés formulent souvent des recommandations que leurs propres systèmes sont fondamentalement incapables d’appliquer, car ils méconnaissent les contraintes administratives. Mieux vaudrait ne pas faire porter les recommandations uniquement sur ce que les décideurs et praticiens devraient faire sur le terrain à l’avenir, et faire plutôt porter la recherche sur les raisons pour lesquelles les systèmes de décision et les systèmes d’aide n’ont pas réussi à mettre en œuvre ces mêmes recommandations dans le passé.
Un système humain est une combinaison de composantes. Certaines sont créées délibérément, comme les constitutions, les assemblées législatives, les écoles et autres institutions formelles. D’autres, dites informelles, ne sont pas créées délibérément mais apparaissent spontanément, comme les normes, les valeurs, les groupes sociaux, les réseaux économiques et la démographie. Toutes ces composantes du système interagissent en formant des combinaisons complexes et impriment à l’ensemble du système une certaine évolution avec le temps. Dans le pire des cas, les biais cognitifs, les incompréhensions, les peurs et les intérêts personnels créent des cercles vicieux qui engendrent une violence généralisée, une crise économique ou une famine. Dans le meilleur des cas, les opportunités, l’espoir, le progrès social et les normes comportementales enclenchent le cercle vertueux de l’amélioration régulière de la qualité de la vie de la plupart des personnes faisant partie du système – un équilibre stable qui rend la vie prévisible et agréable. Entre ces deux extrêmes, il existe un large éventail de dynamiques et de résultats souvent désignés sous l’appellation simplificatrice de « fragilité ». Autrement dit, la fragilité naît de la complexité.
Cette forme de réflexion, appelée « pensée systémique », force à reconnaître que la stabilité des secteurs mieux développés naît elle aussi de la complexité. La relative prévisibilité de ces secteurs, cependant, crée une illusion de contrôle. Il est présumé que les institutions formelles (créées délibérément) sont ce qui rend un secteur résilient, alors qu’en fait c’est l’interaction constructive entre ces dynamiques formelles et informelles qui donne des secteurs stables et prospères dans une société. Vouloir formaliser davantage les secteurs sans prendre en compte les dynamiques informelles est une approche courante qui a échoué à maintes reprises (Kaplan et Freeman, 2015[136]). La distinction entre le formel et l’informel n’est pas toujours claire ou constructive, de toute façon. Elle est simplement faite pour mieux comprendre chaque système en tant que tel. C’est quelque chose que le Cadre multidimensionnel de l’OCDE sur la fragilité commence à rendre possible car il tente d’appréhender non seulement les risques, mais aussi les capacités d’adaptation.
1.12.4. De la pensée systémique à l’action systémique
Pour surmonter le problème que la dualité du système pose en matière de développement international et de fragilité, il faut s’attacher nettement plus à appliquer la pensée et les méthodes systémiques aux environnements fragiles et aux systèmes des donneurs. La pensée et les méthodes linéaires seront infructueuses dans ces environnements et systèmes, car elles reposent généralement sur l’hypothèse de l’indépendance des facteurs. Cette hypothèse n’est presque jamais appropriée. Dans les systèmes complexes, de nombreuses composantes interdépendantes doivent être prises en considération. On peut citer notamment les liens de causalité non linéaires ou les boucles de rétroaction qui entraînent une résistance au changement, un changement exponentiel ou des changements fluctuants, selon la structure du système ; une accumulation et un appauvrissement des ressources (par exemple, argent, ressentiments, terres arables, populations, etc.) tels que le système semble inchangé jusqu’à ce qu’un point de rupture soit atteint et qu’une cascade de petits changements jaillisse de façon inattendue ; et, généralement, un délai important entre les causes et leurs effets visibles qui peut rendre difficile la distinction entre les résultats à court terme et ceux à long terme (par exemple, une réussite à court terme complique les progrès à long terme).
Pourtant, il existe des méthodes d’analyse et de planification des systèmes complexes, qualitatives et quantitatives (Meyers, 2009[137]). Mener une réflexion systémique est un minimum, non seulement pour comprendre les effets d’ordre supérieur et les conséquences non souhaitées de l’aide sur le terrain, mais aussi pour savoir quels programmes d’aide sont adaptés et peuvent être mis en œuvre en utilisant en premier lieu les systèmes des donneurs (Wright, 2008[67]). Les méthodes plus formelles, comme l’analyse de l’économie politique et la modélisation de la dynamique des systèmes, sont utiles dans les environnements fragiles. Toutefois, ces méthodes peuvent, et devraient, être appliquées également aux systèmes décisionnels des pays donneurs afin d’identifier et de faire cesser les sources de résistance aux recommandations raisonnables et aux méthodes de travail meilleures (Senge, 1990[138] ; Serrat, 2011[139] ; Stroh, 2015[140]). Des stratégies collectives peuvent être développées de manière à prendre en compte la complexité de chacun des systèmes et à pouvoir identifier ce qui empêche les décisions des pouvoirs publics de porter leurs fruits, tout au long du processus jusqu’aux réalisations en matière de développement (Lamb, 2018[141]).
Le problème posé par la dualité du système peut être réglé. Pour ce faire, il faut cependant d’abord reconnaître que les problèmes dans les contextes fragiles ne seront jamais traités de manière adéquate avec l’aide de donneurs qui ne prennent pas en considération la complexité de leurs propres systèmes. Cette complexité a occulté les fonctions administratives, les nouveaux comportements et les dynamiques non linéaires qui ont empêché pendant plus d’un demi-siècle l’institutionnalisation des pratiques efficaces en matière d’aide. Maintenant que l’on a pris conscience de cette complexité, à la fois des systèmes des donneurs et des environnements fragiles, accroître l’efficacité des remèdes à la fragilité ne devrait pas prendre à nouveau un demi-siècle.
Références
[52] Doing Development Differently (2014), The Manifesto, Doing Development Differently (DDD), http://doingdevelopmentdifferently.com/the-ddd-manifesto/ (consulté le 06 mars 2018).
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Notes
← 1. La création de cette catégorie a été justifiée ainsi : « La capacité de ces pays à atteindre les objectifs de développement, leur incidence économique négative sur les pays voisins et les répercussions à l’échelle mondiale qui pourraient en découler suscitent de plus en plus l’inquiétude. ». Voir https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/7155.
← 2. Pour en savoir plus sur les autocraties aux pieds d’argile et les démocraties violentes, voir www.clingendael.org/sites/default/files/2017-10/The_ State_and_The_Future_of_Conflict.pdf.
← 3. Les pays suivants ont figuré dans les rapports de 2008 à 2018 : Afghanistan, Burundi, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Comores, République populaire démocratique de Corée, République démocratique du Congo, Érythrée, Éthiopie, Guinée-Bissau, Haïti, Iraq, Kenya, Libéria, Myanmar, Niger, Nigéria, Pakistan, Sierra Leone, Îles Salomon, Somalie, Soudan, Timor-Leste, Ouganda, Yémen et Zimbabwe.
← 4. Dans les contextes fragiles, l’APD nette moyenne en pourcentage du RNB s’élevait à 6.4 % en 2010. Elle était tombée à 4.5 % du RNB en 2016. Les données sont disponibles à l’adresse : https://data.worldbank.org/indicator/DT.ODA.ODAT.GN.ZS.
← 5. Pour de plus amples informations, voir https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=CRS1.
← 6. Calculs effectués à l’aide du modèle International Futures mis au point par le Frederick S. Pardee Center for International Futures à l’Université de Denver à Denver, Colorado. La méthodologie est disponible à l’adresse : http://www.ifs.du.edu/ifs/frm_MainMenu.aspx.
← 7. Ces chiffres sont issus d’un projet de Global Initiative against Transnational Organized Crime dans le cadre duquel le contenu des résolutions émises par le Conseil de sécurité des Nations Unies entre 2000 et 2017 a été passé en revue afin de recenser celles qui concernaient le crime organisé et les trafics illicites.
← 8. Ces évènements sont encore trop récents pour qu’il soit possible de citer en référence des études scientifiques publiées. Cependant, des entretiens menés auprès d’éminents experts du changement climatique mondial corroborent l’existence d’un lien entre un certain nombre d’événements météorologiques extrêmes survenus en 2017 et le changement climatique. Voir par exemple https://www.carbonbrief.org/media-reaction-hurricane-irma-climate-change.
← 9. Une catastrophe se définit ainsi selon (Field et al., 2012, p. ix[109]) : « Le risque de catastrophe découle de l’interaction entre les phénomènes météorologiques ou climatiques (les paramètres physiques contribuant au risque de catastrophe), d’une part, et l’exposition et la vulnérabilité aux dangers (les paramètres humains contribuant au risque de catastrophe), d’autre part. » Voir http://www.ipcc.ch/pdf/special-reports/srex/SREX_Full_Report.pdf.
← 10. El Niño est un phénomène qui se manifeste généralement tous les deux à sept ans, en perturbant les conditions météorologiques normales et en provoquant de fortes pluies et sécheresses dans différentes régions de la planète. C’est un phénomène météorologique complexe et naturel qui se produit quand la température des eaux de l’océan Pacifique près de l’équateur s’écarte de la norme. La plupart des scientifiques s’accordent à dire que la tendance actuelle au réchauffement est attribuable aux gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère par les activités humaines. El Niño peut aussi contribuer à une augmentation des températures à la surface du globe les années où il se produit. Les épisodes El Niño apparaissant naturellement et le changement climatique d’origine anthropique interagissent et se modifient mutuellement sans doute, mais actuellement on connait mal leurs modalités d’apparition et leurs conséquences.
← 11. Pour de plus amples informations, voir aussi (Lamb, 2017[143]), (Lamb, 2013[145]) et (Lamb et Mixon, 2014[144]).