Sara Batmanglich
Roberto Schiano Lomoriello
Sara Batmanglich
Roberto Schiano Lomoriello
Ce chapitre dresse un état des lieux de la fragilité dans le monde d’aujourd’hui. Il présente le Cadre 2018 de l’OCDE sur la fragilité, et les 58 contextes fragiles qui y sont inclus. Il examine la façon dont les niveaux de fragilité ont évolué depuis le rapport États de fragilité 2016 dans une sélection de contextes, en passant en revue les domaines qui se sont améliorés, ou détériorés, dans les cinq dimensions de la fragilité. Il étudie également les deux contextes qui sont sortis du Cadre, et les quatre qui y ont fait leur entrée. Il s’appuie sur l’approche multidimensionnelle de la fragilité présentée dans le rapport de 2016 pour brosser un tableau global de la fragilité, et évalue les niveaux de fragilité de l’économie, de l’environnement, de la vie politique, de la sécurité et de la société à l’aide de la technique de l’analyse par grappe.
Phénomène multidimensionnel et d’intensité variable, la fragilité ne se prête guère aux explications simples. Les pays et les sociétés traversent tous à un moment ou un autre et dans des proportions diverses un épisode de fragilité. Face à cette réalité, l’OCDE a mis en place en 2016 un nouveau Cadre multidimensionnel sur la fragilité, destiné à mieux tenir compte de la complexité du phénomène et à mettre l’accent sur les contextes qui y sont confrontés et qui appellent une attention spécifique. Le Cadre représente un changement de cap déterminant au niveau de la conceptualisation de la fragilité, qu’il définit comme la conjonction d’une exposition à des risques et des capacités à y faire face dans les dimensions liées à l’économie, l’environnement, la politique, la sécurité et la société.1
Le Cadre examine la vulnérabilité actuelle face à des événements négatifs, tels que les catastrophes et les conflits armés, ainsi que la capacité à faire face à ces risques à l’avenir (Encadré 2.1). Il présente par conséquent une perspective plus globale et universelle, car il tient compte du fait que chaque contexte se caractérise par une association unique de risques et de capacités à y faire face. Le Graphique 2.1 énumère les contextes par niveau croissant de fragilité, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Ce classement n’est toutefois donné qu’à titre indicatif ; il convient de tenir compte de la multidimensionnalité inhérente au concept de fragilité, qui implique que les contextes placés côte à côte dans cette visualisation expérimentent des formes différentes de fragilité et ne peuvent par conséquent pas être directement comparés l’un à l’autre.
L’OCDE définit la fragilité comme la conjonction d’une exposition à des risques et d’une capacité insuffisante de l’État, d’un système ou d’une communauté à gérer, absorber ou atténuer ces risques. La fragilité peut avoir des conséquences dommageables comme la violence, la déliquescence des institutions, des déplacements, des crises humanitaires ou d’autres situations d’urgence.
Source : (OCDE, 2016[1]), États de fragilité 2016 : Comprendre la violence, https://doi.org/10.1787/9789264269996-fr.
L’une des caractéristiques fondamentales du Cadre sur la fragilité est son aspect multidimensionnel. Le Cadre permet de brosser un tableau plus nuancé, en rendant compte de la diversité des contextes en proie à la fragilité et des dimensions de la fragilité dans chacun des contextes où des indicateurs renseignent sur l’évolution, préoccupante ou encourageante, des résultats. Le recours à différentes dimensions aide à mettre en évidence des domaines qui nécessiteraient une attention plus soutenue du fait de facteurs de vulnérabilité, et ceux où il convient de poursuivre le renforcement des capacités pour faire face à ces facteurs. Le niveau de détail auquel il permet d’aboutir confirme la nécessité d’adopter des approches différenciées en fonction du type particulier de fragilité auquel un contexte est exposé, et des risques et des capacités d’y faire face qui participent de cette fragilité.
Le Cadre présente également un tableau global de la fragilité, élaboré lors de la deuxième phase de l’analyse, et donne ainsi une vue d’ensemble des contextes fragiles, en offrant un aperçu détaillé et dynamique des états de fragilité dans le monde.
La fragilité globale moyenne s’est accrue entre le Cadre 2016 sur la fragilité et celui de 2018. Cette hausse est essentiellement due à l’aggravation de la fragilité sur les plans de l’environnement, de la sécurité et de la société. Les principaux points suivants ressortent de l’évaluation 2018 de l’état de fragilité :
Fragilité économique. La fragilité économique moyenne dans les 58 contextes a légèrement fléchi. Les pays qui ont enregistré les plus fortes améliorations dans cette dimension sont l’Angola, la République du Congo (ci-après le « Congo »), la Guinée équatoriale, l’Iraq et le Myanmar. La Libye, le Mozambique et la République centrafricaine ont quant à eux affiché les plus fortes détériorations.
Fragilité environnementale. La fragilité environnementale moyenne a augmenté depuis le Cadre 2016 sur la fragilité. Les pays dont la situation s’est détériorée dans cette dimension sont le Burundi, le Mozambique, la République arabe syrienne (ci-après la « Syrie »), le Tadjikistan, la République unie de Tanzanie (ci-après la « Tanzanie ») et le Yémen. La République islamique d’Iran (ci-après l’« Iran »), le Myanmar, la Sierra Leone et le Swaziland ont enregistré les plus fortes améliorations.
Fragilité politique. La fragilité politique moyenne a diminué depuis le Cadre 2016 sur la fragilité, une amélioration due aux meilleures performances du Burkina Faso, de l’Égypte, du Myanmar et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le Burundi, la Cisjordanie et la bande de Gaza, le Niger, le Soudan du Sud et le Yémen déplorent les plus sévères détériorations.
Fragilité sur le plan de la sécurité. La fragilité moyenne en matière de sécurité s’est accrue depuis l’édition 2016 du rapport États de fragilité, même si les données les plus récentes laissent entrevoir une stabilisation de cette hausse. C’est au Burkina Faso, au Cameroun, au Congo, au Niger au Tchad et au Yémen que ce type de fragilité a le plus augmenté. La Cisjordanie et la bande de Gaza Djibouti, l’Iraq, le Nigéria, le Pakistan et l’Ouganda ont pour leur part enregistré des améliorations sensibles.
Fragilité sociétale. La fragilité sociétale moyenne a légèrement augmenté depuis le Cadre 2016 sur la fragilité. C’est au Burundi, au Cameroun, en Égypte, au Mozambique, au Pakistan, en Tanzanie, au Yémen et en Zambie que cette mesure a enregistré les plus fortes détériorations. L’Iraq, la République centrafricaine, la Somalie et le Soudan ont affiché quant à eux une amélioration.
Afin de déterminer le niveau de fragilité dans chaque dimension, les contextes sont rassemblés par grappe en fonction de leurs caractéristiques. Un profil est établi pour chacune de ces grappes, qui prend en compte leurs principaux attributs quantitatifs. Les grappes ont une valeur indicative permettant d’évaluer qualitativement les différents niveaux de fragilité au sein de chaque dimension. L’association unique des risques et des capacités d’y faire face dans chaque grappe est évaluée en fonction de son impact sur la vie des populations. Cette activité certes subjective vise à établir un lien entre la dimension quantitative de la fragilité et la perception qualitative qu’en ont les populations au quotidien. À l’issue de cette analyse, les grappes sont classées sur une échelle allant de 1 (fragilité extrême) à 6 (absence de fragilité). Dans le Cadre 2018 présenté au Graphique 2.1, le dégradé des couleurs dans chaque dimension, du plus foncé au plus pâle, correspond au degré de fragilité sur cette échelle. L’annexe au présent rapport contient des informations plus détaillées sur la technique d’analyse par grappe.
Le Cadre 2016 sur la fragilité rassemblait 56 contextes fragiles, dont 15 extrêmement fragiles et 41 fragiles. Les mêmes critères ont été utilisés pour le Cadre 2018, où sont dénombrés au total 58 États fragiles, les 15 contextes d’extrême fragilité n’ayant pas changé, et le nombre de contextes fragiles s’élevant désormais à 43 (Graphique 2.2).
Le Soudan est le seul des 15 contextes de fragilité extrême à avoir enregistré une amélioration notable, grâce à des résultats plus satisfaisants dans les dimensions sociétale, politique, environnementale et en matière de sécurité. Cette amélioration des performances est due à une régression des inégalités horizontales, de la perception de la corruption, du nombre des décès dus à des violences d’acteurs non étatiques et des décès dus à des maladies infectieuses, ainsi qu’à un meilleur accès à la justice et à la solidité de la société civile. Toujours dans la catégorie de la fragilité extrême, le cas de la Syrie dénote un autre changement notable. La situation s’y est fortement dégradée depuis le Cadre 2016 sur la fragilité, et ce pays est celui qui enregistre les plus faibles résultats dans la dimension liée à la sécurité et au regard de plusieurs indicateurs des dimensions sociétale et économique.
Les trois pays en tête du classement des contextes d’extrême fragilité – Somalie, Soudan du Sud et République centrafricaine – sont les mêmes qu’en 2016. La Somalie reste le contexte le plus fragile au monde, une situation qu’illustre la faiblesse constante des résultats qu’elle obtient au regard de tous les indicateurs de performances institutionnelles répartis dans les cinq dimensions, et son très faible niveau dans les indicateurs de l’efficacité des pouvoirs publics, de l’État de droit, de la perception de la corruption et de la vulnérabilité socio-économique.
Le Mali reste lui aussi dans la catégorie des États extrêmement fragiles, principalement en raison de la détérioration de sa situation économique due à sa dépendance croissante vis-à-vis de la rente tirée des ressources naturelles et de la hausse du taux des personnes sans emploi et ni scolarisées, ni en formation. En dépit de cette détérioration, le Mali a enregistré quelques améliorations dans d’autres dimensions, même s’il continue d’obtenir de piètres résultats au regard des indicateurs de la dimension relative à la sécurité et de la perception de la corruption.
Deux pays, le Cambodge et le Lesotho, sont sortis du Cadre en 2018. Djibouti, la Guinée équatoriale, l’Iran et le Népal y ont fait leur entrée. La Guinée équatoriale entre dans le Cadre du fait qu’elle a finalement atteint le seuil de données et pas nécessairement parce que sa fragilité globale a subi une modification soudaine (l’Encadré 2.2 examine plus en détail les contraintes liées aux données). Figurent ci‑après quelques points importants relatifs aux autres contextes qui font leur apparition dans le Cadre :
Djibouti affiche des performances particulièrement faibles dans la dimension politique. La faiblesse de ses résultats au regard de plusieurs indicateurs – plus précisément, voix citoyenne et redevabilité, et contraintes exercées par les pouvoirs judiciaire et législatif sur l’exécutif – peut expliquer son apparition dans le Cadre. La perception de la corruption y est également relativement élevée. Ces dernières années, la situation de Djibouti s’est légèrement dégradée dans toutes les dimensions à l’exception de celle de la sécurité, une exception due à la diminution considérable des risques en lien avec des activités humaines tels que le terrorisme, les conflits violents et le taux d’homicides.
L’Iran a fait son entrée à l’extrémité du Cadre, mais enregistre une fragilité élevée dans les dimension sociétale et politique. Il est l’un des 15 contextes les plus fragiles sur le plan sociétal, en raison de son niveau extrêmement élevé d’inégalités horizontales et d’un niveau élevé d’inégalités entre les sexes. Le grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées qu’il abrite est également une cause de la fragilité de sa société.
Les résultats de l’Iran dans la dimension politique ont également contribué à faire entrer le pays dans le Cadre 2018 sur la fragilité. Il enregistre des scores élevés au regard de l’indicateur de la terreur politique, qui mesure les actes de violence cautionnés ou perpétrés par l’État (par exemple, les assassinats d’opposants politiques ou les brutalités policières), et affiche un faible niveau de contraintes judiciaires sur l’exécutif. Les piètres performances de l’Iran au regard des indicateurs mesurant la voix citoyenne et la redevabilité ont eu des répercussions néfastes sur ses résultats dans les dimensions sociétale et politique de la fragilité. Ses performances se sont également détériorées dans les dimensions économique et en matière de sécurité. En témoigne la hausse du chômage et du risque de conflit violent, à savoir le risque statistique de survenue de conflits violents au cours des une à quatre prochaines années, calculé à partir de 25 indicateurs quantitatifs.
La fragilité du Népal apparaît dans le dimension économique et en matière de sécurité. Dans cette dernière dimension, les indicateurs où le pays obtient les plus mauvais résultats ont trait à l’efficacité des pouvoirs publics et à la prévalence des activités criminelles, que l’on pourrait comparer, à titre illustratif, à ceux de l’Égypte et de la Russie. Dans la dimension économique, la fragilité du Népal peut s’expliquer par la faiblesse de la croissance de son produit intérieur brut (PIB) et par la stagnation de sa dépendance à l’égard de l’aide, qui est comparable à celle du Zimbabwe.
Le tremblement de terre d’avril 2015, qui a fait près de 9 000 victimes et entraîné des dommages économiques de quelque 5.2 milliards USD, a très vraisemblablement aggravé la fragilité dans les deux dimensions (CRED, 2018[2]). Si le Népal n’est pas particulièrement fragile sur les plans environnemental et sociétal par rapport à d’autres contextes du Cadre, ses résultats dans ces dimensions se sont détériorés au fil du temps. S’agissant de la dimension politique, des améliorations se sont fait jour, illustrées par la diminution de la perception de la corruption et l’obtention de meilleurs résultats au regard de l’indicateur relatif à la voix citoyenne et la redevabilité.
Si la mesure de la fragilité a considérablement gagné en rigueur ces dernières années, elle reste davantage un art qu’une science, ce qui est dû à bien des égards au caractère limité des données disponibles. Celles-ci sont insuffisantes pour suivre l’évolution constante de la conceptualisation qualitative de la fragilité, et des causes et conséquences de celle-ci. Des méthodes d’imputation statistique peuvent être utilisées pour combler le déficit de données mais elles doivent toutefois être employées avec parcimonie, même si cela implique de renoncer à des indicateurs ou bien à des pays ou territoires qui auraient pu être inclus. Ce déficit de données a des répercussions non seulement sur le Cadre de l’OCDE sur la fragilité, mais également sur le secteur du développement dans son ensemble. Il est donc nécessaire de mettre en lumière les difficultés spécifiques liées à la mesure de la fragilité, car nombre d’entre elles devront être résolues pour permettre aux responsables de l’action publique de faire évoluer tant leur compréhension de la multitude des manifestations de la fragilité que les mesures à prendre pour y faire face. En voici quelques exemples :
Seuil de données. Pour être inclus dans le Cadre de l’OCDE sur la fragilité, un contexte doit pouvoir fournir au moins 70 % des données requises. Ainsi en 2018, seuls 172 contextes ont pu être inclus dans les calculs1. Il convient de noter que l’absence de données ne signifie pas que les contextes exclus ne sont pas, dans les faits, fragiles. Nombre d’entre eux sont au contraire de petits États insulaires en développement (PEID) confrontés à des enjeux de fragilité qui leur sont propres. Cinq de ces contextes2 sont considérés comme fragiles au regard d’autres méthodologies (BAsD, 2016[3]).
Échelle du pays. L’unité principale d’analyse du Cadre sur la fragilité est l’État ou le territoire, ce qui ne permet pas de prendre en compte des facteurs externes et des facteurs globaux qui dépassent les frontières, ni ceux qui entrent en jeu au niveau infranational ou local et qui témoignent de poches de fragilité au sein d’un État. Or, ces deux types de facteurs peuvent avoir de vastes répercussions sur la fragilité et il est important d’en saisir la dimension par d’autres moyens. L’OCDE continuera à l’avenir de réfléchir aux moyens d’intégrer au Cadre différentes strates de fragilité, au-delà du seul État-nation.
Échelle temporelle. La mesure de la fragilité, un phénomène par nature changeant et dynamique, continue de se heurter à des difficultés liées à l’échelle temporelle. L’ancienneté des données, qui remontent pour la plupart à 2016, a posé problème lors de l’élaboration du Cadre 2018, notamment pour l’analyse des performances du Venezuela et de la trajectoire positive suivie par le Myanmar depuis le Cadre précédent. Autre obstacle connexe : la périodicité du recueil des données est insuffisante pour rendre compte de tous les chocs, événements déclencheurs et situations qui évoluent rapidement, et même, dans certains cas, pour permettre d’établir des comparaisons d’une année sur l’autre. Qui plus est, la plupart des mesures de la fragilité sont des instantanés, ce qui rend également difficile de saisir la dynamique du changement et la trajectoire globale. Il s’agit pourtant de facteurs importants car une société qui s’adapte en permanence à sa fragilité renforce sa résilience.
Caractère informel. Dans de nombreux contextes, des réseaux, institutions, processus, économies et pratiques remplissent de façon informelle des fonctions essentielles au sein de la société, qu’il est impossible de distinguer des risques auxquels est exposée la société ou de ses capacités d’y faire face. Dans les faits, les systèmes informels constituent bien souvent un élément central des capacités mises en œuvre. Or, les données sur les institutions et autres dispositifs officiels sont plus nombreuses et de meilleure qualité que celles qui ont trait aux systèmes informels, alors même que ces derniers revêtent une importance considérable. Il est donc difficile de rendre compte de manière crédible de l’impact important que peuvent avoir les aspects informels sur la fragilité globale d’un contexte.
Dynamiques sociétales. L’influence considérable des dynamiques entre les groupes et au sein de ces derniers sur la trajectoire des sociétés est de plus en plus reconnue (ONU/Banque mondiale, 2018, p. xxii[4]). Les inégalités horizontales, qui déterminent les liens économiques et politiques entre les groupes, l’histoire commune, la confiance et la défiance mutuelles, les visions qui se sont développées, les doléances ou encore les perceptions en sont quelques illustrations. Des facteurs tels que le capital social et culturel et la cohésion de la société influent également sur la façon avec laquelle les sociétés vivent la fragilité et y font face. S’il est possible de mesurer diverses formes d’inégalité, il reste très difficile de rendre pleinement compte, en termes quantitatifs, de la multitude et de l’imbrication des facteurs et des systèmes qui déterminent le bon ou le mauvais fonctionnement des sociétés.
1. Une liste des contextes exclus est disponible à l’annexe technique.
2. La Banque asiatique de développement considère par exemple que l’Afghanistan, Kiribati, les Îles Marshall, les États fédérés de Micronésie, Myanmar, Nauru, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Îles Salomon, le Timor-Leste et Tuvalu sont dans des situations de fragilité.
Parallèlement à l’entrée de quatre pays dans le Cadre 2018 sur la fragilité, le Cambodge et le Lesotho ont tous deux enregistré des améliorations suffisantes pour en sortir. Le Cambodge a considérablement progressé dans la dimension politique, notamment au niveau de la décentralisation et de la persistance du régime. Les mesures des niveaux d’actes de violence cautionnés ou perpétrés par l’État se sont également améliorées. Les performances économiques du pays ont elles aussi connu une légère embellie, ainsi qu’en témoignent les indicateurs de la dépendance vis-à-vis de la rente tirée des ressources, de l’éloignement et de la dépendance vis-à-vis de l’aide.
Le Lesotho a enregistré des améliorations dans les dimensions environnementale, économique et en matière de sécurité, qui ont contribué à le faire sortir du Cadre sur la fragilité. L’amélioration dans la dimension environnementale est due à la forte baisse de la prévalence des maladies infectieuses. Le Lesotho affiche également des performances plus satisfaisantes au regard de l’indicateur de l’État de droit, et le risque de conflits violents a aussi diminué, une évolution qui a également eu des retombées positives sur la fragilité en matière de sécurité. Dans la dimension économique, les progrès concernent la diminution de la dépendance vis-à-vis de l’aide et de la vulnérabilité socio-économique qui, associée à l’amélioration de la réglementation, ont complété l’évolution positive globale.
De légers écarts statistiques avec les données peuvent expliquer le changement minime de position de certains contextes par rapport au Cadre 2016 sur la fragilité. Toutefois, plusieurs pays ont enregistré une amélioration ou une détérioration de leurs performances suffisamment importante pour mériter des explications.
La situation de la Libye s’est améliorée dans la dimension liée à la sécurité, grâce au recul du nombre des décès dus à des acteurs non étatiques. Sa fragilité globale s’est toutefois détériorée du fait de l’aggravation de la fragilité économique, politique et environnementale. Au regard de certains indicateurs, la Libye obtient des résultats moins satisfaisants que la République centrafricaine et la Somalie, toutes deux considérées comme des contextes extrêmement fragiles. Sur le plan de la règle de droit, la République centrafricaine obtient de meilleurs résultats. Pour ce qui est de la qualité de la réglementation, la Somalie affiche des performances supérieures à la Libye, dont les résultats sont inférieurs à ceux de tous les autres contextes. La vulnérabilité socio-économique de la Libye et sa dépendance vis-à-vis de l’aide ont augmenté. La dépendance vis-à-vis de la rente tirée des ressources et le taux de chômage sont pour l’heure stables, et la Libye continue d’afficher le pourcentage le plus élevé du PIB tiré des ressources naturelles.
Le Congo a amélioré ses performances économiques ces dernières années, mais sa fragilité globale s’est aggravée, essentiellement sous l’effet de la détérioration de la dimension politique et de la dimension sécurité. Le contexte politique en particulier s’est dégradé en conséquence du relâchement des contraintes sur l’exécutif, de l’affaiblissement de la voix citoyenne et de la redevabilité, et d’une perception plus prononcée de la corruption par les citoyens. Les inégalités entre les sexes, qui se sont aggravées, atteignent désormais un niveau qui place le Congo au septième rang mondial.
Le Tadjikistan a vu sa situation se détériorer au regard des cinq dimensions. Cette détérioration a toutefois été particulièrement prononcée dans les aspects liés à la sécurité, et les dimensions environnementale et sociétale. C’est en termes de sécurité que le recul est le plus marqué, en raison de l’aggravation des risques liés au terrorisme et aux conflits violents.
Le Cameroun a enregistré une augmentation de la fragilité sur le plan de la sécurité. Le nombre d’agents de sécurité armés pour 100 000 habitants, qui était déjà l’un des moins élevés du monde en 2016, a continué de fléchir, parallèlement à une hausse des décès liés aux combats et du taux d’homicides. Plusieurs autres indicateurs de risque, tels que l’impact du terrorisme et le risque de conflits violents, ont également augmenté. L’indicateur relatif à l’État de droit s’est détérioré, ce qui a eu un impact négatif sur la fragilité environnementale et la sécurité.
L’Égypte a obtenu de bonnes performances dans les dimensions économique et politique. Sa dépendance vis-à-vis de la rente tirée des ressources et de l’aide a diminué, de même que le chômage. Le PIB a augmenté et des améliorations ont été constatées au niveau des contraintes tant législatives que judiciaires sur l’exécutif. Toutefois, la fragilité s’est accrue sur le plan de la sécurité et sur le plan sociétal. Dans ce dernier domaine, la détérioration est due à des aspects liés à la société civile, l’accès à la justice, la voix citoyenne et la redevabilité, ainsi qu’à l’aggravation des inégalités horizontales.
Le Pakistan a enregistré une dégradation globale de sa fragilité, en dépit des améliorations dans les dimensions économique et de sécurité. Cette situation est due avant tout à l’aggravation des performances au regard des dimensions environnementale et sociétale, domaine dans lequel le Pakistan occupe la sixième place en partant du bas du classement pour ce qui est des inégalités horizontales.
Si la Cisjordanie et la bande de Gaza ont enregistré de légères améliorations dans les dimensions sociétale et environnementale, les progrès accomplis au niveau de la fragilité globale proviennent avant tout de la dimension sécurité. Dans ce domaine, le risque de conflits violents a fortement diminué. Toutefois, en dépit de leur meilleur classement dans le Cadre et de l’amélioration de leur sécurité globale, la Cisjordanie et la bande de Gaza restent cantonnées à l’avant-dernière place mondiale, juste après la Syrie, pour ce qui est du contrôle sur le territoire. La dimension politique s’est également dégradée sous l’effet d’un recul de la voix citoyenne et de la redevabilité, et d’une accentuation de la terreur politique.
Le Nigéria a fortement progressé dans la dimension liée à la sécurité, notamment pour ce qui est du contrôle exercé sur le territoire, et du nombre de décès dus aux combats, de décès par des acteurs non étatiques, du taux d’homicides et de l’impact du terrorisme. Toutefois, s’agissant de l’indicateur de l’impact du terrorisme, il affiche toujours le troisième plus mauvais score de tous les contextes du monde, juste après l’Afghanistan. Une forte diminution de sa dépendance vis-à-vis de la rente tirée des ressources lui a permis de réduire sa fragilité économique. Il a également enregistré des avancées modestes dans la dimension politique, avec une baisse de la perception de la corruption et de la terreur politique.
Le Myanmar a amélioré toutes les dimensions de la fragilité. Les progrès les plus remarquables ont été enregistrés dans la dimension politique, du fait de l’amélioration des performances au regard de plusieurs indicateurs. Au niveau des institutions, l’évolution positive transparaît dans les indicateurs de la gouvernance tels que la voix citoyenne et la redevabilité, l’accès à la justice, la qualité de la réglementation, l’efficacité des pouvoirs publics, l’État de droit et les élections décentralisées. L’égalité entre les sexes, la dépendance vis-à-vis de la rente tirée des ressources et de l’aide et la vulnérabilité socio-économique se sont également améliorées. Toutefois, l’analyse a été menée sur la base de données antérieures à la crise actuelle des Rohingyas, ce qui signifie que le Cadre sur la fragilité de cette année ne rend pas compte des effets et impacts négatifs de cette crise.
La Guinée a accompli des progrès considérables eu égard à la dimension politique, la perception de la corruption, la persistance du régime et la terreur politique ayant toutes diminué. Elle a également enregistré de légères améliorations dans les dimensions sociétale, environnementale et économique, dues aux avancées sur les plans de la voix citoyenne et la redevabilité, et de la qualité de la réglementation, entre autres, ainsi qu’à une diminution de la prévalence des maladies infectieuses et du taux de chômage. Toutefois, l’impact du terrorisme et le risque de conflits violents ont exacerbé la fragilité dans la dimension sécurité.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée a enregistré des progrès significatifs dans la dimension politique, dus en grande partie aux meilleures performances sur les plans de la perception de la corruption, de la terreur politique, de la persistance du régime ainsi que de la voix citoyenne et de la redevabilité. Le risque de conflits violents a également diminué, même si le pays continue de pâtir d’un taux d’homicides relativement élevé et d’un niveau considérable d’activités criminelles violentes.
Prenant en compte le caractère multidimensionnel de la fragilité, le Cadre de l’OCDE sur la fragilité va au-delà de la délimitation classique du phénomène, pour englober un plus large éventail de contextes fragiles que d’autres listes ou regroupements établis sur le sujet. C’est pour cette raison que le Guatemala et le Honduras ont fait leur apparition dans les Cadres 2016 et 2018 sur la fragilité. Le Salvador, le troisième pays du Triangle du Nord, ne figure pour sa part dans aucune des deux éditions.
Si ces trois pays ont en commun une envolée de leurs taux d’homicides, une violence de gang à grande échelle, des niveaux élevés de corruption et de nombreuses autres caractéristiques similaires, leur situation au regard de la fragilité diffère toutefois. C’est pourquoi le Salvador n’apparaît pas dans les Cadres sur la fragilité, en dépit de détériorations importantes et inquiétantes de la sécurité, alors que le Guatemala et le Honduras sont toujours considérés comme fragiles alors même qu’ils ont accompli certaines des avancées les plus remarquables par rapport au Cadre 2016.
Pour ce qui est de la dimension économique, le Salvador affiche des performances légèrement meilleures que ses deux voisins, essentiellement grâce à des scores plus élevés en matière d’éducation et de qualité de la réglementation, à une plus faible dépendance vis-à-vis de la rente tirée des ressources et à une amélioration des taux d’emploi des femmes. Il obtient également de meilleurs résultats dans la dimension environnementale.
Si les résultats du Salvador et du Guatemala sont comparables dans certains aspects de la dimension politique, les deux pays se distinguent par leurs performances au regard de certains indicateurs. Le Salvador affiche un niveau plus élevé de voix citoyenne et de redevabilité, plus de contraintes judiciaires y sont exercées sur l’exécutif, et il obtient de meilleurs résultats dans la perception de la corruption, un indicateur au regard duquel la situation du Guatemala s’est détériorée, ce qui lui vaut d’obtenir le score le plus faible des trois pays du Triangle du Nord.
Le Salvador obtient également des résultats légèrement plus satisfaisants dans la dimension liée à la sécurité, en dépit des détériorations au niveau de l’État de droit, de l’efficacité des pouvoirs publics et du risque de conflits violents. Il a toutefois enregistré récemment une hausse brutale du taux d’homicides. En 2015 et 2016, il a en effet été considéré comme le pays le plus violent de la planète, alors que le Honduras et le Guatemala se plaçaient respectivement à la troisième et la cinquième places (The Economist, 2017[5]). En outre, le taux d’homicides au Honduras s’est fortement amélioré, régressant de 86 (pour 100 000 habitants) en 2012 à 42 en 2017 (Rísquez, 2017[6]).
Sur les trois pays du Triangle du Nord, le Guatemala est celui qui affiche dans le Cadre 2018 les plus faibles performances sur le plan sociétal, en raison essentiellement d’inégalités horizontales beaucoup plus fortes et d’un moindre accès à la justice. Toutefois, par rapport au dernier Cadre, le pays a accompli des progrès marginaux pour ce qui est de l’accès à la justice, la voix citoyenne et la redevabilité, et l’indice fondamental de la société civile. Sur ces trois pays, c’est le Honduras qui arrive en tête pour ce qui est de l’accès à la justice, le Salvador obtenant quant à lui les meilleurs résultats s’agissant des indices relatifs aux inégalités.
Les différentes nuances des performances des trois pays et de leur impact sur la fragilité globale montrent l’importance de l’approche multidimensionnelle. Elles illustrent également la difficulté de comparer les niveaux de fragilité dans différents contextes, même lorsqu’ils se situent dans la même région. De par son caractère multidimensionnel, la fragilité est un phénomène fluide, ce qui rend d’autant plus nécessaire de ne pas s’arrêter aux chiffres et d’analyser plus en profondeur les raisons des changements et la probabilité qu’ils s’inscrivent dans la durée. Ainsi, dans le cas du Triangle du Nord, le ratio gardes de sécurité privés/officiers de police est très élevé : cinq pour un au Guatemala et sept pour un au Honduras (Kinosian et Bosworth, 2018[7]). Cette situation suscite des interrogations quant à la légitimité de l’État pour fournir les services de base, et aux implications de la transformation de la sécurité en un bien privé, accessible uniquement à ceux qui en ont les moyens. Alors même que l’on ignore si le nombre proportionnellement élevé de sociétés de sécurité privées au Honduras est lié à ses performances plus satisfaisantes au regard des indicateurs d’homicides, ce ratio montre pourquoi il importe de compléter toute analyse quantitative par des travaux qualitatifs ciblés afin de pouvoir dresser un tableau plus complet.
[3] BAsD (2016), Mapping Fragile and Conflict-Affected Situations in Asia and the Pacific: The ADB Experience, Banque asiatique de développement, Manille, https://www.adb.org/sites/default/files/publication/211636/mapping-fcas-asia-pacific.pdf (consulté le 04 avril 2018).
[2] CRED (2018), « EM-DAT: International emergency events », EM-DAT - The international disaster database (base de données), http://www.emdat.be/database. (consulté le 20 février 2018)
[7] Kinosian, S. et J. Bosworth (2018), Challenges and Good Practices in Regulating Private Military and Security Companies in Latin America, http://globalinitiative.net/wp-content/uploads/2018/04/Security-for-Sale-Challenges-and-Good-Practices-in-Regulating-Private-Military-and-Security-Companies-in-Latin-America-the-Inter-American-.pdf (consulté le 27 mai 2018).
[1] OCDE (2016), États de fragilité 2016 : Comprendre la violence, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264269996-fr.
[4] ONU/Banque mondiale (2018), Pathways for Peace: Inclusive Approaches to Preventing Violent Conflict, Banque mondiale, http://dx.doi.org/10.1596/978-1-4648-1162-3.
[6] Rísquez, R. (2017), « 7 keys to understanding Honduras’ declining homicide rate », InSight Crime, https://www.insightcrime.org/news/analysis/7-keys-understanding-honduras-declining-homicide-rate/ (consulté le 28 mai 2018).
[5] The Economist (2017), The world’s most dangerous cities, https://www.economist.com/graphic-detail/2017/03/31/the-worlds-most-dangerous-cities (consulté le 27 mai 2018).
← 1. L’annexe technique contient une description plus complète des indicateurs examinés dans chaque dimension et de la méthodologie qui sous-tend le Cadre sur la fragilité.