Quatorze ans après son adhésion au CAD en 2010, la Corée se trouve à un moment charnière : elle accroît rapidement son aide publique au développement (APD) et s’emploie à aligner ses intérêts et ses ambitions sur les valeurs mondiales afin d’assumer davantage de responsabilités à l’échelle mondiale, comme le précisent sa Troisième Stratégie à moyen terme et le plan stratégique du Président Yoon. L’histoire de la Corée dans le domaine du développement explique le soutien constant de l’opinion publique à l’égard de sa coopération au développement, qui poursuit sa croissance. Le budget d’APD approuvé pour 2024, qui s’élève à 4.8 milliards USD, représente une augmentation de 31.1 % par rapport à 2023 et une somme qui dépasserait 0.25 % du revenu national brut (RNB) du pays. En 2022, l’APD représentait 0.17 % du RNB. Bien que la Corée ne fixe plus d’objectif d’APD par rapport au RNB, elle est en bonne voie pour atteindre son objectif précédent, à savoir consacrer 0.30 % de son RNB à l’APD, d’ici 2030.
La Corée pourrait s’efforcer d’étendre son influence et son empreinte mondiales dans le domaine de la coopération au développement par l’instauration d’un dialogue et de partenariats plus stratégiques avec les principaux partenaires bilatéraux et multilatéraux – qui seront susceptibles d’être d’importants vecteurs en la matière à court terme. Compte tenu de l’augmentation de l’APD, il sera important que la Corée prenne en compte la capacité des différents partenaires à absorber un budget d’APD nettement plus important en utilisant toute la gamme des instruments et modalités disponibles. Outre les dispositifs d’aide sous forme de dons, de coopération technique et de prêts pour des projets d’infrastructures, ces instruments incluent également les prêts axés sur des programmes ou des politiques accordés par le Fonds de coopération pour le développement économique (FCDE), qui ont initialement permis de combler rapidement les déficits de financement pendant la pandémie de COVID.
La loi-cadre de 2022 sur le développement durable a le potentiel d’induire une plus grande cohérence entre les politiques nationales et internationales, étant donné qu’elle stipule que le développement économique de la Corée ne doit pas se faire au détriment de l’environnement et de la justice sociale d’autres pays. Afin d’adopter des politiques plus favorables au développement et plus cohérentes, la Corée devrait étudier les effets transnationaux des politiques nationales et pour ce faire, rendre pleinement opérationnel le Conseil national du développement durable – placé sous l’égide du Cabinet de la Présidence, dont la mission est d’analyser les plans de mise en œuvre des ministères. La Corée pourrait également encourager le Comité de la coopération internationale pour le développement (CCID) à mieux faire connaître les effets des politiques nationales sur les pays en développement.
La Corée a mis davantage l’accent sur le financement climatique et sur la prise en compte des questions environnementales dans l’APD comme pilier central de son action climatique extérieure, ainsi qu’en témoigne la récente augmentation de la proportion de l’APD liée au climat, qui est passée à 35 %, soit au-dessus de la moyenne des pays du CAD qui s’établit à 29 %. En s’appuyant sur sa Stratégie pour l’APD du nouveau pacte vert et à mesure qu’elle déploie le Cadre pilote de lutte contre les effets du changement climatique du FCDE, la Corée pourrait, en complément de ses efforts visant à augmenter les volumes d’APD liée au climat, étendre cette approche à tous les secteurs de l’administration coréenne. Elle inscrirait ainsi une continuité de l’action publique dans l’ensemble de cette administration et au-delà.
La Corée oriente en grande partie son APD bilatérale vers les pays dont les besoins sont les plus criants et pourrait tabler sur cette base pour renforcer l’engagement de ses partenaires. Les stratégies de partenariat avec les pays ne définissent généralement pas de théorie du changement reliant les domaines prioritaires à la réduction de la pauvreté, mais il existe des exemples intéressants où la Corée s’efforce d’atteindre les personnes laissées de côté tout en prenant des mesures pour assurer la durabilité grâce à des politiques publiques complémentaires et de soutien. Il n’en demeure pas moins que le renforcement des capacités et de la redevabilité des pays partenaires leur permettant d’assurer une gestion axée sur les résultats et de pérenniser leurs programmes demeure un défi de taille. Un dialogue plus en amont et plus régulier dans les pays partenaires sur le contexte politique global pourrait, à terme, contribuer à renforcer la durabilité et l’efficacité des investissements de la Corée. Pour s’adapter plus rapidement à l’évolution des priorités et des besoins, il faudra aussi disposer de systèmes et de structures plus réactifs. Le meilleur moyen d’y parvenir serait sans doute de déléguer davantage de responsabilités aux bureaux locaux de l’Agence coréenne de coopération internationale (KOICA) et de la Banque d’import-export de Corée (KEXIM).
Le projet de budget 2024, qui prévoit que l’aide humanitaire sera plus que doublée, constitue une réponse appréciable face à des besoins croissants. Depuis l’Examen par les pairs de 2018, la Corée a élaboré un plan de mise en œuvre de l’articulation entre action humanitaire, développement et recherche de la paix, elle a révisé sa stratégie d’aide humanitaire et modifié récemment la loi relative à l’aide humanitaire d’urgence afin d’élargir le périmètre des activités humanitaires sur le plan juridique. La Corée peut s’appuyer sur ces solides éléments pour envisager une intervention intergouvernementale plus globale face aux crises et mettre en œuvre l’articulation entre action humanitaire, développement et recherche de la paix.
Le gouvernement coréen a clairement défini ses partenariats avec la société civile au moyen d’un nouveau plan d’action et de mise en œuvre – une véritable avancée depuis l’examen par les pairs de 2018. Les financements d’APD à destination de la société civile, qui ne représentent que 2 % de l’APD bilatérale, sont inférieurs à la moyenne des pays du CAD. Cette nouvelle orientation offre donc l’occasion de renforcer la capacité de la société civile coréenne à produire des résultats concrets. Il est possible d’inciter davantage la société civile coréenne à établir des partenariats avec la société civile régionale ou locale, qu’elle ne soutient pas directement, afin de contribuer au renforcement des capacités mutuelles et de permettre de favoriser davantage le développement mené localement.
L'expérience et l'expertise intergouvernementales que la Corée apporte est une force, mais avec 45 ministères et agences différents, elle soulève également des risques en termes de qualité et d’impact de la coopération coréenne au développement, qui ne cesse de croître. Un leadership fort du cabinet du Premier ministre (Bureau de coordination des politiques publiques), en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Économie et des Finances et les ministères sectoriels, est essentiel pour concrétiser l’ambition de la Corée d’accroître l’APD en s’appuyant sur les objectifs et résultats à moyen terme. C’est pourquoi le Comité d’experts en évaluation, qui relève du CCID, a commandé un examen des capacités institutionnelles dans l’ensemble de l’administration afin de repérer les lacunes en matière de gestion des performances. Cet examen est l’occasion d’orienter en priorité les hausses d’APD vers les agences d’exécution affichant une qualité et des capacités importantes en matière de gestion des performances, et également de tirer parti des atouts de la KOICA et de la KEXIM dans la gestion et l’évaluation des performances, afin d’encourager la mise en œuvre et l’assurance qualité de l’APD dans l’ensemble de l’administration.
L’importance que la Corée accorde à la redevabilité mériterait d’être conciliée avec la mise en place de possibilités d’apprentissage en la matière dans l’ensemble du système. Certains organes publics en Corée effectuent des audits en plus des évaluations. Organiser de tels contrôles chaque année et y donner suite demande un temps considérable, aux dépens d’autres tâches. La composante d’apprentissage de la gestion des performances pourrait être améliorée en communiquant plus clairement sur la contribution qu’apporte la Corée au développement durable et en partageant les enseignements tirés par l’ensemble des organismes d’exécution.
Comme en témoigne la révision de la loi-cadre de 2020, la Corée compte adopter une approche plus cohérente dans l’ensemble de l’administration pour mettre en œuvre un budget plus conséquent. Cette révision a renforcé la fonction d’intégration et de coordination du CCID, qui a piloté un regroupement stratégique des dons, des prêts et des apports d’APD publics et privés provenant de nombreuses entités publiques coréennes gérant de l’APD dans le but d’accroître l’envergure des projets et de tirer parti des synergies. Tandis que les projets de programmes intégrés continuent d’être perfectionnés, la Corée devrait s’appuyer sur les enseignements tirés de ce projet pilote et sur les travaux des comités des dons et des prêts, mis sur pied par le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Économie et des Finances, pour mieux lier et étaler les investissements , afin de déterminer comment augmenter les gains d’efficience et produire un impact plus marqué, y compris en déléguant davantage de responsabilités aux pays pour définir la portée, proposer, co-créer, gérer et adapter des programmes intégrés à grande échelle.
L’assurance de disposer de suffisamment de ressources humaines est un défi majeur à l’heure où la Corée accroît son APD. Le renforcement des liens et la collaboration avec la société civile, le monde universitaire, les sous-traitants et le secteur privé devraient contribuer à élargir le vivier de spécialistes du développement. Le plan interinstitutions conjoint de la Corée visant à favoriser et à augmenter, en 2022, le nombre de professionnels de l’APD pourrait permettre une plus grande mobilité entre les ministères et les organismes d’exécution. Il sera essentiel de disposer d’un plus grand nombre d’experts de haut niveau et sectoriels dans les missions à l'étranger et les bureaux locaux pour que la Corée puisse garantir et renforcer les partenariats ainsi que la pérennité des activités dans les pays où elle intervient. L’accroissement des volumes d’APD devrait créer des opportunités plus nombreuses et de meilleure qualité pour le personnel employé localement.
Les efforts de mobilisation du secteur privé devront être soutenus par une volonté politique d’accroître la tolérance au risque et d’abandonner progressivement l’aide liée, en s’appuyant sur les outils dont dispose déjà la KEXIM. Un secteur privé davantage engagé sera déterminant pour concrétiser la hausse prévue de l’APD coréenne. Des partenariats stratégiques et des cofinancements avec des banques multilatérales de développement (BMD) et des institutions de financement du développement bilatérales sont à l’étude comme moyen efficace d’accroître rapidement les opérations et la mobilisation du secteur privé. Les opérations de financement mixte pourraient également être multipliées sur la base de l’expérience acquise par la KOICA en matière de programmes avec le secteur privé, notamment son Programme d’innovation pour le développement. Son secteur privé dynamique place également la Corée dans une excellente position pour mener des discussions sur la conduite responsable des entreprises dans les pays partenaires où elle est présente.