Ce rapport procède à une évaluation comparative de l’imposition des successions dans les pays de l’OCDE, et analyse le rôle que les impôts sur les successions et les donations pourraient jouer en matière de collecte de recettes publiques, de réduction des inégalités et de renforcement de l’efficacité des systèmes fiscaux à l'avenir. Le rapport fournit des données sur la répartition et l’évolution du patrimoine et des héritages des ménages, évalue les arguments en faveur de l’imposition des successions, ainsi que les arguments inverses, et examine la conception des impôts sur les successions et les donations dans les pays de l’OCDE. Il conclut en suggérant un certain nombre d’options de réforme que les gouvernements pourraient envisager de mettre en œuvre afin d’améliorer la conception et le fonctionnement des impôts sur les transmissions de patrimoine.
L’impôt sur les successions pourrait jouer un rôle particulièrement important dans le contexte actuel. Les inégalités de patrimoine sont toujours élevées et se sont accentuées dans certains pays au cours des dernières décennies. Les successions sont en outre inégalement réparties entre les ménages, et les personnes plus riches sont davantage susceptibles de recevoir un héritage et cet héritage est généralement d’une valeur supérieure. À l'avenir, les successions sont susceptibles d’augmenter en valeur (si l'évolution des prix des actifs continue sur une trajectoire ascendante) et en nombre (avec le vieillissement de la génération du baby-boom). En outre, compte tenu de l’augmentation de l’espérance de vie, on s’attend à une concentration accrue des richesses entre les mains des plus âgés. Ces tendances pourraient amplifier les inégalités. Pour faire face à la crise du COVID-19, les pays vont également devoir générer des recettes supplémentaires et remédier aux inégalités, qui se sont creusées depuis le début de la pandémie.
24 pays de l’OCDE prélèvent des impôts sur les successions. La plupart des pays appliquent un impôt sur les successions calculé en fonction du bénéficiaire. La Corée, le Danemark, les États-Unis et le Royaume-Uni, en revanche, prélèvent l’impôt sur l’ensemble du patrimoine du donateur défunt. L’Irlande prélève un impôt sur les successions et les donations reçues par les bénéficiaires au cours de leur vie. Parmi les pays de l’OCDE qui ne taxent ni les parts d’héritage ni la masse successorale, neuf ont supprimé ce type d'impôt depuis le début des années 70.
La conception des impôts sur les successions et donations est très variable d’un pays à l’autre. Une des principales différences concerne le montant de patrimoine qui peut être transmis en franchise d’impôt. Les seuils d’exonération sont généralement plus élevés pour les proches parents, mais ils varient considérablement selon les pays, allant par exemple de 17 000 USD en Belgique (région de Bruxelles-Capitale) à plus de 11 millions USD aux États-Unis pour les transmissions aux enfants. On constate également d’importantes variations des taux d’imposition entre pays. La plupart des pays imposent des taux progressifs, mais près d’un tiers appliquent des taux d’imposition forfaitaires, et le niveau des taux varie beaucoup. Le traitement fiscal des donations varie lui aussi d’un pays à l’autre, même si les donations du vivant bénéficient souvent d’un traitement fiscal préférentiel par rapport aux transmissions de patrimoine effectuées au moment du décès du donateur.
Dans divers pays, néanmoins, de nombreuses dispositions ont réduit l’assiette des impôts sur les successions, ce qui nuit aux recettes fiscales, à l’efficacité et à l'équité. Aujourd’hui, seulement 0.5 % en moyenne des recettes fiscales totales provient de ces impôts dans les pays de l’OCDE qui les prélèvent. Le faible niveau des recettes fiscales s’explique en grande partie par des assiettes fiscales étroites et des possibilités d’optimisation fiscale. Dans un certain nombre de pays, la plupart des successions échappent à l’impôt en grande partie en raison du traitement fiscal très préférentiel dont bénéficient les transmissions de patrimoine à de proches parents et des exonérations appliquées aux transmissions de certains actifs (ex. résidence principale, actifs commerciaux et agricoles, plans d’épargne retraite et assurances-vie). Dans certain pays, les impôts sur les successions et les donations peuvent être largement évités grâce aux donations du vivant qui bénéficient d’un traitement fiscal plus favorable. D'autres possibilités d’optimisation fiscale (ex. séparation de la nue propriété de l’usufruit, utilisation de règles de valorisation préférentielles) permettent également aux contribuables de minimiser leur impôt sur les successions ou les donations. Non seulement certains de ces exonérations et abattements réduisent très sensiblement les recettes perçues, mais ils bénéficient aussi souvent davantage aux ménages les plus riches, ce qui nuit à la progressivité des impôts sur les successions et les donations.
Selon le rapport, des impôts sur les successions bien conçus permettraient d’augmenter les recettes publiques et d’améliorer l’équité, en générant moins de coûts d’efficacité et de coûts administratifs que d’autres impôts. Du point de vue de l’équité, un impôt sur les successions, notamment s’il cible des niveaux relativement élevés de transmissions de patrimoine, peut être un levier important pour renforcer l’égalité des chances et réduire la concentration des richesses. L’argument en faveur d’un impôt sur les successions pourrait peser plus lourd dans les pays où l’imposition effective des revenus du capital et du patrimoine des personnes physiques tend à être faible. Du point de vue de l’efficacité, bien que le nombre d’études soit limité, la littérature empirique semble suggérer que les impôts sur les successions ont des effets plus limités sur l’épargne que d’autres impôts prélevés sur les contribuables fortunés et confirme leur effet incitatif sur les héritiers, qui sont encouragés à travailler davantage, et sur les dons caritatifs des donateurs. En outre, si les impôts sur les successions peuvent avoir des effets négatifs sur la transmission d’une entreprise familiale (selon la conception de l’impôt), ils peuvent toutefois limiter les risques de transmission de capital à des héritiers moins qualifiés. Les impôts sur les successions comportent aussi un certain nombre d’avantages administratifs par rapport aux autres types d’impôts sur le patrimoine, surtout ceux qui sont prélevés annuellement.
La conception des impôts sur les successions et les donations est déterminante ; elle garantit leur capacité à atteindre leurs objectifs. Le rapport suggère un certain nombre d’options de réforme que les pays peuvent envisager de mettre en œuvre afin d’améliorer le potentiel d’augmentation des recettes, mais aussi l’efficacité et l’équité des impôts sur les successions et les donations.
Le rapport conclut qu’un impôt sur le patrimoine reçu par chaque bénéficiaire peut être plus équitable qu’un impôt sur le patrimoine total transmis par les donateurs. Si l’objectif est de promouvoir l’égalité des chances, il convient d’accorder davantage d’importance au montant de patrimoine reçu par chaque bénéficiaire, et éventuellement à la situation personnelle de celui-ci, qu’au montant total de patrimoine légué par le donateur. Cette approche permet d’appliquer des taux d’imposition progressifs sur le montant de patrimoine reçu par les bénéficiaires. Un impôt calculé en fonction du bénéficiaire présente comme autre avantage d’encourager une plus grande répartition des successions et de réduire davantage la concentration des richesses, la répartition de l’héritage entre plusieurs bénéficiaires limitant la charge fiscale totale. D’un autre côté, contrairement à un impôt prélevé sur le patrimoine reçu par chaque bénéficiaire, un impôt prélevé sur le patrimoine total transmis par les donateurs peut être plus facile à collecter, dans la mesure où il est prélevé sur la totalité de la succession, plutôt que sur chaque héritage reçu séparément.
Une approche particulièrement équitable et efficace consisterait à imposer les bénéficiaires sur les donations et les héritages qu’ils reçoivent tout au long de leur vie, sous la forme d’un impôt sur les transmissions de patrimoine à l’échelle d’une vie. De cette façon, la charge fiscale sur chaque transmission de patrimoine serait déterminée en tenant compte du montant de patrimoine précédemment reçu par le bénéficiaire. Cet impôt pourrait être prélevé dès lors que serait franchi un seuil d’exonération fiscale applicable à l’échelle d’une vie, c’est-à-dire un montant de patrimoine que les bénéficiaires seraient en droit de recevoir libre d’imposition au cours de leur vie (donations et héritages compris). Le fait de prendre en compte le patrimoine déjà reçu par les bénéficiaires offrirait la garantie qu’une personne qui reçoit plus de patrimoine au cours de sa vie paie plus d’impôts sur les héritages que celle qui en reçoit moins, notamment si les taux d’imposition sont progressifs. Cela garantirait également que des bénéficiaires recevant des montants de patrimoine identiques sous des modalités différentes (plusieurs transmissions de moindre valeur ou une transmission unique de valeur plus conséquente) soient soumis à une charge fiscale similaire, ce qui renforcerait l'équité et réduirait les possibilités d’optimisation fiscale. Toutefois, un tel impôt pourrait augmenter les coûts d’administration pour les autorités fiscales et les obligations fiscales des contribuables.
Quel que soit le type d’impôt sur les transmissions de patrimoine appliqué, les pays peuvent envisager différentes options de réforme. Les seuils d’exonération fiscale devraient être conçus de manière à exempter les héritages de faible valeur, en permettant aux bénéficiaires de recevoir de petits montants de patrimoine en franchise d’impôt. Les pays qui appliquent des taux d’imposition forfaitaires pourraient envisager d'adopter des taux progressifs pour faire en sorte que ceux qui reçoivent davantage de patrimoine soient davantage imposés. Il conviendrait de réduire les écarts entre le traitement fiscal accordé aux transmissions aux descendants directs et celui s’appliquant aux transmissions à des héritiers plus éloignés lorsque ces écarts sont particulièrement importants. Le fait d’appliquer des taux d’imposition plus élevés pour les transmissions à des membres de la famille éloignés incite encore davantage les donateurs à concentrer leurs transmissions de patrimoine entre les membres de la famille proche. Les taux d’imposition élevés sur le patrimoine reçu de donateurs ayant un lien de parenté éloigné peuvent également s’avérer discutables lorsque les bénéficiaires n’ont pas reçu de montants importants de leurs parents. Il faudrait également mettre en place des mesures destinées à aider les contribuables à surmonter les problèmes de liquidité.
Il conviendrait de réduire les possibilités de planification et d’optimisation fiscales grâce à une meilleure conception de ces impôts, et d’intensifier les efforts de lutte contre la fraude fiscale. Il est essentiel de maintenir des assiettes fiscales larges, notamment en supprimant les exonérations et les allégements fiscaux pour lesquels il n’existe pas de justification tangible et qui ont tendance à être régressifs. Lorsque le maintien des allégements fiscaux peut se justifier davantage (ex. résidence principale, actifs commerciaux), les pays doivent appliquer des critères stricts, examiner attentivement l’éligibilité et éventuellement plafonner la valeur de l'allégement fiscal. Il faudrait mieux aligner le traitement fiscal des héritages et des donations. Ainsi, lorsque des abattements sur les donations font l’objet d’un renouvellement périodique, ils doivent faire l’objet d’une évaluation et d’un examen attentifs lorsqu’ils permettent aux transmissions de patrimoine d’échapper en grande partie à l’impôt. De façon plus générale, des mesures doivent être prises pour empêcher l’évasion et la fraude fiscales. Avec la montée en puissance du numérique dans l’économie, le renforcement des obligations déclaratives, notamment pour les déclarations de tiers, pourrait contribuer grandement à améliorer le suivi et l’application des impôts sur les successions.
Le rapport propose également des options pour surmonter les obstacles politiques souvent associés aux réformes de l’impôt sur les successions. Le fait de fournir des informations sur la répartition des héritages et les inégalités peut jouer un rôle important pour rendre l’impôt sur les successions plus acceptable par la société dans son ensemble. De la même façon, étant donné que les contribuables ont tendance à surestimer, parfois de façon très importante, la part des transmissions de patrimoine imposables et les taux effectifs de l’impôt sur les successions, le fait de leur fournir des informations sur le fonctionnement de ces impôts, et d’expliquer à qui ils s’appliquent, peut s’avérer très utile. En outre, la réorientation des réformes fiscales autour des questions d’équité et d’égalité des chances peut jouer un rôle important, surtout si elle va de pair avec une modification des règles fiscales visant à répondre aux préoccupations du public, en particulier en ce qui concerne les questions d’optimisation et d’évasion fiscale.
Le rapport souligne l’importance de prendre en compte les circonstances propres à chaque pays pour évaluer la nécessité et la conception appropriée des impôts sur les successions et les donations. Les niveaux d’inégalité du patrimoine et les capacités administratives des pays sont des éléments importants à prendre en compte, de même que les autres impôts qui sont prélevés sur le revenu du capital et sur les actifs.
Le rapport indique également que l’impôt sur les successions n’est pas une solution miracle, et que des réformes complémentaires seront nécessaires. Le rapport souligne en particulier l’importance d’instaurer des impôts bien conçus sur les revenus du capital, notamment sur les plus-values. L’OCDE poursuivra ses travaux dans le domaine de l’imposition du capital, en mettant plus particulièrement l’accent sur l’imposition des revenus du capital des personnes physiques et l’imposition des hauts revenus. Ces travaux sont conçus pour aider les pays à identifier les réformes qui pourraient renforcer le rôle des systèmes fiscaux dans la réduction des inégalités. Ils permettront aux pays de mettre à profit l’occasion majeure qui se présente pour repenser l’imposition du capital des personnes physiques, à la lumière des progrès réalisés sur le plan de la transparence fiscale internationale, en particulier avec la mise en œuvre de l’échange automatique de renseignements sur les comptes financiers à des fins fiscales.