Ce chapitre revoit le cadre d’intégrité québécois de la perspective des interactions entre les agents publics (les titulaires de charge publique) et les lobbyistes. D’une part, le cadre d’intégrité pour les agents publics offre l’opportunité de complémenter la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. Pour cela, le chapitre fournit des recommandations sur la manière dont le cadre d’intégrité pourrait être clarifié et renforcé concernant les obligations des agents publics. D’autre part, le chapitre aborde le Code de déontologie des lobbyistes comme point de départ à la promotion d’un engagement responsable.
L'encadrement du lobbying au Québec, Canada
3. Une culture qui favorise une interaction avec intégrité entre agents publics et lobbyistes au Québec
Abstract
Introduction
La réforme du cadre législatif (chapitre 1) ainsi qu’une amélioration de la transparence permettant un meilleur contrôle du public sur le processus d’élaboration des politiques (chapitre 2) constituent des éléments clés pour réguler le lobbying et combattre les risques d’influence indue et l’iniquité dans le pouvoir d’influence.
Au-delà de ces réformes, il est impératif de promouvoir une culture d’intégrité dans les interactions entre les agents publics et les lobbyistes au sens plus large et avoir une vision stratégique du système. En effet, les lois et régulations seront toujours incomplètes et n’arriveront jamais à couvrir toutes les zones grises et pratiques d’influence , aussi bien qu’elles aient été élaborées. D’où l’importance de voir les interactions entre représentants d’intérêts et agents publics aussi comme un champ d’éthique appliquée, où le bon sens et la boussole éthique interne doivent jouer un rôle des deux côtés.
La Recommandation de l’OCDE sur les Principes pour la transparence et l’intégrité des activités de lobbying stipule que les pays devraient favoriser une culture d’intégrité dans les organismes publics et dans la prise de décision publique en établissant des règles et lignes directrices claires régissant le comportement des agents publics (Principe 7 de la Recommandation). La Recommandation indique également que les lobbyistes devraient respecter des normes de professionnalisme et de transparence ; il leur incombe également de favoriser dans leurs activités une culture de transparence et d’intégrité (Principe 8 de la Recommandation).
Ceci exige, d’une part, l’établissement de règles et de directives de conduite claires pour les agents publics. D’autre part, les lobbyistes eux-mêmes peuvent contribuer à garantir l’intégrité de leur engagement auprès des agents publics grâce à des mécanismes d’autorégulation, tels qu’un code de conduite et un système de contrôle et d'application.
Renforcer le cadre d’intégrité applicable aux agents publics
La Recommandation de l’OCDE invite les pays à favoriser une culture d’intégrité dans les organismes publics et dans la prise de décision publique en établissant des règles et lignes directrices claires régissant le comportement des agents publics. Plus précisément, selon la Recommandation, les pays devraient instituer des principes, des règles et des procédures qui donnent aux agents publics des orientations claires sur les relations qu’ils sont autorisés à entretenir avec les lobbyistes. Les agents publics devraient communiquer avec les lobbyistes conformément aux règles, normes et lignes directrices applicables d’une manière qui permette le contrôle le plus étroit par le public. En particulier, ils devraient faire en sorte qu’aucun doute n’entache leur impartialité au service de l’intérêt public, ne communiquer que les informations autorisées et ne pas utiliser abusivement des informations « confidentielles », révéler les intérêts privés en cause et éviter les conflits d’intérêts. Aussi, les décideurs devraient donner l’exemple par leur comportement personnel dans leurs relations avec les lobbyistes.
En particulier, le Québec pourrait donc fortifier le cadre d’intégrité actuel en considérant les mesures suivantes qui seront détaillées dans les sections suivantes :
Clarifier et si nécessaire établir ou renforcer des normes d'intégrité spécifiques pour les agents publics et le comportement attendu vis-à-vis des activités de lobbying.
Intensifier la sensibilisation et la formation des agents publics quant aux standards, aux défis et aux risques liés au lobbying, en particulier en incluant le sujet de façon plus explicite dans les formations déontologiques, notamment au niveau municipal.
Donner aux répondants et conseillers en éthique la responsabilité et la faculté de répondre aux doutes des agents publics liés à la Loi et aux risques liés aux pratiques du lobbying.
Les recommandations suivantes souligneront par ailleurs l’importance de la coordination entre Lobbyisme Québec, le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), le Commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale et la Commission municipale du Québec. Bien que ces instances sont déjà en contact et partagent des informations, l’institutionnalisation d’un mécanisme de coordination régulier entre elles pourraient contribuer à une vision plus stratégique des défis liés au lobbying, permettre d’assurer une coopération et coordination constructive durable, permettre de développer des initiatives conjointes et rendre plus explicite le lien avec d’autres initiatives visant à améliorer la transparence et l’intégrité, telles que, par exemple, le Plan d’action du Québec favorisant un gouvernement ouvert 2021-2023.
Clarifier et si nécessaire établir ou renforcer des normes d'intégrité spécifiques pour les agents publics et le comportement attendu vis-à-vis des activités de lobbying
Dans l’ère des réseaux sociaux et de la surabondance d’informations et où les allers-retours entre les secteurs privés et publics sont courants, les agents publics sont constamment exposés au regard et à la critique du public, risquant de voir leur réputation s’effondrer chaque fois qu’une intervention est mal perçue ou mal interprétée. Les agents publics ont donc besoin plus que jamais d’un cadre d'intégrité adapté aux risques spécifiques du lobbying et des autres pratiques visant à exercer une influence. Si les règles relatives à la gestion des conflits d'intérêts, aux cadeaux, invitations et repas sont solides, les normes, directives et renforcements de capacités propres aux activités de lobbying et autres pratiques d’influence peuvent être améliorés.
Malgré l’orientation de la Recommandation de l’OCDE, seuls quelques pays ont développé des standards spécifiques pour les agents publics concernant leurs interactions avec des lobbyistes (graphique 3.1). Au niveau fédéral, le Canada fait partie des pays qui ont inclus des standards à ce sujet, notamment dans le Guide du premier ministre sur un gouvernement ouvert et responsable pour les ministres et les ministres d'État (Premier ministre du Canada, 2015[1]). Le Guide met clairement en relation les activités de financement et les rapports avec les lobbyistes avec l’obligation des ministres et des secrétaires parlementaires d’éviter tout conflit d’intérêt, toute apparence de conflit d’intérêts et toute situation pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts (Annexe B du guide, voir aussi l’encadré 3.1 plus bas). Aussi, le Code régissant les conflits d’intérêts des députés de la Chambre des communes et le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs mentionnent que les députés ou sénateurs ne peuvent se prévaloir de leur charge pour « influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d’un membre de sa famille ou encore, d’une façon irrégulière/indue, ceux de toute autre personne ou entité. »
Selon le type de document dans lequel les standards sont inclus, les normes pour les agents publics et leurs interactions avec les lobbyistes peuvent inclure, par exemple :
Le devoir de traiter les lobbyistes sur un pied d'égalité en leur accordant un accès juste et équitable.
L’obligation de refuser les rencontres avec les lobbyistes non enregistrés.
L’obligation de signaler les violations aux autorités compétentes.
L’obligation d'enregistrer leurs rencontres avec des lobbyistes (vor Chapitre 2 sur les agendas publics).
Au Québec, la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme a été adoptée pour encadrer les activités de lobbyisme et les rendre plus transparentes. Cette loi s’applique donc principalement aux lobbyistes, pas aux agents publics. Néanmoins, il est important de clarifier les obligations et les attentes vis-à-vis du comportement des agents publics qui peuvent être ciblés par des initiatives d’influence.
En plus, le Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique ainsi que la Déclaration de valeurs de l’administration publique québécoise consolident les règles déontologiques et réaffirment les valeurs fondamentales en matière d’éthique. Pour les membres de l’Assemblée nationale, s’applique le Code d’éthique et de déontologie; celui-ci s’étend d’ailleurs aussi aux ministres et aux membres du personnel politique. Pour les municipalités, il existe la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale. Cependant, ces orientations déontologiques ne contiennent pas de références explicites quant à la conduite attendue et désirée de la part des agents publics au sujet du lobbying. Seul le Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale stipule qu’un « député ne peut exercer des activités de lobbyisme au sens de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. »
Lobbyisme Québec, en coordination avec le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), le Commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale et la Commission municipale du Québec, pourrait développer du matériel de sensibilisation tel que des brochures ou des guides destinés aux agents publics concernant les standards et les bonnes pratiques. L’Annexe B du Guide du premier ministre sur un gouvernement ouvert et responsable pour les ministres et les ministres d'État fédéral canadien pourrait servir d’inspiration et de base pour développer ce genre d’orientation (encadré 3.1).
Encadré 3.1. Les activités de financement et les rapports avec les lobbyistes : pratiques exemplaires à l’intention des ministres et des secrétaires parlementaires inclues dans le Guide du premier ministre sur un gouvernement ouvert et responsable du Canada (extrait)
L’annexe B du Guide sur un gouvernement ouvert et responsable du gouvernement fédéral Canadien résume les pratiques exemplaires que les ministres et les secrétaires parlementaires doivent appliquer afin de maintenir des limites appropriées entre leurs fonctions officielles et les activités de financement politique. Il importe qu’ils en prennent connaissance et les appliquent dans les circonstances voulues. En outre, ils doivent veiller à bien informer leur personnel de ces pratiques et à mettre en place dans leur bureau des processus appropriés en vue de les faire respecter.
Les pratiques viennent compléter, et non remplacer, les autres règles que les ministres et les secrétaires parlementaires doivent respecter, y compris la Loi sur les conflits d’intérêts, le Code régissant les conflits d’intérêts des députés et la Loi sur le lobbying. Les ministres et les secrétaires parlementaires sont priés de communiquer avec le Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique s’ils ont des questions ou des préoccupations concernant leurs obligations au titre de la Loi sur les conflits d’intérêts ou du Code régissant les conflits d’intérêts des députés, et devraient se familiariser avec la Directive sur la sollicitation de fonds et la Loi sur les conflits d’intérêts du Commissariat.
Principes généraux
Les ministres et les secrétaires parlementaires doivent s’assurer que les activités de financement politique ou autres éléments liés au financement politique n’ont pas, ou ne semblent pas avoir, d’incidence sur l’exercice de leurs fonctions officielles ou sur l’accès de particuliers ou d’organismes au gouvernement.
Il ne doit y avoir aucun accès préférentiel au gouvernement, ou apparence d’accès préférentiel, accordé à des particuliers ou à des organismes en raison des contributions financières qu’ils auraient versées aux politiciens ou aux partis politiques.
Aucun particulier ou organisme ne doit être visé, ou sembler être visé, par une collecte partisane parce qu’ils traitent officiellement avec des ministres et des secrétaires parlementaires, ou avec leur personnel ou leur ministère.
Intervenants ministériels
Dans la présente, « intervenant ministériel » s’entend :
Des lobbyistes enregistrés et autorisés à mener des activités de lobbying auprès des ministres et des secrétaires parlementaires, de leur personnel ou de leur ministère.
Des employés de firmes de lobbying autorisés à mener des activités de lobbying auprès des ministres et des secrétaires parlementaires, de leur personnel ou de leur ministère.
Des employés de sociétés ou d’organismes autorisés à mener des activités de lobbying auprès des ministres et des secrétaires parlementaires, de leur personnel ou de leur ministère.
Des particuliers employés ou engagés à contrat par des sociétés ou des organismes ou qui les représentent, et qui ont, ou s’attendent à avoir, des relations officielles avec des ministres et des secrétaires parlementaires, leur personnel ou leur ministère.
Pratiques exemplaires spécifiques
Afin qu’aucun traitement préférentiel ou apparence de traitement préférentiel ne soit accordé à des particuliers, des sociétés ou des organismes en raison de leur appui financier à des politiciens ou des partis politiques, les ministres et les secrétaires parlementaires doivent adopter les pratiques exemplaires suivantes :
Les ministres et les secrétaires parlementaires doivent éviter de nommer des intervenants ministériels dans leurs équipes de financement ou de campagne, ou au sein des conseils de direction des associations de circonscription électorale.
Les ministres et les secrétaires parlementaires doivent établir et maintenir des mesures appropriées pour éviter que les listes de noms, les coordonnées ou d’autres renseignements permettant d’identifier des intervenants ministériels soient diffusés aux personnes qui participent à des activités de financement.
Les ministres et les secrétaires parlementaires doivent éviter d’utiliser les locaux et le matériel du gouvernement, y compris le papier à correspondance du ministère, pour leurs activités de financement ou autre motif qui s’y rattache.
Les ministres et les secrétaires parlementaires doivent s’assurer que leurs collecteurs de fonds évitent de solliciter des contributions politiques auprès des intervenants ministériels; auprès d’autres lobbyistes et des employés de firmes de lobbying. (À noter que cette restriction n’interdit pas de lancer une campagne de financement générale auprès d’un large groupe de partisans ou de partisans potentiels).
Les ministres et les secrétaires parlementaires, ainsi que leur personnel, doivent éviter de discuter de sujets liés aux fonctions ministérielles durant une activité de financement, et demander à toute personne souhaitant en discuter de prendre rendez-vous avec le cabinet du ministre ou le ministère, selon le cas.
Les ministres et les secrétaires parlementaires doivent s’assurer que les communications sur les activités de financement rédigées en leur nom ne suggèrent aucun lien entre ces activités et les fonctions officielles du gouvernement.
Les ministres et les secrétaires parlementaires, ainsi que leur personnel, doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils rencontrent des lobbyistes-conseils, et déterminer soigneusement s’il convient de rencontrer un lobbyiste-conseil en l’absence du client du lobbyiste.
En outre, le législateur québécois pourrait considérer renforcer les devoirs et obligations concernant le comportement attendu par les agents publics. En particulier, le Québec pourrait considérer de clarifier la responsabilité des agents publics à faire appliquer la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme et renforcer la régulation portant sur les « portes tournantes ».
Clarifier la responsabilité des agents publics à faire appliquer la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme
En ce moment, la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme ne donne pas clairement de responsabilités à l’État, aux institutions publiques et aux titulaires de charges publiques à l’égard de la transparence des activités de lobbying. Cette responsabilité est évoquée seulement en filigrane à l’article 1 par l’affirmation du droit des citoyens d’être informés des communications d’influence faites auprès des institutions publiques. En particulier, la Loi ne confère pas clairement de responsabilité aux agents publics de s’assurer que ceux qui tentent de les influencer sont inscrits au registre des lobbyistes.
Le Diagnostic de Lobbyisme Québec soulignait déjà les réticences et les critiques de certains élus et du personnel des institutions publiques vis-à-vis de la Loi, allant jusqu’au rejet de toute forme de responsabilité qui pourrait leur revenir quant au fait de s’assurer du respect de la Loi (Lobbyisme Québec, 2019[3]). Les consultations menées par Lobbyisme Québec en 2018 avaient révélé qu’encore plusieurs élus et fonctionnaires ne se sentent pas responsables d’assurer le respect de la Loi. Les consultations menées par l’OCDE confirment ce sentiment. Par ailleurs, plusieurs élus parlementaires et municipaux interrogés se disent en désaccord avec l’idée que la Loi leur donne une responsabilité formelle d’assurer son respect. Si certains d’entre eux craignent que ces obligations freinent l’accès des citoyens aux élus, d’autres affirment redouter la multiplication des exigences légales et des pressions sociales, par exemple sur la fonction de député ou de maire.
Si bien les agents publics effectivement ne peuvent et ne devraient pas jouer le rôle de surveiller l’application de la Loi en général, il semble par contre envisageable d’exiger une part de responsabilité de la part des agents publics et leur demander qu’ils s’assurent que les personnes les contactant soient effectivement enregistrées comme lobbyistes ou soient visés par des exemptions (Chapitre 1). Cette vérification (diligence raisonnable) de la part des agents publics devrait être spécifiée clairement dans les normes de conduite attendues et requiert bien sûr un travail renforcé de sensibilisation, de formation et d’orientation pour les agents publics. Par exemple, les commissaires de l’Union Européenne et les membres de leurs cabinets doivent refuser de rencontrer des lobbyistes non-inscrits au registre. En Slovénie, les agents publics ne peuvent accepter d'entrer en contact avec un lobbyiste qu'après avoir vérifié que le lobbyiste est bien inscrit au registre.
À ce sujet, le Secrétariat du Conseil du trésor propose d’ailleurs aux ministères et organismes publics, dans ses différentes directives concernant la gestion des contrats, d’obtenir une déclaration du contractant à l’effet qu’il se conforme aux dispositions de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme avant de lui attribuer quelque contrat que ce soit. Par ailleurs, plusieurs municipalités, ministères ou organismes publics ont adopté diverses politiques au cours des dernières années demandant aux membres de leur personnel de s’assurer que les lobbyistes qu’ils rencontrent sont dûment inscrits au registre des lobbyistes.
Tout au moins, les différents codes de conduite applicables aux titulaires de charge publiques pourraient par exemple inclure des lignes directrices et rappeler aux agents publics le besoin de vigilance vis-à-vis des communications d’influence. Aux Pays-Bas par exemple, le Code de conduite sur l’intégrité dans le gouvernement central rappelle aux agents publics le besoin de prendre en compte les moyens indirects par lesquels ils peuvent être influencés par des groupes d’intérêts particuliers, notamment par le financement de la recherche (encadré 3.2).
Encadré 3.2. Pays-Bas : le Code de conduite sur l’intégrité dans le gouvernement central rappelle aux agents publics le devoir de vigilance vis-à-vis des influences indirectes (extraits)
« Vous pouvez être amené à interagir avec des lobbyistes dans le cadre de vos activités. Ils sont représentants d’une cause et entreprennent d’influencer la prise de décision à leur avantage. Cette démarche est autorisée. Mais en êtes-vous toujours conscient ? Comment aborder cette question ?
Assurez-vous d’être en mesure de remplir votre fonction de manière transparente et indépendante. Soyez conscient des intérêts des lobbyistes et des différentes démarches d’influence possibles. Celles-ci peuvent être très directes (par une visite ou une invitation, par exemple), mais aussi plus indirectes (notamment par le co-financement d’une recherche influençant une décision politique).
Consultez vos collègues et superviseurs lorsque vous risquez de rencontrer ces situations dans votre activité.
Il relève parfois de l’intérêt public d’éviter les contacts avec les lobbyistes. »
Source : Extraits du Code de conduite néerlandais sur l’intégrité dans le gouvernement central, https://zoek.officielebekendmakingen.nl/stcrt-2019-71141.html.
Renforcer les règles avant, pendant et après un mandat public
On parle de portes tournantes quand des agents publics migrent vers des secteurs d’activité dont ils étaient responsables ou quand des professionnels de ces secteurs deviennent titulaires de charges publiques. Souvent, ces changements viennent accompagnés de la possibilité d’exploiter les réseaux d’influences de ces personnes, notamment sur le plan de l’accès à des informations privilégiées ou à des individus, en ce qui concerne les agents publics « sortants » (Yates, 2018[4]). Ces anciens agents publics peuvent donc être convoités en tant que futurs lobbyistes et monétiser leurs réseaux et informations sur le secteur public. Mais des analyses empiriques montrent que des agents publics venant du secteur privé peuvent entrainer des problèmes similaires (Faccio, 2006[5]).
Au Québec, la Loi n’interdit pas formellement aux employés des institutions publiques d’être aussi lobbyistes pendant ou après leur mandat public. Si la Loi comprend des interdictions formelles pour les ministres, les membres du conseil exécutif et leurs conseillers proches, ainsi que pour les élus, leur personnel de cabinet et certains hauts fonctionnaires au niveau municipal lorsqu’ils quittent leurs charges publiques (articles 28 et 29 de la Loi), seul le Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale va plus loin en couvrant les activités de lobbying effectuées pendant l’exercice des charges publiques. Ce code stipule qu’un « député ne peut exercer des activités de lobbyisme au sens de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. ». Lobbyisme Québec demande de prévoir un régime établissant des obligations de divulgation et de confidentialité, un cadre éthique et déontologique ainsi que des interdictions spécifiques applicables aux activités de lobbying exercées par des élus ou des dirigeants désignés d’institutions publiques, pendant et après leur mandat ou leurs fonctions auprès des institutions publiques avec lesquelles ils ont eu ou ont entretenu des liens ou rapports officiels (Principe 15 de l’Énoncé de principes). Ces règles consistent généralement à imposer un délai de carence durant lequel un ancien titulaire ne pourra exercer d’activités de lobbying auprès des organismes où il exerçait un emploi ou une fonction précédemment ou avec lesquels il a eu des contacts privilégiés.
La loi fédérale canadienne, plus stricte que la loi québécoise sous cet angle, impose aux titulaires d’une charge publique désignée une interdiction d’exercer des activités de lobbying pendant cinq ans à partir du moment de la fin de sa fonction. Ces règles sont toutefois limitées aux titulaires désignés au sens de cette loi, soit ceux qui exercent les plus hautes responsabilités dans les institutions publiques.
En deuxième lieu, le régime doit aussi permettre au commissaire d’accorder une dispense partielle ou totale de telles obligations, règles ou interdictions lorsque cela n’est pas contraire à l’esprit de la loi (Principe 15 de l’Énoncé de principes). Un pouvoir de dispense, attribué au commissaire, viserait à répondre, en circonstances exceptionnelles, à ce besoin de flexibilité. De telles mesures existent par exemple au niveau de l’Union européenne (encadré 3.3).
Encadré 3.3. Règles sur l’emploi après l’exercice d’une fonction publique au niveau de l’Union européenne
Membres de la Commission européenne
Le Code de conduite des Membres de la Commission européenne établit une « période d’examen » de deux ans (trois ans pour l’ancien Président de la Commission) au cours de laquelle les Commissaires doivent notifier les activités professionnelles dans lesquelles ils prévoient de s’engager. Si l’activité visée est liée à l’ancien portefeuille du Commissaire, la Commission doit consulter en premier lieu le comité d'éthique indépendant avant d'approuver ces activités.
Fonction publique européenne
Les membres de la fonction publique de l’Union européenne quittant leur fonction et débutant un nouvel emploi dans les deux ans doivent obtenir une autorisation de l’institution concernée. Si l’activité est liée au travail effectué pendant les trois dernières années de service et peut être en conflit avec les intérêts légitimes de l’institution, l’institution peut l’interdire ou l’approuver sous certaines conditions.
Dans les douze mois suivant la fin de leur fonction, il est interdit aux hauts fonctionnaires (directeurs généraux et directeurs) de s’engager dans des activités de lobbying visant leur ancienne institution sur des sujets dont ils étaient responsables au cours des trois dernières années de leur mandat.
Sources : Code de conduite des membres de l’Union européenne, Code de conduite des députés au Parlement européen, Statut des fonctionnaires européens.
Concernant l’autre sens des portes tournantes, les règles imposant à d’anciens lobbyistes devenus titulaires de charges publiques de ne pas traiter dans leurs nouvelles fonctions des dossiers similaires à ceux qu’ils ont traités comme lobbyistes sont plutôt rares. Certains pays et États américains imposent toutefois un tel délai lors de l’élection, la nomination ou l’embauche d’un représentant d’intérêts dans des fonctions de titulaire d’une charge publique. Aux États-Unis, la loi du Maryland, de façon exceptionnelle, impose aussi à tout lobbyiste, lorsqu’il devient un titulaire d’une charge publique, une période d’interdiction d’un an avant de pouvoir agir sur des dossiers à l’égard desquels il aurait travaillé précédemment à titre de lobbyiste. En France, des restrictions s’appliquent aussi avant l’emploi public (encadré 3.4).
Encadré 3.4. Restrictions avant et après mandat en France
Restrictions relatives à l'après-mandat
Pendant une période de trois ans, les anciens ministres, présidents d'exécutifs locaux et membres d'une autorité administrative indépendante doivent saisir la HATVP pour examiner si les nouvelles activités privées qu'ils envisagent d'exercer sont compatibles avec leurs anciennes fonctions.
Les organismes publics contrôlent également le passage des anciens fonctionnaires publics vers le secteur privé, qui est effectué par le supérieur hiérarchique du fonctionnaire concerné. Le supérieur hiérarchique peut saisir la HATVP en cas de doute sur des cas individuels. La saisine de la Haute Autorité est obligatoire pour certains hauts fonctionnaires.
Restrictions avant l'emploi
Pendant une période de trois ans après la cessation de leurs fonctions dans leur emploi précédent, les salariés du secteur privé nommés pour occuper un emploi dans l'administration publique ne peuvent être chargés de la surveillance ou du contrôle d'une entreprise privée. En outre, ils ne peuvent pas conclure de contrats de quelque nature que ce soit avec une entreprise privée ni donner un avis sur ces contrats. Ils ne doivent pas recevoir de conseils de la part d'une telle entreprise ni acquérir un quelconque capital dans celle-ci. Toute infraction à cette disposition est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende.
En 2020, la HATVP a été chargée d'un nouveau contrôle « pré-nomination » pour certains postes à responsabilité. Un contrôle préventif est effectué avant une nomination à certains postes de haut niveau (notamment les membres d'un cabinet ministériel, les collaborateurs du Président de la République, les directeurs d'administration centrale), si une personne a exercé des fonctions dans le secteur privé au cours des trois années précédant la nomination.
Source : (OCDE, 2021[2])
Intensifier la sensibilisation et la formation des agents publics quant aux standards, aux défis et aux risques liés au lobbying, en particulier en incluant le sujet de façon plus explicite dans les formations déontologiques, notamment au niveau municipal
Au-delà de clarifier et d’établir des standards de conduite, des responsabilités et des obligations, il est essentiel de s’assurer que ces standards se traduisent effectivement dans la pratique quotidienne des agents publics. Les textes de lois et codes de conduite ou d’éthique sont la base nécessaire, mais ne sont pas suffisants pour atteindre cet objectif. En plus, les standards devraient être communiqués d’une manière simple et claire et les agents publics doivent comprendre la raison d’être de ces régulations, être sensibilisés aux risques et savoir appliquer les orientations dans leur quotidien.
Au Québec, malgré le fait que l’obligation de respecter la loi repose sur les lobbyistes, les activités de formation et de sensibilisation de Lobbyisme Québec sont également tournées vers le secteur public, même si peu de formations sont effectuées au niveau municipal. En même temps, la co-responsabilité accrue recommandée dans ce rapport exige également un devoir de préparer et accompagner de manière adéquate les agents publics. D’ailleurs, Lobbyisme Québec met à disposition sur son site internet du matériel d’information ainsi que des guides de formation destinés aux titulaires de charges parlementaires, gouvernementaux et municipaux.
Néanmoins, à ce jour, malgré le matériel mis à disposition par Lobbyisme Québec et si bien le sujet du lobbying fait possiblement partie de la formation de base sur l’éthique, les consultations de l’OCDE ont établi que cet aspect pouvait et devrait certainement être renforcé. En effet, les règles en matière de lobbying et leur relation avec le cadre d’intégrité sont assez méconnues. Les fonctionnaires consultés par l’OCDE perçoivent en effet un certain niveau de méconnaissance au sein de l’administration publique concernant le lobbying, son concept, ses pratiques et les implications éthiques que les interactions entre le secteur public et les lobbyistes entrainent avec elles. Dans un sondage conduit en 2018 auprès d’élus et du personnel des institutions publiques, seulement un répondant sur deux (52%) se considérait suffisamment informé quant aux règles qui encadrent le lobbying dans son milieu de travail (Lobbyisme Québec, 2019[3]). Aussi, il y a raison de supposer qu’en général, et de façon similaire aux perceptions des citoyens, le lobbying est perçu par les fonctionnaires comme ayant une connotation négative.
Ce besoin de formation est particulièrement visible au niveau municipal où la densité et la continuité des relations entre les citoyens, les acteurs locaux et les responsables publics créent des zones grises et où l’hétérogénéité de l'environnement local et municipal rend les défis peut-être encore plus importants. D’ailleurs, lors de consultations menées par l’OCDE avec des représentants des municipalités, ceux-ci ont exprimés le désir de recevoir plus de formations et d’orientations sur le sujet du lobbying.
Dans son Énoncé de Principes, Lobbyisme Québec recommande d’introduire un régime de formation des élus et des dirigeants désignés des institutions publiques (Principe 31 de l’Énoncé de principes). Une coordination accrue entre Lobbyisme Québec, le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), le Commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale et la Commission municipale du Québec en matière de lobbying et d’intégrité pourrait permettre de renforcer les activités de sensibilisation et de formation sur les standards d’intégrité applicables aux responsables publics dans le contexte spécifique des activités de lobbying. À cet égard, Lobbyisme Québec a proposé à plusieurs reprises d’intégrer des modalités spécifiques dans les lois visant les municipalités, en déposant des mémoires en commission, notamment pour assurer que l’encadrement demeure concentré dans la Loi et cohérent à travers tous les paliers (Lobbyisme Québec, 2009[6] ; 2010[7] ; 2021[8]). En Irlande, par exemple, la Commission des normes de la fonction publique fournit des orientations adaptées à diverses catégories d'agents publics visant à promouvoir la sensibilisation et la compréhension est intégrée dans la loi sur le lobbying (encadré 3.5).
Lobbyisme Québec recommande de donner l’obligation d’offrir aux institutions publiques, aux représentants d’intérêts et aux citoyens un programme et des outils de formation et d’éducation sur le régime d’encadrement établi par la Loi (Principe 30 de l’Énoncé de principes). En particulier, le Québec pourrait donc accroître les efforts de sensibilisation et de formation des agents publics. Ceci pourrait rendre nécessaire d’élargir le mandat de Lobbyisme Québec afin d’y inclure un mandat d’éducation et de communication envers les agents publics, tout en assurant une étroite coordination avec les autres instances pertinentes afin de maximiser les synergies et d’aligner les messages.
Sensibilisation : Il est important que les agents publics soient conscients de la raison d’être des dispositions légales et des conduites qu’on attend de leurs part. Savoir pourquoi il est important de promouvoir la transparence et l’intégrité dans les relations avec des représentants d’intérêts, connaitre les risques qui y sont associés, ainsi que savoir reconnaitre les différentes pratiques directes et indirectes d’influence est essentiel pour engendrer un changement de conduite. Au-delà de mettre à disposition du matériel d’information comme recommandé plus haut, Lobbyisme Québec, en coordination avec le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), le Commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale et la Commission municipale du Québec, pourrait initier des campagnes qui visent à communiquer plus activement avec les agents publics. Une collaboration accrue pourrait également être mise en œuvre avec des organismes représentatifs comme l’Union des municipalités du Québec (UMQ) ou la Fédération québécoise des municipalités (FQM), qui offrent des programmes de formation abordant la question du lobbying à destination des élus municipaux.
Formation : Malgré leur importance, les formations portant spécifiquement sur l’intégrité dans les interactions avec les lobbyistes sont rares. Parmi les législateurs interrogés par l’OCDE dans 38 juridictions, 64 % ont déclaré qu'ils n'avaient pas reçu de formation ou d'informations sur la manière de dialoguer avec les lobbyistes (OCDE, 2021[2]). La plupart des pays étudiés proposent des activités de formation et de sensibilisation sur des questions spécifiques, telles que l'intégrité dans les interactions avec des tiers sur une base ad hoc. Les formations sur mesure par vidéoconférence pour les ministères et organismes publics proposées par le Lobbyisme Québec sont certainement une bonne pratique à poursuivre. En plus, le législateur québécois pourrait considérer inclure de manière plus intensive la relation avec les représentants d’intérêts dans les formations sur l’éthique proposés au niveau de la fonction publique, de l’Assemblée nationale ou, pour le cas de municipalités, par l’Union des municipalités du Québec ou la Fédération québécoise des municipalités. Des études de cas sur le lobbying, basées sur des cas réels, pourraient permettent aux agents publics de comprendre les concepts, les risques et les pratiques afin de pouvoir prendre de meilleures décisions et ainsi protéger l’intérêt public et eux-mêmes. En outre, les formations pourraient en particulier viser les nouveaux défis liés au lobbying indirect et aider les agents publics à évaluer la fiabilité des informations reçues. Les guides de formation destinés aux titulaires de charges parlementaires, gouvernementales et municipales mis à disposition par Lobbyisme Québec pourraient être actualisés et informer de telles formations.
Encadré 3.5. Conseils sur mesure pour les agents publics en Irlande
En Irlande, l'article 17 de la loi sur le lobbying précise que « la Commission peut publier des orientations sur le fonctionnement de cette loi et peut, de temps à autre, la réviser ou la republier », et « peut mettre à disposition des informations spécifiques pour promouvoir la prise de conscience et la compréhension de cette Loi ».
Le site Internet www.lobbying.ie contient des conseils spécifiques pour les agents publics couverts par les dispositions de la loi (« agents publics désignés »), notamment :
Des conseils généraux pour les agents publics afin de s'assurer qu'ils comprennent comment le système fonctionne, comment ils s'y intègrent et comment ils peuvent aider à soutenir la mise en œuvre de la législation.
Des conseils aux membres du Dáil, aux membres du Seanad et aux membres du Parlement européen représentant le gouvernement irlandais.
Des conseils aux membres des autorités locales.
Des conseils sur la période de réflexion.
Renforcer les capacités des répondants et des conseillers en éthique afin de les préparer à répondre aux interrogations des agents publics liés à la Loi et aux risques liés aux pratiques du lobbying
Les standards et normes de conduite doivent être communiqués de manière simple et claire, et l’État doit investir dans des campagnes de sensibilisation et des formations afin de développer les capacités nécessaires à une compréhension et application efficace de la loi. Mais, en outre, l’expérience internationale en matière d’application éthique montre qu’il est essentiel de prévoir une fonction d’appui et de soutien institutionnel connue et facile d’accès aux agents publics (OCDE, 2020[9] ; OCDE, 2009[10]). Ceux-ci doivent pouvoir compter sur une personne ou une unité de confiance vers laquelle se tourner en cas de doute spécifique.
Ces conseils et consultations sont fournis par des commissions, des unités ou du personnel, dédiés à l'intégrité. La fonction de conseil en intégrité peut prendre différentes formes : au sein d'un organe de l'administration centrale, par l'intermédiaire d'un organe spécialisé indépendant ou semi-indépendant ; ou par l'intermédiaire d'unités d'intégrité ou de conseillers au sein des ministères ou du pouvoir législatif ou judiciaire. Leur rôle est généralement de fournir des conseils sur la résolution de dilemmes éthiques et d'aider les agents publics à comprendre les règles et les principes éthiques publics. Ces approches couvrent généralement les normes de conduite et les valeurs de la fonction publique, mais elles pourraient encore améliorer la compréhension et la connaissance des risques associés au lobbying et du comportement attendu des agents publics. Dans les pays qui ont élaboré des normes d'intégrité spécifiques au lobbying, la majorité fournissent également des conseils sur la manière d'appliquer les réglementations et les lignes directrices. L'assistance peut être disponible en ligne, en appelant une ligne d’assistance spécifique ou en envoyant un courriel à un contact dédié.
Au niveau du pouvoir législatif, la majorité des pays qui ont répondu à l’enquête menée par l’OCDE, a déclaré pouvoir s'appuyer sur une fonction d'intégrité au sein de leur organisation ou sur une institution spécialisée pour guider leurs interactions avec les lobbyistes (OCDE, 2021[2]). En France, par exemple, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pourvoit des conseils confidentiels individuels sur demande aux plus hauts responsables publics, élus et non élus, relevant de son champ d'action, et oriente et accompagne leur institution lorsque l'un de ces responsables publics en fait la demande, dans un délai de 30 jours suivant la réception de la demande (OCDE, 2020[9]).
Au Québec, le Réseau des répondants en éthique de la fonction publique québécoise, mis en place en 2002 par le Secrétariat du Conseil du trésor vise à soutenir l’action des personnes intervenant en éthique dans leur ministère ou organisme respectif. Chaque ministère nomme au moins un répondant de l’éthique. Au niveau municipal, la Commission municipale du Québec publie une liste des conseillers à l’éthique et à la déontologie en matière municipale qui peuvent répondre à toutes questions des élus relative à leurs codes d’éthique et de déontologie. Pour les membres de l’Assemblée nationale, le Commissaire à l’éthique et à la déontologie est une institution indépendante, responsable de veiller au respect des principes éthiques et à l’application des règles déontologiques qui doivent guider la conduite des membres de l’Assemblée et de leur personnel.
Bien que l’analyse détaillée de ce cadre éthique dans la fonction publique québécoise ne fasse pas l’objet de cette étude, les consultations menées par l’OCDE ont mis en évidence une certaine disparité entre les ministères en ce qui concerne les ressources investies en matière d’éthique. Aussi, la fonction de répondant de l’éthique s’ajoute normalement aux fonctions déjà sous la responsabilité du fonctionnaire public, limitant ainsi le temps que celui-ci puisse dédier à la promotion de l’intégrité publique au sein de son organisation.
Les consultations de l’OCDE ont aussi montré qu’en ce moment, il y a un manque de clarté parmi les fonctionnaires sur où chercher du conseil concernant une interaction avec des représentants d’intérêts. Lobbyisme Québec remplit en premier lieu ce rôle de conseil et d’assistance en matière de lobbying auprès des responsables publics. Les répondants en éthique consultés ont répondu qu’ils sont déjà parfois consultés sur le sujet ; en cas de doute, ils transfèrent la requête à Lobbyisme Québec. Une bonne pratique au Québec, qui pourrait inspirer d’autres organismes se trouve au ministère des Transports, qui a développé une directive interne sur le lobbying, a établi une formation obligatoire et a inclus le lobbying dans sa gestion de risque et ses plans d’intégrité. En plus, le ministère encadre des fonctionnaires approchés par des lobbyistes.
À nouveau, Lobbyisme Québec, le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), le Commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale et la Commission municipale du Québec pourraient unir leurs efforts et aligner leurs messages afin de préparer les répondants et conseillers en éthique à répondre aux doutes liés aux lobbying, à les orienter et les conseiller ainsi que, si nécessaire, à encadrer voir même à accompagner les agents publics lors de leurs interactions avec des représentants d’intérêts. Cette recommandation rejoint en partie celle effectuée par Lobbyisme Québec dans son Énoncé de principes, lorsqu’il est recommandé de désigner le principal dirigeant de toute institution publique, ou toute personne au sein de cette institution à qui il aura délégué cette responsabilité, comme répondant pour l’application et le respect de la loi au sein de cette institution (Principe 14 de l’Énoncé de Principes). Cette responsabilité pourrait être confiée au répondant en éthique. Celui-ci serait notamment chargé de veiller à l’atteinte des objectifs de la Loi et à son respect au sein de l’institution.
Comme seconde ligne, Lobbyisme Québec, le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), le Commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale et la Commission municipale du Québec devraient continuer à être disponibles pour soutenir ces répondants et conseillers en éthique en cas de doute ou pour arbitrer les zones grises.
Promouvoir un engagement responsable des lobbyistes
Les entreprises et les organisations sont, elles aussi, de plus en plus exposées au regard et au contrôle du public. Les lobbyistes qui agissent pour leur compte ont donc besoin d'un cadre d’intégrité clair lorsqu’ils interviennent dans le processus d’élaboration des politiques publiques. La Recommandation de l’OCDE rappelle que le gouvernement et le législateur ont la responsabilité principale d’instituer des normes de conduite claires pour les agents publics qui sont en relation avec des lobbyistes. Toutefois, les lobbyistes et leurs donneurs d’ordres ont pour leur part l’obligation de ne pas exercer d’influence illicite et de se conformer aux normes professionnelles dans leurs relations avec les agents publics, avec les autres lobbyistes, avec leurs clients et avec le public (Principe 8 de la Recommandation). En outre, le maintien de la confiance dans le processus de décision publique implique que les lobbyistes salariés ou consultants mettent eux aussi en avant les principes de bonne gouvernance. En particulier, ils devraient faire preuve d’intégrité et d’honnêteté dans leurs relations avec les agents publics, fournir des informations fiables et exactes et éviter les conflits d’intérêts vis-à-vis des agents publics et vis-à-vis des clients qu’ils représentent, par exemple en s’abstenant de représenter des intérêts antagonistes ou concurrents (Principe 8 de la Recommandation).
Dans plusieurs pays de l’OCDE, les codes de conduite institués au niveau des entreprises, des organisations ou de leurs regroupements, continuent d’être le principal outil venant soutenir l’intégrité des lobbyistes, mais des problèmes de cohérence et d'interprétation peuvent alors se poser lorsque des lobbyistes sont soumis à plusieurs codes. Il est donc essentiel :
D’améliorer les normes et les directives associées à l’ensemble des mesures susceptibles d’influer sur la politique publique, afin de favoriser une intervention des lobbyistes qui ne soulève aucun problème d'intégrité et d’inclusivité des processus d’élaboration des politiques publiques.
De préciser des normes d'intégrité plus détaillées pour spécifier les exigences liées au devoir de diligence que les entreprises, les organisations et les associations auxquelles elles participent, doivent respecter pour garantir leur conformité en matière d’affaires publiques et de programmes de durabilité.
Le Québec pourrait renforcer le cadre déontologique applicable aux représentants d’intérêts
Au Québec, la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbysme vient accompagnée d’un Code de déontologie des lobbyistes qui établit « des normes de conduite applicables aux lobbyistes afin d’assurer le sain exercice des activités de lobbyisme et d’en favoriser la transparence. » Parmi 38 juridictions qui ont répondu à une enquête de l’OCDE, 17 ont introduit des codes similaires ayant leur origine dans la loi (OCDE, 2021[2]). En général, ces codes représentent les attentes minimales que la société place envers les représentants d’intérêts.
Dans son Énoncé de Principes, Lobbyisme Québec recommande d’établir un cadre éthique et déontologique applicable aux entités et aux représentants d’intérêts relativement à la divulgation, à l’accomplissement et au suivi des activités de lobbying, de façon à maintenir les plus hauts standards d’intégrité et de professionnalisme et à favoriser la confiance des citoyens dans les institutions publiques (Principe 11 de l’Énoncé de Principes), et d’attribuer conjointement au représentant d’intérêts et à l’entité dont il est administrateur, associé, dirigeant, employé ou membre, la responsabilité de s’assurer du respect du cadre éthique et déontologique pour l’accomplissement d’activités de lobbying par ce représentant d’intérêts (Principe 12 de l’Énoncé de Principes).
La responsabilité, ne relevant plus uniquement de l’individu qui effectue des activités de lobbying, serait aussi liée au rattachement à une entité pour le compte de laquelle les activités sont réalisées. Ainsi, l’entreprise ou l’organisation sera responsable du respect du cadre par ses représentants internes, alors que le cabinet de représentants externes sera responsable des personnes qui lui sont rattachées. On introduit donc ici la responsabilité claire des cabinets envers les personnes qu’ils emploient et leurs dirigeants. Lobbyisme Québec est d’avis que cela incitera les entités à se doter de règles internes de conformité, élevant par le fait même le degré de professionnalisme avec lequel les activités de lobbyisme devraient être accomplies, mais incitant également les représentants à davantage de prudence puisqu’ils s’exposent non seulement à des sanctions externes, en vertu du régime législatif par exemple, mais également à des sanctions internes.
Le Québec pourrait inciter les entreprises et les représentants d’intérêts à aller au-delà d’une interprétation liée à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme et adopter des principes d’engagement responsable
Bien que le lobbying soit un outil essentiel pour dialoguer avec les décideurs publics, ce n'est pas la seule méthode utilisée par les entreprises et les organisations pour influencer le processus d'élaboration des politiques. Par exemple, ils peuvent canaliser leur influence en finançant des partis politiques ou des campagnes électorales, ou en finançant la recherche ou des groupes de réflexion pour générer des connaissances et des idées sur des questions de politiques publiques.
Tout comme pour le lobbying, l'utilisation de telles mesures complémentaires pour s'engager dans l'élaboration des politiques publiques est légitime et peut contribuer à éclairer le processus d'élaboration des politiques. Cependant, le financement de partis politiques ou de campagnes électorales qui exploitent les vides juridiques (OCDE, 2017[11]), ou le financement de groupes de réflexion ou de recherche pour manipuler des données ou des preuves, constitue une violation flagrante des principes d'intégrité (OCDE, 2021[2]). Dans les entreprises dont les normes de gouvernance internes sont inadéquates, les activités visant à influencer les processus d'élaboration des politiques, menées directement ou indirectement, peuvent susciter des inquiétudes chez les actionnaires, les investisseurs les consommateurs et le grand public. De la même manière, les gouvernements, les entreprises et le grand public attendent des organismes de la société civile qu’ils agissent conformément à leur mission, qu’ils fassent preuve d’intégrité et de fiabilité et qu’ils adoptent un comportement exemplaire dans leur organisation. L’intégrité n’est donc pas seulement une préoccupation pour les gouvernements et les entreprises, mais elle est également essentielle pour garantir la légitimité des OBNL (OCDE, 2020[9]).
Le Québec pourrait donc envisager d’encourager les entreprises et les organisations à établir des normes qui précisent comment garantir l'intégrité dans ces méthodes d’influence. Les normes pourraient couvrir des questions telles que la garantie de l'exactitude et de la pluralité des points de vue, la promotion de la transparence dans le financement des organismes de recherche et des groupes de réflexion, et la gestion et la prévention des conflits d'intérêts dans le processus de recherche. Ces normes pourraient également préciser des divulgations volontaires pouvant faire intervenir des considérations de responsabilité sociale quant à la participation d’une entreprise à l’élaboration des politiques publiques et au lobbying (encadré 3.6).
Encadré 3.6. Normes de lobbying responsable et exigences de diligence raisonnable
Pour mieux comprendre comment elles traitent les risques liés à l'engagement politique des entreprises et des organisations, les gouvernements peuvent encourager les entreprises et les organisations à formaliser des normes d'engagement responsable et des processus internes adéquats. Ces normes et processus pourraient couvrir les domaines suivants :
Expliquer comment les activités de lobbying et d'influence s'alignent sur les engagements publics visant à soutenir les objectifs en matière de changement climatique et d'autres défis de durabilité communs.
Établir des mesures de diligence raisonnable adéquates pour garantir que les positions et les pratiques de ceux qui font du lobbying au nom d'une entreprise ou d’une organisation (associations industrielles et de lobbying) ne vont pas à l'encontre des valeurs et des engagements de l'organisation. Ces mesures peuvent inclure :
Des processus permettant d'examiner régulièrement les adhésions aux associations professionnelles et aux organisations tierces et d'identifier les désaccords.
La transparence sur les adhésions aux associations commerciales ou à d'autres organisations tierces qui peuvent s'engager dans des activités politiques (organisations caritatives, fondations, organisations de collecte de fonds).
Le niveau de financement et d'engagement dans ces organisations (par exemple, représentation au conseil d'administration, financement au-delà de l'adhésion, participation à des comités ou groupes de travail spécifiques).
Les mesures prises lorsque les positions et les pratiques de lobbying de ces organisations ne sont pas conformes aux pratiques et aux engagements de l'entreprise en matière de lobbying.
L'intégration de ces normes dans tous les départements d'activité – y compris les fonctions d'affaires gouvernementales et de durabilité – afin de créer une position cohérente dans l'ensemble des activités d'affaires gouvernementales de l'entreprise ou de l’organisation et des branches RSE (Responsabilité sociale et environnementale) ou ESG (critères Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance). Ces politiques doivent garantir que les équipes RSE/ESG disposent d'un accès suffisant aux informations sur les activités de lobbying et l'appartenance à des associations professionnelles de l'entreprise.
Adopter des mesures de transparence et d'intégrité concernant l'embauche d'anciens titulaires de charges publiques.
Spécifier le rôle des membres du conseil d'administration, de la direction générale et des cadres supérieurs dans le contrôle régulier de la mise en œuvre des normes et des activités de lobbying.
S'assurer que les employés ont les connaissances et la capacité de mettre en œuvre les normes dans leur travail quotidien.
Source : (OCDE / PRI, 2022[12]).
Propositions d’actions
Afin de de favoriser une culture d’intégrité dans les interactions entre lobbyistes et responsables publics, et d’être le plus possible en harmonie avec les meilleures pratiques internationales, l’OCDE recommande au Québec de considérer les propositions suivantes.
Renforcer le cadre d’intégrité applicable aux agents publics
Clarifier et si nécessaire établir ou renforcer des normes d'intégrité spécifiques pour les agents publics et le comportement attendu vis-à-vis des activités de lobbying.
Clarifier la responsabilité des agents publics à faire appliquer la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme.
Renforcer les règles avant, pendant et après un mandat public.
Renforcer les capacités des répondants et des conseillers en éthique afin de les préparer à répondre aux interrogations des agents publics liés à la loi et aux risques liés aux pratiques du lobbying.
Promouvoir un engagement responsable des lobbyistes
Le Québec pourrait renforcer le cadre déontologique applicable aux représentants d’intérêts.
Le Québec pourrait inciter les entreprises et les représentants d’intérêts à aller au-delà d’une interprétation liée à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme.
Références
[5] Faccio, M. (2006), « Politically connected firms », American Economic Review, vol. 96/1, pp. 369-386, http://www.jstor.org/stable/30034371 (consulté le 30 décembre 2014).
[8] Lobbyisme Québec (2021), Mémoire présenté à la commission parlementaire concernant le Projet de loi n°49 – Loi modifiant la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, https://lobbyisme.quebec/wp-content/uploads/2021/07/memoire-pl-49.pdf.
[3] Lobbyisme Québec (2019), Simplicité, Clarté, Pertinence, Efficacité. Réforme de l’encadrement du lobbyisme, https://www.commissairelobby.qc.ca/fileadmin/Centre_de_documentation/Documentation_institutionnelle/2019-06-13_Enonce-principes-CLQ.pdf.
[7] Lobbyisme Québec (2010), Mémoire présenté en entendu en commission parlementaire concernant le Projet de loi n° 109 – Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale à la suite de l’étude détaillée faite par la Commission sur l’aménagement du territoire, https://lobbyisme.quebec/wp-content/uploads/2021/07/MVmoire_CLQ_projet_de_loi_no_109.pdf.
[6] Lobbyisme Québec (2009), Mémoire présenté et entendu en commission parlementaire concernant le Projet de loi n°76 – Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant principalement le processus d’attribution des contrats des organismes municipaux, https://lobbyisme.quebec/wp-content/uploads/2021/07/Memoire_CLQ_projet_de_loi_no_76.pdf.
[2] OCDE (2021), Lobbying in the 21st Century: Transparency, Integrity and Access, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/c6d8eff8-en.
[9] OCDE (2020), Manuel de l’OCDE sur l’intégrité publique, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/84581cb5-fr.
[11] OCDE (2017), Le financement de la démocratie : Financement des partis politiques et des campagnes électorales et risque de capture de l’action publique, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/9789264263994-fr.
[10] OCDE (2009), Towards a Sound Integrity Framework: Instruments, Processes, Structures and Conditions for Implementation (GOV/PGC/GF(2009)1), OCDE, Paris.
[12] OCDE / PRI (2022), Regulating corporate political engagement: trends, challenges and the role for investors, https://www.oecd.org/governance/ethics/regulating-corporate-political-engagement.htm.
[1] Premier ministre du Canada (2015), Pour un engagement ouvert et responsable, https://pm.gc.ca/fr/nouvelles/notes-dinformation/2015/11/27/gouvernement-ouvert-et-responsable.
[4] Yates, S. (2018), « La transparence des activités de lobbyisme au Québec : La grande illusion ? », Revue française d’administration publique, vol. 1/165, pp. 33-47, https://doi.org/10.3917/rfap.165.0033.